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Jean Biès<br />
Hommage<br />
Conception du monde unitive,<br />
inclusive, synthétique, alors que la<br />
nôtre se perd en analyses du multiple,<br />
oppose, exclut » .<br />
Dans ces conditions, l’on conçoit<br />
que Jean Biès puisse alors rapprocher<br />
le Soi jungien et l’âtman des hindous :<br />
Jung dit du Soi qu’il est « une sorte<br />
de Dieu » en nous. [...] Il est pour lui<br />
l’harmonisation aboutie de toutes<br />
les composantes de l’inconscient,<br />
obtenue par équilibrages simultanés<br />
: la voie du milieu juste, celle de la<br />
sagesse, beaucoup plus que par une<br />
ascèse mystique, la voie de la sainteté.<br />
Mais on a parfois l’impression que<br />
le Soi jungien échappe parfois à son<br />
concepteur, se hausse au-dessus de<br />
lui-même pour se rapprocher plus<br />
nettement d’une réalité métaphysique.<br />
C’est l’extrême résultat du processus<br />
d’individuation, qui n’est pas sans<br />
rappeler le symbolisme de la croix.<br />
Le « polythéisme de l’âme »<br />
Jean Biès est sensible aux<br />
bénéfices du polythéisme hindou.<br />
Dans une perspective jungienne,<br />
il est clair que pareil polythéisme,<br />
avec son éventail de figures divines<br />
incarnant les divers archétypes<br />
existentiels, apparaît davantage<br />
de nature à satisfaire les besoins<br />
psychiques de l’homme sous la forme<br />
d’un « polythéisme de l’âme » (pour<br />
reprendre l’expression de James<br />
Hillman), tandis qu’en Occident, au<br />
contraire, « névroses et psychoses<br />
sont les trous laissés dans l’âme par<br />
les dieux, une fois que les hommes les<br />
en ont chassés », comme dit joliment<br />
Jean Biès .<br />
Grâce à son polythéisme,<br />
l’hindouisme se montre beaucoup plus<br />
tolérant que les religions abrahamiques :<br />
Vivre au milieu de plusieurs<br />
millions de dieux tend à les faire<br />
considérer sinon comme équivalents,<br />
du moins comme tous valables<br />
ou respectables. Il est certain, au<br />
contraire, que Yavhé, Allâh et le Dieu<br />
trinitaire présentent, surtout du point<br />
de vue exotérique, qui est à peu près<br />
le seul retenu, des incompatibilités<br />
flagrantes. Le monothéisme exclusif<br />
conduit forcément à un niveau<br />
passionnel, volitif, sentimental ; il a<br />
des démangeaisons d’un intolérable<br />
prosélytisme. [...] Aux anathèmes<br />
réciproques entre juifs, chrétiens et<br />
musulmans, même si des tentatives<br />
de rapprochement ont lieu depuis<br />
quelque temps, je préfère de beaucoup<br />
le fait que les Vishnouïtes, dans leurs<br />
litanies des noms de Vishnou, incluent<br />
celui de Shiva, et que les shivaïtes,<br />
dans leurs litanies de noms de Shiva,<br />
incluent celui de Vishnou.<br />
« L’Ynde ou la profuse priorité<br />
féminine »<br />
N’hésitant pas à faire un jeu de mots,<br />
digne de la « langue des oiseaux », avec<br />
le Yin du couple de polarités Yin/Yang,<br />
Jean Biès célèbre la prédominance du<br />
Yin et de la polarité féminine en Inde<br />
: « L’YNDE, c’est, d’abord et partout,<br />
cette profuse priorité féminine. »<br />
« Toujours honorée en Inde,<br />
la féminité y imprime une<br />
douceur, une grâce exquise,<br />
nuancée parfois de mélancolie. »<br />
Parmi les connaisseurs de l’Inde il est<br />
l’un des rares à avoir compris que<br />
l’Inde, derrière une façade patriarcale,<br />
est en fait un matriarcat ou du moins<br />
conserve des traces d’un matriarcat<br />
d’origine, s’il est vrai que les femmes<br />
