19.11.2014 Views

1uldQeY

1uldQeY

1uldQeY

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Jean Biès<br />

Hommage<br />

l’enfance du futur », lui sont consacrés<br />

à l’occasion de la description de<br />

Pondichéry. Que le tropisme de Jean<br />

Biès pour l’Inde aille de pair avec<br />

une fort bonne connaissance de<br />

cette dernière, c’est ce qu’attestent<br />

les présentations qu’il a données<br />

de certaines grandes figures dans<br />

Les Grands Initiés du XXe s. et dans<br />

Voies de Sages. Douze maîtres<br />

spirituels témoignent de leur vérité :<br />

les présentations de Shrî Aurobindo,<br />

de Mère et de Satprem, de Râmana<br />

Maharshi, du Swâmi Râmdâs, de<br />

Krishnamurti, de Mâ Anandamayî, de<br />

Nisargadatta Maharaj, du Dalaï Lama,<br />

mais aussi de Jean Herbert, d’Henri<br />

Le Saux et d’Arnaud Desjardins sont<br />

des modèles du genre.<br />

Voici donc Jean Biès entré en<br />

sympathie, presque en fraternité,<br />

avec l’Inde à telle enseigne qu’il<br />

y effectuera en 1973 un voyage<br />

d’où il devait ramener L’Inde ici et<br />

maintenant. Lettres du Pays de l’Être<br />

/ Les Chemins de la ferveur. Voyage<br />

en Inde : le voici en quête d’« une<br />

terre primordiale, arborescente<br />

et visionnaire, moins située dans<br />

l’espace qu’à un certain niveau de la<br />

conscience humaine, flottant entre le<br />

temps et l’éternité comme un grand<br />

navire chargé de forêts et de villes »<br />

. Si l’on est en droit de juger que ce<br />

récit remarquable d’intelligence, de<br />

finesse et de sensibilité est de loin<br />

le meilleur jamais écrit sur l’Inde,<br />

c’est parce que Jean Biès réussit ce<br />

tour de force d’allier une justesse<br />

d’observation, une clairvoyance dans<br />

l’analyse et une érudition sans faille à<br />

une forme littéraire éblouissante aussi<br />

éloignée que possible de la pesanteur<br />

universitaire. Le récit de ce voyage en<br />

Inde est, en effet, servi par la grâce<br />

d’une prose poétique dont le style<br />

fluide et inventif, le style vibratile —<br />

style en parfaite adéquation avec ce<br />

milieu vibratoire qu’est l’Inde —, laisse<br />

apparaître ce tremblement léger qui<br />

fait le prix d’un livre : le plaisir de<br />

lire et de vibrer est constant dans ce<br />

livre qui nous convie à une fête de<br />

l’intelligence et du style.<br />

Par ailleurs, l’œuvre poétique de<br />

Jean Biès procède également d’une<br />

inspiration qui fait consciemment<br />

signe vers l’Inde : sa poétique puise<br />

aux sources orientales dès lors que la<br />

poésie, conçue « comme un exercice<br />

spirituel, à l’exemple de la Savitri<br />

d’Aurobindo » , y participe de ce<br />

qu’il est permis d’appeler, avec René<br />

Daumal, un Kâvya-yoga, un « Yoga<br />

poétique » . Plusieurs magnifiques<br />

poèmes de son Miroir de Poésie<br />

évoquent l’Inde.<br />

La spécificité du voyage en Inde<br />

selon Jean Biès<br />

Aucun récit n’a su décrire avec<br />

autant de justesse le paradoxe de tout<br />

voyage en Inde.<br />

Dès lors, qu’est-ce que voyager en<br />

Inde, sinon pratiquer l’introspection<br />

sous couvert de tourisme, et en<br />

se promenant à travers le pays,<br />

se reconnaître dans son miroir, se<br />

retrouver, se réconcilier avec soi<br />

et les autres, redevenir unité ? [...]<br />

Contempler l’Inde, c’est se préparer à<br />

la contemplation de notre profondeur,<br />

rejoindre notre essence par-delà<br />

la bigarrure phénoménale. [...]En<br />

sorte que n’y aurait-il plus un seul<br />

gourou dans toute l’Inde, que le<br />

voyage à travers ce pays éprouvant,<br />

déconcertant, incompréhensible<br />

comme seul peut l’être pour son<br />

disciple un maître spirituel, serait<br />

encore à lui seul une véritable<br />

sâdhanâ.<br />

Cela dit, Jean Biès se garde bien<br />

d’idéaliser l’Inde, attendu qu’il ne<br />

méconnaît pas pour autant la part<br />

d’ombre que recèle l’Inde.<br />

L’Inde au prisme de René Guénon<br />

