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cacher.<br />
Elle ne voulait pas qu’on la considère déjà comme une femme, et elle n’était<br />
certainement pas prête à recevoir des bijoux de la part d’un homme. Et elle souhaitait encore<br />
moins qu’on remarque qu’elle portait le cadeau d’Henry.<br />
Mais il était encore plus embarrassant de laisser paraître ainsi son trouble, et elle finit<br />
donc par le montrer à sa mère, qui l’examina longuement.<br />
— Valérie, écoute-moi bien. Porte ce bracelet. Ne l’enlève pas. Tu es désormais sa<br />
promise.<br />
Valérie acquiesça d’un air gêné, puis elle grimpa à l’échelle du grenier. À l’abri de cet<br />
espace qui n’appartenait qu’à elle seule, elle changea de vêtements et se mit à admirer son<br />
nouveau chaperon rouge, fascinée par sa vibrante beauté.<br />
La plupart des chaperons étaient ordinaires, laineux et taillés dans un tweed rigide. En<br />
revanche, celui-ci n’était ni rugueux ni empesé. Il était incroyablement fin, presque fluide et<br />
frais au toucher, comme si l’on avait tissé ensemble des pétales de rose.<br />
Au contact de cette ét<strong>of</strong>fe, elle se sentait encore plus forte qu’auparavant. Ce vêtement<br />
avait quelque chose de presque trop naturel, comme une seconde peau qui lui aurait toujours<br />
appartenu. Elle se sentait forte et furtive. Elle avait envie de bondir du haut du grenier telle<br />
une panthère, pour s’en aller courir à en perdre haleine, traverser le village, longer la forêt<br />
où il pleuvait, et rejoindre enfin les champs ensoleillés.<br />
Elle se faufila en silence à l’insu de sa mère jusqu’à la porte d’entrée et se rendit à la<br />
taverne.<br />
<strong>Le</strong>s hommes exhalaient une odeur épicée, mélange de terre et de sueur. Ils étaient<br />
revenus du mont Grimmoor sans repasser par chez eux. Valérie percevait le flux d’adrénaline<br />
qui battait encore dans leurs veines. Elle contourna la foule et s’adossa contre un mur pour<br />
écouter.<br />
Comme toujours à l’occasion de tels rassemblements, elle s’asseyait seule. Quelques<br />
villageois remarquèrent sa I nouvelle coquille rouge vif. Elle attirait l’attention, mais ce<br />
n’était pas pour lui déplaire. Elle se sentait en sécurité enveloppée dans son chaperon. À<br />
partir de maintenant, elle ne le quitterait plus jamais.<br />
La taverne était un véritable site archéologique, la crasse qui s’y accumulait recelait<br />
toute l’histoire du village. <strong>Le</strong>s hommes avaient gravé leurs histoires sur les murs de<br />
l’établissement depuis qu’on les avait cloués ensemble. Des initiales, évidemment, mais aussi<br />
des spirales, des visages, des flèches et puis des lapins, des serpents, des trèfles, des cerfs,<br />
des entrelacés et des croix rayonnantes. <strong>Le</strong>s coussins des boxes étaient sales à force d’avoir<br />
tant servi. D’énormes chandelles à la cire d’abeille posées sur les tables suintaient à grosses<br />
gouttes, formant de durs caillots de lave orangée sur les plateaux. Ils restaient ainsi figés des<br />
mois durant, jusqu’à que quelque buveur nerveux tente de les gratter de ses ongles crasseux.<br />
<strong>Le</strong>s massacres de cerfs accrochés au mur d’en face semblaient sourire, comme s’ils avaient<br />
emporté dans la mort quelque secret terriblement alléchant.<br />
Valérie scruta la pièce et vit son père, puis Peter enfin, superbe après ce retour héroïque,<br />
même s’il ne daignait pas lever la tête. Elle se sentit tout d’abord soulagée, puis furieuse.<br />
Pourquoi se préoccupait-elle tant de lui ? Comment pouvait-elle aimer un homme qui ne<br />
l’aimait pas en retour ?