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Le Missel de Mathias Corvin<br />

et la Renaissance en Hongrie


Dossiers de la Bibliothèque royale Albert 1 er<br />

l<br />

Le Missel de Mathias Corvin<br />

et la Renaissance en Hongrie<br />

Dossier établi par<br />

Jean-M. Horemans<br />

Bruxelles<br />

Bibliothèque royale Albert 1 er<br />

1993


CI.P BlBUOTHEQUE ROYALE ALBERT le'<br />

Horemans, Jean-M.<br />

Le Missel de Mathias Corvin et la Renaissance en Hongrie/ Jean-M. Horemans.-<br />

Bruxelles: Bibliothèque royale Albert le', 1993. -103 p.; ill.; 26 cm.-<br />

(Dossier / Bibliothèque royale Albert le'; 1).<br />

ISBN 2-87093-080-1<br />

D 1993/0020/15


Table<br />

4 Remerciements<br />

Introduction 7 La Hongrie et les Hongrois<br />

Chapitre l 11 L'histoire de la Hongrie<br />

des Arpâd aux Habsbourg<br />

Chapitre II 25 Le règne de Mathias Corvin<br />

et les châteaux royaux de Hongrie<br />

Chapitre III 35 La Renaissance en Hongrie<br />

et la Bibliothèque corvinienne<br />

Chapitre IV 55 Le Missale romanum de Mathias Corvin<br />

dû au miniaturiste florentin Attavante<br />

Chapitre V 85 Marie de Hongrie et le transfert aux Pays-Bas<br />

du Missel de Mathias Corvin<br />

Annexe 1 91 Les rois de Hongrie d'Etienne 1 er<br />

à Ferdinand 1 er de Habsbourg<br />

Annexe 2 95 Traitement de conservation apporté<br />

au Missel de Mathias Corvin,<br />

par Lieve Watteeuw et Ann Peckstadt<br />

Annexe 3 101 Orientation bibliographique


Remerciements<br />

La restauration du Missel de Mathias Corvin et son déreliage ont permis à la Bibliothèque royale de<br />

présenter au public, par cette occasion unique, un choix de feuillets démontés, d'un des plus<br />

prestigieux parmi les manuscrits qu'elle conserve. Réalisé à Florence, dans l'atelier du miniaturiste<br />

Attavante, entre 1485 et 1487, le Missel était destiné au plus célèbre des rois hongrois de la<br />

Renaissance, Mathias Corvin. A l'heure de la construction européenne, l'exposition de ce manuscrit<br />

prend des allures de symbole, en associant Florence, Budapest et Bruxelles dans un même culte de la<br />

beauté.<br />

Alors que peu d'élus, depuis les gouverneurs des anciens Pays-Bas qui prêtaient serment sur ses<br />

pages, ont eu le privilège d'admirer et de feuilleter ce Missel, une restauration en cours permet<br />

aujourd'hui de montrer au plus grand nombre toutes les enluminures d'Attavante, les feuillets les plus<br />

splendides, les décors les plus riches d'Lm ouvrage qui compte parmi les trésors culturels de notre pays.<br />

Cette exposition a été rendue possible grâce au mécénat de la Poste qui a bien voulu financer en<br />

grande partie la restauration d'un manuscrit qui avait récemment servi de thème à une émission<br />

philatélique commune à la Belgique et à la Hongrie. Ma reconnaissance et celle de la Bibliothèque<br />

royale s'adresse à tous ceux qui à la Poste ont œuvré pour que le Missel puisse recouvrer un état de<br />

conservation adéquat, et tout particulièrement à Monsieur Mangé, Président du Conseil<br />

d'administration, Monsieur Becco, Administrateur délégué, Monsieur Demol, Directeur de la<br />

Philatélie et Monsieur Vangoidsenhoven, Conservateur du Musée postal.<br />

Je dois dire aussi ma gratitude à Mesdames Lieve Watteeuw et Ann Peckstadt, grâce à qui le travail<br />

de démontage, de restauration, et, plus tard, de remontage du manuscrit a pu ou pourra se réaliser<br />

matériellement.<br />

La Bibliothèque royale innove, à l'occasion de cette présentation des plus beaux feuillets du Missel,<br />

puisqu'il a été décidé d'éditer non un classique catalogue d'exposition, mais un dossier pédagOgique


destiné à situer l'importance intellectuelle de la bibliothèque du roi Mathias Corvin et la qualité<br />

artistique du Missel, œuvre de la Renaissance florentine.<br />

Parmi ceux qui ont contribué à la réalisation de cet ouvrage, je dois saluer le travail de Madame<br />

Van den Bergen-Pantens, qui a coordonné les travaux de restauration, de Monsieur Chlistian Balister<br />

et du laboratoire de photographie qui ont été amplement mis à contlibution, et enfin, de Madame<br />

Annie Rayet, de Messieurs Maulice Vandensteen et Jean-Luc Balle qui ont assuré le traitement du<br />

texte. Celui-ci, dû à Monsieur Jean-Malie Horemans, a été traduit en néerlandais par Monsieur Mark<br />

De Neef. A tous j'adresse mes plus vifs remerciements.<br />

Pierre Cockshaw,<br />

Conservateur en chef.


Folio 411v: Mathias Corvin ceint<br />

de la couronne de Hongrie<br />

et briquet de Bourgogne.<br />

La Hongrie &- les Hongrois<br />

S ,étendant aUJourd'hui sur environ 93.000 km', soit plus du triple de la Belgique, la<br />

Hongrie est entourée par la Slovaquie au nord, l'Autriche à l'ouest, la Croatie et la<br />

Serbie au sud, la Roumanie à l'est et l'Ukraine au nord-est. Elle est peuplée d'un<br />

peu plus de dix millions d'habitants et, depuis le traité de Versailles qui l'a amputée, notam-<br />

ment, de la Transylvanie, elle constitue certainement l'Etat le plus homogène d'Europe centrale<br />

avec une population de Hongrois estimée à 97%. La Hongrie est essentiellement constituée des<br />

vallées du Danube moyen (420 km) et de son affluent, la Tisza (579 km), ainsi que de la<br />

région d'ancien volcanisme dénommée Transdanubie et célèbre par cette mer intérieure, le lac<br />

Balaton (80 km de long). Son climat continental, aux contrastes marqués, est dû à la double<br />

protection naturelle des Alpes autrichiennes à l'ouest et du massif des Matras au nord.<br />

Avant l'arrivée des Magyars ou Hongrois, à la fin du IX' siècle, le territoire de la Hongrie<br />

actuelle a connu l'occupation de populations diverses et ce depuis le néolithique. Les Illyriens,<br />

les Thraces, les Celtes s'y sont succédé et plus que probablement mêlés avant que l'Empire<br />

romain ne crée la province de Pannonie en 12 de notre ère.<br />

Des camps militaires se développèrent et seront à l'origine de plusieurs villes actuelles:<br />

Aquincum (Obuda - Buda), Savaria (Szombathely), Sopianae (Pécs), Gorsium. Après un retrait<br />

en deçà du Danube, les Romains durent céder devant les invasions barbares du IVesiècle qui<br />

entraînèrent une période de décadence de l'organisation administrative. Successivement défilè-<br />

rent les Huns, les Ostrogoths et les Avars qui s'installèrent dans les vallées du Danube et de la<br />

Tisza du V, au IX' siècle, avant que n'entrent en jeu les sept tribus magyares sous la direction<br />

d'Arpàd en 896.<br />

Les Magyars ne sont pas d'origine indo-européenne; apparentés aux Finnois et aux<br />

Estoniens, ils font partie du groupe finno-ougrien et leur langue est une descendante lointaine<br />

des parlers ouralo-altaïques. Au quatrième millénaire avant notre ère, ces Ouraliens vivaient


Budapest, le monument du Millénaire<br />

(1896) commémorant la conquête du<br />

pays par les sept tribus magyares sous<br />

la conduite d'Àrpâd.<br />

dans l'ouest sibérien; ils commencèrent une lente dispersion vers l'Europe au cours du millé-<br />

naire suivant et au dixième siècle avant J-c., ils se divisèrent en Protofinnois installés en<br />

Scandinavie et en Protohongrois qui se mêlèrent aux populations turco-bulgares du Kouban.<br />

Du début du IV' siècle jusqu'à la mort d'Attila (453), les Hongrois furent soumis aux Huns et<br />

participèrent à l'œuvre de pillage et de destruction de la terreur des mortels et le fléau de Dieu<br />

(Corneille). A la mort du roi des Huns, son empire se disloqua; les Hongrois passèrent sous la<br />

tutelle des Avars dont le royaume subsista de 567 à 796 Durant tout le siècle suivant (IX' s.),<br />

ils progressèrent vers l'Ouest.<br />

Sept tribus hongroises élirent un chef commun, Arpad, et s'installèrent aux frontières de<br />

l'Empire byzantin. C'est en 896 qu'Arpad et ses cavaliers, immortalisés par le monument du<br />

Millénaire à Budapest, franchirent les Carpates et s'installèrent dans les plaines peu habitées du<br />

Danube moyen. A la mort de leur chef historique en 907, les Magyars occupaient l'entière té du


territoire de la Hongrie. Au X' siècle, ils menèrent, dans toute l'Europe occidentale mais sur-<br />

tout en Germanie et jusque dans la Belgique actuelle, des expéditions de pillage qui provoquè-<br />

rent la panique de la population dans les régions visitées.<br />

L'année 955 marqua l'arrêt des invasions hongroises: écrasés près d'Augsbourg par Othon 1"<br />

le Grand (942-973), empereur germanique, ils se stabilisèrent progressivement sous l'autorité<br />

des premiers princes de la dynastie arpadienne, Géza (970-997) et son fils Vajk, baptisé sous le<br />

nom d'Etienne en 985.


Carte du royaume de Hongrie par<br />

le P. Coronelli, cosmographe de la<br />

République de Venise, corrigée et<br />

augmentée par Tillemon. Paris, 1688.


L'histoire de la Hongrie<br />

des Arpâd aux Habsbourg<br />

L'histoire de l'Etat hongrois commence véritablement avec le règne d'Etienne (qui sera cano-<br />

nisé), fils du prince Géza, sous l'autorité desquels fut entreprise la première évangélisation de<br />

la Hongrie, marquée notamment par la fondation du célèbre monastère bénédictin de<br />

Pannonhalma.<br />

Etienne 1" (997-1038) doit être considéré comme le roi fondateur de la Hongrie, mais aussi<br />

de l'Etat chrétien hongrois. Il y enc01rragea l'évangélisation non sans susciter la révolte des aris-<br />

tocrates hostiles à l'influence de l'étranger. Son couronnement par le pape Sylvestre II, le 25<br />

décembre de l'an 1000, est non seulement l'aboutissement de son œuvre de christianisation,<br />

mais aussi la reconnaissance de l'organisation politique d'un Etat sur le modèle des pays<br />

d'Occident.<br />

Le pays sera divisé en comitats (comtés), tandis que l'autorité religieuse sera exercée par<br />

deux archevêchés, l'un créé dans la capitale, Esztergom, l'autre à Kalocsa, et par huit évêchés.<br />

A la mort de saint Etienne, des luttes pour le pouvoir vinrent compromettre l'œuvre du fon-<br />

dateur. Pendant un demi-siècle s'affrontèrent les prétendants au trône: Pierre, dit le Vénitien<br />

(1038-1041), neveu d'Etienne, lui succéda d'abord, mais fut bientôt détrôné par Samuel Aba<br />

0041-1044), avant de reprendre la couronne en 1044. Un soulèvement anti-allemand et anti-<br />

chrétien, marqué par le sacrifice de l'évangélisateur Gellert (Gérard) en 1046, renversa une<br />

nouvelle fois Pierre.<br />

Le règne d'André 0047-1060) amena une période de pacification, mais sa mort entraîna une<br />

nouvelle crise pour la couronne arpadienne: une contestation opposa les partisans du frère du


Buste de Saint Ladislas, roi de Hongrie,<br />

par Màrton Kolozsvàri; 2 e moitié du<br />

XIV siècle. Gy6r, cathédrale.<br />

roi défunt, Béla, et ceux de son jeune fils, Salomon. Béla l" régna d'abord (1060-1063), mais<br />

une intervention allemande plaça Salomon (1063-1074) sur le trône.<br />

Tiraillé entre les influences de ses voisins, le royaume de Hongrie, tout au long de son histoi-<br />

re, ne connut guère la paix. Georges Aranyossy a pu écrire que de leur histoire, les Hongrois ont<br />

appris l'art de survivre. Contre l'influence germano-romaine, une réaction soutenue par<br />

Byzance, amena au pouvoir le fils de Béla, Géza l" (1074-1077) qui reçut du basileus Michel<br />

VII Doukas une couronne. Jointe à celle d'Etienne l", offerte par le pape Sylvestre II, elle<br />

constitua désormais la Sainte Couronne de Hongrie, symbole de la pérennité d'un Etat sans<br />

cesse menacé par de puissants voisins, Byzantins, Turcs, Germains ou Autrichiens ...<br />

Le frère de Géza, Ladislas l" (LaszI6) (1077-1095) inaugure un grand règne. Celui qui<br />

deviendra saint Ladislas rétablit la situation, en tentant de limiter l'influence de l'aristocratie<br />

avec l'appui des villes, mais aussi en adoptant le principe Si vis pacem para bellum. Roi-guerrier,<br />

il occupe la Slavonie et une partie de la Croatie, inaugurant une politique qui donnera à la<br />

Hongrie un accès à la mer. Ladislas luttera également contre le paganisme et achèvera la chris-<br />

tianisation du pays. Son neveu Coloman l" (Kalman) (1095-1116), dit aussi le Bibliophile,<br />

prendra le titre de roi de Croatie et placera, en 1105, la Dalmatie sous protectorat hongrois.<br />

L'accès à l'Adriatique - le littoral hongrois - et l'union personnelle entre la Hongrie et la Croatie-<br />

Slavonie subsisteront jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale. Ce roi est resté célèbre,<br />

dans l'histoire de la monarchie magyare, par l'équilibre de sa législation connue sous le nom de<br />

Lois de Coloman<br />

AprèS ce règne heureux, marqué par la prospérité, s'ouvre une longue période de conflits et<br />

de troubles successoraux, envenimés le plus souvent par la diplomatie byzantine, sous les<br />

règnes successifs d'Etienne II (1116-1131), Béla II (1131-1141), Géza II (1141-1162) et<br />

Etienne III 0162-1172), en conflit avec celui que certaines chronologies dénomment<br />

Etienne IV.<br />

Avec Béla III (1172-1196), l'armée et l'administration vont être réformées au profit du pou-<br />

voir royal. Un service militaire est imposé aux vassaux. Béla III crée les premiers impôts


oyaux. L'administration va se perfectionner et, sous l'influence occidentale, se créera, en<br />

1185, une Chancellerie dont les clercs viendront d'Occident ou y seront formés. Sous le règne<br />

de ce prince, la Hongrie s'ouvre au reste de l'Europe: Béla III épousa successivement deux<br />

princesses françaises, Anne de Châtillon et Marguerite de Valois, fille de Louis VII. Le pays,<br />

sous sa conduite, entend participer aux grands courants intellectuels, culturels et artistiques de<br />

l'Europe occidentale; la réforme cistercienne s'impose aux monastères hongrois; des colons,<br />

principalement saxons, mais aussi valaques, s'installent dans le pays.<br />

On assiste, sous Emeric 1" (1l96-1204) et sous André II (1205-1235), à un nouvel affaiblis-<br />

sement du pouvoir royal. Ce dernier souverain, à son retour de la cinquième Croisade (1217-<br />

1218), doit, sous la pression de la petite noblesse, accorder à ses sujets, en 1222, la Bulle d'or,<br />

contemporaine de la Grande Charte anglaise (1215) Un droit de regard sur la politique roya-<br />

le est accordé aux nobles par l'intermédiaire d'une Diète, alors que la Bulle reconnaît les droits<br />

des hommes libres et des villes.<br />

Le règne de Béla IV (1235-1270), fils d'André II, sera l'un des plus longs de la dynastie arpa-<br />

dienne. La menace des Tatars, successeurs de Gengis Khan (mort en 1227), se précise et la<br />

population des Coumans, fuyant ces Mongols, trouve asile entre le Danube et la Tisza, dans<br />

une région appelée depuis Kunsâg. En 1241-1242, l'invasion tatare déferle sur la Hongrie, lais-<br />

sant un pays en ruines. Béla IV, que l'histoire appellera le second fondateur du pays, attire des<br />

colons étrangers, et parmi eux des Wallons, fait fortifier certaines villes, notamment Buda,<br />

Visegrâd, Pozsony (qui sera Presbourg et Bratislava), et leur accorde des privilèges, conscient<br />

que la défense du pays ne peut se faire qu'aux lieux-mêmes de la menace. De même, les sei-<br />

gneurs et les barons fortifient leurs domaines; ils constitueront à la longue une menace pour la<br />

royauté. Béla IV sera amené à accorder, en 1267, la Charte royale qui enregistre l'égalité des<br />

droits entre les grands barons, d'une part, et la petite noblesse, soutien de la monarchie, de<br />

l'autre.<br />

Sous les derniers souverains arpadiens, le pouvoir royal sombre au plus bas: les Etienne IV<br />

(ou V) (1270-1272), Ladislas IV (1272-1290) et André III (1290-1301) n'ont plus qu'ombre<br />

d'autorité, au point qu'en 1301, quand s'éteint la dynastie, les barons en arrivent à se choisir


un roi. Pendant une période intermédiaire qui s'étend de 1301 à 1307, on voit s'affronter deux<br />

partis. Deux parents des derniers Ârpad, Ladislas V 0301-1305) et Othon de Wittelsbach<br />

0305-1307), ne contrôlent plus que le nord et l'ouest en s'appuyant sur la grande noblesse,<br />

alors que Charles-Robert d'Anjou règne en Croatie, avec le soutien de la papauté. La Diète de<br />

1307 tranchera en faveur de ce représentant d'une nouvelle dynastie qui mettra fin à trente-<br />

cinq ans d'anarchie.<br />

Charles-Robert 0307-1342), appelé aussi Charles 1" ou Carobert, est issu de la branche<br />

napolitaine des Anjou. Il va s'efforcer de rétablir la puissance royale, se réserve le monopole de<br />

la frappe de la monnaie et réorganise l'armée dans une lutte implacable contre les barons et les<br />

grands féodaux, inaugurant ainsi une période de paix. En 1335, devant la menace de l'Empire,<br />

il conclut, avec Jean de Luxembourg, dit l'Aveugle, roi de Bohême et Casimir III de Pologne,<br />

l'alliance dite de Visegrad. Son fils, Louis 1" le Grand 0342-1382), momentanément roi de<br />

Naples après l'assassinat de son frère André en 1347, va inaugurer une première Renaissance<br />

hongroise, en envoyant des lettrés hongrois au contact de l'humanisme italien, en créant des<br />

écoles monastiques et urbaines, en suscitant un art florissant et en fondant les premières uni-<br />

versités hongroises de Pécs, en 1367, et d'Obuda (faubourg de Buda), en 1389. Pour limiter le<br />

pouvoir et les abus des nobles, grands propriétaires terriens, il fixe les obligations fiscales des<br />

paysans. Il faut dire que le pays est riche: au XIV' siècle, un tiers de l'or produit dans le monde<br />

et un quart de l'argent produit en Europe proviennent des mines de Hongrie. Le pays devient<br />

un carrefour commercial entre l'Est et l'Ouest et, sous les rois angevins, se développe un mar-<br />

ché florissant avec l'Occident. Le prestige de Louis 1" est tel qu'à la mort de Casimir III il est·<br />

élu roi de Pologne et le restera jusqu'à sa mort. Bénéficiant d'une prospérité croissante et d'une<br />

autorité confortée, le roi inaugure une politique de conquête en direction des Balkans; il réus-<br />

sit à retarder l'avance turque en vainquant Mourad 1" en 1371. Louis 1" le Grand a deux filles.<br />

La cadette Hedwige épousera Ladislas Jagellon et deviendra reine de Pologne. Quant à l'aînée,<br />

Marie, elle deviendra reine de Hongrie en 1382. 'ayant qu'onze ans, elle régnera d'abord sous<br />

la régence et la tutelle de sa mère Elisabeth.<br />

Marie d'Anjou 0382-1387) est fiancée à Sigismond, fils de Charles IV, Empereur germa-<br />

nique et roi de Bohême, mais ses droits sont rapidement contestés par un neveu de Louis 1",


Charles de Naples, dit aussi Charles de Duras ou de Durazzo (1385-1386), appuyé évidem-<br />

ment par les nobles qui ne manquent aucune occasion de tenter d'affaiblir le pouvoir royal.<br />

Les partisans de Marie font appel à Sigismond de Luxembourg qui, victorieux de Charles de<br />

Naples, rétablit Marie et l'épouse. Roi en 1387, Sigismond (Zsigmund) régnera seul après la<br />

mort de sa femme en 1395 et jusqu'en 1437.<br />

Lors d'une offensive turque dans les Balkans, Sigismond dirige une croisade contre les<br />

Infidèles, mais est défait en septembre 1396 à Nicopolis. Les Turcs sont désormais en contact<br />

direct avec le territoire hongrois; cependant, un conflit entre Tamerlan et Bajazet freine l'avan-<br />

ce de l'ennemi. En 1412, Sigismond encourt une nouvelle défaite et signe une paix précaire en<br />

1419. Sur un autre front, Sigismond annihile les prétentions de Ladislas, fils de Charles de<br />

Naples, mais il ne parvient pas à récupérer la Dalmatie abandonnée, en 1409, à la République<br />

de Venise. Devant les difficultés du souverain, les nobles relèvent la tête, mais la Hongrie<br />

n'apparaît, aux yeux de Sigismond de Luxembourg, que comme un apanage secondaire dont il<br />

confie la direction à son gendre, Albert de Habsbourg. Il est vrai qu'il a été élu, en 1410, roi<br />

des Romains, titre qui l'assure du titre impérial qu'il obtiendra l'année suivante. En 1419, il est<br />

roi de Bohême et il devient même roi d'Italie en 1431. Son règne est marqué également par la<br />

répression du mouvement hussite, né en Bohême, et par l'exécution, due à sa duplicité, du<br />

réformateur Jean Hus brûlé vif à Constance en 1415. Le mécontentement paysan, qui se récla-<br />

me des idées égalitaires des hussites, sera maté et écrasé dans le sang, par les nobles hongrois à<br />

Kolozsvar en 1438.<br />

Son gendre, Albert 1" (1437 -1439), sera le premier Habsbourg à régner en Hongrie; il luttera<br />

contre les Turcs, entrés en Transylvanie. Mort en 1439, il laisse un fils, Ladislas, qu'on dira le<br />

Posthume, et une nouvelle situation anarchique pour la Hongrie.<br />

Cette seconde période intermédiaire est marquée par la guerre civile entre les partisans de<br />

deux prétendants au trône. Dans un premier temps, Vladislav Jagellon, roi de Pologne, est élu<br />

par la Diète, vainc les partisans de Ladislas de Habsbourg, fils d'Albert, et règne de 1440 à<br />

1444. Les deux camps, pour le malheur de la Hongrie, cherchent des alliances extérieures ou<br />

s'appuient sur les différents partis nobles. Vladislav 1" confie à un chef de guerre, Janos


Hunyadi, des responsabilités de plus en plus importantes et fait de ce défenseur du pays contre<br />

l'invasion turque un voïvode de Transylvanie. La Diète de 1440, qui confirme les chartes et les<br />

droits politiques de la noblesse, en arrive à gérer le pouvoir et à exercer un contrôle général<br />

des décrets royaux. Une trêve intervient avec le parti habsbourgeois.<br />

En 1442, Hunyadi remporte une grande victoire sur les Turcs en Transylvanie, confirmée,<br />

l'année suivante, par la prise de Nis et de Sofia. Malgré ces succès prometteurs, Vladislav 1"<br />

conclut la paix à Szeged; il sera lui-même battu à Varna et périra sur le champ de bataille en<br />

1444. En 1445, la Diète hongroise reconnaît le droit à la couronne de Ladislas de Habsbourg,<br />

réfugié chez Frédéric III de Habsbourg, empereur germanique (1440-1493). Celui-ci, qui<br />

s'oppose aux exigences de la noblesse hongroise, garde Ladislas auprès de lui. En conséquen-<br />

ce, la Diète, en 1446, élit Janos Hunyadi régent du royaume, en raison de sa popularité due à<br />

ses victoires contre les Turcs et grâce à l'influence de l'évêque de Nagyvarad, Janos Vitéz.<br />

Hunyadi cependant ne bénéficia jamais de toutes les prérogatives royales dans un Etat perpé-<br />

tuellement affaibli par les dissensions de l'oligarchie.<br />

En 1448, une nouvelle attaque d'Hunyadi contre les Turcs se termine par la défaite de<br />

Kossovo, en raison de la défection et de la trahison du despote serbe Georges Brancovitch qui<br />

s'empare d'Hunyadi et le force à s'allier avec lui. Cet accord obligé permet néanmoins d'arra-<br />

cher à Frédéric III l'extradition du jeune roi Ladislas, en 1453, l'année même de la chute de<br />

Constantinople.<br />

Connu sous le nom de Ladislas V le Posthume (1445-1457), il ne régnera de fait qu'à partir<br />

de 1453. Encore nomme-t-il Janos Hunyadi capitaine suprême et administrateur des revenus<br />

de la couronne. En 1456, devant une nouvelle menace ottomane, Ladislas V s'enfuit à Vienne.<br />

Quant à Hunyadi, il parvient, à la tête d'une armée de hobereaux et de paysans, à garder<br />

Belgrade devant l'assaut des Turcs, après des combats affreusement sanglants; il meurt peu<br />

après de la peste à Semlin (1456) Cette victoire provisoire sur le péril turc s'est commémorée<br />

jusqu'à nos jours par la sonnerie des cloches à midi. Immédiatement après la mort du régent,<br />

les barons relèvent la tête et s'attaquent au parti des Hunyadi. L'aîné des fils de Janos, Lâszl6,<br />

est exécuté, alors que devant cette résistance Ladislas V se réfugie à Prague, emmenant le Jeune<br />

Matyas Hunyadi - le futur Mathias Corvin de l'histoire - en otage<br />

Portrait deJdnos Hunyadi, régent de<br />

Hongrie, d'après une gravure anonyme<br />

du XVI' siècle.


