Il - Maroc Hebdo International
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ENQUæTE<br />
LÕŽquivalent tarifaire en vigueur favorise la fuite des devises<br />
LE BLƒ OCCULTE<br />
LÕŽquivalent tarifaire ˆ lÕimportation du blŽ dur et tendre<br />
est une bizarrerie du genre. CensŽ mettre fin aux abus<br />
de la fili re cŽrŽali re, ce syst me mis en place par le<br />
Remous dans le milieu<br />
des producteurs des<br />
céréales et des légumineuses.<br />
Ce secteur attend<br />
toujours une réforme courageuse<br />
et un assainissement<br />
Par Abdellah CHANKOU<br />
en profondeur. Une année<br />
après l’avènement du gouvernement<br />
d’alternance, aucune<br />
décision ferme n’a été<br />
prise dans ce sens. Pis, les<br />
services du ministère de<br />
l’Agriculture semblent reconduire<br />
les mêmes pratiques<br />
maintes fois dénoncées.<br />
Homme proche du terroir,<br />
soucieux du monde rural,<br />
Habib El Malki a tenu, entre<br />
les mois de février et d’avril<br />
au siège de son département,<br />
à Rabat, plusieurs réunions<br />
informelles avec les représentants<br />
des opérateurs pour<br />
justement réfléchir à une<br />
meilleure stratégie susceptible<br />
sinon de mettre fin du<br />
moins réduire l’ampleur des<br />
dégâts. Après nombre de discussions<br />
d’où ont jailli différents<br />
arguments et quelques<br />
voix discordantes, l’idée a été<br />
trouvée. Judicieuse, elle<br />
consiste à mettre en place, autour<br />
du ministre lui-même,<br />
une espèce de structure indépendante<br />
de l’office national<br />
interprofessionnel des céréales<br />
et des légumineuses<br />
(ONICL). L’élément objectif<br />
qui milite pour cette indépendance<br />
est que ce dernier<br />
est reconnu malade de ses<br />
mécanismes défaillants, obsolètes<br />
et contre-productifs.<br />
Surprise. Un document<br />
daté du 29 mars 1999, émanant<br />
du ministère de<br />
l’Agriculture, du Développement<br />
rural et des Pêches maritimes,<br />
fait état d’une décision<br />
totalement à l’opposé du<br />
projet de création d’une instance<br />
autonome par rapport<br />
à l’ONICL. Une décision qui<br />
reconduit le même schéma<br />
figé de cet office tant décrié.<br />
L’article premier de cette décision<br />
stipule, en effet, qu’un<br />
comité interprofessionnel des<br />
céréales et des légumineuses<br />
est créé auprès de l’ONICL.<br />
Les 10 composantes de ce comité<br />
qui se réunit sous la présidence<br />
du ministre de<br />
l’Agriculture ou du directeur<br />
général de l’ONICL, en vertu<br />
de l’article 3, ne sont autres<br />
que les membres du conseil<br />
d’administration de l’office.<br />
On reprend les mêmes et on<br />
recommence ! À quoi ça sert<br />
de s’encombrer d’une instance<br />
copie conforme de ce<br />
qui existe déjà et qui doit être<br />
réformée ? Veut-on faire du<br />
neuf avec du vieux ? Le ministère<br />
de tutelle et les dirigeants<br />
de l’ONICL cherchent<br />
apparemment à nous faire<br />
vendre des vessies là où le<br />
bon sens et l’urgence réclament<br />
des lanternes.<br />
Limites<br />
En fait, le problème est<br />
beaucoup plus grave que ça.<br />
Le système de protection de<br />
la production nationale de blé,<br />
les tarifs décroissants adoptés<br />
depuis octobre1998, est<br />
une bizarrerie du genre. C’est<br />
le moins que l’on puisse dire.<br />
Le procès verbal des réunions<br />
de travail organisées<br />
par l’ONICL, dont la plupart<br />
des professionnels ne sont pas<br />
au courant du reste, reconnaît<br />
noir sur blanc que ce système<br />
présente des limites et des insuffisances.<br />
Ce système<br />
“pourrait même inciter à la<br />
surfacturation et favoriser la<br />
concurrence déloyale”, lit-on<br />
dans le PV. Bien sûr, il s’agit<br />
là de la version édulcorée de<br />
la réalité de la teneur off the<br />
record des réunions, qui ont<br />
reconnu que l’équivalent tarifaire<br />
en vigueur génère plus<br />
néfaste que cela, la fuite des<br />
devises. Rien que ça. Mais<br />
pour ne pas choquer et minimiser<br />
l’affaire, les rédacteurs<br />
du PV ont préféré passer sous<br />
silence cette pratique frauduleuse.<br />
Des explications ? En<br />
voici, en voilà. Plus le prix<br />
d’achat déclaré à la douane<br />
par l’importateur de blé est<br />
élevé, moins il paie de taxes.<br />
Un exemple précis : les droits<br />
de douane sont de 1259,40<br />
Dh pour une tonne de blé à<br />
120 Dollars US (1 Dollar<br />
US= 9,40 Dh), tandis qu’ils<br />
sont de 1203, 47 Dh pour la<br />
minist re de lÕAgriculture depuis le 5 octobre 1998 favorise<br />
la fraude ˆ grande Žchelle. Surfacturation, concurrence<br />
