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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

Avouez-moi en ami, lui dit-il, votre sentiment. Que pensez-vous de Bérénice ? — Ce que j’en<br />

pense ? répondit Chapel<strong>le</strong> : Manon p<strong>le</strong>ure, Marion crie, Marion veut qu’on la marie. » Ce<br />

mot, qui fut bientôt répandu, a été depuis attribué mal à propos à d’autres.<br />

La parodie bouffonne faite <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Théâtre Italien, <strong>le</strong>s rail<strong>le</strong>ries de Saint-Évremond, et<br />

<strong>le</strong> mot de Chapel<strong>le</strong> ne consolaient pas Corneil<strong>le</strong>, qui voyait la Bérénice, riva<strong>le</strong> de la sienne,<br />

raillée et suivie, tandis que la sienne était entièrement abandonnée.<br />

Il avait depuis longtemps de véritab<strong>le</strong>s inquiétudes, et n’en avait point fait mystère à<br />

son ami Saint-Évremond, lorsque <strong>le</strong> remerciant des éloges qu’il avait reçus dans sa<br />

Dissertation <strong>sur</strong> l’A<strong>le</strong>xandre, il lui avait écrit : « Vous m’honorez de votre estime dans un<br />

temps où il semb<strong>le</strong> qu’il y ait un parti fait pour ne m’en laisser aucune. C’est un merveil<strong>le</strong>ux<br />

avantage, pour moi, qui ne peux douter que la postérité ne s’en rapporte à vous. Aussi je<br />

vous avoue que je pense avoir quelque droit de traiter de ridicu<strong>le</strong>s ces vains trophées qu’on<br />

établit <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s anciens héros refondus à notre mode. »<br />

Cette critique injuste a ébloui quelques personnes, <strong>sur</strong>tout depuis qu’un écrivain<br />

célèbre l’a renouvelée 15 : « Pourquoi, dit-il, ces héros ne nous font-ils pas rire ? C’est que<br />

nous ne sommes pas savants : nous ignorons <strong>le</strong>s moeurs des Grecs et des Romains. Il<br />

faudrait, pour en rire, des gens éclairés. La chose est assez risib<strong>le</strong> ; mais il manque des<br />

rieurs. » Quand <strong>le</strong> parterre serait rempli de gens instruits des moeurs grecques et romaines,<br />

<strong>le</strong>s rieurs manqueraient encore, puisque ceux qui ont formé <strong>le</strong>ur goût dans <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres<br />

grecques et romaines connaissent encore mieux que <strong>le</strong>s autres <strong>le</strong> mérite de ces tragédies<br />

qui paraissent risib<strong>le</strong>s à M. de Fontenel<strong>le</strong>. Le souvenir d’une ancienne épigramme peut-il<br />

rester si longtemps <strong>sur</strong> <strong>le</strong> coeur ?<br />

Corneil<strong>le</strong> était excusab<strong>le</strong>, quand il cherchait quelques prétextes pour se conso<strong>le</strong>r. Il<br />

avait des chagrins, et ces chagrins lui avaient fait prendre en mauvaise part une plaisanterie<br />

de la comédie des Plaideurs, où ce vers du Cid :<br />

Ses rides <strong>sur</strong> son <strong>fr</strong>ont ont gravé ses exploits,<br />

est appliqué à un vieux sergent. « Ne tient-il donc, disait-il, qu’à un <strong>jeu</strong>ne homme de venir<br />

ainsi tourner en ridicu<strong>le</strong> <strong>le</strong>s vers des gens ? » L’offense n’était pas grave, mais il n’était pas<br />

de bonne humeur.<br />

Segrais rapporte qu’étant auprès de lui à la représentation de Bajazet, qui fut jouée<br />

en 1672, Corneil<strong>le</strong> lui fit observer que tous <strong>le</strong>s personnages de cette pièce avaient, sous des<br />

habits turcs, des sentiments <strong>fr</strong>ançais : « Je ne <strong>le</strong> dis qu’à vous, ajouta-t-il : d’autres<br />

croiraient que la jalousie me fait par<strong>le</strong>r. » Eh ! pourquoi s’imaginer que <strong>le</strong>s Turcs ne savent<br />

pas exprimer comme nous <strong>le</strong>s sentiments de la nature ? Si Corneil<strong>le</strong> eût voulu jeter <strong>le</strong>s yeux<br />

<strong>sur</strong> tant de lauriers et <strong>sur</strong> tant d’années dont il était chargé, il n’aurait point compromis une<br />

gloire qui ne pouvait plus croître. Tantôt il se flattait que ses rivaux attendaient sa mort avec<br />

impatience, ce qui lui faisait dire :<br />

Si mes quinze lustres<br />

Font encore quelque peine aux modernes illustres,<br />

S’il en est de fâcheux jusqu’à s’en chagriner,<br />

Je n’aurai pas longtemps à <strong>le</strong>s importuner.<br />

Tantôt s’imaginant que <strong>le</strong>s pièces qu’on préférait aux siennes ne devaient <strong>le</strong>ur succès<br />

qu’aux brigues, il disait :<br />

Pour me faire admirer je ne fais point de ligues ;<br />

J’ai peu de voix pour moi, mais je <strong>le</strong>s ai sans brigues ;<br />

Et mon ambition, pour faire plus de bruit,<br />

Ne <strong>le</strong>s va point quêter de réduit en réduit...<br />

Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée...<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 20

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