Portrait, en buste de marbre blanc,<br />

de Mathias Corvin, par G. ChI'.<br />

Romano; vers 1490.<br />

Portrait de la reine de Hongrie,<br />

Béatrice d'Aragon, par G. ChI'. Romano;<br />

vers 1490.<br />

Après la mort de Ladislas V en 1457, un court interrègne survient. Fiancé à la fille du roi de<br />

Bohême, Mâtyas parvient à se libérer et, malgré l'opposition des barons qui n'osent cependant<br />

pas affronter la faveur populaire dont jouit le jeune Hunyadi, la Diète place, en 1458, Mathias<br />

1" Corvin (1458-1490) sur le trône de Hongrie. Il a quinze ans et devra supporter quelque<br />

temps la régence.<br />

Le règne de Mathias Corvin sera l'un des plus brillants de l'histoire de la Hongrie qui devient<br />

une véritable puissance européenne. Nous n'en donnerons ici qu'un résumé puisque le cha-<br />

pitre suivant lui sera entièrement consacré. Dès le début, il s'attache à réprimer rébellions et<br />

complots suscités par une noblesse pro-habsbourgeoise; il élargit la représentativité de la Diète<br />

pour l'ouvrir aux représentants des villes, renforce l'armée au moyen de mercenaires étrangers,<br />

soumet les foyers hussites et parvient ainsi à s'attirer les bonnes grâces de l'Eglise. En politique<br />

extérieure, il fera la guerre à la Pologne, mais ne parviendra pas à récupérer le trône de<br />

Bohême, confié à un Jagellon. Mathias garde cependant la Moravie et la Silésie. Il s'attaque à<br />

l'Autriche, favorable aux Jagellon et s'empare de Vienne et de toute la partie orientale de<br />

l'Autriche. Mais le véritable danger est turc: Mathias reprend la Bosnie, la Moldavie et la<br />

Valachie et il apparaît de plus en plus, à ses contemporains et à l'Eglise, comme le rempart<br />

indispensable de la Chrétienté.<br />

Fin lettré, il cultive le goût des arts et des lettres, attire à sa cour des artistes italiens, crée, en<br />

1465, l'Université de Buda, achète pour sa bibliothèque des manuscrits grecs et latins, fonde<br />

un atelier de copistes, se fait construire un somptueux palais sur les hauteurs de Buda, face au<br />

Danube. En 1476, il épouse la fille du roi de Naples Ferdinand 1 er , Béatrice d'Aragon, dont<br />

l'action culturelle renforcera et complétera celle entreprise par Mathias.<br />

Une fois encore - et cela semble une constante de l'histoire de la Hongrie - les successeurs du<br />

grand roi de la Renaissance ne seront pas à la hauteur des circonstances. Par leur faiblesse vis-<br />

à-vis des grands propriétaires terriens, Vladislas II Jagellon (1490-1516) et son fils Louis II<br />

(1516-1526) vont ruiner l'œuvre de Mathias. L'un et l'autre règnent en Bohême, laissant les<br />

nobles gouverner un pays menacé à la fois par le danger turc à l'extérieur et par la révolte<br />

populaire due à l'aggravation de la condition paysanne à l'intérieur. En 1514, sous la conduite


de Gybrgy D6zsa, une épouvantable jacquerie, destinée à venger les brimades exercées sur les<br />

paysans et les serfs, s'attaque aux nobles et aux châteaux. Elle sera réprimée et écrasée dans le<br />

sang par le voïvode de Transylvanie, Janos Zapolya (Szapolyai) qui fera exécuter cruellement<br />

D6zsa, brûlé vif, considéré depuis comme l'une des figures symboliques de la volonté de survie<br />

du peuple hongrois. La réaction seigneuriale sera brutale et stupide, affaiblissant le pays par le<br />

crime et les exactions, la paysannerie refusant de marcher alors que les Turcs sont aux portes.<br />

En 1521, l'armée ottomane s'empare de Belgrade. En vain, Louis II fait appel aux souverains<br />

d'Occident et, en 1526, la plus grande partie de la Hongrie est aux mains des Turcs de<br />

Soliman le Magnifique. Défait à Mohacs, le 29 août 1526, Louis II est retrouvé mort sur le<br />

champ de bataille.<br />

AprèS Mohacs, la Hongrie, qui avait été le boulevard dont les défenseurs assuraient le repos de<br />

l'Europe du côté de l'Orient (Arminius Vambéry), disparaît pratiquement de la carte. Les Turcs<br />

en rançonnent le sud et le centre et réintègrent les Balkans, alors que se poursuivent les luttes<br />

intestines entre les tenants d'un pouvoir national et les partisans des Habsbourg. Une Diète, à<br />

Székesfehérvar, désigne comme roi celui qui avait réprimé l'insurrection de D6zsa, un autoch-<br />

tone, le voïvode Jean 1" Zapolya Ganos Szapolyai) (1526-1540), tandis que la noblesse, lors de<br />

la Diète tenue, à l'initiative de Marie de Hongrie, dans la nouvelle capitale Pozsony (Bratislava),<br />

choisit, comme une garantie de sécurité, Ferdinand 1" de Habsbourg, déjà roi de Bohême.<br />

Buda est occupée par les Turcs en 1541; les luttes fratricides ont entraîné le recours aux puis-<br />

sances étrangères: Zapolya a sollicité l'aide turque qui maintiendra son fils à la tête de la<br />

Transylvanie avec le titre de prince; les nobles ont choisi - pour des siècles - le camp des<br />

Habsbourg et de l'Autriche.<br />

Cen est fini pour plusieurs siècles de l'indépendance hongroise. La Transylvanie, à l'est,<br />

devient une sorte de protectorat ottoman où se réfugieront les Réformés, persécutés par les<br />

Habsbourg. La première traduction intégrale de la Bible est due aux Réformés et les ouvrages<br />

protestants qui maintinrent l'usage littéraire de la langue magyare sont à l'origine de la littéra-<br />

ture hongroise. Au centre et au sud, 150 ans d'occupation turque asserviront les habitants har-<br />

celés, écrasés d'impôts, exterminés. L'ouest et le nord resteront aux mains des Habsbourg qui<br />

imposeront à la Hongrie une réaction catholique intransigeante. Certes, le XVII' siècle vit


La découverte du corps de Louis II sur<br />

le champ de bataille de Mohâcs en 1526.<br />

Peinture de Bertalan Székely, XIX'<br />

siècle.<br />

quelques tentatives de révolutions souvent dirigées par des princes de Transylvanie, tels<br />

Gybrgy Râkoczy. Mais ces insurrections sans lendemain ne firent généralement que justifier la<br />

réaction du pouvoir.<br />

En 1683, les Turcs tentèrent un dernier effort pour poursuivre leur avancée en Europe cen-<br />

trale. Ils furent tenus en échec par le roi de Pologne Jean Sobieski qui, à la tête d'une armée<br />

composée principalement de Polonais et d'Impériaux, infligea une défaite complète aux<br />

Musulmans, sous les murs de Vienne. Leur déroute entraîna, trois ans plus tard, en 1686, la<br />

libération de la Hongrie, après qu'une armée internationale conduite par Charles de Lorraine<br />

et Eugène de Savoie eut repris Buda (1686) après un siège mémorable. Par le traité de<br />

Karlowitz (1699), l'Empire ottoman reconnaissait la perte de ses conquêtes précédentes.<br />

Sous le régime des Habsbourg d'Autriche, la Hongrie fut considérée littéralement comme un<br />

pays conquis sur lequel on faisait peser l'oppression fiscale et militaire, dont souffraient parti-<br />

culièrement les paysans et les serfs. En 1703, une révolte paysanne prend pour chef François<br />

(Ferenc) II Râkoczi, grand propriétaire terrien éclairé, descendant de Gybrgy Râkoczi; il réussit<br />

à rallier les nobles à la cause hongroise et, profitant de la Guerre de Succession d'Autriche,<br />

signe une alliance avec Louis XIV. La plus grande partie du territoire tombe aux mains des<br />

insurgés qui promettent l'émancipation des serfs, mais l'union de la noblesse et de la paysan-<br />

nerie sera de courte durée. En 1711, la noblesse signe la paix avec les Habsbourg par un traité<br />

confirmant la Constitution hongroise et la liberté religieuse. Râkoczi gagnera la France, puis la<br />

Turquie, tentant vainement de poursuivre la guerre d'indépendance.


Dès lors, l'Autriche a partie gagnée; elle va tenter une germanisation de la Hongrie par l'ins-<br />

tallation de colons autrichiens et allemands. L'attitude de l'impératrice Marie-Thérèse sera sans<br />

doute plus positive; il y aura adoucissement de la condition des serfs, mais non abolition du<br />

servage. Sous couvert de despotisme éclairé, on maintenait le régime absolu. L'opposition<br />

grandit de nouveau sous le règne de Joseph Il qui s'efforçait d'assimiler, par des lois com-<br />

munes, la Hongrie aux provinces héréditaires.<br />

En 1795, à l'exemple de la France, des intellectuels hongrois tentèrent d'instaurer une<br />

République démocratique, mais ils échouèrent et furent décapités Napoléon, après sa vi.ctoire<br />

Le siège de Buda, tenu par les Turcs, en<br />

1686. Peinture de Franz Gottfels.<br />

Budapest, Musée national hongrois.


sur l'Autriche - mais aussi sur la noblesse hongroise - en 1809, apparaîtra comme un libéra-<br />

teur. Une proclamation de l'Empereur des Français, invitant les Hongrois, à vrai dire la nobles-<br />

se hongroise, à se réunir dans la plaine de Râkos et à élire un prince national, échouera elle<br />

aussi lamentablement.<br />

Au cours du XIX' siècle, la nécessité de réformes profondes en faveur du peuple des cam-<br />

pagnes se fait cruellement sentir. La révolte gronde dans la paysannerie et quelques rares<br />

grands propriétaires terriens en prennent conscience. C'est le cas d'un aristocrate éclairé, le<br />

comte Istvân Széchenyi. Grâce à ses initiatives diverses et nombreuses, le trafic fluvial put être<br />

facilité sur le Danube par la création, en 1823, de la Compagnie de navigation danubienne et<br />

par la régularisation des cours d'eau et notamment de la Tisza; il suscita le développement du<br />

commerce et fut l'initiateur du premier pont (le Pont à chaînes) reliant Buda et Pest. Dans le<br />

domaine culturel, il fonda l'Académie des sciences sur sa cassette personnelle. Tous les régimes<br />

qui se sont succédé au XIX' siècle et au XX, siècle en Hongrie - y compris le régime communis-<br />

te - ont reconnu en cet aristocrate un des fondateurs de l'Etat hongrois moderne.<br />

L'éloquence virulente de Lajos Kossuth 0802-1894) va accélérer et accentuer les réformes:<br />

développement de l'industrie, abolition du servage, indépendance nationale seront les objectifs<br />

majeurs des revendications hongroises, non toUjours satisfaites. La suppression des privilèges,<br />

la réunion de la Transylvanie, à l'est, voire de la Slovaquie, au nord-ouest, où résident des<br />

minorités hongroises, en seront d'autres, de même que l'abolition du latin comme langue offi-<br />

cielle. La Révolution de février 1848 à Paris entraîne, le 15 mars suivant, le soulèvement du<br />

peuple de Pest et l'expulsion des représentants de la monarchie autrichienne.<br />

La liberté de presse est proclamée dans l'enthousiasme aux chants guerriers du poète national<br />

Sandor Pétofi. Un programme en douze points, résumant les revendications hongroises, est<br />

élaboré. La Diète de Pozsony (Bratislava, Presbourg) vote les réformes essentielles, acceptées<br />

par Ferdinand V de Habsbourg: affranchissement des serfs, égalité devant la loi et devant<br />

l'impôt, représentation nationale et création d'un ministère responsable. Cependant l'opposi-<br />

tion des cercles dirigeants et de la Cour de Vienne va entraîner l'intervention de l'armée autri-<br />

chienne qui prend Pest. Le gouvernement hongrois s'enfuit à Debrecen (nord-est de la<br />

Hongrie) et, le 14 avril 1849, l'Assemblée nationale hongroise proclame la destitution des


Habsbourg et l'indépendance du pays. Lors du premier printemps hongrois, l'armée hongroise<br />

passe à l'offensive, bat les Autrichiens, reprend Pest et Buda et libère la plus grande partie du<br />

territoire national. Les Habsbourg appellent la Russie à l'aide; les armées de Nicolas 1" envahis-<br />

sent le pays et, le 13 août 1849, obtiennent la capitulation hongroise à Vilagos. La défaite est<br />

suivie d'une répression sauvage que l'histoire a enregistrée sous le nom d'époque lugubre: les<br />

chefs de l'insurrection hongroise sont exécutés. Lajos Kossuth opte pour l'exil; il recherchera<br />

en vain, en France, auprès de Napoléon III, puis dans la péninsule italienne, une assistance<br />

pour libérer son pays du joug autrichien. Les revers autrichiens de Magenta et de Solférino<br />

(859), devant la France, puis de Sadowa (866), devant la Prusse, amenèrent l'Autriche à<br />

composer.<br />

Le compromis austro-hongrois de 1867 remit la Constitution de 1848 en vigueur et assura<br />

une certaine réconciliation: les aristocrates hongrois abandonnent le principe de l'indépendan-<br />

ce nationale au profit d'une double monarchie où Autriche et Hongrie n'avaient plus en com-<br />

mun que les Affaires étrangères et l'Armée. Le gouvernement de la Hongrie fut confié à un<br />

ministère dirigé par le comte Andrassy. Si la noblesse conservait de fait la direction des affaires,<br />

déjà la bourgeoisie l'éclipsait sur le plan économique. Le mécontentement populaire subsistait<br />

cependant car la revendication des paysans privés de terre n'avait pas été satisfaite. La naissan-<br />

ce, avec les débuts de l'industrialisation, d'un mouvement ouvrier entraîna la création d'une<br />

Association générale des ouvriers en 1868, puis du Parti social-démocrate de Hongrie, en<br />

1890, et aboutit à la Révolution du 31 octobre 1918 et à l'instauration de la République des<br />

Conseils sous l'autorité de Bela Kun. La Hongrie, amputée à l'est et au sud, recouvrait son<br />

indépendance après une guerre où ses soldats s'étaient sacrifiés pour une cause qui n'était pas<br />

la leur. Le régime communiste de Bela Kun ne dura que 133 jours; il fut renversé par l'amiral<br />

Horthy, ancien officier de l'armée austro-hongroise, qui prit la direction d'un Etat fascisant. Ne<br />

pouvant résoudre les problèmes sociaux nés du chômage et de la misère, le régent Horthy se<br />

rangea aux côtés de Mussolini et d'Hitler, espérant, par une politique de conquête, masquer les<br />

difficultés du régime. Entraînée dans la Seconde Guerre mondiale, la Hongrie resta jusqu'au<br />

bout l'alliée de l'Allemagne en raison de l'action des fascistes hongrois, les Croix fléchées.<br />

Budapest, après une défense acharnée des troupes allemandes, fut libérée par les armées sovié-<br />

tiques, le 4 avril 1945, après des mois de siège, d'assassinats politiques et de bombardements


éciproques de chaque côté du Danube. La capitale détruite à 90%, un pays exsangue qui per-<br />

dit un demi-million de morts en cinq ans, tel est en résumé le bilan de la guerre.<br />

L'histoire récente de la Hongrie est connue: en 1949 fut proclamée la République populaire<br />

de Hongrie. En novembre 1956, après une tentative de libéralisation du régime, menée par<br />

Imre Nagy, le soulèvement hongrois fut écrasé par les chars soviétiques. Les événements de ces<br />

dernières années, qui annoncent une nouvelle ère en Europe de l'est, ont amené la chute du<br />

régime communiste et la réhabilitation posthume d'Imre Nagy. Perdante dans les deux guerres<br />

par des alliances contre nature, la Hongrie a vu ses frontières réduites à peu de chose près au<br />

domaine magyarophone.


Le règne de Mathias Corvin<br />

& les châteaux de Hongrie<br />

Né en 1443 à Kolozsvar (en roumain: Cluj; en allemand: Klausenburg), capitale de<br />

la Transylvanie aujourd'hui roumaine, où sa maison natale est conservée, Matyas<br />

Hunyadi, qui deviendra roi sous le nom de Mathias Corvin, est le fils du condot-<br />

tiere hongrois Janos Hunyadi, un temps régent du royaume et dont il héritera de la popularité.<br />

Prototype de l'homme nouveau - de l'uomo nuovo - prôné par les humanistes de la Renaissance,<br />

Mathias Corvin jouira, dans l'Europe de son temps, d'un prestige équivalent à ceux des princes<br />

fastueux que furent, d'une part, François l'' ou Henri VIII ou, d'autre part, Soliman le<br />

Magnifique. C'est dire si l'évocation de ce personnage hors du commun se justifie autant que<br />

celle de sa célèbre Bibliotheca Corviniana et de son Missel, aujourd'hui dans les collections de<br />

la Bibliothèque royale Albert l'' à Bruxelles.<br />

A la mort de Janos Hunyadi (1456), Ladislas V le Posthume, craignant la popularité de cette<br />

famille de la petite noblesse transylvaine, fit emprisonner, selon le chroniqueur Thur6czi, les<br />

deux fils, làszlo et Matyas, dans une salle voûtée du château de Buda; il fit ensuite exécuter<br />

l'aîné sur la place même du château et emmena plus tard le second en otage à Vienne puis à<br />

Prague. Lorsque Ladislas mourut, dans la capitale de la Bohême, Matyas demeura quelques<br />

mois encore à Prague, à la cour de Georges Podébrady, dont il épousa la fille Catherine (celle-<br />

ci mourut à Buda, en 1464).<br />

En 1458, le jeune Matyas, qui n'avait que quinze ans, fut élu roi de Hongrie par les magnats<br />

poussés par la pression populaire. Soutenu par son oncle, le régent Mihaly Szilagyi et par son<br />

précepteur, le chancelier Janos Vitéz, futur archevêque d'Esztergom, ennemi juré des barons<br />

au nom d'une nécessaire et moderne centralisation de l'Etat, Mathias dit Corvin, d'où le cor-<br />

beau (corvus) qui figure dans ses armoiries, vient à bout, dès 1462, d'une rébellion de nobles<br />

pro-habsbourgeois. Il soumettra également les foyers de résistance hussite et s'acquerra ainsi


Folio 347: Le corbeau emblématique de<br />

Mathias Corvin.<br />

les bonnes grâces de l'Eglise tout autant que la reconnaissance des membres du clergé à qui il<br />

confie souvent de hautes responsabilités.<br />

Dans son souci permanent de créer un Etat moderne centralisé, il aura à lutter contre la réac-<br />

tion de l'aristocratie. Des révoltes, des complots, des conspirations le trouvèrent intransigeant.<br />

Ainsi lors d'une tentative de conspiration des barons, à laquelle s'était joint le régent son oncle,<br />

il le fit arrêter puis l'envoya combattre contre les Turcs où Mihaly Szilagyi mourut héroïque-<br />

ment. Il en fut de même du complot de certains de ses conseillers, parmi lesquels son maître<br />

Janos Vitéz, qu'il avait élevé à la dignité d'archevêque d'Esztergom et de primat de Hongrie et<br />

qui, avec son neveu, le lettré Janus Pannonius, reprochait à Mathias la réquisition des revenus<br />

ecclésiastiques et l'abandon de la guerre contre les Turcs. Dans le même esprit, Mathias élargit<br />

la représentativité de la Diète en y admettant des délégués des villes et en accordant à certaines<br />

villes dites libres une autonomie relative à l'égard des barons; mais, tendant à un absolutisme<br />

de fait, il ne réunit plus la Diète après 1470 Il s'efforça de détruire les liens féodaux de vassali-<br />

té qui liaient la petite noblesse hongroise aux grands barons; il interdit à ceux-ci le recrute-<br />

ment de milices privées, alors qu'il renforçait l'armée, au moyen de mercenaires étrangers qui<br />

constituèrent son Armée noire. Afin de financer ces compagnies de métier, Mathias Corvin<br />

s'efforça de réaliser une perception plus directe de l'impôt, mais économiquement le pays souf-<br />

frait de maux endémiques: classe servile exploitée au-delà de toute mesure par de grands pro-<br />

priétaires terriens qui constituaient un danger pour le pouvoir, crise de la paysannerie,<br />

insuffisance numérique d'une bourgeoisie argentée pour faire contrepoids au pouvoir des<br />

barons et créer des investissements économiques rentables. Certes, le règne de Mathias vit se<br />

développer l'industrie minière du cuivre, mais ces progrès ne permettaient pas des rentrées fis-<br />

cales suffisantes.<br />

Mathias Corvin entreprit donc une politique extérieure de conquête et d'annexion des pays<br />

limitrophes de la Hongrie. Tout d'abord, après l'excommunication du roi de Bohême, Georges<br />

Podiébrad, il réussit, en 1469, avec l'appui des catholiques de Moravie et de Silésie, à se faire<br />

élire roi de Bohême. Cependant, en 1471, une autre Diète tchèque lui préféra bientôt Ladislas<br />

Jagellon, fils du roi de Pologne, soutenu par Frédéric III de Habsbourg. La guerre contre les<br />

armées tchèques et polonaises ne se termina que sept ans plus tard par la paix d'Olomouc


(1478) selon laquelle Mathias gardait la Moravie et la Silésie, mais renonçait à la Bohême. En<br />

1477, il s'attaque à l'Autriche, favorable aux Jagellon. Son Armée noire, munie d'une artillerie<br />

moderne, lui permet de s'emparer d'une forteresse après l'autre et d'entreprendre sans succès,<br />

en 1477, le siège de Vienne. Une trêve papale intervient, mais Mathias persiste à vouloir fon-<br />

der un empire qui comporterait outre la Hongrie, au moins la Bohême et la Pologne et donc à<br />

s'opposer aux ambitions analogues de Frédéric III et de Casimir Jagellon. En 1485, il s'empare-<br />

ra de Vienne, puis, en 1486, de la Styrie et de toute la partie orientale de l'Autriche qui reste-<br />

ront sous domination hongroise jusqu'en 1490. Ses tentatives pour accéder au trône impérial<br />

échoueront cependant. Sans héritier légitime, Mathias Corvin tenta de négocier avec<br />

Maximilien de Habsbourg, époux de Marie de Bourgogne et fils de Frédéric III, la cession de<br />

l'Autriche occupée contre la reconnaissance de son fils naturel Janos Corvin et l'accession de<br />

celui-ci aux trônes de Hongrie et de Bohême. Le destin en décida autrement: Mathias Corvin<br />

mourut brusquement à Vienne en 1490.<br />

L'autre menace était turque. Poursuivant l'action qu'avait menée son père, Mathias Corvin<br />

reprit à l'empire ottoman la Bosnie (1463), la Moldavie (1467) et la Serbie (1482).<br />

Sur le plan intérieur, il avait dû affronter le système féodal et il apparaît donc comme le pre-<br />

mier roi moderne de la Hongrie, un souverain doté du sens de l'Etat, même s'il exerça un pou-<br />

voir quasi absolu. Une loi de 1486 évoque l'absolu ta potestas de Corvin; il s'estimait le garant<br />

du nécessaire équilibre entre les possédants et le peuple, selon une formule qu'il a signée<br />

Nous mettons une borne à la fortune de chacun afin que personne ne manque du nécessaire, ni ne pos-<br />

sède trop. Ses interventions pour protéger les petits tenanciers des biens de l'évêque Michel<br />

Bathory ou contre les exactions répétées des grands barons du royaume lui valurent le surnom<br />

de Mathias le Juste. Homme exceptionnel, il put et sut profiter de circonstances exception-<br />

nelles. Sa culture humaniste lui fournit des arguments en faveur d'une centralisation de l'Etat.<br />

La réforme de la juridiction, confiée sous l'autorité royale à des magistrats professionnels, et la<br />

hiérarchisation des tribunaux locaux soumis à un tribunal suprême présidé par le roi en sont<br />

un exemple. Sa politique délibérée de ne choisir ses collaborateurs directs ou les hauts fonc-<br />

tionnaires de la Chancellerie ou des finances que parmi des intellectuels d'origine bourgeoise,<br />

souvent des écclésiastiques sans descendance, voire parmi des étrangers, en est un autre.


