Le Chaperon Rouge - Index of

— Qu’est-ce que tu fabriques, Valérie ?
— Je n’ai pas le choix. Je suis désolée.
Elle s’adossa à la porte à l’affût d’un bruit de pas qui Signalerait enfin son départ. Le
doute s’insinuait peu à peu dans son esprit, tel un infime grain de sable glacé. Avait-elle
effectué le bon choix ? Était-ce par peur qu’elle s’opposait ainsi à la personne qu’elle
chérissait par-dessus tout ? L’entendant se retirer, elle jeta un coup d’œil à travers les vitres
au plomb de la fenêtre, et c’est alors qu’elle aperçut quelque chose qui dépassait de la poche
arrière de son pantalon.
Un couteau.
Peter avait volé un couteau ce jour-là. Nous avions sept ans et nous avions pris au piège
un lapin. Nous avions échangé des regards sombres, et je n’oublierai jamais l’exaltation
barbare lisible sur nos visages. Nous étions comme de jeunes loups qui mettent à mort leur
première proie.
Le sang avait jailli du cou du lapin, zébrant la blancheur immaculée de sa fourrure d’une
traînée rouge, mais il s’écoulait assez lentement et sa fin fut cruelle. Je n’avais pas tranché
assez profond. Avais-je voulu lui laisser la vie sauve, ou bien était-ce pour prolonger ses
souffrances ? Je n’ai jamais voulu savoir.
Était-ce moi, ou bien Peter, qui poussait l’autre à tuer ainsi ?
Le Loup savait que j’avais déjà tué.
Le Loup. Peter.
Était-ce possible ?
Voilà qui confirmait ses craintes, et pourtant...
Le vent hurlait dans la cheminée. Mère-grand était penchée sur sa belle-fille gémissante
dont elle changeait les pansements. La lumière vacillante du feu de bois déformait l’ombre
de la vieille femme en une silhouette grotesque et monstrueuse qui dansait sur le mur.
Valérie s’avança lentement, fascinée par les griffures atroces qui défiguraient sa mère, et
c’est alors qu’elle vit les ongles de sa grand-mère. Pourquoi n’avait-elle jamais remarqué
qu’ils étaient si semblables à des griffes ?
Valérie s’empara d’un couteau en bois d’élan posé sur la table de nuit et le glissa dans sa
manche, quand une main lui agrippa soudain la jambe. Elle retint son souffle, mais ce n’était
que sa pauvre mère qui revivait l’instant où le Loup lui avait tailladé les chairs de ses griffes
aussi tranchantes que des lames de rasoir.
— Ne me laisse pas toute seule, supplia-t-elle d’une voix tremblante.
Césaire avait lavé son visage souillé de sang, si bien qu’il était désormais marqué de
crêtes roses et blanches dont le relief évoquait les stries d’un coquillage. On l’avait
dépossédée de sa beauté fragile. Elle était défigurée. Quelques millimètres encore, et elle
aurait perdu un œil. Le Loup était-il précis ou inexact ?
Suzette, frêle et anéantie, prit sa tasse de tisane soporifique à deux mains et la porta à
sa bouche. Mère-grand l’aida à en boire une gorgée. Valérie ne la quittait pas des yeux.
Comme il était étrange qu’elle n’ait jamais songé à cela auparavant. Ses tisanes n’étaientelles
pas des poisons dilués qui vous laissaient sans défense ? Les paupières de Suzette
cillèrent un instant avant de se refermer.
— Repose-toi, ma chérie, entonna mère-grand sur un air de berceuse en faisant signe à
Valérie de s’écarter du lit.
Personne ne s’était occupé de la maison depuis la mort de Lucie. Une demi-douzaine de