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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

corrections ; mais avant que de mourir, il fit brû<strong>le</strong>r cet exemplaire, comme je l’ai dit ail<strong>le</strong>urs<br />

31 ; et mon <strong>fr</strong>ère, qui fut <strong>le</strong> ministre de ce sacrifice, n’eut pas la liberté d’examiner de quel<strong>le</strong><br />

nature étaient <strong>le</strong>s corrections ; il vit seu<strong>le</strong>ment qu’el<strong>le</strong>s étaient plus nombreuses dans <strong>le</strong><br />

premier volume que dans <strong>le</strong> second.<br />

Toute sa crainte était d’avoir un fils qui eût envie de faire des tragédies. « Je ne vous<br />

dissimu<strong>le</strong>rai point, disait-il à mon <strong>fr</strong>ère, que dans la cha<strong>le</strong>ur de la composition on ne soit<br />

quelquefois content de soi ; mais, et vous pouvez m’en croire, lorsqu’on jette <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain<br />

<strong>le</strong>s yeux <strong>sur</strong> son ouvrage, on est tout étonné de ne plus rien trouver de bon dans ce qu’on<br />

admirait la veil<strong>le</strong> ; et quand on vient à considérer, quelque bien qu’on ait fait, qu’on aurait<br />

pu mieux faire, et combien on est éloigné de la perfection, on est souvent découragé. Outre<br />

cela, quoique <strong>le</strong>s applaudissements que j’ai reçus m’aient beaucoup flatté, la moindre<br />

critique, quelque mauvaise qu’el<strong>le</strong> ait été, m’a toujours causé plus de chagrin que toutes <strong>le</strong>s<br />

louanges ne m’ont fait de plaisir. »<br />

Il comptait au nombre des choses chagrinantes <strong>le</strong>s louanges des ignorants ; et<br />

lorsqu’il se mettait en bonne humeur, il rapportait <strong>le</strong> compliment d’un vieux magistrat, qui,<br />

n’ayant jamais été à la comédie, s’y laissa entraîner par une compagnie, à cause de<br />

l’as<strong>sur</strong>ance qu’el<strong>le</strong> lui donna qu’il verrait jouer l’Andromaque de <strong>Racine</strong>. Il fut très attentif au<br />

spectac<strong>le</strong> qui finissait par <strong>le</strong>s Plaideurs. En sortant il trouva l’auteur, et lui dit : « Je suis,<br />

Monsieur, très content de votre Andromaque ; c’est une jolie pièce : je suis seu<strong>le</strong>ment<br />

étonné qu’el<strong>le</strong> finisse si gaiement. J’avais d’abord eu quelque envie de p<strong>le</strong>urer, mais la vue<br />

des petits chiens m’a fait rire. » Le bonhomme s’était imaginé que tout ce qu’il avait vu<br />

représenter <strong>sur</strong> <strong>le</strong> théâtre était Andromaque.<br />

Boi<strong>le</strong>au racontait aussi qu’un de ses parents, à qui il avait fait présent de ses<br />

OEuvres, lui dit, après <strong>le</strong>s avoir lues : « Pourquoi, mon cousin, tout n’est-il pas de vous dans<br />

vos ouvrages ? J’y ai trouvé deux <strong>le</strong>ttres à M. de Vivonne, dont l’une est de Balzac, et l’autre<br />

de Voiture. »<br />

Un homme qui vivait à la cour, et qui depuis a été dans une grande place, lui<br />

demanda par quel<strong>le</strong> raison il avait fait un traité <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Sublimé. Il n’avait fait qu’ouvrir <strong>le</strong><br />

volume de ses OEuvres, dont Boi<strong>le</strong>au lui avait fait présent, et ayant lu sublimé pour sublime,<br />

il ne pouvait comprendre qu’un poète eût écrit <strong>sur</strong> un tel sujet.<br />

Boi<strong>le</strong>au allant toucher sa pension au trésor royal, remit son ordonnance à un commis,<br />

qui, y lisant ces paro<strong>le</strong>s : « La pension que nous avons accordée à Boi<strong>le</strong>au, à cause de la<br />

satisfaction que ses ouvrages nous ont donnée », lui demanda de quel<strong>le</strong> espèce étaient ses<br />

ouvrages : « De la maçonnerie, répondit-il ; je suis un architecte. »<br />

Les poètes, qui s’imaginent être connus et admirés de tout <strong>le</strong> monde, trouvent<br />

souvent des occasions qui <strong>le</strong>s humilient. Ils doivent s’attendre encore que <strong>le</strong>urs ouvrages<br />

essuieront <strong>le</strong>s discours <strong>le</strong>s plus bizarres, et seront exposés tantôt aux critiques injustes des<br />

envieux, tantôt aux louanges stupides des ignorants, et tantôt aux fausses décisions de ceux<br />

qui se croient des juges. Un poète, après avoir excité la terreur dans ses tragédies, peut<br />

s’entendre comparer à une petite colombe gémissante 32 , comme je l’ai dit autre part ; et<br />

tous ces discours, quoique méprisab<strong>le</strong>s, révoltent toujours l’amour-propre d’un auteur, qui<br />

croit que tout <strong>le</strong> monde lui doit rendre justice.<br />

Mon père, pour dégoûter encore mon <strong>fr</strong>ère des vers, et dans la crainte qu’il<br />

n’attribuât à ses tragédies <strong>le</strong>s caresses dont quelques grands seigneurs l’accablaient, lui<br />

disait : « Ne croyez pas que ce soient mes vers qui m’attirent toutes ces caresses. Corneil<strong>le</strong><br />

fait des vers cent fois plus beaux que <strong>le</strong>s miens, et cependant personne ne <strong>le</strong> regarde. On ne<br />

l’aime que dans la bouche de ses acteurs ; au lieu que, sans fatiguer <strong>le</strong>s gens du monde du<br />

récit de mes ouvrages, dont je ne <strong>le</strong>ur par<strong>le</strong> jamais, je me contente de <strong>le</strong>ur tenir des propos<br />

amusants, et de <strong>le</strong>s entretenir de choses qui <strong>le</strong>ur plaisent. Mon ta<strong>le</strong>nt avec eux n’est pas de<br />

<strong>le</strong>ur faire sentir que j’ai de l’esprit, mais de <strong>le</strong>ur apprendre qu’ils en ont. Ainsi, quand vous<br />

voyez M. <strong>le</strong> Duc passer souvent des heures entières avec moi, vous seriez étonné, si vous<br />

étiez présent, de voir que souvent il en sort sans que j’aie dit quatre paro<strong>le</strong>s ; mais peu à<br />

peu je <strong>le</strong> mets en humeur de causer, et il sort de chez moi encore plus satisfait de lui que de<br />

moi. »<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 38

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