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Il - Maroc Hebdo International

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ALGƒRIE<br />

LÕŽlection de Bouteflika, une mascarade prŽsidentielle<br />

BIENVENUE AU CLUB!<br />

Une comŽdie de boulevard! CÕest ce qu'est devenue<br />

l'Žlection prŽsidentielle algŽrienne. M. Bouteflika<br />

laisse couler son Žpiderme en s'attaquant violemment<br />

ˆ la France qu'il accuse de vouloir instaurer<br />

une "tutelle", un "protectorat" sur l'AlgŽrie. L'attaque<br />

N'était-ce la guerre au<br />

Kosovo qui couvre le<br />

ciel européen et écrase<br />

l'actualité mondiale, la<br />

mascarade présidentielle algérienne<br />

aurait eu l'impact<br />

Par Mustapha TOSSA<br />

d'un tremblement de terre politique.<br />

Signe avant coureur<br />

de cette situation, même occupés<br />

à livrer une guerre aérienne<br />

d'usure au président<br />

serbe Slobodan Milosevic,<br />

les alliés dont notamment<br />

Washington et Paris ont respectivement<br />

exprimé leur<br />

"déception" et leur "préoccupation"<br />

à l'égard du scrutin<br />

algérien qui ressemble<br />

plus à une désignation, à une<br />

nomination de l'établissement<br />

militaire local de Bouteflika<br />

à la fonction suprême qu'à<br />

une vraie élection. À court<br />

d'arguments politiques pour<br />

justifier cette comédie de boulevard<br />

qu'est devenue l'élection<br />

présidentielle algérienne,<br />

M. Bouteflika laisse couler<br />

son épiderme en s'attaquant<br />

violemment à la France<br />

qu'il accuse de vouloir instaurer<br />

une "tutelle", un "protectorat"<br />

sur l'Algérie.<br />

L'attaque verbale qui ressemble<br />

à s'y méprendre à un<br />

air d'Edith Piaf chanté par<br />

Line Renaud, a surpris par sa<br />

violence et trahit l'immense<br />

désarroi dans lequel le chef<br />

officiel de l'exécutif algérien<br />

entame sa présidence.<br />

Culpabilisation<br />

Les observateurs ont noté<br />

avec un amusement cynique<br />

la timidité de Bouteflika à<br />

l'égard de l'administration<br />

américaine. La "déception"<br />

de la maison Blanche valait<br />

pourtant largement la "préoccupation"<br />

du quai d'Orsay.<br />

Mais on voyait mal le successeur<br />

de Liamine Zéroual<br />

se mettre à dos les deux principales<br />

puissances qui se livrent<br />

sur son territoire à une<br />

concurrence frontale pour le<br />

contrôle des richesses algériennes.<br />

M. Bouteflika a préféré<br />

donc orienter toute sa virilité<br />

en direction de Paris qu'il<br />

sait réceptive aux humeurs<br />

algériennes. Le choix de la<br />

France comme défouloir des<br />