Tête gothique d'un chevalier à capuchon,<br />

découverte lors des fouilles du château<br />

de Buda.<br />

Même s'il ne put éradiquer les abus fondamentaux de la grande noblesse, ni s'attaquer définiti-<br />

vement aux maux de la société hongroise, il sut au moins reconnaître les points faibles d'un<br />

pays en formation où le nationalisme était chez le peuple, où l'aristocratie n'était préoccupée<br />

que de la défense de ses privilèges. Mathias Corvin apparaît, dans l'histoire de son pays comme<br />

le roi paradoxal, humaniste et absolu, d'un Etat resté médiéval.<br />

Alors que ses prédécesseurs Béla IV (1235-1270), Charles-Robert (1307-1342), Louis le<br />

Grand (1342- 1382) et Sigismond (1387-1437) s'étaient efforcés surtout de doter le pays d'un<br />

réseau de forteresses destinées à contenir les menaces mongole ou turque, Mathias, en prince<br />

de la Renaissance, va doter certaines de ses résidences d'un luxe raffiné, en leur conservant<br />

cependant un caractère militaire. On doit à la vérité de dire que, sous son règne, le théâtre de<br />

la guerre, tant contre les Habsbourg ou les Jagellon que contre les Turcs, se situa hors des<br />

frontières de la Hongrie.<br />

C'est à Béla IV (1235-1270), après l'invasion mongole de 1241-1242, que l'on doit, à partir de<br />

1247, la construction d'une ville fortifiée sur une colline allongée de la rive droite du Danube.<br />

La citadelle est mentionnée pour la première fois dans les chroniques, en 1255, sous le nom de<br />

Castrum Budense. Sous le règne de Ladislas V, en 1303, un incendie détruit la ville qui sera<br />

rebâtie au temps de la dynastie angevine, de 1320 à 1366, et munie d'une enceinte extérieure.<br />

Le fils de Charles-Robert d'Anjou (1307-1342), Louis le Grand (1342-1382) y amena la Cour,<br />

installée jusque là à Visegràd, en 1347. On doit à cette dynastie napolitaine les premiers<br />

contacts politiques, économiques, culturels et artistiques avec l'Italie.<br />

A la fin du XIV' et au début du XV, siècle, Sigismond de Luxembourg (1387-1437), roi de<br />

Hongrie et empereur germanique, va procéder, de 1390 à 1420, à un renforcement du site, de<br />

ce site extraordinaire qui domine le fleuve, à un lieu d'antique passage. Il fait édifier les ailes<br />

sud et est, l'aile dite du Palais neuf (1411) et, notamment, la Salle des Chevaliers et la Chapelle<br />

de la Vierge vers 1420. Lors des fouilles préalables (1974) à la reconstruction du Château


oyal, détruit au cours de la Seconde Guerre mondiale, on retrouvera, merveilles d'importance<br />

exceptionnelle, des sculptures gothiques qui prouvent l'influence de maîtres français et alle-<br />

mands. Sigismond de Luxembourg avait en effet séjourné à Paris (416) et à Augsbourg<br />

(1418) d'où il avait envoyé des artistes en Hongrie.<br />

Mais c'est sous Mathias 0458-1490) que le château de Buda connaîtra son apogée. Certes,<br />

dès 1470, il contribua à renforcer le système de fortification, mais on lui doit surtout la trans-<br />

formation radicale de l'aspect et de la destination du château qui deviendra, sous son règne, le<br />

centre culturel et politique de la Hongrie. Les travaux débutèrent sous la direction de<br />

Chimenti Camiccia; ils se poursuivirent, après 1486, sous celle du sculpteur Giovanni<br />

Dalmata. Une nouvelle aile Renaissance fut construite; l'aile sud reçut la Salle du trône ornée,<br />

selon l'humaniste Bonfini, de décors à l'antique. Le marbre rouge de Sütt (près d'Esztergom),<br />

un calcaire sans veine, travaillé avec facilité, fut utilisé à profusion pour la décoration des che-<br />

minées, des corniches, des pilastres, sur le modèle serein de la première Renaissance florenti-<br />

ne. Les ornements des fenêtres du château de Mathias, faits de perles et de feuilles, étaient dus<br />

Buda, la barbacane du chateau-fort,<br />

dominée par le palais de l'impératrice<br />

Marie- Thérèse.


Visegràd, bas relief en marbre rouge,<br />

fragment d'une fontaine disparue<br />

(vers 1480).<br />

Armoiries, en pierre calcaire, du roi<br />

Mathias (2 e moitié du XV' siècle).<br />

à l'architecte-sculpteur florentin Benedetto da Majano, arrivé à Buda, selon Vasari, à la fin des<br />

années 1470. Un travail remarquable de reconstitution a été réalisé par les archéologues de<br />

1948 à 1963 à partir des 3.000 fragments de sculptures retrouvés dans les ruines et les déblais.<br />

Une porte, munie des armoiries de Béatrice d'Aragon et ornée de fruits et de pulti, a pu ainsi<br />

être reconstituée. Ses éléments permettent d'y déceler la copie d'une porte de Santa Maria<br />

Novella de Florence, construite en 1480. Ailleurs, dans le jardin, également reconstitué, de la<br />

reine, le puits de marbre aux armes d'Aragon et de Mathias donne une idée de ce que fut le<br />

luxe et le style de ce palais prestigieux.<br />

De nombreux artisans - ébénistes, marquetistes, céramistes - d'origine florentine, travaillè-<br />

rent à l'ornementation du château, alors que se créait un atelier local de céramistes, spécialistes<br />

de l'émail stanifère. De tout cela, on n'a retrouvé que vestiges, mais ils permettent d'imaginer<br />

les dallages en carreaux de faïence colorés aux emblèmes alternés du roi et de la reine et fabri-<br />

qués, vers 1480, dans les ateliers royaux. Quant aux statues de bronze des Hunyadi qui<br />

ornaient la Cour d'honneur, on n'en connaît malheureusement que les descriptions des<br />

contemporains: après l'occupation du château, elles furent transportées à lstanboul par<br />

Soliman Il le Magnifique et elles disparurent vraisemblablement au XVI' siècle, sans doute<br />

pour en fondre des canons. Les archéologues ont retrouvé les traces de la Cite ma regia et des<br />

canalisations pour lesquelles, en 1484, Mathias commanda cent quintaux de plomb et grâce<br />

auxquelles on faisait monter, par pompage, l'eau du Danube. Dès 1480, le roi avait aussi fait<br />

créer une glacière dans les caves du château; elle permettait de conserver les blocs de glace,<br />

collectés en hiver dans le Danube, jusqu'aux chaleurs de l'été.


Dans l'aile est, dite aile Corvina, non loin de la Chapelle, le Château de Buda abritait la<br />

Bibliotheca Corviniana et les ateliers de copistes et de miniaturistes que ce roi humaniste et<br />

collectionneur-mécène entretenait. Il en sera question dans le chapitre suivant.<br />

Mais l'importance de Mathias, en ce qui concerne le château, réside aussi dans le fait qu'en<br />

avance sur la plupart des pays d'Europe occidentale, il a fait ériger, dès avant 1479-80, des<br />

bâtiments dans le style de la Renaissance italienne; la Hongrie fut ainsi, grâce à lui, l'un des<br />

premiers pays à accueillir l'art nouveau.<br />

Bien des oeuvres ont disparu; d'autres ont émigré, on ne sait pas toujours par quels itiné-<br />

raires tortueux. Ainsi certains couverts de Mathias et Béatrice figurent aujourd'hui dans les col-<br />

lections du Victoria and Albert Museum de Londres et l'autel personnel du roi, sculpté dans<br />

l'ivoire, est conservé au Musée du Louvre à Paris. Mais tous les témoignages contemporains<br />

ont célébré la beauté, le luxe, la richesse de décoration du château du roi Mathias; les huma-<br />

nistes Antonio Bonfini ou Naldo Naldi, les ambassadeurs ou les voyageurs qui ont laissé des<br />

relations de leur passage à Buda, ont vanté les fresques des salles, les plafonds de bois à cais-<br />

sons dorés, les sculptures de bronze de la Cour d'honneur, l'harmonie des constructions. Sous<br />

Mathias, Buda était devenue l'une des plus prestigieuses cités d'Europe.<br />

Son successeur Vladislav II Jagellon (1490-1516), roi de Hongrie et de Bohême, poursuivra<br />

son oeuvre et l'on peut y voir la raison de la parenté artistique de Buda avec certaines façades<br />

Renaissance du château de Prague.<br />

AprèS la bataille de MoMcs (1526), les Turcs incendièrent la ville, mais le Château passa<br />

intact en leurs mains; ils ne l'occupèrent cependant qu'en 1541. Pendant cette occupation<br />

ottomane qui dura pendant 145 ans, le château et notamment la prison creusée dans le rocher<br />

sous la Tour tronquée (Csonka) furent le théatre du supplice de plusieurs milliers de prison-<br />

niers hongrois. L'époque turque marqua le déclin du Château dont une partie explosa avec le<br />

grenier à poudre qu'y avaient aménagé les Turcs. En 1686, les nations d'Europe furent som-<br />

mées par le Pape Innocent Xl (1676-1689) de libérer Buda. Le siège dura plus de deux mois,<br />

de juillet au début de septembre; la citadelle fut bombardée, incendiée, dévastée; elle ne fut<br />

Brique en faïence polychrome, vernissée,<br />

constituant un élément de poêle,<br />

représentant Mathias Corvin, trouvée au<br />

château de Buda (2' moitié du xV"<br />

siècle) .


Elément de frise en marbre rouge, ornée<br />

de dauphins et provenant du château<br />

de Buda (vers 1480-1485).<br />

plus que ruines. Sous les règnes de l'empereur d'Allemagne Charles VI (1711-1740), roi de<br />

Hongrie sous le nom de Charles Ill, et de sa fille, l'impératrice Marie-Thérèse (1740-1780), fut<br />

entreprise la construction du château moderne dont l'édification fit disparaître les vestiges des<br />

châteaux antérieurs. En 1848, l'imposant bâtiment fut le théatre des combats révolutionnaires<br />

de la guerre d'indépendance. Restauré, il deviendra entre les deux guerres mondiales la rési-<br />

dence du régent Horthy. La Deuxième Guerre sera de nouveau fatale au monument: en 1944-<br />

45, le duel d'artillerie entre l'armée allemande et les troupes de libération soviétiques ruinèrent<br />

le site, ce qui permit, de 1948 à 1963, une intense campagne de fouilles qui précédèrent la<br />

reconstruction. Aujourd'hui le Château royal abrite le Musée national, musée d'art et d'histoi-<br />

re, et la Bibliothèque nationale Széchényi.<br />

Bien moins connu en dehors de la Hongrie que le site de Buda, le château de Visegrad s'est<br />

édifié dans une position stratégiquement tout aussi importante, dominant la rive droite du


Danube, en un endroit où le fleuve qui jusque là avait coulé d'ouest en est, commence à couler<br />

du nord au sud. A l'origine, il s'y trouva sans doute une place forte romaine de Pannonie, un<br />

castrum romain, qui fut détruit à la fin du IV' ou au début du V, siècle.<br />

Au IX' siècle, les Slaves s'y installèrent et lui donnèrent le nom de Visegrad qui signifie haute<br />

forteresse. Au Xl' siècle, Visegrad devint un des centres administratifs et militaires mis en place<br />

par Etienne 1" dont la capitale, un peu plus à l'ouest, était alors Esztergom. A la suite des inva-<br />

sions mongoles de 1241-1242, Béla IV fit fortifier la ligne du Danube et construire la forteresse<br />

inférieure pour contrôler l'impressionnante courbe du fleuve. Vers 1320, Charles-Robert<br />

Visegràd, Muraille du château et<br />

reconstitution de lafontaine gothique<br />

en marbre rouge du roi Mathias (1473).


d'Anjou fit remanier le château et y fixa le siège de la Cour, lui donnant une importance plus<br />

grande que Buda, promis pourtant à un plus brillant avenir. En 1335, sous le même règne, se<br />

tint à Visegràd un important congrès des monarques d'Europe centrale qui y discutèrent des<br />

questions politiques, territoriales et commerciales de la région, de la menace que faisait peser<br />

la maison de Habsbourg sur la Bohême et la Hongrie et des conflits frontaliers surgis entre la<br />

Pologne et l'Ordre teutonique.<br />

A la fin du XIVe siècle, des seigneurs révoltés contre leur souverain, Sigismond de<br />

Luxembourg, l'enfermèrent dans le château-fort de Visegràd, que quelques années plus tard<br />

Sigismond fit agrandir.<br />

Sous Mathias, Visegràd devint l'une des résidences préférées du roi qui y fit procéder à de<br />

nombreux agrandissements et remaniements intérieurs. AprèS 1464, la couronne de Hongrie,<br />

quelque temps disparue, y fut réinstallée. La citadelle supérieure fut munie d'une triple encein-<br />

te et agrandie à l'ouest par une nouvelle construction, dite aile Mathias, comportant la salle des<br />

Chevaliers. Le roi y fera construire un prestigieux palais qui sera ravagé par les Turcs en 1529<br />

et dont il ne subsiste que quelques vestiges. Dans une lettre au Vatican, le nonce de l'époque<br />

écrivait: le château de Visegràd est un paradis sur la terre. Le château, dont on disait qu'il com-<br />

portait 350 pièces, a disparu pendant des siècles sous les ruines et la végétation. Mais Visegràd<br />

eut son Schliemann, Jànos Schulek, qui à partir de 1934, entreprit des fouilles qui se poursui-<br />

vent Jusqu'à nos jours. Elles ont permis de retrouver les traces du château royal entre citadelle<br />

et fleuve, le déambulatoire, la cour autrefois ornée de statues, la terrasse et les vestiges des<br />

bancs de pierre, les traces de la chapelle palatiale Renaissance, celles d'un baldaquin de 1473<br />

aux armes de Mathias, la fontaine en marbre rouge, ornée jadis de lions, de muses et de cupi-<br />

dons, sculptée dans les années 1480, sans doute par Giovanni Dalmata, également connu par<br />

ses réalisations de Buda. Il est difficile de décrire le palais en ruines dominant le Danube et<br />

dont les plans, comme ceux de Buda, étaient dus à l'architecte italien de Mathias Corvin,<br />

Chimenti Camiccia. Plus qU'à Buda, resté résidence au long des siècles, il est malaisé d'imagi-<br />

ner sur les flancs boisés et verdoyants des rives escarpées du Danube, une résidence princière<br />

d'une telle ampleur.


La Renaissance en Hongrie<br />

et la bibliothèque corvinienne<br />

S . l'on<br />

au progrès culturel de la Hongrie et même de toute l'Europe centrale. Cette assertion,<br />

en croit l'Encyclopédie italienne, Béatrice d'Aragon (1457-1508), fille du roi<br />

de Naples Ferdinand 1 er (1458-1494), emmena avec elle artistes et lettrés italiens<br />

1lorsqu'elle devint, en 1476, l'épouse de Mathias Corvin. Elle aurait ainsi contribué<br />

largement répandue en Europe, fait fi d'un élément essentiel dans l'histoire de la Renaissance<br />

et de l'humanisme, à savoir que la Hongrie fut le premier pays au-delà des Alpes à s'intéresser<br />

au vaste mouvement intellectuel qui allait révolutionner l'histoire de la pensée et ce, dès avant<br />

la mariage napolitain de Mathias Corvin.<br />

Sous le règne de Sigismond de Luxembourg (1387-1437), on voit apparaître, dès 1417,<br />

comme chancelier, un humaniste florentin, Vergerio. Celui-ci exercera une grande influence<br />

sur ses collaborateurs et, parmi eux, sur J'lnos Vitéz. Verge rio avait été lui-même le disciple de<br />

Giovanni da Ravenna, considéré comme l'une des figures les plus intéressantes de l'humanisme<br />

italien. Ce dernier avait séjourné à Buda et avait entrepris sa formation intellectuelle dans cette<br />

ville où son père, Conversino da Ravenna, avait été appelé, de Naples, comme médecin per-<br />

sonnel de Louis le Grand (1342-1382). Ce roi hongrois de la dynastie napolitaine d'Anjou,<br />

avait été largement en contact avec l'Italie où il avait fait campagne. Elément important de la<br />

géographie culturelle, la Hongrie avait à cette époque un accès à la mer vers la côte dalmate et<br />

dès lors ses relations avec la péninsule s'en trouvaient facilitées.<br />

Le règne de Sigismond (1387-1437) fut d'autant plus prestigieux que, roi de Hongrie, il fut<br />

aussi empereur germanique. L'attrait pour l'Italie s'intensifia. Le souverain fit réaliser pour le<br />

château de Buda des portes d'airain et des statues de bronze dans le style de la Renaissance; il<br />

conçut la première bibliothèque que son malencontreux successeur, Albert de Habsbourg<br />

(1434-1439) transférera en Autriche. Mais, surtout, grâce à Sigismond de Luxembourg, des


artistes italiens, tels Manetto d'Ammanati (élève de Brunelleschi) et Masolino da Panicaie,<br />

furent à l'origine de ce que Csaba et Klara Csapodi appellent la proto-Renaissance hongroise.<br />

Ainsi, plus d'une siècle avant Corvin, les bases de l'influence artistique et humaniste italienne<br />

étaient posées.<br />

Arrivé en Hongrie en 1418, Vergerio y demeura jusqu'à sa mort vers 1444 et entretint des<br />

relations intellectuelles suivies avec Janos Vitéz. Celui-ci, d'origine dalmate, fut attaché à la<br />

chancellerie de Sigismond où il eut l'occasion de rencontrer les ambassadeurs des principautés<br />

italiennes. Janos Vitéz, chancelier sous le règne de Janos Hunyadi et durant le règne de<br />

Ladislas V (1445-1457) dit le Posthume, eut en mains la politique extérieure et ne rêva que de<br />

ressusciter la lutte contre les Turcs. Il entretint des relations personnelles suivies avec Aeneas<br />

Silvius, poète et humaniste, qui deviendra pape sous le nom de Pie Il. Evêque de Nagyvarad en<br />

Transylvanie (aUJourd'hUi Oradea, en Roumanie), Vitéz y hérita d'un climat intellectuel italia-<br />

nisant qu'avait suscité son prédécesseur Andrea Scolari; il y créa la première bibliothèque<br />

humaniste de Hongrie que visita Vergerio et organisa, dans ce qui était une véritable cour épis-<br />

copale, des débats littéraires et philosophiques. La bibliothèque de Vitéz était remarquable<br />

pour son temps il est probable qu'il acquit celle de Vergerio, mais il est certain qu'il reçut des<br />

livres, envoyés d'Italie par son neveu Janus Pannonius. Vespasiano da Bisticci, propriétaire du<br />

plus grand atelier de copistes et marchand de livres à Florence, disait de l'évêque qu'il existait<br />

peu de livres en langue latine qu'il ne possédât point.<br />

C'est à Janos Vitéz que fut confiée la direction de l'éducation du jeune Mathias et l'on ne doit<br />

point s'étonner dès lors que le futur souverain hongrois parlât le latin, et si bien qu'il servait<br />

d'interprète à son père Janos Hunyadi quand celui-ci recevait des ambassades étrangères.<br />

L'influence de Vitéz fut à ce point marquante que, sans nul doute, Mathias conçut la<br />

Bibliothèque corvinienne à l'exemple celle de son maître.<br />

Quant à Janus Pannonius (1434-1472), de son vrai nom Janos Csezmicei, neveu de Vitéz, il<br />

fut envoyé en Italie (1447-1458) pour y parfaire sa formation - en grec notamment -, d'abord à<br />

Ferrare, à l'Université de Padoue ensuite. Etranger au pays et s'y sentant, comme il l'a écrit, un<br />

peu balourd, il dut lutter pour affirmer sa personnalité. Sans doute parvint-il à s'imposer par


son intelligence, mais aussi par la vivacité de son humour. On lui doit des épigrammes<br />

piquantes qui s'inspirent manifestement de Martial, telles celle-ci traduite du latin par Paul<br />

Chaulot:<br />

Tu m'imputes, Sylvie, ta prochaine gésine,<br />

Cest m'accuser à tort, ô ma cruelle enfant.<br />

Crais-tu que si ton pied se blessait aux épines,<br />

Tu pourrais désigner celle de ton tourment?<br />

Revenu en Hongrie, compagnon du roi, il fut appelé à la Chancellerie royale et nommé<br />

évêque de Pécs (Hongrie méridionale). Mais son intérêt pour l'humanisme, sa nostalgie pro-<br />

fonde pour l'Italie, sa correspondance avec le philosophe Marsile Ficin, dont il partageait, ainsi<br />

que son oncle Vitéz, les idées néo-platoniciennes, ne l'empêchèrent ni de poursuivre l'enrichis-<br />

sement de la bibliothèque du roi dont il fut un grand pourvoyeur de manuscrits, ni de prati-<br />

quer la poésie. Pannonius fut le premier poète hongrois à atteindre une dimension universelle,<br />

composant des panégyriques, mais surtout des élégies où il traduit sa solitude, la douloureuse<br />

fierté du poète isolé parmi les barbares; il célèbre l'amitié, l'amour de la vie et des jouissances<br />

matérielles, glorifie la Hongrie et sa mission historique dans la lutte contre les Turcs; il exalte<br />

la beauté et la nature dans un regret permanent de l'Italie. Dans ses épigrammes, l'évêque per-<br />

siOe l'ascétisme et la religion formaliste tout autant que la superstition et la crédulité popu-<br />

laires. Ce prélat humaniste décocha des Oèches acérées à l'égard du pape Paul II (mort en<br />

1471), considéré comme un adversaire de l'esprit nouveau et célèbre par sa liberté de mœurs.<br />

Paul Chaulot a traduit deux épigrammes de Pannonius qui font allusion, avec verdeur, à la<br />

progéniture papale:<br />

Le Pape en a-t-il ou non? A Rome l'on se rassure<br />

Puisque sa fille répond de sa vidie nature.<br />

Es-tu saint? Dieu seul en juge. Es-tu père? j'en suis sûr.<br />

Car ta fille on la voit mieux, ô Pape, que ta tonsure.


Comme Vitéz, Pannonius, en divergence de vue avec Mathias Corvin, participa à une<br />

conspiration contre le roi. Celle-ci échoua et l'évêque de Pécs, mourut en fuite à Medvegrad en<br />

1472; il avait 38 ans. Comme Vitéz, il s'était constitué une importante bibliothèque, la premiè-<br />

re en Hongrie à posséder des ouvrages grecs. Comme son oncle Vitéz, il avait été conseiller du<br />

roi et, en 1465, il avait été envoyé en ambassade à Rome pour obtenir du pape, le même Paul<br />

Il, l'aide du Vatican contre les Turcs. Pannonius avait reçu la confirmation de Vitéz comme<br />

archevêque d'Eztergom, ainsi que l'autorisation de fonder une université à Bratislava<br />

(Presbourg), inaugurée en 1467. En Italie, il avait acquis des ouvrages en toutes sciences, grecs<br />

et latins, à destination de la Corvina, répondant ainsi au souhait du roi, soucieux de créer une<br />

bibliothèque aussi complète que possible, où l'on rassemblerait les productions essentielles du<br />

savoir humain.<br />

La bibliothèque de Mathias Corvin sera plus et mieux qu'une collection précieuse de manus-<br />

crits enluminés: le roi et ses conseillers la voudront gardienne des connaissances et susceptible<br />

d'encourager les progrès de l'humanisme en Europe centrale. Certes, cette bibliothèque ne se<br />

créa pas d'un coup de baguette magique, pas plus qu'elle n'inaugura l'esprit de la Renaissance<br />

en Hongrie. Entre autres, elle a été précédée par les bibliothèques privées des dignitaires de<br />

l'Eglise et de la chancellerie hongroises, mais aussi par des bibliothèques monastiques: celle de<br />

l'abbaye bénédictine de Pannonhalma en étant un exemple remarquable.<br />

La Bibliothèque corvinienne n'émane donc pas d'un décret royal; elle est le résultat d'une<br />

lente évolution et il semble impossible de fournir à son propos une date précise de création.<br />

Elle a hérité de manuscrits des prédécesseurs de Mathias Corvin sur le trône de Hongrie,<br />

d'ouvrages rassemblés par Janos Hunyadi, de livres qui furent envoyés d'Italie par les corres-<br />

pondants successifs de Mathias. Dès 1464, des œuvres littéraires lui furent dédiées, l'invitant à<br />

ne pas omettre de célébrer les Muses. En 1467, un chartreux d'origine hongroise, installé à<br />

Ferrare, Andreas Pannonius, compose à son intention un ouvrage sur les vertus des rois, mais<br />

c'est de 1471 que l'on possède le témoignage le plus ancien à propos de la bibliothèque. Cette<br />

année-là, le roi lui-même, dans une lettre à Pomponius Laetus, fournit des renseignements<br />

intéressants sur l'enrichissement et l'utilité de la bibliothèque royale. Il y indique qu'il lisait<br />

effectivement les ouvrages qui entraient dans ses collections, mais également qu'il fait acheter


des livres à Rome et qu'un de ses hommes de confiance, un enlumineur nommé Blandius,<br />

rentre d'une mission d'acquisition. Preuve du renom que le roi acquiert de l'autre côté des<br />

Alpes, des humanistes italiens vont jusqu'à lui proposer des livres.<br />

Mathias bénéficie de circonstances qui lui sont favorables: le rétablissement de l'autorité<br />

royale, la suspension de la guerre contre l'Empire ottoman, l'attribution, en 1469, de la cou-<br />

ronne de Bohême, vont provoquer une période d'efflorescence culturelle, mise à profit pour<br />

enrichir la bibliothèque, dont le premier bibliothécaire fut Marzio Galeotto, ami de Pannonius.<br />

Si l'on pouvait résumer en quelques paragraphes l'histoire du développement de la Corvina,<br />

on pourrait y déceler trois grandes périodes: la première couvrant les débuts du règne de<br />

Le monastère bénédictin de<br />

Pannonhalma, fondé au xr siècle<br />

et reconstruit dans le style classique.