dŽloyale et fuite des devises. Mode dÕemploi.<br />
• Habib El Malki, ministre de l’Agriculture.<br />
même quantité achetée ou déclarée<br />
à 128, 50 Dollars US.<br />
Le prix coût fret dédouané<br />
atteint 2387,40 Dh pour le<br />
premier cas et se chiffre à<br />
2411,37 dans le second cas,<br />
soit une différence de 23,97<br />
Dh par tonne. Résultat : l’importateur<br />
qui a acheté cher<br />
semble perdre au <strong>Maroc</strong><br />
23,97 Dh par tonne. En fait,<br />
cela lui permet de transférer<br />
à l’étranger 8,50 Dollars US.<br />
C’est tout le secret d’un subterfuge<br />
qui fonctionne. Un tel<br />
système encourage évidemment<br />
la fuite des devises.<br />
<strong>Il</strong> est clair que ces pratiques<br />
ont des conséquences<br />
sur les fonds de l’État.<br />
Effectivement, l’État perd en<br />
devises sur le coût fret : 8,50<br />
Dollars x 30.000 tonnes=<br />
255.000 US $. La même perte<br />
se traduit au niveau des intérêts<br />
payés par l’État (procédure<br />
Coface par exemple)<br />
pendant 42 mois sur la base<br />
d’un taux de crédit de 6%.<br />
Une perte qui s’élève à<br />
quelque 53.550 US $. Quant<br />
à la perte pour l’administration<br />
des douanes, elle est de<br />
1.677.900 Dh. Globalement,<br />
le manque à gagner pour le<br />
© Ph. MHI<br />
trésor public (devises, intérêts<br />
et douane) après déduction<br />
du profit réalisé par l’ONICL<br />
atteint 3.672,270 Dh sur<br />
30.000 tonnes de blé importé.<br />
Au cours de la campagne<br />
agricole qui se termine<br />
(1998/1999), le <strong>Maroc</strong> a importé<br />
2.500.000 tonnes de blé<br />
dur et tendre. Soit une perte<br />
sèche de près de 300 millions<br />
de Dh.<br />
Hémorragie<br />
Comment une hémorragie<br />
financière de cette étendue<br />
a-t-elle pu échapper à la sagacité<br />
de Habib Malki et à la<br />
vigilance de Fathallah<br />
Oualalou ? Pour étayer cette<br />
thèse, un appel d’offres lancé<br />
par l’ONICL le 2 décembre<br />
1998. Prix de cession<br />
du blé: 247, 98 Dh le quintal.<br />
Or l’ensemble des soumissionnaires<br />
ont proposé des<br />
prix coût fret inférieurs à celui<br />
de l’USCAM qui, lui, était<br />
de 128,50 $ US.<br />
Sur le plan commercial,<br />
comment peut-on expliquer<br />
qu’en achetant le blé à un prix<br />
CF supérieur à ses concurrents<br />
de 6 à 11 $ US la ton-<br />
15<br />
ne plus cher, l’USCAM puisse<br />
vendre sa marchandise à<br />
l’ONICL à un prix inférieur<br />
à ces mêmes concurrents de<br />
20 à 60 Dh la tonne ?<br />
Mystère. Un décalage suspicieux<br />
entre le prix coût fret<br />
et le prix de cession du blé.<br />
Pourquoi une société comme<br />
l’USCAM supporterait-elle<br />
une perte pareille si elle ne<br />
bénéficie pas d’une compensation<br />
substantielle quelque<br />
part ? Du blé pour tout le<br />
monde.<br />
Intérêts<br />
Au phénomène désormais<br />
connu du détournement de la<br />
subvention de l’État au profit<br />
de la filière céréalière à environ<br />
les 2/3 de sa valeur<br />
s’ajoute maintenant l’astuce<br />
de la fausse déclaration et de<br />
la surfacturation. En clair, les<br />
deniers publics se trouvent<br />
ainsi transférés à une poignée<br />
d’individus au détriment des<br />
intérêts des producteurs nationaux,<br />
des consommateurs<br />
et des importateurs et des<br />
commerçants sérieux. L’enrichissement<br />
indu continue<br />
de plus belle. L’équivalent tarifaire<br />
mis en place depuis le<br />
5 octobre 1998 pour l’importation<br />
du blé dur et tendre<br />
ne fait donc que renforcer et<br />
encourager les abus de toutes<br />
sortes. Étant donné que les<br />
prix internationaux évoluent<br />
avec des variations entre 1000<br />
et 1100 Dh la tonne, les prix<br />
à l’importation les plus élevés<br />
se trouvent avantagés par<br />
rapport aux prix plus bas.<br />
Ce système à l’importation<br />
étant ce qu’il est, il faut<br />
imaginer un autre mécanisme<br />
plus transparent, à même<br />
de protéger le consommateur<br />
en lui permettant d’acheter<br />
les céréales à des prix intéressants<br />
sans recours à la subvention.<br />
Les fonds alloués à<br />
celle-ci pourraient aller directement<br />
aux producteurs<br />
nationaux.<br />
S’agissant de l’importation,<br />
il est temps d’imaginer<br />
une procédure hermétique<br />
d’adjudication du tarif sur la<br />
base d’offres individuelles<br />
des importateurs. La “bonne<br />
gouvernance” est à ce prix.<br />
À moins de vouloir perpétuer<br />
les mêmes mauvaises habitudes<br />
❏<br />
<strong>Maroc</strong> <strong>Hebdo</strong> <strong>International</strong> n¡ 369 - Du 23 au 29 avril 99