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yeux qui la regardaient.<br />
Des yeux qui voyaient au plus pr<strong>of</strong>ond d’elle-même.<br />
Non, ce n’était pas un regard ordinaire, personne ne l’avait jamais vue ainsi. Ces yeux<br />
lisaient en elle et la reconnaissaient pour ce qu’elle était vraiment.<br />
<strong>Le</strong> Loup.<br />
Elle avait toujours su que ce jour viendrait, même lorsque la vie était normale, mais elle<br />
ne s’était jamais laissée aller h y songer. Ce jour était enfin venu.<br />
Elle entendit d’abord un grondement sourd, qui passa II aperçu au milieu du vacarme<br />
des festivités, ultime frémissement qui précède la lame de fond.<br />
<strong>Le</strong> Loup rugit encore, et d’un bond puissant lui sauta par-dessus la tête pour atterrir au<br />
beau milieu de la place.<br />
L’intendant, qui dissertait à la table d’honneur, plissa les yeux en voyant devant lui la<br />
monstrueuse masse sombre.<br />
L’esprit embrumé par l’alcool, il s’efforçait d’identifier la bête. Il avait déjà rencontré<br />
semblable silhouette la veille dans la caverne, mais ce ne pouvait être un loup. L’animal qui<br />
avait fait de lui un héros n’était qu’un chien de compagnie face à cette chose.<br />
Ces yeux jaunes qui jetaient des éclairs, cette noirceur-gargantuesque, cette fourrure<br />
sculptée par les muscles saillant sous la peau...<br />
Horreur !<br />
Il vacilla sur ses pieds en se relevant, cherchant le couteau qu’il portait à la ceinture. Il<br />
savait que tous les regards étaient tournés sur lui à présent.<br />
L’immense ombre noire fondit sur l’intendant, aussi véloce qu’une flèche. L’instant<br />
d’après, elle était déjà loin, mais cette seconde avait été fatale. L’intendant resta immobile,<br />
alors que sa gorge tranchée se fendait en une plaie sombre, puis il tomba enfin à terre.<br />
Quelques minutes auparavant, il souriait encore, savourant sa gloire entouré de sa cour, et<br />
voilà qu’il était mort.<br />
Quelqu’un eut alors la présence d’esprit de donner l’alerte.<br />
— On nous attaque !<br />
<strong>Le</strong> Loup rôdait sur la place. Un vent de panique se mit soudain à souffler sur le village.<br />
<strong>Le</strong>s convives quittaient l’estrade à la hâte, détalant à quatre pattes pour se jeter dans le<br />
puits. Des bouteilles valdinguaient dans les airs, des seaux remplis de pommes se<br />
déversaient sur le sol, des instruments de musique abandonnés basculaient sur le côté, les<br />
cordes encore frémissantes. <strong>Le</strong>s hommes ne s’arrêtaient pas pour aider des femmes,<br />
effondrées dans la gadoue. Elles se débrouillaient seules, s’agrippant à leurs jupons souillés,<br />
si choquées que leurs mains ne tremblaient même pas.<br />
Claude se tenait seul à l’écart. Il battait toujours ses cartes, espérant que William<br />
reviendrait avec son chapeau. Percevant la terreur alentour, il pivota soudain sur lui-même<br />
dans un mouvement de panique, laissant échapper toutes ses cartes qui, comme autant de<br />
pétales, retombèrent lentement sur le sol. Il se mit à quatre pattes pour récupérer son trésor<br />
éparpillé. Il fallait qu’il se relève, mais si jamais il laissait traîner ne serait-ce qu’une seule<br />
carte, rien ne serait plus jamais comme avant et le mal se répandrait sur le monde telle une<br />
moisissure vorace.<br />
Alors qu’il rampait sous un chariot pour récupérer la Maison Dieu, Claude s’immobilisa