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Numéro 24 - Le libraire

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Littérature québécoise<br />

NADINE BISMUTH<br />

Propos recueillis par Stanley Péan<br />

Et les gens infidèles,<br />

alors… <br />

<strong>Le</strong>s Gens fidèles ne font pas les nouvelles :tel était le titre, ironique à souhait, du recueil de nouvelles<br />

qui avait imposé Nadine Bismuth comme l’une des voix importantes de la relève en littérature québécoise.<br />

Or, voici que la lauréate du prix Adrienne-Choquette de la nouvelle et du Prix des <strong>libraire</strong>s du<br />

Québec en 2000 signe cet automne Scrapbook, un roman mettant en scène des personnages qui<br />

fréquentent l’université et le milieu littéraire, et qui dresse un tableau guère reluisant des relations<br />

amoureuses en notre époque en deuil de repères. <strong>Le</strong>s gens infidèles feraient-ils donc les romans <br />

Excusez-moi de commencer avec des questions convenues,<br />

mais qu’est-ce qui a motivé le passage de la<br />

nouvelle au roman Ne vous sentiez-vous donc pas<br />

essentiellement auteure de nouvelles <br />

Je voulais relever un défi nouveau. Et puis, l’histoire m’a<br />

imposé le genre. J’avoue que je croyais les deux pratiques<br />

plus similaires. Je me suis rappelé de ce que Kundera raconte<br />

dans un de ses essais sur les genres narratifs, entre<br />

lesquels il n’y aurait selon lui aucune différence<br />

ontologique, mais je ne suis pas d’accord. <strong>Le</strong> romancier n’a<br />

