Capacités d'absorption et gestion de crise - inhesj

Une histoire de l’entrepreneuriat illicite
Des ajustements et des stratégies innovantes
dans les marchés de la drogue en Colombie
Chantal PERRAS
La plupart des analyses supposent que
l’intervention policière seule va avoir un
impact sur le prix ou sur la pureté des
drogues, à un niveau ou à un autre de
la chaîne de distribution. Pourtant, Kopp
[1997] a démontré que ce n’est pas si simple 1 . Les raisons
des variations dans les marchés sont mal connues, et il
existe peu d’analyses fournissant une explication de ces
transformations. Il est peu probable que le travail policier
ait la capacité à lui seul d’expliquer les variations. C’est
pourquoi il est important d’explorer d’autres facteurs. Les
perceptions mal informées des trafiquants à propos des
risques encourus et les raisons de poursuivre dans cette
voie doivent être considérées. Les capacités d’adaptation
des trafiquants ne doivent pas non plus être négligées.
Morselli [2001] étudie les stratégies gagnantes des leaders
criminels. Pour contrer les actions policières et éviter les
coûts associés, les trafiquants diversifient leurs activités.
Dans cette étude, les indépendants tendent à diversifier
la nature des activités auxquelles ils se consacrent, tandis
que les membres de groupes « organisés » sont davantage
orientés vers la diversification des marchés en termes
géographiques.
La finalité de cet article est de comprendre ce qui fait
changer les trafiquants de produit et/ou de stratégie. On
sait que le travail de la police peut contribuer à faire
changer les routes empruntées de même que la nature du
produit qu’ils trafiquent. Morselli et Petit [2007] font la
démonstration que les groupes criminels sont flexibles
et capables de s’adapter à de nouveaux contextes créés par
la police. Les trafiquants modifient leurs stratégies et la
nature du produit qu’ils offrent à la fois pour répondre
aux pressions de la police, mais aussi aux besoins des
consommateurs. L’action de la police doit être mise en
contexte en explorant les autres facteurs qui sont importants
dans la lutte contre les stupéfiants, comme l’environnement
légal, la situation économique, la stabilité politique et la
corruption, la nature des groupes criminels et leur composition.
Un moyen de comprendre quels facteurs ont
une influence est d’étudier un groupe particulier sur une
longue période et d’observer les changements internes et
externes qu’il expérimente. L’angle d’étude choisi est celui
de l’installation par les trafiquants colombiens du marché
illicite de drogue et son évolution sur une longue période,
de 1920 à 2000. L’analyse révèle essentiellement que l’intervention
policière n’est pas le facteur d’impact unique
des variations dans l’offre de drogue des trafiquants
colombiens. Ce résultat va dans le sens des conclusions
de Kopp [1997]. Elle met en exergue d’autres facteurs dont
la capacité d’ajustement et d’innovation des trafiquants.
La logique prédominante sous-jacente est davantage économique
et proactive que réactive et protectionniste, bien
que cette dernière ait tout de même sa place, dans une
moindre mesure.
Les entrepreneurs illégitimes
La plupart des recherches criminologiques présupposent
qu’il est négatif en soi ou mauvais de poursuivre une
carrière criminelle. La recherche sur les trafiquants de
drogue tend à montrer que ceux-ci sont au contraire très
bien adaptés, et donc que le fait de poursuivre une
carrière criminelle peut être conçu comme étant positif.
Cette différence de vue permet de passer de l’analyse des
motivations à celle des opportunités et des contraintes de
l’environnement social dans lequel les trafiquants évoluent.
(1) En effet, le marché de la drogue répond également à un autre phénomène : l’inélasticité relative de la demande de drogue, qui n’est
pas égale pour tous les types de drogues. Les recherches sur les routes montrent également que, selon le type de drogues, elles vont
être plus ou moins longues et vont comporter plus ou moins d’intermédiaires.
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