Le premier livre imprimé en Hongrie,<br />

sous le règne du roi Mathias: la<br />

Chronica Hungarorum (Buda, 1473).


Mathias jusqu'à la conspiration (1472) de Vitéz et Pannonius; la seconde, plus courte, consti-<br />

tuant une pause jusqu'au mariage avec Béatrice d'Aragon (1476); la troisième, constituant l'âge<br />

d'or de la bibliothèque<br />

Un tiers des manuscrits considérés comme authentiques est, selon Csaba et Klàra Csapodi,<br />

de facture antérieure à 1470 et certains d'entre eux, ornés de rinceaux blancs, sont, selon ces<br />

spécialistes, d'origine florentine ou réalisés à la manière florentine.<br />

En 1472, J'échec de la conspiration entraîne sans doute la confiscation des bibliothèques de<br />

Vitéz et de Pannonius, mais aucune donnée historique ne vient corroborer cette hypothèse<br />

éanmoins, cette confiscation expliquerait la richesse de la bibliothèque de Mathias Corvin en<br />

manuscrits grecs ou en auteurs grecs souvent traduits en latin.<br />

La conspiration des deux conseillers a sans doute entraîné un refroidissement de Corvin à<br />

l'égard des humanistes. On en a sans doute un indice indirect dans le peu d'intérêt du roi pour<br />

l'imprimerie naissante. En 1472, à l'initiative du vice-chancelier Ladislas Kara, un érudit alle-<br />

mand, Andreas Hess, installe à Buda la première imprimerie. La Chronica Hungarorum de<br />

Thur6czy y sera publiée en 1473, mais il semble que jamais moment ne fut plus inopportuné-<br />

ment choisi: sans aide, sans subsides royaux, sans commandes de Mathias, l'initiative de Hess<br />

fut vouée à l'échec. La déception de Hess apparaît dans la dédicace: Lorsque Je suis arrivé en<br />

Hongrie, Je suis resté sans ouvrage pendant une période non négligeable, preuve sans nul doute qu'il<br />

n'est pas venu à l'appel de Mathias.<br />

En 1476, le roi de Hongrie épouse en secondes noces, la fille du roi de Naples, Béatrice<br />

d'Aragon, qui amènera dans ses bagages quelques beaux manuscrits napolitains. Ce mariage,<br />

qui marque un renforcement de l'influence italienne, provoque un regain d'intérêt chez<br />

Mathias; le roi fera réaliser à Florence de splendides enluminures à l'intention de la reine.<br />

Même si la cour de Ferdinand, fils naturel d'Alphonse V d'Aragon, apparaissait comme fas-<br />

tueuse et même si le roi de Naples était un prince éclairé de la Renaissance, introducteur de<br />

l'imprimerie dans son royaume en 1474, il est faux de prétendre à l'influence déterminante de<br />

la princesse italienne pour le progrès de la Renaissance en Hongrie et pour le développement<br />

Folio 249v: L'anneau de Mathias<br />

Corvin entourant les armoiries de<br />

Philippe 11 d'Espagne.


Folio 411 v: Médaillons du roi Mathias<br />

et de la reine Béatrice.<br />

de la bibliothèque corvinienne Le roi a suivi l'exemple de ses maîtres et conseillers. Fin lettré<br />

lui-même, il n'a pas rassemblé des manuscrits par goût du faste ou ostentation du pouvoir.<br />

Quelles que soient leur richesse et leur beauté, ces livres étaient recherchés pour leur contenu.<br />

L'influence de Béatrice, si elle rencontra les goûts du roi, ne fut en aucun cas le moteur pre-<br />

mier d'une création entreprise dès avant son arrivée à Buda. La reine d'ailleurs possédait sa<br />

bibliothèque personnelle dont les manuscrits sont revêtus des armes royales de Hongrie et<br />

d'Aragon, alors qu'il n'en est jamais de même pour les manuscrits authentiquement corviniens.<br />

Un bel exemple de cette distinction est l'existence de deux manuscrits d'Agathias, l'un ayant<br />

appartenu à Mathias et l'autre à Béatrice. En outre, il faut y insister, Naples n'est pas Florence<br />

et l'on ne constate point une influence croissante d'humanistes ou de lettrés napolitains, alors<br />

que les rapports culturels avec Florence se maintiendront et s'amplifieront au-delà de 1476:<br />

copistes et enlumineurs restent majoritairement florentins. Ajoutons que si l'influence de la<br />

reine eût été aussi déterminante que l'on a pu le prétendre, son goût pour la musique se serait<br />

imposé à la cour de Buda. Or c'est loin d'être le cas et son musicien attitré à la cour de aples,<br />

le Nivellois Jehan Tinctoris, qui lui dédia nombre d'ouvrages, n'est pas représenté dans les col-<br />

lections connues de Buda. Enfin, si, dans un premier temps, les intérêts du couple royal se<br />

rencontrèrent, des dissensions surgirent entre Mathias et Béatrice, moins de dix ans après leur<br />

mariage. Le roi, sans héritier légitime, tenta de faire reconnaître les droits à la succession et à la<br />

propriété de la bibliothèque, de son fils naturel Janos Corvin, alors qu'en 1490, à la mort de<br />

Mathias, Béatrice d'Aragon soutint la candidature au trône de Vladislas Il Jagellon.<br />

Trois hommes, trois Italiens, contribuèrent au développement des relations culturelles avec<br />

Florence et à l'enrichissement d'une bibliothèque qui apparut très vite comme l'une des plus<br />

importantes du temps et qu'enviaient même les grands princes de la Renaissance: Laurent de<br />

Médicis, à Florence, et Frédéric de Montefeltre, à Urbin, en étaient arrivés à considérer Mathias<br />

comme leur rival en matière de bibliophilie. Parmi les grands humanistes de la Renaissance, il<br />

faut compter Marsile Ficin, prêtre, helléniste et fondateur d'une académie néo-platonicienne à<br />

Florence. En 1477, il avait fait parvenir en Hongrie sa biographie de Platon, munie d'une pré-<br />

face à son ami Bandini, où il précise qu'il envoie son ouvrage, non à Athènes, mais au roi<br />

Mathias qui rétablirait en quelques années le temple de la puissante et docte Pallas. Taddeo<br />

Ugoleto, second bibliothécaire de Mathias, fut le précepteur de Janos Corvin à qui il enseigna


le grec. Envoyé à Florence, sans doute dans les années 1485-1486, il y aurait fait copier des<br />

manuscrits et aurait, selon ses dires, entrepris un long voyage vers la quasi-totalité des biblio-<br />

thèques européennes. Réorganisateur de la bibliothèque royale, c'est à lui que l'on doit la pose<br />

systématique des armoiries dans et sur les manuscrits. Sa politique d'acquisition et de traduc-<br />

tion d'œuvres helléniques servit sans doute de modèle aux Médicis.<br />

Taddeo Ugoleto avait chargé un autre humaniste florentin, Naldo aldi, de veiller au travail<br />

de copie, mais aussi de rédiger en vers le panégyrique de la Corvina grâce auquel nous possé-<br />

dons quelques renseignements d'époque et, notamment, certains détails quant à la profusion<br />

d'auteurs hellènes.<br />

La Bibliothèque corvinienne était installée dans l'aile orientale du château de Buda, à proxi-<br />

mité de la Chapelle royale, dans deux salles voûtées munies de rayons où les volumes étaient<br />

rangés à plat par matières traitées. Ces étagères étaient protégées de la lumière par des ten-<br />

tures, alors que d'autres manuscrits étaient simplement enfermés dans des coffres. D'après ce<br />

qui subsiste de la collection royale, on estime qu'un volume sur cinq était muni des armes de<br />

Mathias combinant, dans un écu écartelé, les emblèmes de la Hongrie (l et 4 de gueules à<br />

quatre fasces d'argent armé) et de Bohême (2 et 3 de gueules au lion d'argent armé), avec, en<br />

surtout, l'écusson d'azur au corbeau de sable, allusion au surnom du roi. Alors que les plus<br />

anciens manuscrits avaient leur reliure de cuir estampée d'éléments gothiques, les plus récents<br />

comportaient une reliure en cuir, armoriée et dorée. D'autres livres étaient reliés en soie ou en<br />

velours et leur tranche était alors dorée ou décorée de fleurs polychromes.<br />

Parmi les copistes, repérés par les chercheurs qui ont analysé les ouvrages subsistants de la<br />

bibliothèque corvinienne, on peut citer: Petrus Cennimius, qui avait travaillé pour Vitéz et à<br />

qui huit manuscrits des débuts de la Corvina sont attribués; ils se caractérisent par une écritu-<br />

re humanistique et un décor à rinceaux blancs. Bartholomaeus Fontius, au contraire, travailla<br />

dans les dernières années de la Corvina et on connaît quatre manuscrits de sa main. A Lucas<br />

Fabiani et à Franciscus ]unius on doit respectivement un manuscrit, le Lydus Priscianus et le<br />

Synesius Platonicus. Sebastianus Salvinus, membre de l'académie de Ficin à Florence, copia<br />

sans doute un manuscrit, alors que l'on reconnaît dans l'Hérodien, traduit du grec par Bonfini,<br />

Folio 411: Armoiries de Mathias Corvin<br />

découvertes sous celles de Philippe Il.


l'écriture cursive au style transitoire du comte palatin Johannes Franciscus. A Gundisalvus<br />

Hispanus, qui a pu travailler à Buda, on doit un Aristeas (conservé à Munich) et un Platon (à<br />

l'Escurial). D'autres, Henricus Amstelredammis, Johannes Franciscus de Sancto Geminiano, le<br />

chapelain Martinus Antonius ou Gregorius n'ont laissé pratiquement que leur nom, alors que<br />

Bonagius de Cantinis est connu comme copiste de l'Ambroise (à Paris), en 1489, et Alexander<br />

Verasanus comme celui du Martianus Capella (à Venise). Antonio Sinibaldi, l'un des rares<br />

apolitains, connu pour avoir l'une des plus belles écritures du temps, travailla pour le roi<br />

d'Aragon, pour les Médicis et pour Mathias. Outre le Jérome (à Paris) et l'Augustin (à<br />

Florence), il copia le Pétrarque-Dante, conservé à Paris, offert en cadeau de noces par Mathias<br />

à Béatrice. Clemens Salernitanus, autre apolitain, fut le copiste des deux Agathias, celui du<br />

roi comme celui de la reine et, par ce détail, confirme que les deux bibliothèques étaient sépa-<br />

rées. Notaire à Florence, Carolus Hilarius de Fatariis, fut le copiste d'un Appien où, en parfait<br />

tabellion, il inscrivit l'annonce de la mort du roi Mathias, alors qu'il était presque arrivé à la fin<br />

de son travail. Nicolaus Faventinus, Leonardus Job et Franciscus Collensis (ce dernier copiste<br />

d'un manuscrit conservé à Olomouc, en Moravie) sont peu représentés, alors que Johannes<br />

Marcus Cynicus, originaire de Parme, mais actif de 1470 à 1490 à la cour de Ferdinand<br />

d'Aragon à Naples, est le copiste d'un Cicéron et des Instructions, de Diomède Carafa, manus-<br />

crits réalisés tous deux à l'intention de Béatrice. Petrus de Middelburch, comme son nom<br />

l'indique d'origine néerlandaise, travailla également à la cour de Naples. Sigismundus de<br />

Sigismundis, copiste de grand renom, copia pour le roi Mathias, le Didyme (à New York) et le<br />

Jérôme (à Vienne), enluminés par les frères Di Giovanni; on lui doit peut-être aussi la Bible de<br />

Mathias, conservée à Florence. Petrus Burdegalensis indique, dans sa copie du Cassien, qu'il<br />

travailla aux frais de Mathias. Quant à Martinus Antonius, un prêtre à l'écriture encore<br />

gothique, il fut le copiste du Bréviaire enluminé par Attavante, en 1487, et sa main n'est pas<br />

sans rappeler celle du célèbre Missale romanum de Bruxelles, également enluminé par<br />

Attavante. On possède moins de détails à propos des copistes grecs, soit que les manuscrits<br />

aient été acquis avant le règne de Mathias, soit que les copistes grecs n'aient point eu le même<br />

souci de la postérité que les latins. Le Zonaras, au XIV' siècle, est dû à un certain Joasaf; le<br />

Diodore fut copié par Joannes Tettalos, à Florence, en 1442. Enfin, Demetrios Trivolis travailla<br />

au manuscrit Porphyre-Plotin.


Il n'est pas moins intéressant d'évoquer les artistes enlumineurs qui décorèrent les manus-<br />

crits de la Bibliothèque corvinienne et qui, comme les peintres et sculpteurs des châteaux de<br />

Buda et de Visegrad, furent à l'origine de la réputation de faste du roi Mathias. Parmi eux,<br />

Francesco Cherico, qui travailla pour les Médicis, est l'auteur des enluminures du manuscrit<br />

Pétrarque-Dante conservé à la Bibliothèque nationale de Paris et qui avait été commandé par<br />

Mathias pour cadeau de noces à Béatrice d'Aragon. Il est particulièrement intéressant pour les<br />

historiens hongrois car l'une de ses enluminures représente le château de Visegrad. On cite<br />

aussi Francesco Rosselli à qui certains spécialistes attribuent des œuvres que d'autres donnent<br />

à Cherico. On connaît mieux, en revanche, les enluminures des frères Gherardo et Monte Di<br />

Giovanni, qui jouèrent un rôle majeur dans le renom et l'expansion de la miniature florentine<br />

entre 1487 et 1490 Le plus doué fut Gherardo, d'une culture humaniste étendue, élève de<br />

Poliziano et influencé sans doute par Ghirlandajo, ami de Léonard de Vinci et à qui l'on doit,<br />

entre autres, le Grégoire (à Modène), les Jérôme (à Budapest et à Vienne), le Didyme (à New<br />

York) où Di Giovanni a montré son aptitude au portrait en représentant Mathias et Béatrice<br />

agenouillés. La Bible de Mathias, conservée à Florence, est sans doute l'une des plus belles<br />

œuvres de ces artistes.<br />

Quant à Anavante, il est le mieux représenté parmi les artistes ayant travaillé aux manuscrits<br />

corviniens. De ce grand enlumineur florentin, trente ouvrages ont subsisté et, même si l'on<br />

constate une certaine uniformité dans la présentation de la page ornée, il faut lui reconnaître<br />

une incontestable maîtrise tant dans l'exécution des motifs et des décors, que dans la réalisa-<br />

tion des médaillons et des portraits. Le premier ouvrage de lui qui soit entré dans les collec-<br />

tions du Château royal de Buda est justement le Missel conservé aujourd'hui à la Bibliothèque<br />

royale Albert 1" de Bruxelles et enluminé à Florence entre les années 1485 et 1487, c'est-à-dire<br />

à l'époque de l'apogée de la Corvina. On y trouve, comme dans d'autres de ses œuvres, les<br />

fonds dorés sur lesquels se détachent médaillons et putti et l'utilisation de bleus profonds -<br />

comme pour le Marsile Ficin, de Florence - sur lesquels se détache un titre ou un incipit en<br />

lettres d'or. Le Bréviaire, conservé au Vatican, et le Martianus Capella, conservé à Venise,<br />

sont de cet artiste qui, comme Cherico et Di Giovanni, a fait usage d'emblèmes pour évoquer<br />

les qualités du roi, énumérées par Bonfini. D'après Csaba et Klara Csapodi, l'anneau symbolise-<br />

rait la foi ou la fidélité (fides); le puits, la sagesse; le dragon, l'intelligence; le silex et l'amadou,


le courage et la bravoure; le tonneau, la générosité; le sablier, la tempérance ou la patience; la<br />

sphère céleste, la justice; la ruche, la mansuétude Cbenignitas).<br />

L'enluminure du Philostrate est peut-être due à Giovanni Boccardi appelé aussi Boccardino<br />

Vecchio, disciple d'Attavante dont on le distingue difficilement.<br />

Parmi les enluminures que l'on peut attribuer à l'école napolitaine et dont le niveau artis-<br />

tique est moindre que celui de l'école florentine, il faut citer le Curtius Rufus, le Tacite et le<br />

César, conservés tous trois à l'Université de Budapest, l'Agathias CàMunich) et l'Agathias Cà<br />

Budapest; dédié à Béatrice), l'Augustin CàBudapest) et lejérome CàVienne). Les miniatures de<br />

l'Arrien sont dues à Cristoforo Majoranna, alors que celles des Instructiones de Diomède<br />

Carafa, également dédiées à Béatrice, sont dues à un Parmesan travaillant à Naples. Le Petrus<br />

Ransanus, enfin, dénote une influence française indubitable. On peut en conclure que même si<br />

les manuscrits enluminés nous sont parvenus en nombre restreint, ils montrent néanmoins<br />

que l'influence de la reine fut moins intense en ce domaine que dans d'autres manifestations<br />

artistiques.<br />

Les autres régions d'Italie sont représentées par le maître lombard Ambrogio de Predis, à qui<br />

l'on attribue le Marlianus CàVolterra) où figure le plus réussi des portraits de Mathias, et par<br />

Birago, actif à Venise et à Milan, à qui l'on devrait le Baptista Mantuanus ainsi que le<br />

Pontifical, manuscrit aujourd'hui conservé au Vatican et qui avait été destiné à Johannes Vitéz<br />

junior.<br />

En conclusion, il apparaît que l'influence italienne, surtout florentine, a été dominante dans<br />

la constitution et la réalisation de la Bibliothèque corvinienne. Certains manuscrits furent réa-<br />

lisés dans l'atelier royal créé à Buda, mais les ouvrages qui en sont issus maintiennent la tradi-<br />

tion italianisante. Parmi les artistes les plus fréquemment cités comme ayant travaillé au<br />

Château royal, cinq noms sont généralement évoqués, mais l'unanimité des chercheurs n'a<br />

jamais pu se faire à leur sujet. Blandius, parfois identifié, mais à tort, avec l'un des peintres de<br />

blasons, est appelé miniator nos ter dans une lettre de Mathias Corvin, en 1471. Francesco de<br />

Castello Italico, quoique d'origine péninsulaire, a dû travailler à Buda où il aurait enluminé le


Folio 8v: Incipit du<br />

Missel de Mathias<br />

Corvin, conservé à<br />

la Bibliothèque<br />

royale Albert ln<br />

à Bruxelles


Bréviaire de Kâlmâncsehi, conservé à New York. La présence, à Buda, de Cattaneo, abbé de<br />

Madocsa, ne fait aucun doute: quatre ans après la mort de Mathias, il est encore noté, dans les<br />

livres de comptes de Vladislas (1490-1516), sous la dénomination miniator librorum regiorum.<br />

Felix Petancius Ragusinus trahit par son surnom son origine non italienne. Quant à Francesco<br />

Rosselli, né à Florence en 1448, il fut en contact avec Attavante et Cherico, avant de résider à<br />

Buda au moins entre 1480 et 1482. Graveur de dessins de Botticelli, il est aussi l'auteur de la<br />

première carte imprimée de la Hongrie. Aucun colophon n'indique qu'un manuscrit fut copié<br />

ou enluminé à Buda et les témoignages ne peuvent être qu'externes. Ainsi Petrus Ransanus,<br />

écrivain dont la Corvina possédait un manuscrit, précise, dans un discours de 1489, que<br />

Mathias faisait venir de toute l'Europe, non seulement des artisans et des artistes, mais aussi<br />

des transcriptores libromm. Plus intéressant, ce que rapporte Nicolas Olàh et que reprennent<br />

Csaba et Klàra Csapodi, dans leur importante étude de la Bibliothèque corvinienne: j'ai enten-<br />

du dire, par mes aïeux, que le roi Mathias, tant qu'il vécut, eut à son service quelque trente scripteurs;<br />

j'en ai personnellement connu pl,!sieurs qui lui avaient survécu. De leurs mains sont sortis presque<br />

tous les manuscrits rédigés en latin et en grec. Celui qui les di rigeait était W1 Dalmate, Felix<br />

Ragusim!s, que j'ai connu moi-même alors qu'il était devenu un vieil homme: il savait le grec et le<br />

latin, mais aussi le chaldéen et l'arabe; outre cela, étant également expert dans l'art de la peinture, il<br />

veillait soigneusement à ce qu'il ne se produisît aucune erreur dans la transcription des livres.<br />

Malheureusement, le chroniqueur ne précise point si ce travail s'effectuait réellement à Buda.<br />

L'exagération paraît en tout cas manifeste quand il écrit que presque tous les manuscrits latins<br />

et grecs sont sortis de leurs mains. Alors que la majorité des ouvrages conservés sont italiens<br />

d'origine, de style et de fabrication, l'atelier de Buda n'a pu Jouer qu'un rôle mineur et les<br />

manuscrits qui lui sont reconnus sont en général de moindre qualité, tels l'Averulinus, le<br />

Bède, le Cassien, un Evangéliaire et les enluminures de l'incunable d'Aristote On y décèle<br />

une influence lombardo-vénitienne qui se manifeste par la représentation de trophées, de têtes<br />

d'animaux (taureau, bélier, cheval), de dauphins et de tritons, de corbeilles de fleurs et de<br />

cornes d'abondance, rien de toute façon qui puisse justifier une appellation style de Buda. Seul<br />

un Graduel pose quelques problèmes aux chercheurs; il s'agit d'un rituel destiné à la Chapelle<br />

royale où l'on chantait les offices à la mode des Flandres, avec la participation de cl1anteurs fla-<br />

mands. Faut-il y voir une allusion à la présence en Hongrie de musiciens du Nord et, en parti-<br />

culier, du [ ivellois Jehan Tinctoris (vers 1435-1511) qui dédia plusieurs de ses œuvres ou de


ses ouvrages théoriques à Ferdinand d'Aragon, mais surtout à Béatrice, même après que celle-<br />

ci fut devenue, le 15 novembre 1476, reine de Hongrie? Dans le relevé qu'il fait de ses fonc-<br />

tions, Tinctoris s'intitule notamment Regis Siciliae, Jherusalem et Ungaliae Capel/anus et Charles<br />

Van den Borren, dans la Biographie nationale y voit une erreur, le roi Ferdinand n'ayant<br />

jamais été roi de Hongrie et Tinctoris ne pouvant donc prendre le titre de chapelain du roi de<br />

Sicile, de Jérusalem et de Honglie. Dans l'état actuel des connaissances, rien ne permet d'affirmer<br />

ou de nier qu'il ne fût aussi chapelain de Hongrie ... S'il en était ainsi ses nombreuses dédicaces<br />

à la reine se justifieraient, de même que son motet à trois voix Beatissama Beatrix. En outre,<br />

le traité De inventione et usu musicae est dédié à Johannes Stokem, à une époque où celui-ci<br />

était encore au service de la cour de Hongrie, soit avant 1487. Tinctoris avait fait précédem-<br />

ment la connaissance à Liège de ce musicien, Limbourgeois d'origine, mais tout comme lui-<br />

même (Nivelles dépendait de la Principauté), Liégeois de nation.<br />

Quoi quïl en soit, les manuscrits musicaux paraissent avoir été exceptionnels dans la<br />

Bibliothèque corvinienne, même si celle-ci fut celle d'un roi humaniste curieux de tout. Aussi<br />

complète que possible, elle représentait l'effort du roi de réunir la bibliothèque idéale de<br />

l'Antiquité classique et de la littérature chrétienne des premiers siècles. Elle s'enrichit de tra-<br />

ductions latines d'œuvres grecques - et parfois même italiennes - et de commentaires relatifs<br />

aux divers auteurs tant paiens que chrétiens. Elle atteignit son apogée à la mort du roi en<br />

