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tremblait entre ses mains mal assurées.<br />
— C’est ma faute, si Lucie est morte. <strong>Le</strong> Loup est venu à cause de moi.<br />
Mère-grand garda le silence, car elle ne pouvait nier l’évidence.<br />
Valérie avait besoin de prendre l’air. Elle quitta la maison, soulagée tel un bernardl’ermite<br />
qui aurait quitté sa coquille après la mue, libéré du poids de ce qui n’était plus qu’un<br />
spectre du passé. <strong>Le</strong> froid mordant lui cingla le visage, la tirant de sa torpeur. Elle se hâtait,<br />
errant dans les rues sans but précis.<br />
Elle croisa Roxanne et sa mère qui puisaient de l’eau au puits. Derrière elles, des soldats<br />
mettaient une maison à sac, éparpillant les maigres biens de la famille.<br />
— Claude est-il rentré ? demanda Valérie.<br />
Mais Roxanne passa devant son amie avec un seau dans chaque main, comme si elle ne<br />
l’avait ni vue ni entendue.<br />
— Personne ne l’a vu, répondit Marguerite avant d’emboîter le pas à sa fille.<br />
Elle se sentait blessée, car Roxanne savait fort bien qu’elle i se préoccupait du sort de<br />
Claude, qu’elle était la seule à le protéger quand personne d’autre ne s’en souciait. Pourquoi j<br />
avait-elle ignoré sa question de la sorte ? Valérie fouilla dans sa mémoire, le regard perdu<br />
dans les pr<strong>of</strong>ondeurs du puits. Roxanne avait-elle honte d’avoir été aussi peureuse ? Ou bien<br />
était-ce parce que le Loup ne l’avait pas choisie à sa place ? Peut-être Roxanne était-elle tout<br />
simplement jalouse, songea-t-elle avec une pointe de mesquinerie joyeuse.<br />
Elle se pencha pour caresser le chien du bûcheron qui venait d’arriver en courant. Elle<br />
avait besoin plus que tout au monde qu’un innocent vienne à elle et lui laisse poser la main<br />
sur son dos en toute confiance, mais le chien la regarda d’un air craintif, refusant<br />
d’approcher. Valérie resta accroupie dans l’espoir qu’il viendrait enfin, mais le chien recula en<br />
aboyant avant de faire volte-face pour s’enfuir d’un bond, la queue entre les jambes. Elle<br />
représentait donc une menace.<br />
Valérie n’était plus la même. Elle avait l’impression que des pans entiers de sa personne<br />
s’effondraient, telle une falaise sombrant dans la mer.<br />
Agenouillée au pied du puits, elle actionnait l’ancienne pompe, lorsqu’une ombre noire<br />
plana soudain au-dessus de l’eau. Son sang ne fit qu’un tour. Mais ce n’était qu’Henry. Il avait<br />
le regard noir et vide. Elle ne l’avait jamais vu ainsi.<br />
— Je romps nos fiançailles, déclara-t-il d’une voix quelque peu tremblante.<br />
— Vraiment ? demanda Valérie, ne sachant comment réagir.<br />
— Oui, dit-il en clignant lentement des yeux comme si cela pouvait contribuer à asseoir<br />
sa décision. Je t’ai vue avec Peter.<br />
— Tu nous as vus ?<br />
— Dans le grenier à blé.<br />
Ces paroles s’insinuaient en elle et elle comprenait enfin, horrifiée. Elle vit alors dans son<br />
regard la tempête intérieure à laquelle il était en proie.<br />
Quelle plaisanterie cruelle, songea-t-elle, saisissant l’ampleur des sentiments d’Henry.<br />
Après avoir aimé une fille pendant toutes ces années, être resté à ses côtés sans la presser,<br />
avoir respecté son besoin d’indépendance, voir Peter briser ainsi son rêve en un instant !<br />
Peter ! Comme il devait être douloureux de voir tout espoir foulé du pied par celui-là même<br />
qu’il tenait pour responsable de sa plus grande perte.