pas le choix de donner un destin à ses personnages, sinon<br />

il décevrait les lecteurs, alors que le nouvelliste peut se contenter<br />

d’ouvrir la porte sur la vie des personnages, d’espionner<br />

leur querelle, de la rapporter puis de refermer la<br />

porte.<br />

<strong>Le</strong> romancier serait-il donc davantage contraint par<br />

les attentes du lecteur <br />

Oui et non. Cette conclusion à l’histoire d’Annie, je la<br />

souhaitais autant que les lecteurs. Au début, je m’étais fait<br />

un plan précis de ce roman, mais au cours des deux années<br />

d’écriture, beaucoup de choses ont changé, et je me suis<br />

retrouvée moi-même à suivre Annie.<br />

Nous suivons votre héroïne, doctorante à McGill et<br />

jeune étoile de la relève littéraire, du côté des coulisses<br />

des milieux universitaire et littéraire québécois ;<br />

en quoi ce contexte, cette faune vous sont-ils apparus<br />

intéressants comme matière romanesque <br />

Ce milieu n’est pas plus romanesque qu’un autre. Mais il y a<br />

à l’université des jeux de pouvoirs, des fonctions et des<br />

positions hiérarchiques bien définies pour chacun des personnages,<br />

profs ou étudiants, des guerres intestines entre<br />

différentes factions, comme celle qui oppose les tenants de<br />

la critique littéraire à ceux de la création.Quant au milieu littéraire,<br />

il m’intéressait pour les mêmes raisons et aussi à<br />

cause de la diversité des types de personnages qui<br />

l’habitent : éditeurs, écrivains, correcteurs, etc.<br />

Ce roman marque la première apparition dans nos<br />

lettres d’un correcteur, en l’occurrence le beau<br />

Avec son écriture intimiste et sensuelle,<br />

Marie José Thériault s’est imposée au fil<br />

des années 80 comme l’une des conteuses<br />

et nouvellistes essentielles de la littérature<br />

québécoise. D’où la nécessité de<br />

(re)découvrir ces Portraits d’Elsa et autres<br />

histoires qui reparaissent (enfin !) en format<br />

de poche aux Éditions du Dernier<br />

Havre.<br />

Laurent dont s’éprend l’héroïne. En ce sens, la thèse<br />

qu’Annie projette de rédiger (sur l’influence des<br />

réviseurs dans la littérature québécoise) n’est vraiment<br />

pas si bête…<br />

Je sais, c’est très réaliste et ça passerait, je vous jure. Après<br />

tout, ces gens-là interviennent énormément dans les<br />

textes. Et puis, j’ai vu des sujets d’étude bien plus farfelus à<br />

l’université. Alors peut-être pas une thèse de doctorat, mais<br />

au moins un article fouillé pour Voix et images (rires).<br />

Annie n’y va pas de main morte en ce qui concerne les<br />

sujets d’écriture de ses condisciples (les filles<br />

obsédées par la taille de l’engin de leur copain ; les<br />

gars, soit par le fantastique sanguinolent, soit par<br />

leurs chagrins d’amour)…<br />

Je ne partage pas forcément son regard sur ses condisciples,<br />

mais elle fait allusion à des modes. Chaque écrivain a<br />

la prétention d’être unique et Annie se distancie de ces<br />

modes-là. Mais je ne cherchais pas forcément à critiquer<br />

mes contemporains. Ce n’est pas vrai qu’on ne retrouve<br />

que ces types de sujets dans les cours de création, je caricaturais…<br />

Comme quand je fais référence aux disques de<br />

<strong>Le</strong>onard Cohen ou de Jay-Jay Johanson comme trames<br />

sonores obligées de toute soirée de baise : je m’en prends<br />

à des modes.<br />

Parlant de modes, compte tenu de tout le débat<br />

autour de l’autofiction qui perdure et aussi de votre<br />

propre parcours, ne redoutez-vous pas que ce livre<br />

soit perçu comme un récit autobiographique <br />

J’ai conçu ce livre comme une parodie. J’y ai semé des<br />

pistes qui peuvent laisser penser qu’Annie est mon alter<br />

ego, mais aussi des alibis qui prouvent<br />

le contraire. J’ai fait de même pour les<br />

autres personnages, l’entourage<br />

d’Annie, les profs, les autres étudiants, le<br />

personnel de la maison d’édition où<br />

elle publie son roman. Ce qui était<br />

important pour moi, c’était de camper<br />

mon roman dans un univers<br />

autonome.<br />

© Dominique Thibodeau<br />

Mais vous aviez la question de la<br />

réception d’une fiction bien à l’esprit :<br />

pensons à la scène où la mère<br />

d’Annie se braque à la lecture du<br />

roman de sa fille, où elle croit se<br />

reconnaître…<br />

C’est sûr. L’ennui, c’est que les gens se<br />

reconnaissent toujours dans les œuvres<br />

des écrivains qu’ils connaissent. Il y a un<br />

tas de lecteurs qui ont cru se reconnaître<br />

dans mes nouvelles.<br />

Entre ce prof qui a fini par faire de sa<br />

maîtresse sa conjointe légitime et<br />

Annie ou sa sœur Léonie, avec leurs<br />

chassés-croisés sentimentaux, leurs<br />

chapelets d’histoires clandestines,<br />

d’infidélités, de déchirements, il y a<br />

déclinaison de tout un spectre d’histoires<br />

amoureuses. Quel constat<br />

faire sur la génération actuelle et<br />

son comportement en amour <br />

Je ne crois pas que ça change beaucoup<br />

d’une génération à l’autre. Nos aînés ne<br />

sont pas plus brillants, plus sages que<br />

nous dans leurs rapports amoureux. <strong>Le</strong><br />

désarroi sentimental est une chose assez<br />

intemporelle, je crois. C’est sûr que parfois<br />

des circonstances peuvent être différentes<br />

(la présence ou non d’enfants,<br />

par exemple) mais je crois fondamentalement<br />

qu’en amour, plus ça change, plus<br />

c’est pareil, non <br />

Scrapbook, Nadine Bismuth, Boréal, 25,95 $<br />

<strong>Le</strong>s Gens fidèles ne font pas les nouvelles, Nadine Bismuth, Boréal Compact, 13,95 $<br />

le <strong>libraire</strong> • SEPTEMBRE 2004 18

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