1490, mais l'on ne possède aucune indication, aucun inventaire qui permettrait de se faire une<br />

idée de son importance numérique. Toute estimation ne peut se faire qu'à partir d'éléments<br />

disparates: la richesse de bibliothèques analogues en Hongrie ou à l'étranger, la dimension des<br />

locaux, le nombre de manuscrits hérités des prédécesseurs, le rythme d'accroissement par<br />

achats ou par commandes. On en arriverait ainsi, selon C. et K. Csapodi à un total de 2.000 à<br />

2500 manuscrits et de quelques rares imprimés pour la Corvina proprement dite (à la même<br />

époque, la Librairie de Bourgogne comptait environ 900 manuscrits). Il faut ajouter à cet<br />

ensemble quelque 50 ou 100 volumes de la collection de Béatrice, ainsi que la bibliothèque de<br />

la Chapelle royale, installée elle aussi dans le Château, soit 50 à 100 rituels ornés et sans doute<br />

600 à 800 volumes de théologie, de droit canon et de liturgie. De ce chiffre global raisonnable<br />

d'environ 3.000 volumes, on connaît, matériellement ou par témoignage, les titres de 650<br />

œuvres. Riche de reliures précieuses, riche par son contenu, la Corvina se posait en rivale des


collections des Médicis, des Sforza ou des Este, mais son intérêt réside moins dans la splen-<br />

deur des enluminures - généralement seuls les premiers feuillets sont enluminés - que dans la<br />

qualité de la calligraphie et le soin apporté à la transcription des textes classiques. D'une gran-<br />

de sobriété intérieure - le Missel de Bruxelles est une exception -, les manuscrits corviniens<br />

transcrivent un souci intellectuel et humaniste plutôt que des préoccupations esthétiques et<br />

artistiques. Aucune autre bibliothèque du nord des Alpes ne pouvait rivaliser avec la biblio-<br />

thèque du roi Mathias qui aurait pu se targuer, mis à part le Vatican, de la collection la plus<br />

complète d'auteurs grecs, en original ou en traduction, le souverain ayant fait procéder à de<br />

nombreux rachats de manuscrits après la chute de Constantinople en 1453. Dans certains cas,<br />

le manuscrit corvinien représente la seule copie connue d'une oeuvre; dans d'autres, seule la<br />

traduction latine d'un original grec a survécu; c'est le cas, par exemple, de l'Histoire de<br />

l'Eglise, par Nicéphone Calliste. Des copies ont été corrigées par Vitéz ou collationnées par<br />

Naldo Naldi. On s'aperçoit aussi que des livres, que nous qualifierons d'ouvrages de référence,<br />

ont été suscités par l'intérêt de Béatrice ou de Mathias: l'Histoire de Hongrie, de Petrus<br />

Ransanus, évêque de Lucera et ambassadeur de Naples, est due à l'instigation de la reine; les<br />

Rerum Hungaricum, inachevées, de Bonfini, résultent d'une commande du roi, et les<br />

Epigrammes de Pannonius ont été recueillies à la demande de Mathias, après la conspiration et<br />

la mort de l'évêque-poète.<br />

Le roi s'intéressait de très près non seulement à l'enrichissement de la Corvina, mais aussi<br />

aux travaux de copie et d'enluminure qui se faisaient le plus souvent à Florence et dont<br />

Ugoleto le tenait informé. Le rôle du roi ne se limitait pas à cette collection de prestige. Certes<br />

la part du faste n'était point négligée et les enlumineurs se plaisaient, par exemple, à reprodui-<br />

re dans de nombreux manuscrits, les portraits en médaillon du roi et de la reine. Mais Mathias,<br />

qui après son entrée solennelle à Vienne le 1er juin 1485, était devenu le souverain le plus<br />

puissant d'Europe centrale, entre l'Empire germanique et l'Empire ottoman, ne négligeait pas<br />

la lecture, en latin, des historiens, des théologiens, des philosophes et des astronomes. Il s'inté-<br />

ressait - les témoignages concordent - aux discussions qui se tenaient dans sa bibliothèque,<br />

parmi un cercle d'humanistes, sous la férule de Bandini.<br />

Après la mort de Mathias Corvin, la bibliothèque se maintint dans les locaux proches de la<br />

Chapelle royale jusqu'en 1526, mais le déclin était proche, dû aux difficultés financières, à


l'absence de bibliothécaire, au vol et au pillage, à l'abandon et au manque de soin et, bientôt à<br />

l'occupation ottomane. Des manuscrits commandés à Florence, en cours de réalisation,<br />

impayés, ne parviendront jamais à Buda. Jànos Corvin, fils naturel du roi, emporta une partie<br />

des trésors. Malgré l'absence de bibliothécaire sous Vladislas II, successeur de Mathias, certains<br />

manuscrits furent achevés et l'on s'en rend compte à la modification des armoiries survenue au<br />

cours du travail. Le scriptorium de Buda disparaît, peu après 1492 sans doute, et les huma-<br />

nistes, enlumineurs et scribes regagnent l'Italie ou se mettent, plus rarement, au service de pré-<br />

lats ou de magnats hongrois. Dès l'instant où elle n'était plus active, la Corvina était morte.<br />

Sous Vladislas II et plus encore sous Louis II, le pillage s'amplifia, mais on doit à la vérité de<br />

dire que des ambassadeurs ou des lettrés étrangers sauvèrent, en les emportant, des manuscrits<br />

qui auraient été ou détruits ou enlevés quelques années plus tard par les Turcs. C'est le 29<br />

août 1526 que Soliman le Magnifique remporte sa victoire de Mohàcs où périra Louis II,<br />

l'époux malheureux de Marie de Hongrie. Soliman détruit Pest et Buda par le feu, mais il<br />

épargne le Château royal en tant que résidence. Des manuscrits sont détruits ou dispersés;<br />

d'autres seront emportés à lstambul où on les retrouvera en 1862. Nicolas Olàh rapporte, à<br />

l'automne 1527, que les Turcs, après avoir occupé Buda, le 8 septembre 1526, mirent les livres<br />

en pièces et en arrachèrent les ferrures d'argent. Quant à Martin Brenner, en 1541, peu avant<br />

la chute définitive de Buda, il évoque la bibliothèque dévastée par la barbarie asiatique.<br />

Pourtant, des avis ultérieurs indiquent qu'une partie de la bibliothèque avait été maintenue<br />

in situ. Des lettrés firent de vains efforts pour avoir accès aux collections subsistantes, mais ce<br />

n'est qu'en 1666 que Lambeck, bibliothécaire à la cour de Vienne, put constater l'entassement<br />

informe des manuscrits. Il écrivait: les livres traînaient en tas sur le sol, couverts de poussière et<br />

d'ordures au point que tu pourrais difficilement apercevoir un spectacle plus repoussant ou plus<br />

pitoyable<br />

La prise de Buda par les Chrétiens, en 1686, constituera le coup de grâce à ce qui restait de<br />

la bibliothèque, ensevelie sous les ruines, après le bombardement intensif dont le Château<br />

royal avait été l'objet. Trois cents ouvrages furent répertoriés et transférés à la Bibliothèque<br />

impériale de Vienne où, d'ailleurs, ils se trouvent toujours. Cependant il s'agit plutôt que de<br />

manuscrits de la Corvina, des ouvrages de la bibliothèque théologique et liturgique propre à la<br />

Folio Sv: Armoiries de Mathias Corvin<br />

insérées dans le fronton de l'incipit.


Chapelle. Le désastre était consommé: il ne restait que le souvenir d'une entreprise humaniste<br />

exceptionnelle. Certes, quelques manuscrits parmi les plus précieux ont survécu grâce à l'inté-<br />

rêt .. parfois intéressé ... de collectionneurs ou de savants étrangers, mais, fait plus grave pour<br />

la Hongrie, Buda cédait à Vienne et à Prague, sa place culturelle prépondérante en Europe cen-<br />

trale.<br />

MANUSCRITS SUBSISTA TS<br />

DE LA CORVINA<br />

A défaut de catalogue ancien de la Bibliothèque royale de Mathias Corvin, de la collection de<br />

livres de la reine Béatrice et de la bibliothèque d'ou\Tages religieux dépendant de la Chapelle<br />

du Château, on ne peut se faire une idée quelque peu précise de la Corvina qu'en examinant<br />

ce qui a subsisté de ce qui fut l'une des plus importantes bibliothèques humanistes. En ne<br />

s'intéressant qu'aux seuls manuscrits ayant indiscutablement fait partie de la Bibliothèque cor-<br />

vinienne, on dénombre des ouvrages dans 48 bibliothèques importantes, sises dans 44 villes<br />

en 14 pays différents.<br />

L'Antiquité grecque y est remarquablement représentée par des manuscrits le plus souvent<br />

traduits en latin. On y rencontrait les poètes Hésiode et Théocrite; les dramaturges Sophocle,<br />

Aristophane et Euripide; les philosophes classiques Platon, Aristote, Théophraste (Description<br />

des plantes) et plus tardifs Plotin (Ennéades) et Diogène Laêrce; les orateurs Eschine et<br />

Démosthène; un romancier des Ille-IVe s., Héliodore; un historien de Byzance, Agathias<br />

(VIe s.); mais surtout les historiens et biographes Xénophon, Denys d'Halicarnasse, Plutarque,<br />

Polybe, Hérodien et Philostrate, ainsi que les historiens grecs qui choisirent Rome pour secon-<br />

de patrie, Diodore de Sicile, Arrien (Vie d'Alexandre le Grand), Appien, Dion Cassius,<br />

Ammien Marcellin. Platon, remis à l'honneur, en même temps que Plotin, par Marsile Ficin, y<br />

était particulièrement à l'honneur.<br />

Pour ce qui est de l'Antiquité romaine, la Corvina possédait des manuscrits des comédies de<br />

Plaute et de Térence avec des annotations de Vitéz; des oeuvres oratoires de Cicéron et de


Quintilien. La partie la plus importante était constituée d'études sur la Rome antique, de<br />

mémoires, de vies d'empereurs, de panégyriques signés par César, Cornelius epos, Tacite,<br />

Tite Live, Suétone ou Pline le jeune, ainsi que d'œuvres philosophiques de Lucrèce et de<br />

Sénèque. Parmi les poètes, on trouvait Catulle, Virgile, Horace, Tibulle, Properce, Perse, Stace,<br />

Maniai (Epigrammes), Juvénal. Enfin, outre des commentaires sur Cicéron (corrigé par Vitéz)<br />

et sur Horace, la Bibliothèque royale conservait des œuvres des grammairiens latins Aulu Gelle<br />

et Macrobe.<br />

Parmi les livres à caractère philosophique ou théologique, où les orthodoxes côtoient les<br />

hétérodoxes chrétiens, les spécialistes ont repéré les œuvres gnostiques du pseudo Clément, la<br />

réfutation de Marcion par Tertullien, les écrits d'Origène, la Chronique d'Eusèbe de Césarée,<br />

des polémiques dirigées contre le manichéisme, le pélagisme ou l'arianisme, des œuvres de<br />

Lactance, d'Athanase d'Alexandrie, de Basile le Grand, d'Ambroise de Milan, de jérôme, de<br />

Jean Chrysostome, d'Augustin d'Hippone (La Cité divine), de Cyrille d'Alexandrie, de Salvien<br />

de Marseille, de Sidoine Apollinaire, du pseudo Denys l'Aréopagite, de Grégoire le Grand,<br />

d'Isodore de Sé\'ille, de jean Climaque, d'Anselme de Canterbury, de Bernard de Clervaux, de<br />

Pierre Lombard, d'Alain de Lille, de Gratien, de Thomas d'Aquin et de quelques mineurs<br />

comme Cassien, Didyme, Pamphile ou jean-Baptiste de Matoue. En outre provenaient peut-<br />

être en partie de la Chapelle des Bibles, Evangiles, Bréviaire, Graduel, Sermons, Manuel pour<br />

confesseurs et un livre d'Heures, enrichi d'enluminures napolitaines.<br />

Tourné vers l'Antiquité, tenté par l'encyclopédisme de la connaissance, séduit par l'humanis-<br />

me italien, Mathias avait acquis les ouvrages géographiques de Strabon et de Ptolémée ainsi<br />

que les Tables astronomiques de Ragiomontanis qui avait été l'astronome de Vitéz avant de<br />

passer au service du roi. Les œuvres à caractère encyclopédique de Bède le Vénérable (VIII'<br />

siècle) ouvraient la voie aux ouvrages de l'humaniste crétois Georges de Trébizonde (XV'<br />

siècle), représenté entre autres par une grammaire latine. On trouvait aussi une Pédagogie de<br />

Guarino de Vérone; des manuels d'architecture de Filareti et de Leon-Battista Alberti; une<br />

encyclopédie médicale et le De arte medica du médecin romain Celse (1" s.), à ne pas<br />

confondre avec le polémiste Celse du II' siècle; des tràités d'art militaire de Frontin et de<br />

Valturius, mais aussi et surtout des œuvres de Dante, de Pétrarque, de Boccace, de Bessarion et


Gravure sur bois, extraite de la<br />

chronique Schedel (fin du xv siècle),<br />

représentant une vue de Buda.<br />

de la célébrité du temps, Marsile Ficin. De l'Arabe Averroès, Mathias possédait un commentai-<br />

re d'Aristote.<br />

Ajoutons que des auteurs, tels les humanistes Carbo, Andreas Pannonius ou Cortesius,<br />

avaient célébré, dans des panégyriques conservés, les mérites du roi-humaniste, et que nous<br />

devons à Naldo Naldi une description en vers, très précieuse pour nous, de la bibliothèque de<br />

Mathias Corvin.<br />

De la bibliothèque personnelle de Béatrice d'Aragon ne sont parvenus avec certitude que<br />

trois ouvrages: un Traité de la décence conjugale, par Bonfini, dédié à Béatrice, de même que<br />

des Conseils de maintien, du poète napolitain Carafa. Un livre de Cantiques, réalisé à la cour<br />

de Bourgogne, vers 1470, fut également offert et dédié à la reine.<br />

Enfin, parmi les incunables de Mathias, on ne connaît qu'un ouvrage imprimé à Nuremberg<br />

par Koberger, et des œuvres d'Aristote, imprimées sur parchemin, à Venise, en 1483-1484.<br />

Ce rapide inventaire des vestiges d'une collection exceptionnelle, pour éloquent qu'il soit, ne<br />

peut faire oublier que près des quatre cinquièmes des livres de la Bibliothèque corvinienne<br />

sont disparus ou n'ont pas laissé de traces tangibles de leur ancienne appartenance.


Le Missale Romanum<br />

de Mathias Corvin<br />

dû au miniaturiste florentin<br />

Attavante (1485-1487)<br />

Par sa décoration enluminée, mais surtout par les armoiries et les portraits qu'il com-<br />

porte du roi Mathias et de la reine Béatrice, le Missel de Bruxelles est un authentique<br />

manuscrit corvinien. Fait exceptionnel pour l'époque, l'enluminure du célèbre ouvra-<br />

ge conservé à la Bibliothèque royale de Belgique est signée d'un grand nom de la miniature 110-<br />

rentine, Attavante. Ici, et dans certaines illustrations en pleine page principalement, le copiste<br />

a cédé le pas à l'artiste et l'on peut dire que ce Missel, commandé par Mathias Corvin vers<br />

1485 et réalisé entre 1485 et 1487 est un remarquable chef-d'œuvre de la Bibliotheca corvi-<br />

niana et de l'enluminure en général.<br />

Il ne faut cependant pas s'imaginer que ce l1euron des collections royales soit une exception,<br />

dans l'histoire de la Hongrie et à Buda en particulier. Depuis Etienne et jusqu'au XIII' siècle au<br />

moins, l'influence française, notamment cistercienne, s'était imposée aux monastères hongrois<br />

et l'on a vu que la culture française avait joué un rôle important au temps de Béla III. D'autre<br />

part, la première création d'une bibliothèque en Hongrie ne relève pas d'une décision royale,<br />

mais bien d'une abbaye bénédictine, celle de Pannonhalma qui, au Xl' siècle, gardait quelque<br />

quatre-vingt codex.<br />

Au XIV' siècle, la Hongrie commence à se tourner vers l'Italie; des étudiants hongrois fré-<br />

quentent l'Université de Bologne C'est l'époque de la dynastie d'Anjou et de la célèbre chro-<br />

nique enluminée appelée Kepes Kronika dont la Bibliothèque royale de Belgique, grâce à la<br />

Bibliothèque nationale Széchényi, possède un fac-similé. Certes, sous Sigismond de


Luxembourg, l'influence des motifs gothiques français et autrichiens persiste à se faire sentir<br />

sur les codex produits en Hongrie, mais les rapports avec la Péninsule se maintiennent. Le XV,<br />

siècle verra l'efflorescence de l'enluminure florentine qui bénéficie des commandes et du mécé-<br />

nat des Visconti et des Sforza à Milan, des Este à Ferrare, des Médicis à Florence, des Aragon à<br />

Naples et des papes à Rome. Florence est le centre incontesté de la production des miniatures<br />

et des enluminures, inspirées très souvent par les œuvres de l'Angelico. Un libraire, Vespasiano<br />

da Bisticci, dirige un véritable atelier de copistes et d'enlumineurs où le soin du texte ne le<br />

cède en rien au goût esthétique. Les maîtres en sont Cherico, disciple de Fra Angelico, les<br />

frères di Giovanni dont les motifs décoratifs seront parfois inspirés de la miniature flamande,<br />

et Attavante, ami de Léonard de Vinci, élève de Verrocchio et sans doute de Ghirlandajo. De<br />

celui-ci, la Bibliothèque de Mathias Corvin détiendra au moins trente codex dont le Missel de<br />

Bruxelles.<br />

Ainsi donc, si l'on peut dater l'apparition de la Renaissance à Florence au milieu du<br />

Trecento, soit vers 1350, et son extension à toute la Péninsule avant la fin du siècle, il ne fait<br />

nul doute que dès le début du XV' siècle, ce vaste mouvement esthétique et humaniste pénètre<br />

en Hongrie, à la faveur de circonstances favorables: l'origine napolitaine des Anjou, la pénétra-<br />

tion du commerce d'art, les échanges culturels que constituent l'envoi d'étudiants hongrois par<br />

delà les Alpes et le séjour d'artistes et d'humanistes italiens dans la vallée du Danube, mais<br />

aussi la désignation d'intellectuels italiens à des charges civiles et religieuses en Hongrie. De<br />

tout cela, on possède des indices: ainsi, Louis le Grand 0342-1382) correspondit avec<br />

Pétrarque et son règne suscita sans doute la première œuvre d'un humaniste hongrois, la bio-<br />

graphie du prince par Jànos Küküllei, notaire de la chancellerie royale; un poète et dramaturge<br />

vénitien, Lorenzo de Monacis, occupa un poste diplomatique à la cour de la reine Marie<br />

(1382-1395); un poète, Giovanni Seravalle, dédie son adaptation de Dante à Sigismond dont<br />

·la bibliothèque va s'enrichir tout autant des grandes œuvres de l'Antiquité que des écrits<br />

récents des humanistes.<br />

On a vu précédemment le rôle que joua Vergerio à la chancellerie de Sigismond, humaniste<br />

installé à Buda et qui y créa une bibliothèque riche en œuvres grecques et latines, préfigurant<br />

ainsi la Corvina. Vergerio 0370-1444) dédia à l'empereur l'histoire d'Alexandre le Grand,


d'Arrien, qu'il avait traduite en vers latins. Jànos Hunyadi, mort en 1456, entretint des rela-<br />

tions épistolaires avec Poggio Bracciolini qui lui légua certaines de ses oeuvres. Jànos Vitéz fit<br />

travailler l'atelier florentin de Vespasiano da Bisticci et l'on sait, grâce à quelques manuscrits<br />

conservés, que ce grand humaniste hongrois corrigeait de sa propre main les codex de sa<br />

bibliothèque. Il fut en correspondance avec Tommaso Parentuccelli (le futur pape Nicolas V),<br />

avec Enea Silvio Piccolo mini (le futur Pie II), avec l'humaniste Guarino da Verona, anima une<br />

académie d'humanistes à Vàrad puis à Esztergom, enseigna le latin au jeune Mathias et envoya<br />

certains de ses disciples, dont son neveu Pannonius, en Italie. Ce dernier contribua, sous le<br />

règne de Mathias, à renforcer l'influence italienne. Après un long séjour à Ferrare, lors d'une<br />

mission à Rome, Pannonius fit la connaissance de Ficin dont il répandit les idées en Hongrie.<br />

Enfin, le mariage du roi Mathias avec une princesse napolitaine encouragea les érudits italiens<br />

à fréquenter la cour à Buda ou à Visegràd. Ce fut la cas du frère d'Amerigo Vespucci, du poète<br />

Benincasa, du diplomate Pietro Ransano, du célèbre humaniste Bonfini à qui Mathias confiera<br />

la rédaction d'une monumentale Histoire de Hongrie. Sans crainte d'exagération, on peut affir-<br />

mer que dès un siècle avant Mathias, l'influence de l'Italie s'accrut en des proportions remar-<br />

quables, pour trouver son couronnement sous le règne exceptionnel d'un roi humaniste. Elle<br />

fut bien plus qu'une mode transitoire, une entreprise culturelle d'envergure, poursuivie par<br />

Mathias et entraînant à sa suite le mécénat des grands seigneurs et des hauts dignitaires. Ceux-<br />

ci, à l'exemple du souverain, s'imprégnèrent de l'esprit nouveau, se créèrent des bibliothèques<br />

et collectionnèrent des antiques, des médailles, des monnaies, des camées ..<br />

Mathias, en se constituant une bibliothèque classique, prit soin d'en assurer le constant<br />

approvisionnement. A sa mort, plus de cent cinquante codex étaient en voie d'achèvement ou<br />

restaient impayés à Florence; certains furent acquis par son successeur Ladislas II Jagellon;<br />

d'autres restèrent en Italie et seront achetés par des princes, tels les Médicis, ou par des papes.<br />

Le Missel de Bruxelles n'entra dans la Bibliothèque corvinienne que quelques années à peine<br />

avant la mort de Mathias, en 1490. Comme l'indiquent deux inscriptions, il fut enluminé à<br />

Florence entre 1485 et 1487, par Attavante:<br />

ACTAVANTES DE ACTAVANTIBUS DE FLORENTIA HOC OPUS ILLUMINAVIT AD.<br />

MCCCCLXXXV


Attavante di Gabriello di Vante di Francesco di Bartolo Cartalajo était le fils cadet de<br />

Gabriello di Vante et de Madonna Bartolo; il naquit, à Castelfiorentino (Toscane), en 1452, et<br />

était issu de la famille florentine des Attavanti qui, selon V. Vincze, avait le privilège de chapel-<br />

le et de sépulture dans l'église Santa Maria Novella de Florence. Attavante étudia la peinture et<br />

l'enluminure dans l'atelier de Cartalajo et, lorsqu'il dirigea sa propre équipe de collaborateurs,<br />

il s'installa dans une maison de la via Fiesolona à Florence. Il mourut en 1517.<br />

Cet enlumineur connut relativement tôt un succès extraordinaire, travaillant pour les plus<br />

grands mécènes florentins et italiens, mais aussi pour des princes, des souverains ou des digni-<br />

taires de l'Eglise, qui, de l'étranger, fournissaient commande à cet artiste parmi les plus recher-<br />

chés de son temps. Attavante travailla ainsi pour Frédéric d'Urbin, dont la Bible est<br />

aujourd'hui conservée au Vatican, pour Thomas James, évêque de Dol-de-Bretagne, dont le<br />

Missel fait aujourd'hui partie du trésor de la cathédrale de Lyon, pour le roi Jean Il de<br />

Portugal, dont la Bible est aux Archives nationales de Lisbonne. De 1483 à la mort de Mathias<br />

Corvin (1490), Attavante fut sans conteste le premier fournisseur de la Cour de Hongrie. Trois,<br />

seulement, de ses œuvres subsistent aujourd'hui dans le pays pour lequel elles avaient été réa-<br />

lisées; on en connaît une trentaine d'autres dont le détail a été fourni dans le chapitre précé-<br />

dent.<br />

Quant au Missel de Bruxelles, il connut une histoire quelque peu mouvementée. Après la<br />

bataille de Mohacs (1526), au cours de laquelle son mari Louis Il succomba, la reine Marie de<br />

Hongrie regagna les Pays-Bas, en emportant parmi d'autres trésors sans doute, le Missale<br />

Romanum. Devenue gouvernante des Pays-Bas par la volonté de son frère Charles Quint, elle<br />

dota les collections royales du célèbre codex, mais ce n'est sans doute que sous le règne de<br />

Philippe Il, soit après 1555, que les armoiries de Mathias Corvin seront recouvertes par celles<br />

des Habsbourg d'Espagne. Selon certaines sources, confirmées par plusieurs signatures de gou-<br />

verneurs sur un feuillet vierge du Missel, les gouverneurs successifs des Pays-Bas prêteront ser-<br />

ment sur l'ouvrage jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Sous le régime français, le Missel de<br />

Mathias Corvin fut emporté à Paris et, comme l'indique une estampille française, il fera partie


un temps des collections de la Bibliothèque nationale puis de la Bibliothèque impériale. Le<br />

Congrès de Vienne, en 1815, imposa son retour à Bruxelles en même temps que quelques<br />

autres chefs-d'œuvre emportés par la République. Fort heureusement pour la Bibliothèque<br />

royale Albert 1", aucun congrès n'a décrété son retour à Budapestl<br />

Portrait de Marie de Hongrie, jeune, dite<br />

ici Marie d'Autriche, reine de Honglle,<br />

sœur de l'empereur Charles Quint et<br />

gouvernante des Pays-Bas, par Pierre de<br />

Jade, gravé par Martin Vanden Enden<br />

(Bibliothèque royale, cabinet des<br />

Estampes).


ous empruntons la description de ce chef-d'œuvre à l'ouvrage de Frédéric Lyna, Les prin-<br />

cipaux manuscrits à peintures de la Bibliothèque royale de Belgique, tome III, édité par notre<br />

collègue Madame Christiane Pantens.<br />

Le Missel, catalogué Ms 9008, comporte 431 feuillets de parchemin, dont le dernier est<br />

folioté 430 (il Y a en effet 2 feuillets foliotés 296), auxquels il faut ajouter 3 feuillets de garde<br />

en tête et 2 à la fin. Le format est de 40 sur 28 cm et la justification du texte de 23 sur 16,<br />

généralement en 25 lignes de deux colonnes à l'exception du calendrier.<br />

L'écriture est une gothique ronde italienne d'assez grand format, provenant d'un seul atelier,<br />

mais vraisemblablement de plusieurs mains. Quelques corrections ont été opérées dans le<br />

texte.<br />

Matériellement, l'ouvrage est composé successivement d'un ternion (soit 6 feuillets), de deux<br />

feuillets additionnels (f.7 et 8), de 16 quinions (soit 5 x 2 x 16 = 160 feuillets), d'un ternion (6<br />

feuillets), de 3 quinions 00 feuillets), d'un feuillet additionnel ([205), de 15 quinions (150<br />

feuillets), d'un double feuillet (f.355-356), de 7 quinions (70 feuillets) et de deux doubles<br />

feuillets à la fin, avec les réclames encadrées par la décoration marginale, soit 431 feuillets.<br />

Quelques rares signatures ont échappé au couteau du relieur, de a à g à partir du feuillet 357.<br />

La reliure ancienne, qui sera conservée à part après restauration, comportait au dos la men-<br />

tion Missel du prince souverain des Pays-Bas. La dorure des tranches était gaufrée en losanges<br />

au centre desquels figurait une fleur.