frustrations algériennes est<br />

un classique de la grammaire<br />

politique de l'État-FLN<br />

dont Bouteflika apparaît aujourd'hui<br />

comme l'illustration<br />

physique et sonore la plus<br />

achevée. Défier la France est<br />

un acte politiquement rentable<br />

pour une personnalité<br />

qui n'a réussi à séduire les<br />

urnes qu'en les bourrant.<br />

<strong>Il</strong> ne porte pas à conséquence<br />

puisque la France et<br />

l'Algérie entretiennent des<br />

rapports de maternité douloureuse,<br />

de paternité frustrée.<br />

Des sentiments contradictoires<br />

issus d'intérêts historiquement<br />

enchevêtrés vérifient<br />

cette théorie selon laquelle<br />

l'enfant illégitime, rebelle<br />

d'hier, peut, par le biais<br />

d'un chantage politico-affectif<br />

mâtiné de culpabilisation<br />

permanente, défier, vexer, torturer<br />

le géniteur fantasmagorique<br />

sans que cette exercice<br />

sado-masochiste aboutisse à<br />

une rupture totale. Le plaisir<br />

immédiat du froncement de<br />

sourcils est doublé par le clin<br />

d'œil des retrouvailles futures.<br />

À l'égard des États-Unis,<br />

le jeu est tout autre. Dépouillé<br />

du vécu dramatique qui caractérise<br />

la relation France-<br />

Algérie, il est aussi tranchant<br />

qu'une relation comptable.<br />

D'autant plus que les responsables<br />

algériens savent par<br />

expérience que quel que soit<br />

le locataire de la Maison<br />

Blanche, il n'a pas d'amis à<br />

ménager, il a des intérêts à<br />

défendre. Et les Américains<br />

ont montré depuis l'implosion<br />

de l'Union soviétique,<br />

par une attitude de Cow-boy<br />

et de prédateurs économiques,<br />

qu'ils disposaient<br />

d'une immense capacité<br />

d'adaptation à des régimes<br />

moyenâgeux pourvu que le<br />

"Business" soit sauvegardé.<br />

Entre l'Algérie et les USA<br />

existe une grande interrogation:<br />

au plus fort de la guerre<br />

civile algérienne et au moment<br />

où les étrangers étaient<br />

des cibles rêvées pour les maquisards<br />

et les forces occultes<br />

qui alimentent les violences<br />

algériennes, les citoyens américains<br />

étaient miraculeusement<br />

épargnés.<br />

Au moment où l'Algérie<br />

était un coupe-gorge pour<br />

n'importe qui, elle se transformait<br />

par la grâce d'une<br />

verbale qui ressemble ˆ s'y mŽprendre ˆ un air<br />

d'Edith Piaf chantŽ par Line Renaud, a surpris par<br />

sa violence et trahit l'immense dŽsarroi dans lequel<br />

le chef officiel de l'exŽcutif algŽrien entame<br />

sa prŽsidence.<br />

• Entre l’Algérie et la USA de Bill Clinton existe une grande interrogation.<br />

