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— Fichez-lui la paix ! hurla Valérie, mais l’homme ne voulait rien entendre.<br />
Elle s’empara soudain d’une bûche et frappa violemment l’importun. Quelques femmes<br />
cessèrent leurs railleries et reculèrent, impressionnées par son geste.<br />
— Je vous ai dit de le laisser en paix ! cria-t-elle à nouveau, couvrant le son de la<br />
musique, et l’homme détala dans la foule hurlante.<br />
— Fais-moi exploser les tympans, vas-y, ne te gêne surtout pas ! plaisanta Césaire<br />
toujours à terre, le visage dans la boue.<br />
Son père ne semblait pas conscient de ce qu’il lui était arrivé. Il avait pr<strong>of</strong>ité de cette<br />
soirée pour boire plus que de raison, avalant tout ce qui lui tombait sous la main, jusqu’à ce<br />
qu’il soit trop ivre pour tenir quelque verre que ce fût.<br />
— Je ne plaisante pas, rétorqua Valérie qui, d’ordinaire, s’accommodait des<br />
extravagances de son père.<br />
Mais ce soir-là, les choses étaient différentes. Toute l’attention était concentrée sur sa<br />
famille. Il fallait qu’elle le ramène chez eux pour le mettre à l’abri. La perte de Lucie se faisait<br />
d’autant plus sentir à présent qu’elle l’aurait aidée à s’occuper de leur père. Valérie remarqua<br />
alors avec embarras qu’il gisait dans son propre vomi.<br />
— Papa...<br />
— Je me lève, je me lève.<br />
Césaire s’assit sur son séant, sans toutefois parvenir à se hisser sur les pieds.<br />
— Je crois que j’ai une dent ébréchée, déclara-t-il en se massant la joue.<br />
Elle l’aida à se relever sur ses jambes flageolantes. Il était ivre, mais il faisait de son<br />
mieux. Elle le tenait par les deux mains, car il oscillait d’avant en arrière alors même qu’il<br />
s’efforçait de retrouver l’équilibre.<br />
— Il y a des trucs qui semblent si faciles pendant la journée...<br />
Valérie le laissa prendre appui sur son épaule, puis elle lui indiqua le chemin de la<br />
maison une fois qu’ils furent loin de la foule.<br />
— Juste un petit coup de chiffon, et je serai bon pour rencontrer le pape en personne,<br />
dit-il en examinant sa chemise maculée de vomi, qu’il entreprit alors de nettoyer.<br />
Chemin faisant, ils croisèrent un groupe d’adolescents.<br />
— La femme à barbe s’est donc évanouie ? lança l’un d’eux.<br />
— Une demoiselle en détresse ! ajouta un autre en chantonnant.<br />
Valérie serra les dents. Quel sot ! songea-t-elle, gênée d’avoir ainsi honte de son père<br />
qui titubait à ses côtés, d’autant que Césaire en avait conscience et qu’il en éprouvait de la<br />
peine.<br />
— Ne fais pas attention à eux, Valérie, marmonna-t-il. Tu es une bonne fille, dit-il<br />
encore, les larmes aux yeux, rendu fragile par l’ivresse.<br />
Césaire essaya de lui donner une petite tape affectueuse sur la tête, mais en vain. Il se<br />
tourna alors vers elle et réussit enfin son geste. Il fallait qu’il se tienne à l’écart de ces<br />
réjouissances infernales et désastreuses, car on festoyait au mépris de la mort de sa fille. Il<br />
se mit à chercher sa demeure en scrutant les alentours, puis, l’ayant enfin trouvée, il se<br />
libéra brusquement de l’étreinte de sa fille.<br />
- ’tournz’y... muse’toi bien, lui ordonna-t-il.<br />
Il ne pouvait prodiguer conseil plus avisé à sa fille. Sans lui adresser le moindre regard, il<br />
poursuivit son chemin en vacillant. Il aurait sans doute besoin de s’allonger quelque temps<br />
sous la maison, avant de grimper tant bien que mal à l’échelle.