Le Chaperon Rouge - Index of

— Bien. J’imagine que c’est envisageable, dit Suzette d’un air absent.
— Merci, merci, merci ! répondirent les deux sœurs, pleines de reconnaissance.
Suzette comprit alors qu’elle venait d’accepter une escapade qu’elle aurait peut-être
mieux fait d’interdire.
— Je n’en reviens pas ! Elle a dit oui ! s’exclama Valérie.
— C’était sacrement bien joué. Tu ne lui as pas laissé le temps de réfléchir en opinant à
chacune de ses questions.
Les jeunes filles cheminaient d’un pas tranquille, en longeant la route creusée d’ornières
qui menait à la place du village.
— Et toi ? Quand tu lui as chatouillé le dos... c’était pas bien joué, ça ?
— Je sais qu’elle adore ça, répondit Lucie d’un ton satisfait en arborant un large sourire.
— Lucie ! s’exclama soudain leur amie Roxanne alors que les deux sœurs tournaient à
l’angle de la rue. Ne me dis pas que tu as emporté toute ta garde-robe, dit-elle en plissant
son front pâle.
Deux autres jeunes filles parurent alors derrière elle. Il s’agissait de Prudence et de Rose.
Lucie serrait son ballot dans ses bras. Valérie venait de s’apercevoir un peu tard qu’il
était particulièrement rebondi.
— Tu vas le trimballer toute la journée, décréta Valérie.
— Ne compte pas sur nous pour le porter à ta place si jamais tu fatigues, gronda
Prudence, qui savait que Lucie se montrait parfois un peu trop ambitieuse.
— J’ai pris quelques couvertures supplémentaires, rétorqua Lucie en souriant, car en effet
elle était frileuse.
— Tu comptes avoir de la compagnie ? demanda Rose en haussant le sourcil.
Décidément, les trois amies ressemblaient vraiment à une triade de déesses antiques,
songea Valérie. Roxanne avait les cheveux auburn et lisses. Ils étaient si fins qu’ils
semblaient pouvoir tenir dans un fétu de paille. Elle avait quelques pâles taches de rousseur,
semblables à ces pois aux contours irréguliers qui ornent parfois les ailes des papillons. Sous
les multiples corsets, chemisiers et autres châles dont elle se couvrait, il était évident qu’elle
n’aimait guère son corps.
Rose, en revanche, nouait à peine les attaches de son chemisier et ne s’empressait
jamais de le réajuster si d’aventure il venait à bâiller un peu trop. Elle était jolie, avec sa
bouche en forme de cœur et son visage anguleux. A vrai dire, elle se mordait les joues pour
le rendre encore plus émacié. Rose avait une chevelure si sombre qu’il était difficile de dire si
elle était noire, brune ou bleue en fonction de la lumière. Vêtue d’un petit haut un peu plus
élégant, elle aurait presque pu passer pour une dame du monde... du moins, tant qu’elle
n’ouvrait pas la bouche.
Prudence avait les cheveux châtain clair. C’était une beauté mélancolique qui se montrait
souvent bien trop prompte à lancer quelque remarque acerbe, dont elle s’excusait la plupart
du temps. Elle était grande, ce qui lui conférait un air légèrement impérieux.
Les cinq jeunes filles passèrent sous les portes du village, gravirent la colline qui menait
aux champs, et rejoignirent la parade des hommes qui n’étaient pas moins enthousiastes.
Toute la bourgade semblait en alerte, l’excitation était presque palpable et flottait dans l’air
ambiant, tel le parfum enivrant de quelque épice mystérieuse.
— Saaa... lut, leur lança Claude, le frère de Roxanne, trébuchant à chaque pas à force de
vouloir donner des coups de pied dans tous les cailloux qu’il rencontrait.