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— Nous pourrions nous enfuir, dit-il.<br />
Il venait de formuler ce qui n’était encore qu’une idée naissante dans son esprit<br />
tourmenté. <strong>Le</strong>urs fronts se touchaient presque à présent.<br />
— Tu pourrais t’enfuir avec moi, reprit-il avec un grand sourire sombre et terrifiant,<br />
comme si ses actes ne pouvaient avoir de conséquences.<br />
Oui, elle voulait le rejoindre dans ce monde sans vagues.<br />
— Où irions-nous ?<br />
Il lui effleura l’oreille de ses lèvres.<br />
— Où tu voudras, dit-il. À la mer, en ville, dans les montagnes...<br />
N’importe où... avec lui...<br />
— Tu as peur ? s’enquit-il en reculant d’un pas.<br />
— Non.<br />
— Tu quitterais ton foyer ? Ta famille ? Ta vie ?<br />
— Je... je crois que oui. Je ferais n’importe quoi pour être avec toi, laissa-t-elle échapper,<br />
prenant simultanément conscience qu’elle disait vrai.<br />
— N’importe quoi ?<br />
Valérie fit mine de réfléchir un instant, juste pour la forme.<br />
— Oui, répondit-elle enfin d’un air presque timide.<br />
— Vraiment ?<br />
— Oui.<br />
Peter prit le temps d’absorber ces dernières paroles. C’est à cet instant précis qu’ils<br />
entendirent le souffle d’un cheval. Il y avait un chariot attaché au loin et il n’y avait personne<br />
en vue. On l’avait laissé sans surveillance. C’était un véritable appel du destin.<br />
— Si nous devons partir, il faut le faire maintenant, dit-elle en lui ôtant les mots de la<br />
bouche.<br />
— Tu as raison. Nous serons déjà à une demi-journée d’ici avant que quiconque ne<br />
remarque notre absence, répondit-il avec un sourire canaille.<br />
— Dans ce cas, partons.<br />
— Premier arrivé au chariot ! lança-t-il en l’attrapant par la main, et il l’entraîna dans sa<br />
course par ce bel après-midi étincelant.<br />
Elle laissa tomber son seau sur le sol avec fracas.<br />
Un jour, songea-t-elle, Peter et moi, nous habiterons dans une maison, et puis nous<br />
aurons un verger, et puis un petit cours d’eau où nous irons nager et nous baigner. <strong>Le</strong> soleil<br />
chantera l’après-midi. La nuit, les oiseaux se blottiront la tête sous l’aile en attendant le<br />
matin.<br />
La scène se précisait à mesure qu’elle accélérait.<br />
Telle une graine de pissenlit, Valérie se laissait porter par lèvent. Elle se sentait pousser<br />
des ailes.<br />
C’est à peu près au même moment que Claude découvrit quelque chose d’inattendu.<br />
Ce jeune homme tranquille remarquait ce que personne d’autre ne voyait : la manière<br />
dont les branches battaient r u vent, telles des ailes d’oiseaux, la façon dont les blés se<br />
balançaient comme une mer par temps d’orage. Il voyait ce qui-se terrait dans l’ombre et<br />
même au-delà.