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Littérature québécoise<br />
NADINE BISMUTH<br />
Propos recueillis par Stanley Péan<br />
Et les gens infidèles,<br />
alors… <br />
<strong>Le</strong>s Gens fidèles ne font pas les nouvelles :tel était le titre, ironique à souhait, du recueil de nouvelles<br />
qui avait imposé Nadine Bismuth comme l’une des voix importantes de la relève en littérature québécoise.<br />
Or, voici que la lauréate du prix Adrienne-Choquette de la nouvelle et du Prix des <strong>libraire</strong>s du<br />
Québec en 2000 signe cet automne Scrapbook, un roman mettant en scène des personnages qui<br />
fréquentent l’université et le milieu littéraire, et qui dresse un tableau guère reluisant des relations<br />
amoureuses en notre époque en deuil de repères. <strong>Le</strong>s gens infidèles feraient-ils donc les romans <br />
Excusez-moi de commencer avec des questions convenues,<br />
mais qu’est-ce qui a motivé le passage de la<br />
nouvelle au roman Ne vous sentiez-vous donc pas<br />
essentiellement auteure de nouvelles <br />
Je voulais relever un défi nouveau. Et puis, l’histoire m’a<br />
imposé le genre. J’avoue que je croyais les deux pratiques<br />
plus similaires. Je me suis rappelé de ce que Kundera raconte<br />
dans un de ses essais sur les genres narratifs, entre<br />
lesquels il n’y aurait selon lui aucune différence<br />
ontologique, mais je ne suis pas d’accord. <strong>Le</strong> romancier n’a<br />
pas le choix de donner un destin à ses personnages, sinon<br />
il décevrait les lecteurs, alors que le nouvelliste peut se contenter<br />
d’ouvrir la porte sur la vie des personnages, d’espionner<br />
leur querelle, de la rapporter puis de refermer la<br />
porte.<br />
<strong>Le</strong> romancier serait-il donc davantage contraint par<br />
les attentes du lecteur <br />
Oui et non. Cette conclusion à l’histoire d’Annie, je la<br />
souhaitais autant que les lecteurs. Au début, je m’étais fait<br />
un plan précis de ce roman, mais au cours des deux années<br />
d’écriture, beaucoup de choses ont changé, et je me suis<br />
retrouvée moi-même à suivre Annie.<br />
Nous suivons votre héroïne, doctorante à McGill et<br />
jeune étoile de la relève littéraire, du côté des coulisses<br />
des milieux universitaire et littéraire québécois ;<br />
en quoi ce contexte, cette faune vous sont-ils apparus<br />
intéressants comme matière romanesque <br />
Ce milieu n’est pas plus romanesque qu’un autre. Mais il y a<br />
à l’université des jeux de pouvoirs, des fonctions et des<br />
positions hiérarchiques bien définies pour chacun des personnages,<br />
profs ou étudiants, des guerres intestines entre<br />
différentes factions, comme celle qui oppose les tenants de<br />
la critique littéraire à ceux de la création.Quant au milieu littéraire,<br />
il m’intéressait pour les mêmes raisons et aussi à<br />
cause de la diversité des types de personnages qui<br />
l’habitent : éditeurs, écrivains, correcteurs, etc.<br />
Ce roman marque la première apparition dans nos<br />
lettres d’un correcteur, en l’occurrence le beau<br />
Avec son écriture intimiste et sensuelle,<br />
Marie José Thériault s’est imposée au fil<br />
des années 80 comme l’une des conteuses<br />
et nouvellistes essentielles de la littérature<br />
québécoise. D’où la nécessité de<br />
(re)découvrir ces Portraits d’Elsa et autres<br />
histoires qui reparaissent (enfin !) en format<br />
de poche aux Éditions du Dernier<br />
Havre.<br />
Laurent dont s’éprend l’héroïne. En ce sens, la thèse<br />