C’est essentiellement à la lumière<br />

du métaphysicien René Guénon que<br />

Jean Biès aborde l’Inde. De la pensée<br />

de René Guénon il retient un certain<br />

nombre de thèmes, soulignant par<br />

là l’historialité de sa pensée, mais en<br />

se gardant toutefois de souscrire à<br />

certaines de ses assertions excessives<br />

et de verser dans son impatience<br />

apocalyptique assénée sur un ton<br />

péremptoire. Toujours est-il que<br />

c’est René Guénon qui lui révéla «<br />

l’opposition du sacré et du profane,<br />

la distinction entre ésotérisme et<br />

exotérisme, la doctrine des cycles,<br />

le langage symbolique, l’unité<br />

fondamentale des traditions, le procès<br />

du matérialisme et du scientisme, le<br />

chaos social, la primauté de l’action<br />

pour l’action » . R. Guénon est<br />

surtout invoqué à un double titre,<br />

pour sa doctrine “traditioniste” ou<br />

“pérennialiste” (ainsi qu’on a pu la<br />

qualifier afin de la distinguer du simple<br />

traditionalisme), d’une part, et en<br />

sa qualité d’auteur de l’Introduction<br />

générale à l’étude des doctrines<br />

hindoues (1921) et de L’Homme et<br />

son devenir selon le Vedânta (1925),<br />

de l’autre, R. Guénon apparaissant à<br />

Jean Biès comme « un pandit de la<br />

plus pure orthodoxie védântique » .<br />

De fait, l’Inde donne à connaître<br />

une culture qui vit dans le sacré,<br />

replaçant la vie individuelle et<br />

collective dans un nœud de symboles<br />

qui la relie au divin, lui conservant un<br />

sens : « Existe encore en Inde ce qui<br />

assure la durée des civilisations, et<br />

dont l’oubli précipite leur fin : le sens<br />

du mystère et du sacré, dont nous<br />

sommes affranchis » . Au plus loin de<br />

l’humanisme prométhéen de l’homme<br />

moderne fondé sur une révolte contre<br />

Dieu et la “tradition”, l’homme hindou<br />

est avant tout « un homme heureux,<br />

parce que relié » , et il est permis de se<br />

demander s’il n’est pas plus heureux<br />

dans son monde où le merveilleux<br />

est palpable dans un quotidien<br />

illuminé par une foi que nous sommes<br />

incapables de comprendre. Jean Biès<br />

confie à cet égard :<br />

Ce que j’ai ressenti en Inde, c’est que<br />

je m’y sentais beaucoup plus à l’aise<br />

que dans l’Occident sceptique, blasé,<br />

cynique qu’il est devenu ; une Inde où<br />

l’on peut se dire croyant sans honte<br />

ni complexe d’infériorité. L’air y est<br />

encore tellement saturé de sacré que<br />

les attitudes et croyances religieuses<br />

y apparaissent comme totalement<br />

normales et naturelles ; c’est le<br />

contraire qui ne le serait pas ; comme<br />

on le voit dans l’Occident moderne,<br />

où le véritable spirituel est presque<br />

condamné à la clandestinité. Même<br />

si l’Inde elle-même est détériorée, sur<br />

ces relations les plus spontanées avec<br />

le spirituel les Indiens ont beaucoup<br />

à nous apporter. Je me demande<br />

d’ailleurs si notre distinction du sacré<br />

et du profane n’est pas encore un fruit<br />

de l’Arbre dualiste. J’observe plutôt<br />

que le sacré imprègne ici jusqu’au<br />

profane, et mieux, que le profane<br />

n’est pas. [Au contraire], l’Occident<br />

est ainsi devenu insensiblement une<br />

immense liturgie à rebours, fondée sur<br />

tout ce qui peut détruire la beauté,<br />

colmater toutes chances d’élévation,<br />

de dépassement... Le Kali-yuga n’est<br />

pas seulement le temps où il n’y a<br />

plus que des problèmes sans solution,<br />

ni celui où le sacral cesse d’exister. Il<br />

est le temps où tout ce qui s’oppose<br />

fondamentalement au spirituel se fait<br />

passer pour spirituel.<br />

Avec René Guénon, Jean Biès<br />

partage la vision hindoue traditionnelle<br />

d’un temps fondamentalement<br />

cyclique, scandé par une succession<br />

de cycles de durée décroissante,<br />

— Satya-yuga, Tretâ-yuga, Dvâpara-<br />

Nouvelles De L’Inde<br />

juillet-août 2014<br />

11

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!