http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal
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<strong>le</strong>s choses sont comme il <strong>le</strong> dit, il a raison, et la tragédie est innocente. » Boi<strong>le</strong>au rapportait<br />
qu’il ne s’était jamais senti de sa vie si content. Il pria M. Arnauld de vouloir bien jeter <strong>le</strong>s<br />
yeux <strong>sur</strong> la pièce qu’il lui laissait, pour lui en dire son sentiment. Il revint quelques jours<br />
après <strong>le</strong> demander et M. Arnauld lui donna ainsi sa décision : « Il n’y a rien à reprendre au<br />
caractère de sa Phèdre, puisque par ce caractère il nous donne cette grande <strong>le</strong>çon, que<br />
lorsqu’en punition de fautes précédentes, Dieu nous abandonne à nous-mêmes, et à la<br />
perversité de notre coeur, il n’est point d’excès où nous ne puissions nous porter, même en<br />
<strong>le</strong>s détestant. Mais pourquoi a-t-il fait Hippolyte amoureux ? » Cette critique est la seu<strong>le</strong><br />
qu’on puisse faire contre cette tragédie ; et l’auteur, qui se l’était faite à lui-même, se<br />
justifiait en disant : « Qu’auraient pensé <strong>le</strong>s petits-maîtres d’un Hippolyte ennemi de toutes<br />
<strong>le</strong>s femmes ? Quel<strong>le</strong>s mauvaises plaisanteries n’auraient-ils point faites ! » Boi<strong>le</strong>au, charmé<br />
d’avoir si bien conduit sa négociation, demanda à M. Arnauld la permission de lui amener<br />
l’auteur de la tragédie. Ils vinrent chez lui <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain ; et quoiqu’il fût encore en<br />
nombreuse compagnie, <strong>le</strong> coupab<strong>le</strong>, entrant avec l’humilité et la confusion peintes <strong>sur</strong> <strong>le</strong><br />
visage, se jeta à ses pieds, M. Arnaud se jeta aux siens ; tous deux s’embrassèrent. M.<br />
Arnauld lui promit d’oublier <strong>le</strong> passé, et d’être toujours son ami : promesse fidè<strong>le</strong>ment<br />
exécutée.<br />
En 1674, l’Université projetait une requête qu’el<strong>le</strong> devait présenter au Par<strong>le</strong>ment,<br />
pour demander que la philosophie de Descartes ne fût point enseignée. On en parlait chez<br />
M. <strong>le</strong> premier président de Lamoignon, qui dit qu’on ne pourrait se dispenser de rendre un<br />
arrêt conforme à cette requête. Boi<strong>le</strong>au, présent à cette conversation, imagina l’Arrêt<br />
bur<strong>le</strong>sque qu’il composa avec mon père, et Bernier, <strong>le</strong> fameux voyageur, <strong>le</strong>ur ami commun.<br />
M. Dongrois, neveu de Boi<strong>le</strong>au, y mit <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> du palais ; et quand l’Arrêt fut en état, il <strong>le</strong><br />
joignit à plusieurs expéditions qu’il devait porter à signer à Monsieur <strong>le</strong> premier président,<br />
avec qui il était fort familier. M. de Lamoignon ne se laissa pas <strong>sur</strong>prendre : à peine eut-il<br />
jeté <strong>le</strong>s yeux <strong>sur</strong> l’Arrêt : « Voilà, dit-il, un tour de Despréaux. » Cet Arrêt bur<strong>le</strong>sque eut un<br />
succès que n’eût peut-être point eu une pièce sérieuse ; il sauva l’honneur des magistrats.<br />
L’Université ne songea plus à présenter sa requête.<br />
Quoique Boi<strong>le</strong>au et mon père n’eussent encore aucun titre qui <strong>le</strong>s appelât à la cour,<br />
ils y étaient fort bien reçus tous <strong>le</strong>s deux. M. Colbert <strong>le</strong>s aimait beaucoup. Étant un jour<br />
enfermé avec eux dans sa maison de Sceaux, on vint lui annoncer l’arrivée d’un évêque ; il<br />
répondit avec colère : « Qu’on lui fasse tout voir, excepté moi. »<br />
Les inscriptions mises au bas des tab<strong>le</strong>aux <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s victoires du Roi, peintes par M. Le<br />
Brun dans la ga<strong>le</strong>rie de Versail<strong>le</strong>s, étaient p<strong>le</strong>ines d’emphase, parce que M. Charpentier, qui<br />
<strong>le</strong>s avait faites, croyait qu’on devait mettre de l’esprit partout. Ces pompeuses déclamations<br />
déplurent avec raison à M. de Louvois, qui, par ordre du Roi, <strong>le</strong>s fit effacer, pour mettre à la<br />
place <strong>le</strong>s inscriptions simp<strong>le</strong>s que Boi<strong>le</strong>au et mon père lui fournirent. Mon père a donné, dans<br />
quelques occasions, des devises qui, dans <strong>le</strong>ur simplicité, ont été trouvées fort heureuses,<br />
comme cel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong> corps était une orangerie, et l’âme, Conjuratos ridet aquilones 25 . El<strong>le</strong> fut<br />
approuvée, parce qu’el<strong>le</strong> avait éga<strong>le</strong>ment rapport à l’orangerie de Versail<strong>le</strong>s, bâtie depuis<br />
peu, et a la ligue qui se formait contre la France. Je n’en rapporte pas quelques autres qu’il<br />
donna dans la petite Académie, parce que l’honneur de pareil<strong>le</strong>s choses doit être partagé<br />
entre tous ceux qui composent la même compagnie.<br />
C’était lui-même qui avait donné l’idée de rassemb<strong>le</strong>r cette compagnie. Il fut par là<br />
comme <strong>le</strong> fondateur de l’Académie des médail<strong>le</strong>s, qu’on nomma d’abord la petite Académie,<br />
et qui, devenue beaucoup plus nombreuse, prit sous une autre forme <strong>le</strong> nom d’Académie des<br />
Bel<strong>le</strong>s-Lettres. El<strong>le</strong> ne fut composée dans son origine que d’un très petit nombre de<br />
personnes, qu’on choisit pour exécuter <strong>le</strong> projet d’une histoire en médail<strong>le</strong>s des principaux<br />
événements du règne de Louis XIV. On devait, au bas de chaque médail<strong>le</strong> gravée, mettre en<br />
peu de mots <strong>le</strong> récit de l’événement qui avait donné lieu à la médail<strong>le</strong> ; mais on trouva que<br />
des récits fort courts n’apprendraient <strong>le</strong>s choses qu’imparfaitement, et qu’une histoire suivie<br />
du règne entier serait beaucoup plus uti<strong>le</strong>. Ce projet fut agité et résolu chez Mme de<br />
Montespan. C’était el<strong>le</strong> qui l’avait imaginé ; « et quoique la flatterie en fût l’objet, comme<br />
l’écrivit depuis Mme la comtesse de Caylus, on conviendra que ce projet n’était pas celui<br />
L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 30