qu’Annie projette de rédiger (sur l’influence des<br />
réviseurs dans la littérature québécoise) n’est vraiment<br />
pas si bête…<br />
Je sais, c’est très réaliste et ça passerait, je vous jure. Après<br />
tout, ces gens-là interviennent énormément dans les<br />
textes. Et puis, j’ai vu des sujets d’étude bien plus farfelus à<br />
l’université. Alors peut-être pas une thèse de doctorat, mais<br />
au moins un article fouillé pour Voix et images (rires).<br />
Annie n’y va pas de main morte en ce qui concerne les<br />
sujets d’écriture de ses condisciples (les filles<br />
obsédées par la taille de l’engin de leur copain ; les<br />
gars, soit par le fantastique sanguinolent, soit par<br />
leurs chagrins d’amour)…<br />
Je ne partage pas forcément son regard sur ses condisciples,<br />
mais elle fait allusion à des modes. Chaque écrivain a<br />
la prétention d’être unique et Annie se distancie de ces<br />
modes-là. Mais je ne cherchais pas forcément à critiquer<br />
mes contemporains. Ce n’est pas vrai qu’on ne retrouve<br />
que ces types de sujets dans les cours de création, je caricaturais…<br />
Comme quand je fais référence aux disques de<br />
<strong>Le</strong>onard Cohen ou de Jay-Jay Johanson comme trames<br />
sonores obligées de toute soirée de baise : je m’en prends<br />
à des modes.<br />
Parlant de modes, compte tenu de tout le débat<br />
autour de l’autofiction qui perdure et aussi de votre<br />
propre parcours, ne redoutez-vous pas que ce livre<br />
soit perçu comme un récit autobiographique <br />
J’ai conçu ce livre comme une parodie. J’y ai semé des<br />
pistes qui peuvent laisser penser qu’Annie est mon alter<br />
ego, mais aussi des alibis qui prouvent<br />
le contraire. J’ai fait de même pour les<br />
autres personnages, l’entourage<br />
d’Annie, les profs, les autres étudiants, le<br />
personnel de la maison d’édition où<br />
elle publie son roman. Ce qui était<br />
important pour moi, c’était de camper<br />
mon roman dans un univers<br />
autonome.<br />
© Dominique Thibodeau<br />
Mais vous aviez la question de la<br />
réception d’une fiction bien à l’esprit :<br />
pensons à la scène où la mère<br />
d’Annie se braque à la lecture du<br />
roman de sa fille, où elle croit se<br />
reconnaître…<br />
C’est sûr. L’ennui, c’est que les gens se<br />
reconnaissent toujours dans les œuvres<br />
des écrivains qu’ils connaissent. Il y a un<br />
tas de lecteurs qui ont cru se reconnaître<br />
dans mes nouvelles.<br />
Entre ce prof qui a fini par faire de sa<br />
maîtresse sa conjointe légitime et<br />
Annie ou sa sœur Léonie, avec leurs<br />
chassés-croisés sentimentaux, leurs<br />
chapelets d’histoires clandestines,<br />
d’infidélités, de déchirements, il y a<br />
déclinaison de tout un spectre d’histoires<br />
amoureuses. Quel constat<br />
faire sur la génération actuelle et<br />
son comportement en amour <br />
Je ne crois pas que ça change beaucoup<br />
d’une génération à l’autre. Nos aînés ne<br />
sont pas plus brillants, plus sages que<br />
nous dans leurs rapports amoureux. <strong>Le</strong><br />
désarroi sentimental est une chose assez<br />
intemporelle, je crois. C’est sûr que parfois<br />
des circonstances peuvent être différentes<br />
(la présence ou non d’enfants,<br />
par exemple) mais je crois fondamentalement<br />
qu’en amour, plus ça change, plus<br />
c’est pareil, non <br />
Scrapbook, Nadine Bismuth, Boréal, 25,95 $<br />
<strong>Le</strong>s Gens fidèles ne font pas les nouvelles, Nadine Bismuth, Boréal Compact, 13,95 $<br />
le <strong>libraire</strong> • SEPTEMBRE 2004 18