Ce Missel romain se présente de la manière suivante:<br />

- feuillets 1-6v: calendrier;<br />

- feuillets 7v-8 (additionnels): prestations de serments;<br />

- feuillets 8v-285: propre du temps depuis le premier dimanche de l'Avent<br />

(premier des 4 dimanches avant oël) jusqu'au 25e<br />

dimanche après la Pentecôte; les préfaces propres et le<br />

canon étant intercalés aux feuillets 194 à 212;<br />

- feuillet 286-356v: propre des saints depuis la fête de saint Saturnin (29<br />

novembre) jusqu'à celle de sainte Catherine d'Alexandrie<br />

(25 novembre), aujourd'hui disparue du calendrier romain;<br />

- feuillet 357-4 30v: commun des saints, dédicace, messes votives et bénédic-<br />

tions diverses.<br />

Aux feuillets additionnels 7-8 figurent les prestations de serment et les mentions chrono-<br />

graphiques:<br />

roMano CaesarI, hIspanlae regI, OVCI patrlqVe brabantIae<br />

CaroLo seXto beLgarVM praesIDlo<br />

strenVo ChrIstIanIsMI VlnDICI<br />

VnOeCIMa oCtobrIs VoVent<br />

Summà potestate<br />

excellentissimus<br />

atque illustrissimus dominus<br />

OS RI: Marchio de Prié etc.<br />

ejusdem sacrae Caesarae Regiaeque Majestatis<br />

generalem gubernationam ministrans<br />

juramentum solemniter prestitit. P.G.E. Franquen<br />

(1717)<br />

(1717)<br />

(l717)<br />

(l717)


ce qui signifie:<br />

Font vœu (vove nt) le onze octobre à l'Empereur romain, au roi d'Espagne, au duc et père du<br />

Brabant, à Charles VI protecteur des Belges, garant zélé du christianisme.<br />

Revêtu de la puissance suprême, le très éminent et très illustre seigneur, marquis de Prié, chargé<br />

du gouvernement général de Sa Sainte Majesté impériale et royale a prêté solennellement le ser-<br />

ment. P.G.E. Franquen.<br />

Ce dernier personnage, gardien du manuscrit, fut de 1706 à 1742, conservateur de la<br />

Bibliothèque de Bourgogne.<br />

Se succèdent alors les mentions des prestations de serments de plusieurs gouverneurs des<br />

anciens Pays-Bas du Sud et ce sans souci de la chronologie:<br />

soit<br />

Super his evangeliis serenissimus Princeps Carolus Lotharingiae, supremus Belgii Gubernator,<br />

summa potestate munitus suae sacrae Majestatis Mariae Theresiae Hungariae et Bohemiae regi-<br />

nae iuramentum solemniter praestitit Bruxellis die inaugurationis 20 aprilis 1744. Le Baron de<br />

Lados.<br />

Sur ces évangiles, le sérénissime Prince Charles de Lorraine, gouverneur suprême des Pays-Bas,<br />

pourvu de l'autorité suprême de sa Sainte Majesté Marie- Thérèse, reine de Hongrie et de<br />

Bohême, a prêté solennellement le serment à Bruxelles, le jour de [son} inauguration, le 20 avril<br />

1744.<br />

Le Baron de Lados avait été Conservateur de la Bibliothèque de Bourgogne, de 1742 à 1754.<br />

Ensuite:<br />

Super his evangeliis seu Missali Albertus et Isabelle Belgarum principes suum iuramentum solem-<br />

niter fecerunt, 1599. A. Miraeus<br />

Ce Miraeus, de son vrai nom Aubert Le Mire, bibliothécaire des Archiducs, est connu par<br />

des travaux relatifs à l'histoire des maisons religieuses ainsi que par des compilations relatives à<br />

l'histoire des Pays-Bas


Plus loin:<br />

Super his evangeliis seu missali Marchio de Bedmar, PreJectus Belgii summa potestate Philippii<br />

(sic) quinte (sic) suum iuramentum solemniter Jecit. Bruxellis 21 Jebruarii 1702. M. de<br />

Brouchoven.<br />

M. de Brouchoven était, à la fin du régime espagnol, trésorier des finances à Bruxelles et, en<br />

ce sens, gardien des biens de la couronne.<br />

Enfin:<br />

Super his evangeliis, regius et serenessimus Albertus Casimirus Saxoniae princeps, Doux (sic7) a<br />

Tesschen, Mariae Christiniae (sic?) Austriae archiducissae nuptus, Belgii gubernatores, summa<br />

potestate munitus suae sacrae Caesareae Maiestatis ]osephi II Imperatoris, Hungariae,<br />

Bohemiae, Gallitziae et Lodomeriae Regis, etc. iuramentum solemniter praestitit Bruxellis die<br />

inaugurationis 17 iulii 1781. Le Baron de Bee/en Bertholff.<br />

Le Baron de Beelen Bertholff était secrétaire de Joseph II, mais aussi greffier du Conseil des<br />

domaines et finances.<br />

C'est donc sur ce Missel que prêtèrent serment les gouverneurs des Pays-Bas du Sud, ou du<br />

moins certains d'entre eux, aussi bien sous le régime espagnol que sous le régime autrichien à<br />

partir de 1713. Dans l'ordre chronologique, on trouve les archiducs Albert et Isabelle en 1599,<br />

le marquis de Bedmar en 1702, le marquis de Prié en 1717, Charles de Lorraine en 1744 et<br />

Albert de Saxe-Teschen et son épouse, l'archiduchesse Marie-Christine en 1781.<br />

Dans la marge inférieure, au verso du feuillet 411 - qui est un feuillet de remplacement<br />

contenant la messe pour le roi - figurent deux médailles à l'effigie de Béatrice d'Aragon (BEA-<br />

TRIX DE ARAGO REG HUNG) et de Mathias Corvin (MATTHIAS CORVINUS REX HUNG).<br />

Au feuillet 9v, additionnel lui aussi, nous retrouvons les mêmes personnages dans deux autres<br />

médaillons. Puisque ces deux feuillets sont l'un et l'autre des rajouts, on ne pourrait, dit<br />

Frédéric Lyna, rien affirmer d'autre que le Missel a été adapté après son exécution à l'intention


de son destinataire, le roi de Hongrie. Mais quelques armoiries peintes sur les feuillets primitifs<br />

confirment cependant que ce manuscrit a été réalisé pour Mathias Corvin. Toutefois, ajoute F.<br />

Lyna, certains des écussons, la plupart tenus ou supportés par des putti, ont été recouverts<br />

par d'autres écussons sur parchemin, aux armes de Philippe II d'Espagne, et collés sur ceux du<br />

roi de Hongrie; ce sont les f. 10v, 19v, 34, 212, 230v, 236, 237, 249v; seule la couronne roya-<br />

le de saint Etienne qui sommait les écus est restée visible. Seul un unique écusson complet a<br />

échappé au maquillage; il s'agit de celui du f. 8v, à moins, bien sûr, que les armes des<br />

Habsbourg d'Espagne ne s'en soient décollées. Dans la marge des feuillets 37v et 347, on a<br />

négligé de supprimer l'emblème du roi: un corbeau, choisi à cause du nom Corvin (Corvinus,<br />

nom propre, du latin corvus = corbeau), et tenant dans son bec un anneau; sans doute a-t-on<br />

cru que cet oiseau faisait partie de la décoration marginale, suggère F. Lyna.<br />

Le manuscrit comportait aussi dans les vignettes un grand nombre de marques de propriété<br />

peintes en des rondeaux d'or, probablement un symbole ou un emblème; toutes, sauf une<br />

seule au f. 156 comportant les armes de Hongrie, ont été surpeintes et ne montrent plus que le<br />

briquet de la Toison d'or (dont Mathias fit partie) avec ou sans les lettres TMTTQ-AP ou la<br />

croix de saint André, ou l'initiale P de Philippe II (f. 23, 23v, 24v, 25, 26, 27v, 28v, 30, 31,<br />

32, 32v, 34, 34v, 35, 35v, 37v, 43v, 55, 92, 105v, 146v, 157, 212, 222v, 224, 225, 227v,<br />

230v, 232v, 247, 248, 251v, 254, 256v, 266, 269v, 277, 278, 279v, 281v, 282v, 288v, 290,<br />

298v, 307, 313, 317v, 321, 328, 329v, 333v, 336, 338v, 339, 341, 345v, 348v, 350v, 351v,<br />

353,359v, 362v, 363v, 368,368v, 369v, 388, 395,397v, 411,411v).<br />

Nous avons signalé plus haut la mention de réalisation au f. 8v : ACTAVA TES DE ACTA-<br />

VANTIBUS DE FLORENTIA HOC OPUS ILLUMI AVIT AD. MCCCCLXXXV et au f. 206:<br />

ACTUM FLORENTIAE A.D. MCCCCLXXXVII. Nous en concluons que le manuscrit a bien été<br />

décoré à l'intention de Mathias Corvin, à Florence, de 1485 à 1487, peu d'années avant la<br />

mort du roi (1490), et sans doute pas une année ou deux plus tard encore comme l'insinue F.<br />

Lyna Celui-ci d'ailleurs n'en est pas à une imprécision près: il fait mourir Mathias 40 ans trop<br />

tôt et il fait de Louis II un petit-fils de Corvin! En réalité à la mort du roi Mathias, son fils<br />

bâtard Janos Corvin fut écarté du trône, à l'instigation notamment de Béatrice d'Aragon qui<br />

n'avait cependant pas eu d'enfant, et la Diète lui préféra Vladislas II, de la dynastie Jagellon,


père de Louis II et donc beau-père de Marie de Hongrie. Celle-ci, à la mort de son mari sur le<br />

champ de bataille de Mohâcs en 1526, revint aux Pays-Bas, emportant vraisemblablement le<br />

Missel de Mathias Corvin. Lyna ajoute qu'à la mort de la gouvernante, Philippe II ordonna de<br />

verser dans le fonds de la Bibliothèque de Bourgogne tous les manuscrits et, sans doute, le<br />

célèbre Missel, même si celui-ci ne figure pas dans l'Inventaire des manuscrits de cette prin-<br />

cesse, conservé aux Archives du département du Nord à Lille et édité par Gachard en 1845. Le<br />

fait que d'anciens responsables de la Bibliothèque de Bourgogne attestent des prestations de<br />

serment des gouverneurs prouve à suffisance que le Missel de Mathias Corvin en fit partie.<br />

A la Révolution française, le manuscrit fut transféré à la Bibliothèque nationale de Paris<br />

comme en témoigne une marque de propriété. A la chute de l'Empire, il fut rendu à la<br />

Bibliothèque de Bourgogne - qui avait repris ce nom sous le régime hollandais - par le Congrès<br />

de Vienne en 1815.<br />

Nous reprenons à l'ouvrage de Lyna les principales caractéristiques de la décoration du<br />

Missel.<br />

Toutes les petites capitales dans le texte, en encre rouge ou noire, sont relevées de filigranes<br />

très simples mais très délicats. D'innombrables lettrines, bouts de lignes, crochets alinéaires,<br />

d'or et de couleurs, sont généreusement rehaussés de filigranes d'une finesse exceptionnelle.<br />

Abondantes sont les décorations marginales entre les colonnes ou sur leur côté, sous forme de<br />

baguettes comprenant dans un cadre d'or bordé de noir, des acanthes stylisées et étirées, agré-<br />

mentées de fleurettes et de boules d'or et parfois de putti. A certaines pages, cette décoration<br />

en baguette déborde même dans la marge inférieure et supérieure. Ces marges varient en<br />

ampleur selon l'importance des fêtes liturgiques; elles contiennent même parfois des scènes qui<br />

illustrent le texte et qui seront décrites plus loin. Tout cet ensemble est, ajoute Lyna, à la<br />

manière qu'Attavante a lancée à Florence à la fin du XV' siècle et que l'on retrouve dans un<br />

grand nombre de manuscrits.


- Au feuillet 19v, un angelot fait se dresser un petit chien sur les pattes arrière; au f.20v,<br />

Marie, mère du Christ, tient un livre en mains (Vigile de la Nativité); au f. 21v, saint joseph<br />

s'inscrit pour le recensement (Nativité) et, dans la marge, figurent trois apôtres; au f. 23:<br />

Adoration des bergers; dans la marge, Annonce aux bergers et saint jean-Baptiste tenant un<br />

phylactère avec le texte: invisibile verbum palpabitur germinabit; au f. 24v: Nativité; dans la<br />

marge, un saint (Siméon?) et la prophétesse Anne; au f. 26: saint Etienne; dans la marge, scène<br />

de son martyre, deux saints et un singe; au f. 27v: apôtre saint jean et, dans la marge, même<br />

saint représenté comme évangéliste, avec l'aigle; au f. 28v: les Saints innocents et, dans la<br />

marge, leur massacre; au f. 30: saint Thomas de Cantorbery, évêque et martyr; dans la marge,<br />

sa décapitation et ce même personnage tenant la palme du martyre et un autre saint; au f. 31:<br />

Enfant jésus; au f. 32: saint Silvestre bénissant un dragon; dans la marge, un homme avec une<br />

coiffure rouge ornée d'un bijou, où l'on a cru voir janos Corvin, et deux saints; au f. 32v:<br />

jésus, enfant; dans la marge, la Circoncision et six têtes de saints; au f. 34: Adoration des<br />

Mages; dans la marge, quatre têtes de saints, deux singes et un chevreuil; au f. 35v, en marge:<br />

Christ en gloire; au f. 37v: tête du Christ; au f. 42v: tête de Christ couronnée d'épines; au f.<br />

78v: tête de saint; au f. 92: tête de Christ; au f. 123v: un martyre; au f. 155v: tête de saint; au f.<br />

156v: un martyre; au f. 157v: un martyre; au f. 212: Résurrection; au f. 230v: Ascension; au f.<br />

236: Pentecôte et, dans la marge, une colombe; au f. 247: Trinité; au f. 249v: corps de jésus<br />

enfant sortant d'un calice et, dans la marge, trois anges en adoration; au f. 254: saint; au f. 261:<br />

saint; au f. 282v: tête de Christ; au f. 287v: saint André; au f. 288v: saint Nicolas et saint<br />

joseph, avec sainte Marie pour la Conception de la Vierge [sic]; au f. 289v: sainte Lucie; au f.<br />

290: saint Thomas, apôtre; au f. 298v: Circoncision; au f. 301, en marge: saint Pierre, apôtre;<br />

au f. 302: saint Mathieu, apôtre; au f. 306v: sainte Marie, mère de jésus; en marge:<br />

Annonciation, divisée en deux rondeaux, et deux saints; au f. 307: saint Philippe et saint<br />

jacques, apôtres; au f. 308: sainte Hélène tenant la Croix; au f. 310v, en bas: Nérée, Achillée et<br />

Pancrace; au f. 313: saint Barnabé, apôtre; au f. 317v: Nativité de saint jean-Baptiste; au f. 321:<br />

saint Pierre et saint Paul; au f. 328: saint jacques, apôtre; au f. 329v: saint Pierre en prison; au<br />

f. 333v: saint Laurent; au f. 336: sainte Marie, mère du Christ, en gloire; au f. 338: saint<br />

Barthélemi; au f. 338v: saint Augustin; au f. 339: tête de saint jean-Baptiste sur un plateau; au<br />

f. 341: naissance de Marie, mère de jésus; au f. 342: Christ en croix; au f. 345v: saint Mathieu,<br />

apôtre et évangéliste; au f. 347: saint Michel; au f. 348v: saint François d'Assise; au f. 350v:


saint Luc, évangéliste; au f. 351v: saint Simon et saint Jude; au f. 353: groupe de saints; en<br />

marge: Jésus au milieu des saints; au f. 359v, en marge: groupe d'apôtres; au f. 363v: un mar-<br />

tyre; au f. 368: un martyre; au f. 368v: tête de saint; au f. 369: plusieurs saints; au f. 369v: plu-<br />

sieurs martyres; au f. 379v: pape avec auréole; au f. 386v: saint; au f. 388: sainte; au f. 393:<br />

évêque consacrant une église; au f. 395: Trinité; le Père supporte les bras du Christ crucifié;<br />

colombe de l'Esprit saint entre les deux visages; au f. 396: descente de l'Esprit; au f. 397v:<br />

Jésus portant la croix; au f. 398, en marge: Marie, mère de Jésus, lisant; au f. 398v: Marie avec<br />

l'Enfant dans les bras; au f. 399v: idem; au f. 411: tête d'empereur; au f. 411 v: prêtre élévant<br />

l'hostie; en marge: médaillons de Mathias et de Béatrice; au f. 417: ermite contemplant un<br />

crâne humain; en marge: prêtre à l'élévation et crâne humain.<br />

Il y a enfin et surtout les quelques feuillets où figurent de grandes miniatures, ce sont les<br />

f. 8v et 9, 205v et 206, qui constituent des ensembles, le f. 286 et le f. 357.<br />

- Le folio 8 verso comporte une décoration marginale ayant la forme d'un cadre d'or de lar-<br />

geur variable sur trois côtés, bordé d'une dentelle de filigrane d'or. Sur ce fond d'or rehaussé<br />

de volutes raffinées, de fleurs dorées, de feuilles d'acanthe stylisées, de gemmes et de perles, on<br />

trouve, à mi-hauteur et de part et d'autre de la miniature principale, les portraits de Mathias<br />

Corvin, la tête couronnée de feuilles de chêne, et de Béatrice d'Aragon. Aux quatre angles se<br />

font réciproquement face les portraits de quatre saintes dont deux supportent les phylactères<br />

suivants: ln prima facie virginis ascendet puella facie pulchra et lnvisibile palpabitur ut. Dans la<br />

marge de gauche, au-dessus et en-dessous du portrait du roi, deux camées représentent, en<br />

blanc sur fond noir, deux têtes de personnages à l'antique. Une douzaine de putti sèment éga-<br />

lement le fond d'or, soutenant certains médaillons ou s'appuyant sur eux. Au milieu de la page<br />

inférieure, maintenu également par deux putti, apparaît le blason de Philippe II, en tant<br />

qu'Habsbourg d'Espagne, héritier des domaines bourguignons. La couronne qui le somme est<br />

celle de saint Etienne de Hongrie, car seul l'écu espagnol a été marouflé sur les armoiries de<br />

Mathias Corvin.<br />

La partie centrale de la page représente un maître autel surmonté d'un retable avec colonnes<br />

latérales et fronton, dans un ensemble architectural foncé aux reliefs dorés. De part et d'autre


du fronton, deux demi-camées jettent une note claire dans cette construction sombre. Dans le<br />

fronton en arc de cercle, deux angelots soutiennent les armoiries "officielles" de Corvin. Entre<br />

les colonnes posées de part et d'autre de l'autel, deux personnages féminins vêtus de pourpre<br />

et de bleu profond et les cheveux dénoués entourent la mention INCIPIT ORDO MISSALIS<br />

SECVNDVM CONSVETVDINE ROMANAE CVRIAE DOMINICa PRIMA DE ADVETu STATiO<br />

AD SAcTAM MARIA MAIORE INTROITUS.<br />

Au dessus de cette inscription, Dieu le Père bénissant trône en gloire, entouré de têtes ailées<br />

de chérubins. A gauche de l'autel, un personnage aux trois quarts de dos, montre l'inscription<br />

ci-dessus. Selon F. Lyna, comme selon Véronique Vincze qui a consacré un mémoire de licen-<br />

ce à ce Missel, ce personnage entièrement vêtu de pourpre pourrait être le roi Mathias, ce qui<br />

semble confirmé par la couronne de feuilles qui lui ceint la tête et qui rappelle à n'en pas dou-<br />

ter le médaillon latéral proche. Derrière Mathias, parmi plusieurs personnages, se détache une<br />

tête de face qui pourrait donc être celle de Béatrice. A droite, constituant le pendant du roi, le<br />

personnage en robe bleue, portant collier d'or, pourrait être Attavante lui-même, indiquant de<br />

son pied gauche la mention ACTAVA TES DE ACTAVANTIBUS DE FLORENTIA HOC OPUS<br />

ILLUMI AVIT A.D. MCCCCLXXXV. Derrière Attavante, un visage de jeune homme, à la coif-<br />

fure rouge, pourrait représenter le fils bâtard du roi, Janos Corvin; il a quelque ressemblance<br />

en effet avec le portrait du médaillon du f. 35 où l'on s'accorde à identifier le portrait du prin-<br />

ce. De part et d'autre de l'architecture centrale, deux paysages sans doute symboliques, l'un<br />

maritime et l'autre montagneux, indiquent peut-être que le royaume de Mathias s'étendait des<br />

montagnes (les Matras et les Carpates) à la mer (Adriatique). Enfin l'autel proprement dit, en<br />

marbre blanc traité en grisaille, représente une scène mythologique, ce qui incite V. Vincze à y<br />

voir plutôt la reproduction d'un sarcophage.<br />

- Le folio 9 qui est comme le pendant en vis-à-vis du précédent lui est comparable en perfec-<br />

tion et en richesse décorative. Le fond des marges - quatre dans ce cas - est d'azur, un bleu<br />

profond sur lequel ont été peints des volutes d'or, des bijoux d'or avec pierreries et perles,<br />

ainsi que des angelots en poses diverses. L'un de ceux-ci, au fond à droite, paraît taquiner un<br />

petit singe du genre ouistiti. Aux quatre angles, dans des médaillons ronds ou ovalisés, sont<br />

représentés des saints auréolés. Deux d'entre eux tiennent un phylactère peu lisible; selon


Lyna, il s'agirait de COl1vert... me deus et de Egredielur verga de radice Jesse etfJos de radice ... Au<br />

milieu de la marge supérieure, deux anges en vol soutiennent une marque de propriété de<br />

Mathias, les lettres TMTTQI AP surmontée du briquet de Bourgogne, le tout étant sommé de la<br />

couronne de saint Etienne; Mathias fit, dès 1478, partie de l'Ordre de la Toison d'or créé par<br />

Philippe le Bon en 1429 et, en quelque sorte récupéré par Maximilien de Habsbourg en 1477.<br />

A mi -hau teu r des marges latérales, deux méda ilions se répondent et représentent<br />

l'Annonciation: l'Ange agenouillé à gauche, dans un médaillon ovalisé, la Vierge assise à droite,<br />

dans un médaillon circulaire, orné au pourtour de gemmes et de perles. Dans la marge infé-<br />

rieure, entourées également d'une anneau de gemmes et de perles, figurent les armoiries de<br />

