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Essais et documents<br />
Une chronique de France-Isabelle Langlois<br />
Quatre visages<br />
d’Amérique<br />
Aux États-Unis, la campagne présidentielle s’intensifie ; Bush et Kerry sont<br />
plus que jamais au coude à coude : cela leur vaut probablement que l’on<br />
écrive des pages et des pages à leur sujet. Du côté de l’Amérique latine, le<br />
président brésilien Lula et l’inébranlable et infatigable révolutionnaire<br />
cubain qu’est Castro, personnages politiques aux parcours plus intéressants,<br />
font couler un peu moins d’encre, mais quand même.<br />
Illustration de Al Jaffee © Mad Magazine 1965<br />
<strong>Le</strong> président… et ses hommes<br />
Il n’y a pas à redire, le 11 septembre a fait de l’insipide George W.<br />
Bush, un « homme livresque ». Tout d’un coup, il vaut la peine<br />
qu’on s’y attarde, à lui, sa politique et à tous les oisillons et autres<br />
vautours qui l’entourent à la Maison-Blanche. On écrit livre sur<br />
livre, analyse sur analyse, thèse sur thèse : plus que jamais la<br />
Maison-Blanche est devenue la tour de contrôle du monde<br />
entier, et pour notre plus grand malheur, c’est un certain W. qui<br />
est aux commandes.<br />
Bob Woodward, ce journaliste du Washington Post qui avait<br />
révélé le scandale du Watergate en 1974, est décidément inspiré<br />
par Bush et ses conseillers. Après Bush s’en va-t-en guerre<br />
(Denoël, 2002), voici qu’il récidive avec Plan d’attaque (Denoël,<br />
2004). Dans ce document, l’auteur, qui a interviewé plusieurs<br />
protagonistes de la CIA, de la Maison-Blanche et du Pentagone,<br />
dont le président lui-même, nous fait le récit chronologique et<br />
détaillé des seize mois qui ont précédé la guerre en Irak : négociations,<br />
discussions, tractations, jeux de coulisses, intérêts des<br />
uns et des autres se confondent et s’entrecroisent. <strong>Le</strong> plan d’attaque<br />
des Etats-Unis en ce qui concerne l’Irak, nous dit<br />
Woodward, est apparu dès le 11 septembre. L’Irak aurait été la<br />
priorité de plusieurs membres de l’administration, dont le viceprésident<br />
Dick Cheney. On commençait à s’en douter un peu :<br />
Merci, M. Woodward.<br />
Plus agaçant encore, dans ce récit linéaire, très minutieux et<br />
méthodique, c’est cette façon qu’a l’auteur de nous présenter un<br />
Bush « personnage secondaire », qui n’y est pratiquement pour<br />
rien, comme si tout avait été plus ou moins tramé à son insu…<br />
<strong>Le</strong> pauvre, il a été berné ! Pour la somme d’informations, les<br />
entrevues exclusives qui sont reproduites dans l’ouvrage, ça peut<br />
valoir la peine. Pour le reste…<br />
<strong>Le</strong> prétendant<br />
De son côté, John Kerry, qui peine à faire parler de lui dans les<br />
médias — surtout en bien —, et qui n’arrive pas à dépasser<br />
Bush dans les sondages, fait l’objet d’une attention plus modeste.<br />
Une modeste maison d’édition française, Alban, vient de faire<br />
paraître John F. Kerry : L’anti-Bush. Un portrait quelque peu<br />
complaisant de celui qui serait certes un meilleur président que<br />
n’a pu l’être son adversaire, mais tout de même. De toute évidence,<br />
les auteurs, Sean Besanger et Alex Thomas, respectivement<br />
expert économique à Washington et spécialiste du droit<br />
international, ont été vite en besogne. Bizarre, par ailleurs, que le<br />
bouquin n’ait pas été d’abord publié en anglais…<br />
Nos critiques, les auteurs les avaient un peu prévues, sans doute<br />
conscients qu’ils tournaient les coins ronds. C’est ainsi qu’ils<br />
écrivent en conclusion : « Face aux lecteurs qui nous<br />
reprocheront de donner une vision trop partisane des candidats<br />
aux élections présidentielles de novembre 2004, nous plaidons<br />
d’avance ‘‘ coupables ’’ d’avoir une terrible envie de voter John<br />
