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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

Dans <strong>le</strong>s premiers troub<strong>le</strong>s qui avaient agité cette abbaye, quelques-uns de ces<br />

fameux solitaires, qui avaient été obligés d’en sortir pour un temps, s’étaient retirés à la<br />

Chartreuse de Bourg-Fontaine, voisine de la Ferté-Milon ; et en 1638 MM. Le Maître,<br />

Lancelot et de Séricourt choisirent pour <strong>le</strong> lieu de <strong>le</strong>ur retraite la Ferté-Milon, de sorte que<br />

plusieurs personnes de cette petite vil<strong>le</strong> entendirent par<strong>le</strong>r de la vie qu’on menait à Port-<br />

Royal. Voilà quel<strong>le</strong> fut la cause que <strong>le</strong>s deux soeurs et la fil<strong>le</strong> de Marie Desmoulins s’y firent<br />

religieuses, qu’el<strong>le</strong>-même y passa <strong>le</strong>s dernières années de sa vie, et que mon père y passa<br />

<strong>le</strong>s premières années de la sienne.<br />

Il fut d’abord envoyé pour apprendre <strong>le</strong> latin dans la vil<strong>le</strong> de Beauvais, dont <strong>le</strong> collège<br />

était sous la direction de quelques ecclésiastiques de mérite et de savoir : il y apprit <strong>le</strong>s<br />

premiers principes du latin. Ce fut alors que la guerre civi<strong>le</strong> s’alluma à Paris, et se répandit<br />

dans toutes <strong>le</strong>s provinces. Les écoliers s’en mêlèrent aussi, et prirent parti chacun suivant<br />

son inclination. Mon père fut obligé de se battre comme <strong>le</strong>s autres, et reçut au <strong>fr</strong>ont un coup<br />

de pierre, dont il a toujours porté la cicatrice au-dessus de l’oeil gauche. Il disait que <strong>le</strong><br />

principal de ce collège <strong>le</strong> montrait à tout <strong>le</strong> monde comme un brave, ce qu’il racontait en<br />

plaisantant. On verra dans une de ses <strong>le</strong>ttres, écrite de l’armée à Boi<strong>le</strong>au, qu’il ne vantait<br />

pas sa bravoure.<br />

Il sortit de ce collège <strong>le</strong> 1 e octobre 1655, et fut mis à Port-Royal, où il ne resta que<br />

trois ans, puisque je trouve qu’au mois d’octobre 1658 il fut envoyé à Paris pour faire sa<br />

philosophie au collège d’Harcourt.<br />

Quoiqu’il soit naturel de penser qu’un génie aussi vif que <strong>le</strong> sien, animé par une<br />

grande passion pour l’étude, et conduit par d’excel<strong>le</strong>nts maîtres, ait fait en peu de temps à<br />

Port-Royal de grands progrès, on a cependant peine à comprendre comment en trois ans ils<br />

ont pu être si rapides. Je juge de ces progrès par <strong>le</strong>s extraits qu’il faisait des auteurs grecs<br />

et latins qu’il lisait.<br />

J’ai ces extraits écrits de sa main. Ses facultés, qui étaient fort médiocres, ne lui<br />

permettant pas d’acheter <strong>le</strong>s bel<strong>le</strong>s éditions des auteurs grecs, il <strong>le</strong>s lisait dans <strong>le</strong>s éditions<br />

faites à Bâ<strong>le</strong> sans traduction latine. J’ai hérité de son Platon et de son Plutarque dont <strong>le</strong>s<br />

marges, chargées de ses apostil<strong>le</strong>s, sont la preuve de l’attention avec laquel<strong>le</strong> il <strong>le</strong>s lisait ; et<br />

ces mêmes livres font connaître l’extrême attention qu’on avait à Port-Royal pour la pureté<br />

des moeurs, puisque dans ces éditions mêmes, quoique toutes grecques, <strong>le</strong>s endroits un peu<br />

libres, ou pour mieux dire trop naïfs, qui se trouvent dans <strong>le</strong>s narrations de Plutarque,<br />

historien d’ail<strong>le</strong>urs si grave, sont effacés avec un grand soin. On ne confiait pas à un <strong>jeu</strong>ne<br />

homme un livre tout grec sans précaution.<br />

M. Le Maître, qui trouva dans mon père une grande vivacité d’esprit avec une<br />

étonnante facilité pour apprendre, voulut conduire ses études, dans l’intention de <strong>le</strong> rendre<br />

capab<strong>le</strong> d’être un jour avocat : il <strong>le</strong> prit dans sa chambre et avait tant de tendresse pour lui,<br />

qu’il ne l’appelait que son fils, comme on verra par ce bil<strong>le</strong>t, dont l’adresse est : Au petit<br />

<strong>Racine</strong>, et que je rapporte quoique fort simp<strong>le</strong>, à cause de sa simplicité même ; M. Le Maître<br />

l’écrivit de Bourg-Fontaine, où il avait été obligé de se retirer.<br />

« Mon fils, je vous prie de m’envoyer au plus tôt l’Apologie des saints Pères, qui est à<br />

moi, et qui est de la première impression. El<strong>le</strong> est reliée en veau marbré, in-4°. J’ai reçu <strong>le</strong>s<br />

cinq volumes de mes Conci<strong>le</strong>s, que vous aviez fort bien empaquetés. Je vous en remercie.<br />

Mandez-moi si tous mes livres sont bien arrangés <strong>sur</strong> des tab<strong>le</strong>ttes, et si mes onze volumes<br />

de saint <strong>Jean</strong> Chrysostome y sont ; et voyez-<strong>le</strong>s de temps en temps pour <strong>le</strong>s nettoyer. Il<br />

faudrait mettre de l’eau dans des écuel<strong>le</strong>s de terre, où ils sont, afin que <strong>le</strong>s souris ne <strong>le</strong>s<br />

rongent pas. Faites mes recommandations à votre bonne tante, et suivez bien ses conseils<br />

en tout. La <strong>jeu</strong>nesse doit toujours se laisser conduire, et tâcher de ne point s’émanciper.<br />

Peut-être que Dieu nous fera revenir où vous êtes. Cependant il faut tâcher de profiter de<br />

cet événement, et faire en sorte qu’il nous serve à nous détacher du monde, qui nous paraît<br />

si ennemi de la piété. Bonjour, mon cher fils, aimez toujours votre papa comme il vous aime<br />

; écrivez-moi de temps en temps. Envoyez-moi aussi mon Tacite in-folio. »<br />

M. Le Maître ne fut pas longtemps absent : il eut la permission de revenir ; mais en<br />

arrivant il tomba dans la maladie dont il mourut ; et après sa mort, M. Hamon prit soin des<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 4

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