règle non-écrite d'une Omerta<br />

orientale en un club-med pour<br />

les "American Citizen". La<br />

timidité de Bouteflika vient<br />

de cette crainte invisible<br />

qu'inspire l'oncle Sam, unique<br />

gendarme du monde, qu'on<br />

sait à la fois dangereux et utile<br />

puisque sans scrupules et<br />

dont la capacité d'indignation<br />

est proportionnelle aux parts<br />

de marchés qu'il peut pourfendre.<br />

Indignation<br />

Pour la diplomatie américaine,<br />

l'Algérie, une dictature<br />

militaire comme une autre,<br />

sans particularité spécifique<br />

sauf celle de l'opulence de<br />

son sol et de l'avidité consommatrice<br />

de ses citoyens. Les<br />

cerveaux du pouvoir algérien<br />

savent qu'un pays comme<br />

l'Amérique capable d'accorder<br />

sa protection à un régime<br />

féodal type arabie-saoudite<br />

en échange de ses puits du<br />

pétrole, de rester de marbre<br />

devant les arrogances israéliennes,<br />

de trouver un charme<br />

discret au régime des<br />

Talibans en Afghanistan, de<br />

courtiser avec un talent marketing<br />

certain les dictateurs<br />

sanguinaires de l'Afrique, est<br />

un pays à ménager, puisque<br />

à la fois dangereux et accessible.<br />

Dans un livre paru récemment<br />

chez Grasset intitulé<br />

"les dollars de la terreur",<br />

le journaliste suisse Philippe<br />

Labevière démontre avec talent<br />

et documents à l'appui de<br />

quelles liaisons dangereuses,<br />

de quelles relations sataniques,<br />

de quels comportements<br />

machiavéliques, l'administration<br />

américaine est<br />

capable pour agrandir sa zone<br />

d'influence économique.<br />

Quant aux pays arabes, la<br />

désignation de Bouteflika a<br />

certes heurté les opinions<br />

mais soulagé les régimes qui,<br />

sans grande conviction certes,<br />

voyaient déjà dans l'élection<br />

d'un président arabe par l'onction<br />

du suffrage universel, lors<br />

d'un scrutin libre et transparent,<br />

une sorte de subversion<br />

verticale. <strong>Il</strong> ne fallait surtout<br />

pas créer de précédent qui servirait<br />

d'exemple à des foules<br />

assoiffées de démocratie et<br />

de liberté. C'est pourquoi, la<br />

"Ligue arabe", temple des réactions<br />

et des conservatismes<br />

arabes, s'est empressée dans<br />

une attitude irréelle, de saluer<br />

"le climat démocratique" dans<br />

lequel le vaudeville politique<br />

du 15 avril s'est déroulé, donnant<br />

ainsi le feu vert à des télégrammes<br />

de félicitations en<br />

provenance des capitales<br />

arabes qui semblaient tous dire:<br />

"Bienvenue M. Bouteflika<br />

au club très fermé des présidents<br />

à vie, votre 73% de taux<br />

de participation n'a rien à envier<br />

à nos 99% connus<br />

© Ph. AFP<br />

13<br />

d'avance". Beaucoup de<br />

sueurs froides sont quand même<br />

passées par là. Mais audelà<br />

de ce paramètre, existe<br />

un code de conduite arabe figé<br />

dans le temps et travaillé<br />

par les susceptibilités et une<br />

forme de mythe du destin<br />

commun.<br />

Démytification<br />

Ce code indique par expérience<br />

qu'un État arabe ne<br />

parle que pour féliciter. Et les<br />

fractures qui traversent le<br />

monde arabe entre monarchies,<br />

dictateurs présidentiels,<br />

ou régimes faussement laïcs,<br />

entre pro-israéliens et anti-israéliens<br />

sont généralement<br />

couvertes soit par une indifférence<br />

royale ou une agitation<br />

fiévreuse. Imagine-t-on<br />

un instant un pays arabe oser<br />

critiquer cette élection algérienne?<br />

Au nom de quel vécu<br />

démocratique? Au nom de<br />

quelle légitimité sachant que<br />

la démocratie est une semonce<br />

interdite dans l'espace<br />

arabe?<br />

Déception de l'Amérique,<br />

préoccupation de l'Europe,<br />

applaudissements et soulagements<br />

du Monde arabe,<br />

sont les traits caractéristiques<br />

du contexte international qui<br />

a accueilli l'intronisation de<br />

Bouteflika et son accession à<br />

la fonction suprême. Si on<br />

dispose de peu d'indications<br />

sur sa marge de manœuvre et<br />

les recettes miracles qu'il va<br />

mettre en pratique pour débarrasser<br />

l'Algérie de la violence<br />

politique qui la gangrène<br />

depuis plus de dix ans,<br />

on sait en revanche que l'ancien<br />

plus jeune ministre des<br />

Affaires étrangères de<br />

l'Algérie indépendante, création<br />

modelée par Houari<br />

Boumedienne, ne laissera pas<br />

en friches le terrain de la politique<br />

étrangère dans lequel<br />

pendant de longues années,<br />

il avait déployé son activisme<br />

militant.<br />

Et si auparavant il vendait<br />

une Algérie ivre de puissance<br />

et saisie par les démons du<br />

leadership, aujourd'hui, il aura<br />

pour tâche de faire oublier<br />

le péché original qui entache<br />

son pouvoir. Et par la grâce de<br />

cette seule tentation, Bouteflika<br />

est capable du pire comme<br />

du meilleur.❏<br />

<strong>Maroc</strong> <strong>Hebdo</strong> <strong>International</strong> n¡ 369 - Du 23 au 29 avril 99

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