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mère et se mit à descendre à l’échelle, pieds nus, deux degrés à la fois.<br />
— Valérie ? interrogea sa mère en inclinant la tête comme le ferait une petite fille qui<br />
joue la comédie.<br />
— Je m’en vais, répondit Valérie en enfilant ses bottes, puis elle prit un mouchoir pour<br />
couvrir quelques fruits qu’elle avait mis dans son panier.<br />
Elle jeta ensuite son chaperon écarlate sur ses épaules. Roxanne s’agita dans le lit, puis<br />
ouvrit les yeux en se frottant le nez.<br />
— Tu t’en vas ? Mais où donc, ma chérie ? demanda Suzette d’un air amusé.<br />
— Je vais voir mère-grand. J’ai... je crois qu’elle est peut-être en danger.<br />
Il fallait aussi qu’elle trouve Peter, si jamais il était encore là, tout comme Henry.<br />
— Oh, Valérie, tu n’as pas besoin de toujours te préoccuper des autres, tu sais. J’ai<br />
préparé des flocons d’avoine, ton plat préféré, répéta-t-elle en posant la main sur la joue de<br />
Valérie.<br />
Elle avait la peau froide et humide, comme celle d’un reptile. Valérie leva les yeux vers<br />
sa mère.<br />
— Tu es en sécurité avec nous, murmura-t-elle.<br />
Roxanne observait tout depuis le grenier, les couvertures tirées jusque sous le menton.<br />
Elle clignait des yeux, ne sachant trop que penser de cette scène.<br />
— Adieu. Mère, Roxanne.<br />
Valérie se sentait isolée, seule face à elle-même.<br />
Elle n’avait besoin de personne.<br />
<strong>Le</strong> froid coupant lui cingla le visage, mais elle avait besoin d’un tel choc pour confirmer<br />
qu’elle était bien toujours en vie.<br />
Elle s’enveloppa dans son chaperon et remonta la capuche sur sa tête. <strong>Le</strong>s rafales de<br />
vent parcouraient tout son corps, gonflant son chaperon d’un air glacial. Elle tenait son panier<br />
devant elle, les doigts serrés sur la poignée en osier. Des cristaux de glace portés par le vent<br />
venaient parfois se loger entre les tresses de son panier.<br />
Il n’y avait personne alentour.<br />
Elle traversa le village, sans laisser aucune empreinte dans la neige qui tombait dru,<br />
effaçant chacun de ses pas sous une nouvelle couche. Elle passa devant l’éléphant de bronze<br />
couché sur le côté. On l’avait éventré. Avait-on enfermé quelqu’un dedans ? Valérie frémit en<br />
pensant à Claude, à la cruauté dont était capable l’humanité, et qu’elle n’avait jamais<br />
soupçonnée jusqu’alors. Elle était écœurée. Peut-être la vie des bêtes était-elle plus<br />
enviable, après tout ?<br />
<strong>Le</strong>s gens restaient chez eux, l’hiver. Lorsqu’une telle tempête s’abattait sur le village, il<br />
était impossible de deviner ce qui se terrait au détour d’un virage, ni ce qu’il y avait devant<br />
ou derrière soi.<br />
Une silhouette se pr<strong>of</strong>ila au loin. C’était Henry, à cheval sur le magnifique étalon de<br />
Salomon. Il ajustait ses éperons. Cette vue réchauffa le cœur de Valérie.<br />
Elle s’approcha. D’un geste, le capitaine demanda aux soldats qui enfilaient leur armure<br />
de bien vouloir se retirer. Peut-être était-ce par respect pour son intimité, ou bien par<br />
méfiance, elle n’en savait rien.<br />
— Valérie.<br />
<strong>Le</strong> cheval se décala, soufflant de la vapeur par les naseaux dans l’air glacial du matin,<br />
impatient de partir comme s’il se trouvait en présence d’une créature maléfique.