en Inde sont le réceptacle de la divine<br />
shakti.<br />
L’Inde au prisme de l’Alchimie<br />
Autre approche des plus originales<br />
de l’Inde, celle qui l’aborde à la<br />
lumière de l’Alchimie. aux yeux de<br />
Jean Biès, c’est en Inde que l’Alchimie<br />
trouve son lieu d’élection : « L’Inde,<br />
qui n’a point renié son “ ombre “,<br />
est, aujourd’hui encore, tout entière<br />
alchimique, Alchimie à l’état sauvage<br />
» . De fait, des correspondances se<br />
décèlent entre l’Inde et « l’Art royal, le<br />
Tantra-Yoga de l’Occident » . A la suite<br />
de Jung, Jean Biès puisse tenir que<br />
l’Alchimie offre assez d’éléments<br />
pour constituer un véritable “ yoga de<br />
l’Occident “. [...] Il y a dans l’héritage<br />
de l’Occidental de quoi lui rendre les<br />
possibilités de son propre yoga en<br />
tant que voie autochtone, complète,<br />
originale. Il semble que l’Alchimie, qui<br />
Bibliographie de Jean Biès (sélection) :<br />
perpétue l’art sacerdotal de l’ancienne<br />
Égypte et procure un moyen d’union<br />
au principe divin en faisant passer de<br />
la mort à la résurrection, corresponde<br />
bien à la définition qu’on peut donner<br />
du “ yoga “.<br />
Auteur d’une œuvre qui brille d’un<br />
éclat singulier, Jean Biès est ainsi le<br />
dernier à s’inscrire dans cette théorie<br />
des “ passeurs “ ou “ intercesseurs “<br />
qui ont assuré la réception de l’Inde<br />
en Occident. Parmi le cortège de ces<br />
« passeurs » la figure de Jean Biès se<br />
singularise en ce qu’elle se présente<br />
comme celle d’un éveilleur de l’âme<br />
doublé d’un enchanteur : quelle<br />
merveille de rencontrer en celui qui<br />
se définit comme « un Montaigne<br />
qui aurait lu Shankara » un être<br />
pleinement individué au sens jungien<br />
du terme !<br />
Tant de pèlerinages aux<br />
sources, s’interroge-t-il, finirontils<br />
par transformer l’intelligence<br />
de l’Européen, ses approches<br />
des problèmes, sa sensibilité, son<br />
comportement ?... L’eau qu’il en<br />
rapporte se sera-t-elle échappée<br />
tout entière des valises, quand il les<br />
ouvrira, de retour chez lui ?... Sur tant<br />
de milliers de pèlerins, il ne semble pas<br />
croyable qu’aucun n’ait encore rien<br />
ramené aux marches de l’Occident,<br />
qui ne soit susceptible d’y modifier<br />
lentement l’aspect de certains<br />
domaines. Ces ruées annuelles ne<br />
sont pas rappeler les visites des<br />
Grecs aux derniers initiés d’Égypte,<br />
ou les séjours de Rome auprès des<br />
derniers philosophes athéniens, pour<br />
en acquérir la sagesse qui lui faisait<br />
défaut. En fait l’Orient nous pénètre<br />
déjà de partout. n<br />
François Chenet, Université de<br />
Paris-Sorbonne (Paris 4)<br />
Littérature française et Pensée hindoue, des origines à 1950, Klincksieck, Paris,<br />
1973.<br />
L’Inde, ici et maintenant, Lettres du pays de l’Etre, Dervy-Livres, Paris, 1979.<br />
Retour à l’Essentiel – Quelle spiritualité pour l’homme d’aujourd’hui ?, Dervy-<br />
Livres, Paris, 1980.<br />
Passeports pour des temps nouveaux, Dervy-Livres, Paris, 1982.<br />
Art, Gnose et Alchimie – Trois sources de régénérescence, Le Courrier du livre,<br />
Paris, 1987.<br />
L’Initiatrice, Ed. J. renard, Diff. Le Dauphin, Paris, 1990.<br />
Par les Chemins de vie et d’œuvre – entretiens avec Mireya de Alson, Les Deux<br />
Océans, Paris, 2001.<br />
Petit Dictionnaire d’impertinences spirituelles, Editions Entrelacs, Paris, 2006.<br />
Nouvelles De L’Inde<br />
juillet-août 2014<br />
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