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Histoire Romain Rolland
©National Library of France
Même s’il découvre à Normale
Supérieure, où il séjourne de
1886 à 1889, la traduction
par Burnouf de la Bhagavad-
Gîta, la rencontre de Romain Rolland
avec l’Inde ne se réalise vraiment
qu’à partir de la première guerre
mondiale. Dès le début du conflit, le
célèbre auteur du roman-fleuve Jean-
Christophe a décidé de résider en Suisse
et de faire paraître ses articles dans
le Journal de Genève où, il dénonce,
se situant « au-dessus de la mêlée »,
le déferlement de haine entre la France
et l’Allemagne. C’est pourquoi lorsqu’en
février 1915, Ananda Coomaraswamy
lui dédie un article où il affirme
que le renouvellement de la culture
européenne ne peut se faire que grâce
à l’intervention des autres cultures,
l’écrivain s’enthousiasme. Et quand
l’historien de l’art lui envoie son ouvrage
The Arts and Crafts of India and Ceylan,
il s’écrie : « J’éprouve, en feuilletant les
pages illustrées, un ravissement. Cet
univers est trop riche, trop plein ! Ma
poitrine éclate. Elle est trop petite pour
le contenir. »
Les deux hémisphères de l’Esprit
Le discours de Tagore, en juin 1916,
lui apparait comme une véritable
incitation au dialogue avec l’Orient. À
l’Université impériale de Tokyo, l’auteur
de l’Offrande lyrique met en garde le
Japon contre la civilisation d’Europe,
« vorace et dominatrice », et dénonçant
son monopole, prophétise la fin du
monde occidental, essentiellement
scientifique, profondément inhumaine.
Le poète bengali engage l’Asie, à
remettre en question, dans son
processus de décolonisation, les
valeurs prônées par les Européens, et
pour cela à prendre conscience de sa
propre richesse intérieure, ce qui doit
déboucher, pense-t-il, sur un dialogue
d’égal à égal avec l’Occident.
Pour Rolland, abattu de voir
les Européens s’entredéchirer, ce
discours marque un tournant dans
l’histoire du monde. Délaissant
l’Europe fratricide, l’écrivain s’ouvre
à l’internationalisme. Et lorsqu’à
la fin de la guerre, il demande à
Tagore d’adhérer à sa « Déclaration
d’indépendance de l’esprit »,
il précise le sens de sa profession
de foi : « Je voudrais que désormais
l’intelligence de l’Asie prît une part
de plus en plus régulière dans les
manifestations de la pensée d(Europe.
Mon rêve serait que l’on vît, un jour,
l’union de ces deux hémisphères de
l’Esprit ; et je vous admire d’y avoir
contribué plus que quiconque.»
Le poète se rendra plusieurs fois
en Europe et rencontrera Rolland à
plusieurs reprises : à Paris en 1921,
puis en 1926 en Suisse, où il a décidé
de s’installer définitivement, et une
dernière fois à Genève en 1930. Les
échanges portent essentiellement
sur la musique, la poésie, la danse et
la peinture et une correspondance (la
dernière lettre de Tagore date de 1940)
accompagne cette amitié entre les
deux hommes.
40 juillet-août 2014 Nouvelles De L’Inde