Kerry. Là où l’administration Bush a traité les Canadiens de vassaux<br />
et les Français en adversaires, une administration Kerry<br />
reviendrait à des rapports plus amicaux et sensés. »<br />
Faut-il en conclure que les auteurs sont eux-mêmes canadiens et<br />
européens Ont-ils le droit de vote aux États-Unis Questions<br />
demeurées sans réponses devant notre « pas tellement grand<br />
envie de faire trop de recherches, pour si peu ». C’est aussi mal<br />
écrit. Visiblement, aucun correcteur réviseur n’est passé par là. Et<br />
on se demande exactement pourquoi les auteurs ont choisi de<br />
s’adresser aux Canadiens et aux Européens, avec la volonté de les<br />
inciter à voter pour Kerry, qu’ils nous disent être héritier de Gide<br />
(rien de moins), Roosevelt, Kennedy, et parent tant de la reine<br />
d’Angleterre de Janis Joplin. Bref, c’est déjà trop de lignes pour<br />
si peu.<br />
<strong>Le</strong> Sud…<br />
Beaucoup plus intéressant, mieux fait, et sans prétention aux<br />
allures d’outrecuidance, est l’ouvrage de Candido Mendes,<br />
Il n’y a pas<br />
à redire,<br />
le 11 septembre a<br />
fait de l’insipide<br />
George W. Bush,<br />
un « homme<br />
livresque ».<br />
Tout d’un coup,<br />
il vaut la peine<br />
qu’on s’y<br />
attarde, à lui,<br />
sa politique et à<br />
tous les oisillons<br />
et autres<br />
vautours qui<br />
l’entourent à la<br />
Maison-Blanche.<br />
Lula : Une gauche qui s’éveille, chez<br />
Descartes et Cie. Mendes est un compagnon<br />
de lutte de longue date du petit<br />
cireur de chaussures devenu président du<br />
Brésil, 10 e puissance économique au<br />
monde. Luis Ignacio da Silva, mieux<br />
connu sous le diminutif de Lula, est le<br />
nouveau président du pays, élu il y a un<br />
peu plus d’un an, convaincu qu’un autre<br />
monde était possible, et que cela passait<br />
par un autre Brésil. Dure tâche à laquelle<br />
son équipe du Parti des travailleurs (PT)<br />
et lui se sont attelés.<br />
C’est au récit du parcours de ces hommes<br />
et femmes rassemblés autour de Lula que<br />
nous convie Mendes. <strong>Le</strong> chemin a été<br />
long jusqu’au pouvoir, il a fallu encaisser<br />
pas mal de coups. Mais sans doute, à partir<br />
de maintenant, le chemin sera-t-il<br />
encore plus long. <strong>Le</strong> Parti des travailleurs<br />
brésiliens, incarné par Lula, est un parti<br />
de réflexion et d’action qui met de l’avant<br />
non seulement une nouvelle façon de<br />
gouverner, mais une nouvelle façon de<br />
gauche de gouverner. Tranquillement, on<br />
assiste à la construction d’un nouveau<br />
Brésil, plus juste, plus équitable, sans trop<br />
de bousculade et avec beaucoup de compromis.<br />
Ce qui n’est pas sans conséquence<br />
sur le reste de l’Amérique latine.<br />
Un beau témoignage, de la part de<br />
Candido Mendes, quoiqu’un peu scolaire.<br />
On se prend à imaginer un ouvrage sur<br />
Lula à la manière d’un Montalban, qui en<br />
1996, publiait au Seuil Et Dieu est entré<br />
dans La Havane. Si vous n’avez pas lu ce<br />
superbe récit prenant pour prétexte la<br />
visite du pape à Cuba, courez chez votre<br />
<strong>libraire</strong> immédiatement et demandez<br />
qu’on vous le commande. Que vous soyez<br />
castriste ou pas (je ne le suis pas), vous<br />
prendrez un véritable plaisir à lire ce petit<br />
bijou sur Castro, bien sûr, mais sur Cuba,<br />
La Havane et les Cubains en général.<br />
Plan d’attaque, Bob Woodward, Denoël, 34,95 $<br />
Bush s’en va-t-en guerre, Bob Woodward, 10/18, <strong>24</strong>,95 $<br />
John F. Kerry : L’anti-Bush, Sean Besanger & Alex Thomas, Alban Éditions, 29,95 $<br />
Lula : Une gauche qui s’éveille, Candido Mendes, Descartes et Cie, <strong>24</strong>,95 $<br />
Et Dieu est entré dans La Havane, Manuel Vazquez Montalban, Seuil, 39,95 $<br />
37 le <strong>libraire</strong> • SEPTEMBRE 2004