Philippe Il recouvrant celles de Mathias Corvin.<br />

Au centre de la page, dans la partie haute, une splendide miniature représente David en<br />

prières; le roi biblique a déposé devant lui, au sol, sa couronne et sa lyre ou, mieux, un psalté-<br />

rion, selon V. Vincze, symboles à la fois d'hommage à la divinité et marques identificatrices du<br />

personnage. Jahvé apparaît dans une sorte de nuée conventionnelle, faite d'anges, qui domine<br />

une représentation de ville fortifiée sur fond de paysage montagneux. Le réalisme est plus mar-<br />

qué dans le rocher de l'arrière-plan gauche et surtout dans la représentation de quelques<br />

canards barbotant dans une rivière devant le roi David.<br />

Sous la miniature débute le psaume 25 Ad te levavi animam meam, Deus meus (Vers toi, Jahvé,<br />

j'élève mon âme, ô mon Dieu) où David, l'homme selon le cœur de Dieu (d'Holbach) prie le sei-<br />

gneur de lui indiquer la voie droite après les égarements de la jeunesse. La lettrine A représente<br />

en sa courbe le roi David couronné, assis sur son trône, et jouant du psaltérion. Le texte est<br />

écrit en gothiques dorées sur fond lie-de-vin. Dans la baguette séparant les deux colonnes du<br />

texte se lit un phylactère avec l'indication Sicfata JOlbenl.<br />

- Le folio 20Sv, splendidement décoré, peut paraître quelque peu surchargé. Les décorations<br />

marginales, latérales et inférieures, sont bordées d'un cadre en filigrane d'or. Dans les marges,<br />

sur fond bleu et entre des volutes d'or, dans des médaillons de formes, de dimensions et de<br />

décoration diverses, se succèdent des scènes de l'histoire du Christ. Dans la marge de gauche,<br />

de haut en bas: l'Annonciation (rappelant le double médaillon du f. 9), la Nativité, l'Adoration


Folio 20Sv:<br />

Crucifixion,<br />

entourée de scènes<br />

de l'histoire du<br />

Christ. Mathias<br />

Corvin est<br />

représenté dans le<br />

coin inférieur droit<br />

et la reine<br />

Béatrice,<br />

au pied de la<br />

Croix.


des mages, la Circoncision, Jésus parmi les docteurs; dans la partie inférieure, de gauche à<br />

droite: le Baptême de Jésus et la Dernière Cène; dans la marge de droite beaucoup plus étroite,<br />

et de haut en bas: la Montée au Calvaire, la Flagellation, la Comparution devant Pilate, la<br />

Trahison de Judas et Jésus en prières au mont des Oliviers. Entre les tableautins rectangulaires<br />

de la marge inférieure (Baptême et Cène) figure de nouveau le blason de Philippe II, recou-<br />

vrant le blason de Mathias et soutenu par deux anges vêtus de pourpre. La couronne de saint<br />

Etienne a une fois de plus échappé au marouflage.<br />

Les scènes de l'histoire de Jésus constituent le prélude à la miniature principale, une<br />

Crucifixion, manifestement inspirée de l'art du Nord, de celui de Roger de la Pasture notam-<br />

ment. Le Christ en croix est surmonté d'un pélican nourrissant ses petits, symbole de sacrifice,<br />

et entouré des deux larrons: le bon voit son âme, représentée par un enfantelet, emportée par<br />

un ange, alors que le mauvais larron est tourmenté par un démon. Au pied de la Croix, à<br />

gauche, la Vierge est entourée des Saintes Femmes. L'une d'elles, en vêtement pourpre, age-<br />

nouillée, enserre de ses bras le bas de la Croix; elle pourrait évoquer la reine Béatrice, mais son<br />

geste inversé rappelle celui de Marie dans le Triptyque du Calvaire, de Roger de la Pasture,<br />

conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne. A droite, saint Jean debout regarde le roi<br />

Mathias, agenouillé et les mains jointes, qui a déposé ostensiblement sa couronne sur le sol. En<br />

arrière-plan, une ville fortifiée, analogue à celle du f. 9, se détache sur un fond montagneux.<br />

Elle n'est pas sans rappeler la représentation urbaine qui figure également dans le tableau de R.<br />

de la Pasture. Dans cette Crucifixion, on retrouve en tout cas l'esprit des sculptures funéraires<br />

et des tableaux de donation qui, de Tournai à Bruges, ont inspiré les artistes primitifs des<br />

anciens Pays-Bas.<br />

- Le folio 206 fait évidemment face au précédent dont il constitue le pendant inversé, la<br />

marge latérale droite étant cette fois plus importante. Comme dans le f. 205v, la marge infé-<br />

rieure est occupée par deux tableautins rectangulaires entourant des armoiries. Les marges<br />

latérales comportent une série de médaillons de formes, de dimensions et de décoration<br />

diverses, ayant pour thèmes la vie et la mort du Christ et de la Vierge. Dans la marge étroite de<br />

gauche, de haut en bas: la Déposition de la Croix, Marie chargée du cadavre de son fils, la<br />

Mise au tombeau, la Visite du Christ aux Limbes, les trois Marie au Sépulcre; dans la marge


inférieure, encadrés comme des tableaux, Jésus apparaissant à Marie sous l'aspect d'un jardi-<br />

nier, et Jésus accompagné des disciples d'Emmaüs; dans la marge de droite, de haut en bas: le<br />

Couronnement de la Vierge, l'Assomption de la Vierge, l'Esprit saint descendant sur les apôtres<br />

réunis (Pentecôte), l'Ascension du Christ et saint Thomas, manifestant son incrédulité en pla-<br />

çant les doigts dans la plaie du Christ. Au milieu de la marge inférieure, entre les deux tableau-<br />

tins évangéliques, les armes de Philippe II soutenues par deux anges ont remplacé celles de<br />

Mathias Corvin, surmontées de l'habituelle couronne de Hongrie. Sous cet écusson, sur une<br />

sorte de représentation de plaque gravée, on lit ACTVM FLORENTIAE A.D. MCCCCLXXXVII.<br />

La miniature qui occupe la partie supérieure de la justification représente le Jugement der-<br />

nier, avec au sommet le Christ, exhibant ses plaies et entouré d'une cour céleste. Dans le coin<br />

inférieur droit, soit à la gauche du Christ, apparaissent symboliquement les damnés entassés. A<br />

la droite du Christ, les élus debout ou agenouillés, entourés d'anges. Au centre est représentée<br />

la Résurrection des morts tandis qu'un ange et un démon se disputent une âme humaine.<br />

Comme sortant du sol, nus à mi-corps, au premier plan, deux personnages pourraient repré-<br />

senter le roi Mathias et la reine Béatrice en attitude de suppliants. C'est en tout cas l'avis de<br />

Véronique Vincze qui ne précise pas s'il faut ranger l'un ou l'autre du côté des damnés ou du<br />

côté des élusl Dans le fond, sous les deux anges qui, de leur trompette, annoncent l'heure du<br />

Jugement, se profile un paysage de montagnes bleutées.<br />

Sous cette miniature débute le texte en deux colonnes séparées par une baguette et introduit<br />

par la lettrine N, du texte Ne igitur clementisse (sic) pater .... A l'intérieur de la lettrine est repré-<br />

sentée la Résurrection du Christ devant les gardes foudroyés de peur, entourant le tombeau.<br />

- Le folio 286 comporte une bordure à quatre marges agrémentées de rinceaux de fleurs<br />

bleues, rouges, ocre et vertes. Un oiseau d'une grande finesse rehausse cette bordure de son<br />

plumage chamarré.<br />

La miniature, d'une grande sobriété, montre, à gauche, le Christ bénissant, vêtu de bleu et<br />

de pourpre, accompagné de cinq personnages dont deux à la tête nimbée d'or et appelant à lui


CHA PIT R E 1 V • 75<br />

Folio 206: Le<br />

Jugement dernier.


Folio 286: Le<br />

Christ appelant à<br />

le suivre les futurs<br />

apôtres Pierre et<br />

André.


les apôtres nimbés et barbus, Pierre et André, un genou en terre sur la rive d'un lac où flottent<br />

quelques barques. Entre les deux groupes apparaît la barque des deux pêcheurs qui viennent<br />

d'accoster. Une composition en diagonale est occupée, dans le coin inférieur gauche, par les<br />

personnages aux vêtements contrastés, alors que l'autre partie du rectangle est occupée essen-<br />

tiellement par le bleu tendre du ciel et du lac. Un grand souci de réalisme imprègne cette<br />

scène, mais les visages du Christ et des apôtres restent étrangement impassibles.<br />

La marge est décorée de deux têtes identiques de saint martyr, alors que les saints Saturnin,<br />

Pierre et André sont représentés dans l'initiale du texte.<br />

- Le folio 357 a, quant à lui, sa marge décorée de médaillons contenant une tête de saint,<br />

mais aussi les armoiries royales recouvertes comme toutes les autres par celles de Philippe II.<br />

La miniature représente la Communion des saints: Jésus entre la Vierge et Jean-Baptiste et<br />

entouré de saints surmonte d'autres personnages auréolés, représentés à l'avant-plan où l'on<br />

pense reconnaître le roi, la reine et le même personnage au turban rouge identifié parfois à<br />

Janos Corvin.<br />

Selon F. Lyna, le Missel de Mathias Corvin est un manuscrit comme en aiment les historiens de<br />

la miniature parce qu'il peut servir de jalon pour les autres issus du même milieu. Nous en connais-<br />

sons, en effet, le principal miniaturiste, Attavante, chef d'un atelier réputé, sa date de fabrica-<br />

tion entre 1485 et 1487 au moins, son lieu d'exécution à Florence, mais aussi son destinataire,<br />

Mathias Corvin, même si les bibliothécaires de Philippe II ont ultérieurement remplacé les<br />

armoiries du souverain hongrois. Le Missel de Mathias Corvin est non seulement l'un des fleu-<br />

rons des collections de la Bibliothèque royale Albert ln, mais aussi un des chefs- d'oeuvre de<br />

l'art florentin à la fin du XV' siècle. La chaleur des coloris, principalement des pourpre et des<br />

bleus, la rigueur du dessin et de la composition, la beauté des drapés, la finesse des paysages,<br />

même s'ils sont quelque peu stéréotypés, la richesse de l'enluminure prouvent, s'il en était<br />

besoin, l'importance de la commande royale et l'intérêt que manifestait Mathias Corvin pour la<br />

Folio 247: Les armoiries espagnoles de<br />

Philippe II.


splendeur des miniatures d'Attavante. Même si l'on a constaté des détériorations dues aux<br />

manipulations qu'a subies le manuscrit lors des prestations de serment des gouverneurs des<br />

Pays-Bas - détériorations particulièrement sensibles au feuillet 205 recto de la Crucifixion -, le<br />

Missel de Mathias Corvin reste un témoin précieux de l'art du maître florentin dont deux<br />

grandes miniatures sont signées de sa main, les f. Sv et 206r, et probablement celles qui leur<br />

font face, le 9r et le 20Sv.<br />

Attavante disposait certainement d'une équipe de collaborateurs. Selon certains, plusieurs<br />

mains ont sans doute travaillé au Missel de Mathias, même si l'on trouve la mention, à notre<br />

avis très explicite: ACTAVANTES HOC OPUS ILLUMINAVIT; faut-il interpréter "opus"<br />

Folio 411: Armoiries de Mathias Corvin. comme se rapportant à l'œuvre ou à la seule enluminure signée? Il semble, en tout cas, que<br />

l'inexpressivité des visages, même lorsqu'ils prouvent une grande finesse de dessin, constitue<br />

une caractéristique de l'art même d'Attavante. Plus grave, l'accusation portée par f. Lyna, et<br />

reprise par V. Vincze, selon laquelle Attavante se recopie lui-même et semble utiliser des<br />

modèles identiques pour enluminer plusieurs codex. Véronique Vincze a pu étudier ainsi de<br />

réelles similitudes entre le Bréviaire, conservé au Vatican, le Missel de Dol-de-Bretagne,<br />

conservé à Lyon, d'une part, et le Missel de Bruxelles, de l'autre.<br />

Le Bréviaire du Vatican était inachevé en 1492 donc du temps de Mathias, disparu en 1490.<br />

Il resta sans doute en Italie et le blason du roi de Hongrie fut recouvert par celui du cardinal<br />

Trivulzio. Dans ce cas, le modèle est sans nul doute le Missel de Bruxelles qui est antérieur au<br />

Bréviaire. Le feuillet 7v (Incipit), frappé dans son fond d'or de perles, de médaillons et de<br />

putti, est analogue au feuillet Sv du Missel; cependant on y trouve des emblèmes corviniens<br />

(tonneau, dragon, sablier, ruche) qu'on n'a pas repérés dans ce dernier. Ce qui frappe surtout,<br />

c'est le style d'architecture, comportant dans le Bréviaire une voûte à caissons en berceau,<br />

mais constitué ici et là de colonnes foncées à châpiteaux dorés, entourant une inscription en<br />

lettres dorées sur fond bleu, surmontant un autel de marbre blanc.<br />

Le feuillet 279 (David) du Bréviaire est analogue au feuillet 9 du Missel, quoique les<br />

médaillons rectangulaires du premier, sur fonds de couleurs multiples, paraissent plus rigides<br />

que dans le manuscrit de Bruxelles. La miniature représentant le roi David en prière est


manifestement copiée et, peut-être, par un disciple d'Attavante car le paysage est plus désert et<br />

l'ensemble se révèle plus lourd.<br />

Le feuillet 556 du Bréviaire n'est pas sans évoquer, quoique de manière plus lointaine, le<br />

feuillet 206 du Missel; il est vrai que le premier y représente une Trinité entourée d'anges,<br />

d'élus, de saints et de prophètes, alors que le second, plus dramatiquement, peint un panora-<br />

ma du Jugement dernier.<br />

Quant au feuillet 346 du Bréviaire, outre une décoration marginale moins harmonieuse<br />

avec fonds de couleurs différentes, il offre une miniature analogue à celle du feuillet 286 du<br />

Missel, à savoir l'Appel à la vocation apostolique des pêcheurs Pierre et André. Cependant le<br />

thème y est inversé: le groupe très concentré du Christ et les personnages nimbés figurent à<br />

droite; Pierre et André à gauche. Enfin, la composition s'avère moins rigoureuse et la scène<br />

nous semble à la fois moins homogène et moins sobre que dans le manuscrit de Bruxelles.<br />

Il ne fait nul doute que le Bréviaire romain est, dans son enluminure, une pâle imitation<br />

du Missel de Mathias; certains l'ont en conséquence attribué à des disciples plutôt qu'au<br />

maître.<br />

Si l'on compare le Missel de Mathias Corvin au Missel de Thomas James, évêque de Dol-de-<br />

Bretagne, on constate que le second, peint en 1483, antérieur donc au manuscrit de Bruxelles,<br />

lui a servi - ou des croquis ou esquisses préparatoires - de modèle. Une Crucifixion, reproduite<br />

dans l'ouvrage d' H. Joly (Le Missel d'Attavante pour Thomes James, évêque de Dol. Lyon,<br />

1931), révèle un même type de bordure et de disposition des armoiries que dans la<br />

Crucifixion du Missel de Corvin. Comme dans ce dernier, un personnage féminin agenouillé<br />

entoure la Croix de ses bras et l'évêque destinataire, en aube blanche a pris la place, à droite, du<br />

roi Mathias. Dans l'un et l'autre cas, on distingue un pélican au-dessus de la Croix du Christ,<br />

l'ange emportant l'âme du bon larron et le démon (deux dans le Missel de Dol) tourmentant le<br />

mauvais larron. Différence essentielle, l'arrière-plan de ville fortifiée du manuscrit de Bruxelles<br />

a remplacé un fond constitué de cavaliers en armes.


Que conclure) Presque tous les manuscrits enluminés par Attavante s'ouvrent sur une<br />

double page et, en général, la page de gauche ne comporte que le titre alors que celle de droite<br />

voit commencer le texte. Il faut supposer qu'un atelier, comme celui de l'artiste florentin, dis-<br />

posait de cartons-modèles et de gabarits à l'intention du maître comme de ses collaborateurs.<br />

La surface réservée au texte est délimitée par un cadre rectangulaire comportant des feuilles<br />

d'acanthe stylisées, des fleurs à cinq pétales sur fond naturel ou sur fond de couleurs. L'orne-<br />

mentation végétale sert aussi de décor à des portraits en buste ou en camées de personnages<br />

ou d'auteurs de l'Antiquité, de saints ou de prophètes, de donataires. Le fond est souvent occu-<br />

pé par de nombreux putti représentés en diverses positions. Des cadres ou des rondeaux,<br />

ornés de gemmes ou de perles, mettent en évidence des armoiries ou des emblèmes soutenus<br />

par des anges ou des angelots. Les architectures évoquent la Renaissance, alors que les volutes<br />

ou les camées renvoient plutôt à l'Antiquité. Sans doute Attavante est-il moins à l'aise dans<br />

l'expression des personnages traités de façon souvent conventionnelle. Il reste que le miniatu-<br />

riste doit être considéré, non seulement comme un génial enlumineur de l'école florentine,<br />

mais aussi comme un des initiateurs de l'esprit de la Renaissance à la Cour de Hongrie.<br />

D'autres Florentins ont travaillé au service de Mathias, nous l'avons vu précédemment, et<br />

notamment Francesco dei Cherico et les deux frères di Giovanni. Du premier, peu de docu-<br />

ments nous sont conservés : un Pétrarque et Dante conservé à la Bibliothèque nationale de<br />

France et qui reproduit pour la première fois les emblèmes de Mathias, un Livre d'heures des<br />

Médicis, resté à Florence, et le Psautier de Mathias Corvin où les angelots, les fleurs et les<br />

médaillons ont dû influencer la thématique ornementale d'Attavante. Francesco del Cherico,<br />

par la douceur des tons, le délié du dessin, la poésie du décor apparaît comme un disciple de<br />

l'Angelico, plus délicatement lyrique qu'Attavante.<br />

Des frères di Giovanni, on conserve notamment une Bible en trois volumes, commandée par<br />

Mathias Corvin, mais acquise par les Médicis. Seul le troisième volume de cet ouvrage inache-<br />

vé a été enluminé. Il semble qu'on puisse distinguer, chez l'aîné Gherardo, l'influence combi-<br />

née de Ghirlandajo et de son ami Léonard de Vinci. A la différence d'Attavante, Gherardo et<br />

son frère Monte privilégiaient la représentation des figures en des portraits réalistes, marqués


d'un sens aigu de l'observation. Moins allégoriques que les paysages d'Attavante, les vues sur la<br />

campagne toscane ont plus de douceur et de réalité.<br />

Malgré ses manques, Attavante se révèle plus accompli, plus grand et plus équilibré à la fois.<br />

Une densité plus froide, plus impersonnelle est faite aussi de superbe et de solennité et célèbre<br />

avec majesté le texte qu'elle est chargée d'illustrer. Les influences subies par Attavante doivent,<br />

selon Véronique Vincze, être recherchées à la fois dans les vestiges antiques redécouverts à la<br />

Renaissance autant que dans la peinture florentine de son temps.<br />

Les grotesques, issus des ornements picturaux de la Domus aurea de éron, découverte sous<br />

les Thermes de Trajan et considérée comme une grotte, furent révélés aux historiens et aux<br />

artistes à l'époque d'Attavante; le premier témoignage, que l'on a conservé de ces masques, ara-<br />

besques, rinceaux et candélabres, date de 1480. Cette influence aboutira à la surcharge décora-<br />

tive de la fin du XV, siècle. Chez Attavante, la profusion de divinités, de gemmes, de<br />

guirlandes, de putti, mais aussi de griffons, de centaures, de scènes mythologiques, prouve la<br />

riche culture d'un artiste et d'un lettré qui admire les réalisations de Ghirlandajo (1449-1494),<br />

de Filippino Lippi (1457-1504) ou du Perugin (1445-1523). Malgré cette exubérance, les<br />

décors chez Attavante restent symétriques à l'intérieur d'un cadre, voire à l'intérieur du double<br />

cadre de deux pages successives. De tous les noms cités, c'est certes l'influence de Ghirlandajo<br />

qui fut la plus marquante: chez lui aussi, on trouve les personnages sans expression, les amples<br />

paysages et la perfection des contours, les architectures théâtrales en trompe-l'oeil, ainsi que la<br />

connaissance de la peinture flamande. Chez lui aussi, le goût des camées qui apparaissent dans<br />

les fresques de la salle des Lys au Palazzo vecchio de Florence. D'autres influences marquèrent<br />

sans doute l'oeuvre d'Attavante, celles de Verrocchio (1435-1488), de Vinci (1452-1519), et<br />

certainement, dans le Jugement dernier et dans l'Annociation, celle de Fra Angelico (-1400-<br />

1455). Enfin, on peut attribuer à l'émerveillement que dut connaître, lors d'un supposé voyage<br />

à Rome, Attavante devant l'Ara pacis, le goût pour la représentation de scènes mythologiques<br />

sculptées, traitées en grisaille et que l'on rencontre aussi bien sous l'InCipit du Missel de<br />

Bruxelles que sous l'Incipit du Bréviaire du Vatican.


Attavante, ignoré par les dictionnaires communs, apparaît ainsi comme un représentant, à la<br />

fois original et typique, de la seconde moitié du l0l' siècle à Florence et l'on ne peut que sou-<br />

haiter qU'à l'image des études de C. et KI. Csapodi et de Véronique Vincze, son œuvre fasse<br />

l'objet d'un examen approfondi.


Marie de Hongrie<br />

et le transfert aux Pays-Bas<br />

du Missel de Mathias Corvin<br />

A<br />

près la défaite de Mohâcs, ville de la Hongrie méridionale située sur le Danube, et la<br />

mort de Louis II sur le champ de bataille en 1526, la reine Marie reviendra aux<br />

Pays-Bas, comme gouvernante, emmenant avec elle quelques trésors de la couronne<br />

hongroise dont le Missel de Mathias Corvin, ce chef-d'œuvre du Florentin Attavante. Mais qui<br />

était cette princesse, descendante des Habsbourg et des ducs de Bourgogne, et à la suite de<br />

quelles intrigues politiques devint-elle reine de Hongrie?<br />

Guislaine de Boom, ancien Conservateur de la Bibliothèque royale de Belgique, dans un essai<br />

publié par la Renaissance du Livre en 1956, tente de cerner le personnage et de narrer l'histoi-<br />

re de Marie de Hongrie qu'elle considère comme l'une des plus douées et des plus célèbres<br />

femmes de son temps, celle dont Erasme disait: Feminantm hujus aevi laudatissima, la plus digne<br />

d'éloges des femmes de cette époque.<br />

Fille de Philippe le Beau et de Jeanne de Castille, dite aussi Jeanne la Folle, Marie eut pour<br />

frères et sœurs: Charles, futur empereur, Eléonore, future reine de France et Ysabeau, future<br />

reine de Danemark, Ferdinand, son cadet, qui, archiduc d'Autriche, deviendra roi de Bohême<br />

et de Hongrie. Elle naquit à Bruxelles, au palais du Coudenberg, le 15 septembre 1505 et elle<br />

eut pour parrain, son grand-père Maximilien d'Autriche, qui lui donna le nom de Marie en<br />

souvenir de sa première épouse, Marie, duchesse de Bourgogne, fille du Téméraire. L'enfance<br />

de Marie, après la mort de son père et la démence de sa mère, se passa à Malines à la cour de<br />

sa tante, gouvernante des Pays-Bas, Marguerite d'Autriche. Appliquant les principes diploma-<br />

tiques traditionnels de l'Autriche, l'empereur Maximilien d'Autriche CR:1493-1519) avait fian-<br />

cé, dès son plus jeune âge Marie à l'héritier du trône de Hongrie, Louis. Pour s'en rapprocher,


la jeune princesse fut emmenée en Autriche. Partie en mai 1514 des Pays-Bas, elle arriva le<br />

mois suivant à Vienne. Elle avait neuf ans et elle y rencontrait pour la première fois Louis de<br />

Hongrie, celui qui deviendra officiellement et religieusement son époux, l'année suivante, le 22<br />

juillet 1515. Aussitôt le mariage célébré, le jeune Louis, né en 1506, regagna le royaume de<br />

Hongrie, alors que Marie poursuivait son apprentissage de reine à Innsbruck. On lui enseigna<br />

l'allemand, mais, selon G. de Boom, jamais elle n'oublia le français de la Cour de Bourgogne, la<br />

langue de son enfance qui resta celle de son cœur. Comme sa tante, Marguerite d'Autriche, la<br />

future Marie de Hongrie sera l'agent actif de la gloire familiale des Habsbourg. En 1519 furent<br />

célébrées, pour la seconde fois et par procuration, les noces de Louis de Hongrie et de Marie<br />

et, lors de la même cérémonie, celle d'Anne, sœur de Louis, et de Ferdinand de Habsbourg,<br />

frère de Marie. Ce n'est qu'en 1521, sept ans après son départ des Pays-Bas que Marie entreprit<br />

son voyage vers celui qui allait être, concrètement cette fois, son mari. A Presbourg ou<br />

Bratislava où elle devait l'attendre, elle apprit que Louis II, menacé par une nouvelle invasion<br />

turque de la Hongrie, était resté à Buda. Sans hésiter, malgré le danger, elle décida de gagner le<br />

château du roi Mathias. L'intimité des jeunes princes fut de courte durée: Soliman le<br />

