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mère-grand avait la cheville charmante, délicate et, pour tout dire, si fine qu’elle menaçait de<br />
se rompre à tout moment, ce qui provoquait chez sa petite-fille un sentiment d’admiration<br />
mêlé d’effroi. Valérie quant à elle, était indestructible. D’un bond, elle s’élança vers le porche<br />
et retomba sur ses pieds dans un bruit sourd.<br />
Valérie n’était guère anxieuse. Contrairement à la plupart des petites filles aux joues<br />
rondes et roses, les siennes étaient lisses, pâles et plates. Elle ne se trouvait pas vraiment<br />
jolie et ne songeait guère à son apparence de toute façon. Après tout, elle n’avait que sept<br />
ans. Pourtant on ne pouvait oublier sa chevelure aussi blonde que les blés, ses troublants<br />
yeux verts, comme animés d’un feu intérieur, et la sagesse de son regard qui la faisait<br />
paraître plus mûre que son âge.<br />
— Allons, les filles ! lança sa mère, qui se trouvait encore à l’intérieur de la maison. Il<br />
faut rentrer tôt aujourd’hui !! ajouta-t-elle d’un ton qui trahissait son angoisse.<br />
Valérie se tenait maintenant devant la porte de la maison restée ouverte. Personne<br />
n’avait eu le temps de la voir descendre de l’arbre.<br />
Elle aperçut alors Lucie qui se précipitait vers sa mère d’un air affairé, tenant à la main<br />
une poupée qu’elle avait habillée de chiffons dont sa grand-mère lui avait fait cadeau.<br />
Valérie aurait voulu ressembler un peu plus à sa sœur. Elle lui enviait ses mains rondes,<br />
douces et légèrement dodues. <strong>Le</strong>s siennes étaient trop fines, noueuses, anguleuses et<br />
râpeuses à force de callosités. Elle était persuadée qu’elle était indigne d’être aimée, que<br />
jamais personne ne voudrait l’approcher.<br />
Une chose était certaine, sa sœur aînée était bien meilleure qu’elle. Lucie était plus<br />
douce, plus patiente. Jamais elle n’aurait grimpé à l’arbre qui s’élevait au-dessus de la<br />
maison. C’était une personne sensée.<br />
— <strong>Le</strong>s filles ! C’est un soir de pleine lune, s’écria leur mère, et c’est à notre tour, ajouta-telle<br />
d’une voix traînante et triste.<br />
Valérie ne savait comment interpréter cette dernière remarque. Elle espérait qu’il<br />
s’agissait d’une surprise, qu’on leur <strong>of</strong>frirait peut-être un cadeau, mais c’est alors que des<br />
marques sur le sol en contrebas attirèrent son attention. Quelqu’un avait dessiné une flèche<br />
dans la terre.<br />
Peter.<br />
<strong>Le</strong>s yeux écarquillés, elle descendit les degrés poussiéreux et escarpés de l’escalier. Elle<br />
voulait examiner ces traces.<br />
Non, ce n’est pas Peter, songea-t-elle en constatant qu’on avait simplement gratté le sol<br />
ici et là.<br />
Et si jamais ?<br />
<strong>Le</strong>s traces continuaient jusque dans les bois. D’instinct, sans se soucier de ce qu’elle<br />
aurait dû faire ni de ce que Lucie aurait fait à sa place, elle se mit à suivre cette piste.<br />
Elle ne menait bien entendu nulle part. <strong>Le</strong>s traces s’évanouissaient à quelque douze pas<br />
de là. Quelle idée saugrenue ! songea Valérie, furieuse contre elle-même. Fort<br />
heureusement, personne ne l’avait vue partir ainsi à la chasse aux chimères.<br />
Peter était son meilleur ami. En guise de message, avec la pointe d’un bâton, il traçait<br />
des flèches dans la terre afin de la guider jusqu’à lui, le plus souvent au fond des bois.<br />
Mais Peter avait disparu depuis des mois, et Valérie ne parvenait pas à se résoudre à son<br />
absence. Ils étaient inséparables et elle avait l’impression qu’un lien avait été rompu, laissent<br />
deux brins orphelins s’effilocher au vent.