Magnifique menaçait de nouveau le royaume et Louis ne parvenait que difficilement à réunir<br />

une armée fidèle, certains chefs féodaux hongrois cherchant, dans les querelles intestines,<br />

l'affaiblissement du pouvoir royal voire la soumission aux Turcs, l'occasion de maintenir un<br />

illusoire pouvoir féodal. Massaro, un ambassadeur vénitien, écrivait à leur propos qu'ils étaient<br />

la pegior generatione del monda et même la Jeee dei monda et les considérait comme hommes de<br />

mauvaise nature, incapables de déceler où étaient les vrais dangers. Pendant que le roi s'effor-<br />

çait, tant bien que mal, de faire l'unité de ses troupes, la jeune reine de quinze ans tentait de<br />

s'imposer à des courtisans hostiles qui voyaient d'un mauvais œil la mainmise des Habsbourg<br />

sur la Hongrie. En décembre 1521, Louis et Marie purent enfin être sacrés souverains de<br />

Hongrie et célébrer publiquement un mariage béni - deux fois déjàl- dans la ville de<br />

Székesfehérvâr (que G. de Boom traduit assez bizarrement par "Stuhlweissenburg". ..). En Juin<br />

1522, ils furent sacrés roi de Bohême en la cathédrale de Prague, proche du château royal de<br />

Hradschin.<br />

Marie de Hongrie, princesse de caractère, symbolisait aux yeux des Hongrois, la pénétration<br />

étrangère. Contrairement à son époux aisément influençable, elle tiendra tête à son entourage,


tout en offrant un amour exclusif au jeune roi. A propos de celui-ci, G. de Boom ajoute<br />

Probablement n'avait-il pas l'autorité nécessaire pour vivre comme un grand souverain, mais il avait<br />

toute la vaillance requise pour mourir comme un héros. Car tel fut son destin. En 1526, Soliman<br />

entreprit la conquête d'un royaume sans ressources, profondément divisé et pour lequel, en<br />

vain, le pape avait essayé de susciter une assistance militaire. Si les Habsbourg avaient promis<br />

leur aide, en contrepartie, le roi de France François leen'avait pas hésité à nouer une alliance<br />

avec l'Empire ottoman pour faire pièce à son ennemi Charles Quint. Louis II, au début du<br />

printemps de 1526, s'était porté vers le sud à la rencontre de l'armée turque; malgré les<br />

conseils de prudence de son entourage, malgré la défection de lapolya, il livra bataille, à<br />

MoMes, à la fin du mois d'août. Il y trouva la mort en même temps que 20.000 Hongrois.<br />

Cette défaite provoqua la panique dans le pays, la débandade de l'armée et le pillage, et par<br />

voie de conséquence, la fuite de la reine Marie. Ferdinand de Habsbourg, son frère, par son<br />

mariage avec Anne de Hongrie devenait le prétendant naturel du trône magyar. C'était sans<br />

compter sur les prétentions de Sigismond de Pologne et, surtout, de Zapolya qui n'envisageait<br />

rien moins que d'épouser la jeune veuve. la Diète, convoquée par Marie à Bratislava, finit par<br />

élire Ferdinand; mais Zapolya, choisi par les magnats, réussit à se faire couronner à<br />

Székesfehérvar.<br />

L'année suivante, Marie, malade et sans appui, demanda à son frère d'être déchargée de la<br />

régence. Quelques mois plus tard, Ferdinand de Habsbourg, couronné roi de Bohême, franchit<br />

la frontière magyare, reprit Visegrad et Buda, et fut couronné roi par le même évêque qui avait<br />

sacré Zapolya! Marie qui avait décidé de ne point se remarier, s'adonnait à l'étude et à la lectu-<br />

re des œuvres humanistes. làsz16 Cs. Szab6, dans l'Anthologie de la poésie hongroise du XII'<br />

siècle à nos jours, précise que, lorsqu'elle gagna les Pays-Bas, Marie fut accompagnée de la plu-<br />

part des disciples hongrois d'Erasme. C'est en son honneur qu'Erasme, en 1530, écrira son traité<br />

De vidua christiana pour son éloge et sa consolation. Elle se rendait parfaitement compte que<br />

Zapolya, par son alliance avec Soliman, constituait une menace pour son pays d'adoption qui<br />

semblait préférer les Turcs aux Allemands. Cette politique à courte vue déclencha une seconde<br />

invasion de la Hongrie par les Turcs au début de 1529, qui allait inaugurer une occupation<br />

ottomane de plus de 150 ans. Zapolya, couronné sous le nom de Jean lee,reçut Soliman en<br />

triomphateur.


Portrait de Marie, reine de Hongrie et de<br />

Bohême et soeur de l'empereur Charles<br />

Quint, par Frans Huys (Bibliothèque<br />

royale, cabinet des Estampes).<br />

Marie décida de quitter la Hongrie, pour l'Autriche d'abord, pour les Pays-Bas (1531) ensui-<br />

te où Charles Quint l'appela comme gouvernante pour succéder, à ce poste, à sa tante<br />

Marguerite d'Autriche. Elle n'accepta ces responsabilités qu'avec beaucoup de réticence, écri-<br />

vant si je pou vois faire ma volonté, ce ne serait pas de m'entremettre en de si grandes affaires.<br />

j'estois bien déliberée au contraire de me retirer et servir Dieu qui serait à ceste heure ma vie. Sous<br />

cet accent chrétien se cache peut-être une inquiétude métaphysique. Dans la correspondance<br />

que lui adressait son frère Ferdinand, on sent percer une accusation de sympathie pour les<br />

idées réformées et l'on sait qu'en 1526, Luther lui dédia quatre Psaumes de consolation parce<br />

que, pensait-il, il la croyait disposée en faveur de la Réforme. Quoi qu'il en soit, de retour aux<br />

Pays-Bas, Marie défendit avec rigueur le catholicisme, même si elle fit partie de ceux qui sou-<br />

haitaient, comme Erasme, des amendements dans une Eglise livrée à la corruption, à la simo-<br />

nie et, parfois, à la dépravation des prêtres et même des papes.<br />

Princesse de la Renaissance, estimant rehausser par la magnificence<br />

extérieure l'exercice du pouvoir, elle exprima son goût du faste dans<br />

la construction et la décoration des châteaux de Binche et de<br />

Mariemont, réalisés par l'architecte-sculpteur montois Jacques du<br />

Broeucq.<br />

Pour l'aider dans ses fonctions, Charles Quint avait établi trois<br />

institutions : Le Conseil d'Etat chargé de la politique générale et de<br />

la défense des Pays-Bas, Le Conseil privé à qui étaient confiées la<br />

surveillance de la police et de la justice et la promulgation des édits,<br />

et, enfin, le Conseil des finances compétent en matière de trésor<br />

public, de gestion des domaines royaux, des dépenses et de la garde<br />

des archives de l'Etat. Dans la plupart de ces Conseils furent dési-<br />

gnés des gens du pays, parce que les subjects aimoient mieux estre<br />

gouvernés des dits naturels que d'autres qui ne pou voient estre si bien<br />

informés des caracteres, mœurs et conditions d'iceulx, que gens élevés<br />

audit pays et affectionnés au bien et repos de leur patrie. Marie de<br />

Hongrie ne manqua jamais de les consulter, établissant, entre elle et<br />

les délégués du pays, des liens étroits que méconnaîtra son neveu, le


oi d'Espagne Philippe II. C'est par elle et grâce à elle que les gouverneurs qui lui succéderont<br />

prêteront serment sur le Missel qu'elle avait amené de Buda, à commencer par les archiducs<br />

Albert et Isabelle. Austère et intransigeante, dure avec les autres comme avec elle-même, elle<br />

fut aux côtés de son frère Charles Quint lorsque celui-ci eut décidé en 1540, de mater les<br />

Gantois révoltés et de les contraindre à l'amende honorable, deschaux, la teste nue, estans en linge.<br />

Gouvernante des Pays-Bas, elle eut aussi à défendre les territoires qui lui étaient confiés<br />

contre les appétits des rois de France, François 1" CR: 1515-1547) puis Henri Il CR: 1547-<br />

1559), utilisant autant que faire se pouvait l'influence de sa sœur Eléonore, lorsque celle-ci<br />

devint reine de France en 1530 et tentant d'aboutir à une conciliation et au renouvellement de<br />

la Paix des Dames conclue en 1529, à Cambrai, par Marguerite d'Autriche et la reine Louise de<br />

Savoie. Mais la guerre était inévitable: en 1536, des escarmouches contre Bouillon entraînè-<br />

rent une réplique dans le nord de la France. En 1538 fut conclue, à Nice, une trêve de dix ans<br />

à l'intervention du pape Paul Ill. Le rève de paix reprenait corps. Cependant François 1"<br />

n'abandonnait ni le projet de conquérir les Pays-Bas ni d'affaiblir le pouvoir de celui qui pré-<br />

tendait que le soleil ne se couchait jamais sur ses Etats. Marie de Hongrie se conduisit vérita-<br />

blement comme un chef militaire, concentrant la défense comme l'approvisionnement de<br />

l'armée dans la forteresse de Namur. Son intuition de stratège fit que l'armée royale ne put<br />

s'emparer que du Luxembourg, encore était-ce avec la collaboration de bandes de pillards sous<br />

la conduite d'un certain Van Rossem ..<br />

En 1543, les Français envahirent le Hainaut et provoquèrent l'intervention énergique de<br />

Charles Quint dont les armées reprirent Mons et Le Quesnoy. L'empereur vainquit encore<br />

François 1", en s'emparant de Saint-Dizier puis de Château-Thierry et en s'ouvrant ainsi la<br />

route de Paris. La paix fut hâtivement conclue en 1544 à Crépy-en-Laonnois, donnant le<br />

Milanais à l'Empereur et faisant reconnaître l'indissolubilité des XVII Provinces dans le Cercle<br />

de Bourgogne.<br />

En 1549, ce fut l'apparition à Bruxelles de l'infant Don Philippe et les grandes fêtes qui<br />

accompagnèrent la présentation du prince à Bruxelles (l'Ommegang) et à Binche où eurent lieu<br />

des fêtes splendides, las fiestas de Binch, célèbres dans les annales espagnoles.


La guerre se ralluma en 1551, avec le nouveau roi de France Henri II, une guerre violente<br />

qui aboutit d'un côté à la destruction de Thérouanne, au siège de l'invincible Metz, puis à<br />

l'incendie de Maubeuge et de Bavai, et de l'autre à la capitulation de Mariembourg (forteresse<br />

baptisée telle en l'honneur de Marie), au sac de Bouvignes et même de Dinant pourtant liégeoi-<br />

se et neutre, à l'incendie des palais de Binche et de Mariemont. La paix fut signée à Vaucelles<br />

en 1556 entre Henri II et Philippe II car Charles Quint entre temps avait abdiqué et Marie de<br />

Hongrie l'avait suivi dans sa retraite espagnole ... en laissant aux Pays-Bas parmi la librairie de<br />

Marguerite d'Autriche et la Bibliothèque royale créée par la volonté de Philippe II, ce manus-<br />

crit précieux qu'elle avait apporté des rives du Danube, le Missel de Mathias Corvin.<br />

Marie de Hongrie ne survivra guère à son frère: le 18 octobre 1558, trois semaines après<br />

Charles Quint, mort au monastère de Yuste, elle fut victime, à Cigales, d'une crise cardiaque<br />

alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre les Pays-Bas à la demande de Philippe II.


Les rois de Hongrie<br />

d'Etienne 1 er à Ferdinand 1 er de Habsbourg<br />

Dy ASTIE DES ARPAD<br />

Etienne 1" (Istvan) ou saint Etienne (fils du prince Géza 970-997)<br />

Luttes pour le pouvoir:<br />

Pierre, dit le Vénitien, neveu d'Etienne<br />

détrôné par Samuel Aba<br />

Pierre le Vénitien<br />

André 1" (Andras)<br />

Béla 1" (frère d'André)<br />

Salomon 1" (fils d'André)<br />

Géza 1" (fils de Béla)<br />

Ladislas 1" (Lâzlô) ou saint Ladislas (frère de Géza)<br />

Coloman 1" (Kàlmàn) (neveu de Ladislas)<br />

Etienne II<br />

Béla II l'Aveugle<br />

Géza II<br />

Etienne III (en conflit avec Etienne IV)<br />

Béla III<br />

André II<br />

Béla IV<br />

Etienne V (ou IV)<br />

Ladislas II ou IV<br />

André III<br />

1038-1041<br />

1041-1044<br />

1044-1047<br />

1047-1060<br />

1060-1063<br />

1063-1074<br />

1074-1077<br />

1077 -1095<br />

1095-1116<br />

1116-1131<br />

1134-1141<br />

1141-1162<br />

1162-1172<br />

1172-1196<br />

1196-1204<br />

1204-1235<br />

1235-1270<br />

1270-1272<br />

1272-1290<br />

1290-1301


Ladislas V<br />

Othon de Wittelsbach<br />

DYNAST1E D'ANJOU<br />

Charles-Robert ou Charles 1er (dit Carobert)<br />

Louis 1er le Grand<br />

Marie (fille de Louis)<br />

[contestée par Charles II de Naples ou de Durazzo (1385-1386)]<br />

DYNASTIE DE LUXEMBOURG<br />

1301-1305<br />

1305-1307<br />

1307-1342<br />

1342-1382<br />

1382-1387<br />

Sigismond (Zsigmund) (époux de Marie) 1387 -1437<br />

DYNASTIE DE HABSBOURG<br />

Albert (gendre de Sigismond) 1437 -1439<br />

DYNASTIE JAGELLON<br />

Vladislav 1er 1440- 1444<br />

DEUXIEME PÉRIODE INTERMÉD1AIRE<br />

Jânos Hunyadi, régent 1446-1456<br />

DYNAST1E DE HABSBOURG<br />

Ladislas V dit le Posthume 1445-1457<br />

Mathias 1" (Mâtyâs) Corvin<br />

DYNASTIE HUNYADI


Vladislav Il roi de Hongrie et de Bohême)<br />

Louis Il<br />

DY A5TIE JAGELLON<br />

DYNA5TlE DE<br />

Ferdinand 1" (roi de Bohême et de Hongrie)<br />

en lutte avec Jânos Szapolyai<br />

1490-1516<br />

1516-1526<br />

1526-1564<br />

1526-1540


La couverture, le plat de reliure et les<br />

fermoirs (XIX' siècle) du Missel de<br />

Mathias Corvin, avant restauration.


Traitement<br />

de conservation<br />

apporté au Missel<br />

de Mathias Corvin<br />

P REM 1 E R E É T A P E<br />

L A D É R E L 1 U R E<br />

E X A M E C 0 D C o LOG 1 QUE<br />

PAR LIE V E W ATTEEUW<br />

&<br />

A N N P E C K5TADT<br />

Les dommages occasionnés à la reliure et à l'ensemble du corps du Missel de Mathias Corvin,<br />

ont rendu nécessaire des travaux de conservation entamés au cours du printemps 1993. Les<br />

dommages externes et l'usure du cuir que l'on constatait étaient dus à la raideur de la reliure<br />

qui avait provoqué la dégradation, tant des grands folios de parchemin que celle de l'encre et<br />

des pigments des enluminures.<br />

La reliure en place datait des dernières années du XIX' s. Elle se présentait sour forme d'un<br />

montage de cuir de mouton, rouge, estampé d'or sur le dos et sur les plats, agrémenté d'un<br />

décor doré de style néorenaissance, avec cloutage et fermoirs en métal, et des tranches ciselées<br />

d'or (frag 1-2) Les doublures et les pages de garde imitaient un papier toilé à décor floral,<br />

blanc, rouge, vert et bleu.


La reliure peut être datée sans hésitation de la fin du XIX' siècle grâce aux matériaux et à la<br />

technique utilisée: le corps du livre fut fixé sur un support de couture composé de cinq<br />

couches de peaux de chèvre et de parchemin de remploi. L'ensemble des folios de parchemin<br />

fut cousu et cintré de part en part. Pour maintenir la forme arrondie du dos, on ajouta trois<br />

couches supplémentaires de renforcement: une peau de chamois entre les nerfs, une en lin et<br />

une en carton sur l'ensemble du dos. Ces renforcements dorsaux furent assemblés avec une<br />

couche surabondante de colle d'os qui pénétra jusqu'au centre des cahiers par les trous des<br />

piqûres. Le renforcement dorsal comporte une superposition de deux couches de carton et<br />

d'une couche de lin augmentées de deux autres couches de carton superposées à l'endroit des<br />

nerfs.<br />

Un carton épais mais souple servit à la fabrication des plats. Il s'est incurvé sous l'effet de la<br />

pression exercée par l'ensemble du livre tant à l'horizontale qU'à la verticale.<br />

Le dos du manuscrit s'était complètement détaché de la couverture à cause du poids, mais ce<br />

sont surtout la raideur de la reliure et la couverture dorsale trop serrée qui avaient provoqué<br />

des tensions sur les cahiers, occasionnant de sérieux domages aux encres et aux pigments dans<br />

cette zone


De même le frottement des folios lors de la consultation du livre avait occasionné l'usure des<br />

pigments et des faux plis dans la zone de rabattement des pages. La présence des faux plis<br />

n'était pas due uniquement aux effets néfastes de la dernière reliure trop serrée: on avait déjà<br />

essayé auparavant de les éviter, comme le prouve la couche très épaisse de colle d'os qui fut<br />

étendue un moment donné à certains endroits pour assouplir et aplatir les plis du parchemin.<br />

Pour masquer la couleur jaune de cet enduit, on le gratta entre les lettres à l'aide d'un objet<br />

contondant.<br />

Ceci ne fut pas fait systématiquement et on peut encore constater des traces de colle jaune sur<br />

certains folios.<br />

L'ensemble de la reliure ne pouvant plus assurer une protection suffisante au manuscrit,<br />

décision fut prise de dé relier le livre et, respectant l'esprit d'un travail de conservation, de le<br />

doter d'une reliure souple qui fera l'objet de la seconde phase du travail, prévue en 1994. Elle<br />

sera couverte d'un velours rouge foncé, de la gamme de couleur de celle qui recouvrait le<br />

volume à la fin de X1X e siècle.


Lors de l'ablation des fils de couture, on a pu mettre à jour quelques témoins de la reliure<br />

précédente:<br />

- Les incisions et les marques de piqûres montrent que le manuscrit a été relié deux fois avant<br />

la dernière en date, à la fin du siècle passé.<br />

- Les petites incisions horizontales ont été faites lors d'une reliure cousue sur une assise<br />

simple.<br />

- Les petites perforations doubles ne se présentent pas de façon régulière; elles ont été<br />

apposées sur le dos des cahiers et correspondent à un assemblage provisoire de ceux-ci lors<br />

de la mise en couleurs des folios.<br />

- Des restes de soie rouge et de fils de soie rouges et bleus ont été retrouvés dans les plis d'un<br />

cahier.<br />

Lors d'une reliure ancienne de minces feuilles de papier blanc avaient été insérées pour<br />

protéger les miniatures. On en a retrouvé des fragments dans les résidus de colle.<br />

L'état satisfaisant du parchemin et des enluminures réclament peu d'interventions, à quelques<br />

endroits près, où l'on s'efforcera d'aplatir les faux plis. Les travaux de conservation se sont<br />

concentrés sur la reliure en tenant compte des données codicologiques relatives aux coutures<br />

et au recouvrement.<br />

Lieve Watteeuw &: Ann Peckstadt<br />

( Duodecimo)


Orientation bibliographique<br />

DERCSÉNYI, Dezs6; DERCSÉNYI, Balazs.<br />

Guide artistique de la Hongrie.<br />

Budapest, Corvina Kiad6-Commission nationale hongroise pour l'Unesco, 1979.<br />

HALAsz, Zoltan.<br />

La Hongrie.<br />

Budapest, Corvina Kiad6, 1982.<br />

CHKOLNIK, Menahem.<br />

Hongrie. Traduction: L. SERVlER.<br />

Paris, MA Editions, 1991.<br />

("Le Guide MichaeL")<br />

GELLÉRI, Maurice.<br />

La Hongrie millénaire. Le passé et le présent.<br />

Budapest, Imprimerie typographique et lithographique du "Kosmos", 1896.<br />

BOGDA , Henry.<br />

Histoire de la Hongrie.<br />

Paris, Presses universitaires de France, 1966.<br />

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BARTA, Istvan; BEREND, Ivan T.; HANAK, Péter; LACKO; Mik16s; MAKKAI,<br />

Lasz16; NAGY, Zsuzsa L.; RANKI, Gyôrgy.<br />

Histoire de la Hongrie des origines à nos jours. Publié sous la direction de Erwin<br />

PAMLÉ YI. Préface de Georges CASTELLA . Traduit par Laszlo paDOR.<br />

Roanne, Editions Horvath, 1974 (comporte une importante bibliographie)<br />

LAzAR, Itsvan.<br />

Histoire illustrée de Hongrie.<br />

Budapest, Corvina, 1992.<br />

L'histoire de la Hongrie.<br />

Budapest, Ministère des Affaires étrangères, 1992.<br />

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FEUER-TOTH, Rozsa; ZOLNAY, Laszlo; CSORBA, Csaba; HORVATH, Miklos.<br />

Le Château royal de Buda au moyen-âge et ses statues gothiques.<br />

Exposition au musée d'histoire de Budapest.<br />

Budapest, Tbrténeti Muzeum, s.d.<br />

Les Musées de Budapest.<br />

Budapest, Kossuth Nyomda, 1967.<br />

LORINCZY, Gyôrgy.<br />

L'ancienne cité de Buda.<br />

Budapest, Editions Corvina, 1967.<br />

GERO, Laszlo.<br />

A Budai Var.<br />

Budapest, Panorama, 1971.<br />

FEUER-TOTH, Rozsa.<br />

Mittelalterlicher Konigspalast in der Burg von Buda.<br />

Führer durch die Ausstellung. Zweite erweitete Auflage<br />

Budapest, Révai Nyomda, s.d. (après 1974).<br />

Anthologie de la poésie hongroise du XII' siècle à nos jours.<br />

Préface de Laszlô C. SZABÔ.<br />

Paris, Editions du Seuil, 1962.<br />

La Renaissance et la Réformation en Pologne et en Hongrie.<br />

Renaissance und Reformation in Polen und in Hungarn (1450-1650).<br />

Conférence tenue à Budapest et à Eger du 10 au 14 octobre 1961.<br />

Rédigé par G. SZÉKELYet E. FÜGEDI.<br />

Budapest, Akadémiai Kiadô, 1963.<br />

("Studia historica Academiae scientiarum hungaricae", 53).<br />

HOREMANS Jean-M.<br />

Le livre hongrois.<br />

Don fait à la Bibliothèque royale par la Bibliothèque nationale Széchényi de Budapest.<br />

Catalogue d'exposition.<br />

Bruxelles, Bibliothèque royale Albert 1er, 1989.<br />

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Tinctoris (Johannes).<br />

Dans Biographie nationale, tome 25,1930-1932, p. 288-316.


La musique des origines à nos jours.<br />

Ouvrage publié en collaboration sous la direction de Norbert DUFOURCQ<br />

Préface de Claude DELVINCOURT.<br />

Paris, Librairie Larousse, 1946.<br />

Dictionnaire des grands musiciens.<br />

Sous la direction de Marc VIGNAL.<br />

Paris, Librairie Larousse, 1985.<br />

REBATET, Lucien.<br />

Une histoire de la musique.<br />

Paris, Robert Laffont-Compagnie française de librairie, 1987.<br />

La Bibliothèque nationale Széchényi.<br />

Budapest, Bibliothèque nationale Széchényi, 1972.<br />

CSAPODI,Csaba; CSAPODI-GARDO YI, Klara.<br />

Bibliotheca Corviniana. La Bibliothèque du roi Mathias Corvin de Hongrie.<br />

Budapest, Corvina Kiad6 - Helikon Kiad6, 1982 (comporte une importante bibliographie).<br />

LYNA, Frédéric.<br />

Les principaux manuscrits à peintures de la Bibliothèque royale de Belgique.<br />

Tome III, 1 ère partie. Edité par Mme Christiane PANTE S.<br />

Bruxelles, Bibliothèque royale Albert 1 er , 1989, p.68-76<br />

(comporte une importante bibliographie).<br />

VINCZE, Véronique.<br />

Le Missel de Mathias Corvin, Missel dit de Bruxelles.<br />

(Aperçu historique, description et analyse comparative du travail de son enlumineur:<br />

le ilorentin Attavante) Mémoire.<br />

Bruxelles, Université libre de Bruxelles - Section d'histoire de l'art et d'archéologie, Année<br />

académique 1989-1990 (comporte une importante bibliographie).<br />

DES OMBIAUX, Maurice.<br />

La Reine des gilles de Binche (Marie de Hongrie).<br />

Bruxelles, Les Editions de Belgique, 1943.


Le présent ouvrage a été imprimé en décembre 1993<br />

sur les presses de Bayez Imprimeurs à Bruxelles<br />

sur une maquette et mise en page de<br />

G.G.C. sa - Bruxelles<br />

O/il'ier GIIJ'allx. Marie-Hé/ène Sion. Bernard Mammerickx

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