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Littérature québécoise<br />
DOMINIQUE LAVALLÉE<br />
Éloge modéré<br />
de l’excès<br />
Moins d’un an après la parution de son premier recueil de nouvelles, La Course folle des spermatozoïdes,<br />
Dominique Lavallée frappe encore… Son plus récent bouquin, Étonnez-moi, mais pas trop !,réunit une dizaine<br />
de nouvelles axées autour de quelques thèmes fétiches, dont l’angoisse de vieillir, la mort et les lendemains de<br />
la révolution féministe. Rencontre avec une provocatrice excessive… mais modérée !<br />
Propos recueillis par Stanley Péan<br />
Selon vous,qu’est-ce qui distingue le plus votre deuxième<br />
recueil du précédent <br />
Quelle question embarrassante ! Je suis fière de l’un et de l’autre,<br />
quoique pour des raisons différentes. La Course folle des spermatozoïdes,<br />
c’était comme un journal personnel, même si mes<br />
proches disent m’avoir retrouvée davantage dans le plus récent.<br />
Dans mon premier livre, les rapports aux autres débouchaient<br />
toujours sur l’autodestruction, la violence infligée à soi-même.<br />
Dans le deuxième, il y a quelque chose de plus offensif vers l’extérieur…<br />
D’où la photographie reproduite sur la couverture, qui<br />
montre une femme sur un ring de boxe, en position d’attaque<br />
<br />
Oui. <strong>Le</strong>s nouvelles ici mettent en scène des gens qui font irruption<br />
dans la vie de personnages féminins et les bousculent. Ces<br />
femmes sombrent dans les débordements, prennent des décisions<br />
excessives. Elles veulent qu’il se passe quelque chose dans<br />
leur vie… mais pas trop, parce qu’elles craignent de réagir trop<br />
fortement, d’aller trop loin en contrepartie. Je m’intéresse à l’animalité<br />
des protagonistes ; la spontanéité, la colère, toutes ces<br />
traces d’animalité qui ne sont pas filtrées par les consignes de la<br />
société. On aura beau dire, la violence n’est jamais acceptable<br />
lorsque exercée par une femme. Je ne cherche pas à la<br />
légitimer ; mais comme la vie moderne exige de nous une<br />
certaine perfection aseptisée,je crois que nos réactions animales<br />
peuvent être saines.<br />
Avec son panorama d’héroïnes de tout âge, on pourrait<br />
lire votre recueil comme une sorte de fresque de la vie des<br />
femmes québécoises contemporaines, non <br />
En effet, j’ai voulu brosser un tableau de la vie des Québécoises<br />
en cette ère de post-féminisme.Quels sont les fruits des luttes du<br />
féminisme À quoi nous a servi cette volonté de faire comme<br />
les hommes sur tous les fronts, d’imiter même leurs excès, la<br />
colère,la violence,l’alcoolisme Même aujourd’hui,on n’accepte<br />
pas que les femmes pètent les plombs en public,alors qu’elles les<br />
pètent en privé depuis longtemps. Je fais donc une sorte de<br />
bilan,où j’aborde des questions comme celle du droit à la révolte.<br />
Et puis, quand on écoute parler les femmes de leur couple, on a<br />
encore trop souvent l’impression qu’elles jouent à la victime. Ce<br />
n’est jamais de leur faute, c’est toujours le mec qui a tort.<br />
Il est aussi beaucoup question de la mort,beaucoup plus il<br />
me semble que dans le précédent bouquin !<br />
Vous trouvez Pourtant, le thème était très présent dans mon<br />
premier livre,que j’ai écrit dans un climat funèbre.<strong>Le</strong>s lecteurs n’y<br />
avaient pas porté attention, parce qu’il y avait tellement d’ironie<br />
à l’œuvre. Mais l’ironie, c’est un moyen de défense. Il est très difficile<br />
de parler de la mort. J’ai déjà eu le projet d’écrire un recueil<br />
de nouvelles exclusivement axées sur les croquemorts.<br />
J’avais l’intention de faire le tour du Québec,<br />
d’aller dans des entreprises funéraires pour recueillir<br />
des anecdotes,des légendes,toutes sortes d’histoires.<br />
Quand j’ai raconté ça à ma sœur au téléphone, je<br />
n’avais que le silence au bout de la ligne. On vit dans<br />
un monde tellement obsédé par la perfection, le<br />
corps en santé, que le sujet de la mort est plus que<br />
jamais mal vu.<br />
Vous le faites avec beaucoup de sensibilité et<br />
pas une once de sensiblerie dans le texte « La<br />
Patate », qui raconte le décès du comédien<br />
Jean-Louis Millette.<br />
C’est une nouvelle très autobiographique, dans la<br />
mesure où mon père, qui est mort lui aussi, me rappelait<br />
beaucoup Jean-Louis Millette.Je crois aussi que<br />
tous les personnages qu’il a joués, du croque-mort<br />
Oscar Bellemarre dans Symphorien au Dragonfly de<br />
Chicoutimi,étaient attendrissants.<br />
« Je ne vis pas par mes personnages interposés »,<br />
affirme la narratrice-écrivaine de votre nouvelle<br />
« Vocation gangréneuse », et on veut bien lire ces<br />
nouvelles sans y chercher la trace autobiographique.<br />
Dans quelle mesure cette narratrice ne traduit-elle pas<br />
dans ses angoisses des préoccupations qui sont également<br />
vôtres <br />
J’ai écrit cette nouvelle à un moment où j’attendais des réponses<br />
d’éditeurs.Comme ma narratrice,j’ai<br />
moi-même traversé quelques<br />
épisodes d’hypocondrie. Mais au<br />
contraire d’elle, je comprends comment<br />
les éditeurs en arrivent à écrire<br />
ces lettres de refus impersonnelles.<br />
Je sais que des aspirants écrivains<br />
débarquent dans leur bureau,convaincus<br />
de leur propre valeur, quand<br />
parfois ce qu’ils écrivent ne vaut pas<br />
grand-chose. Mais du point de vue du<br />
créateur,pour qui l’écriture est toute sa vie,<br />
l’angoisse de l’attente est parfois insoutenable<br />
et on se sent forcément victime.<br />
Justement, l’angoisse, qui apparaît<br />
sous diverses formes (peur de mourir,<br />
peur de vieillir, peur de n’être jamais<br />
mère, peur de ne plus séduire), me<br />
semble un autre thème central et<br />
récurrent du recueil…<br />
Encore là, c’est davantage l’animalité qui<br />
s’exprime. En tant que femme, on a beau<br />
être une intellectuelle, on a beau s’imaginer<br />
qu’on se fout éperdument du regard<br />
des hommes, des remarques que nous<br />
suscitons, de notre pouvoir de séduction,<br />
c’est complètement faux. Nous sommes<br />
prisonnières de nos corps, des regards<br />
qu’ils attirent. Pour autant que la<br />
réciproque soit possible, ce n’est pas forcément<br />
mauvais d’être un objet de désir.<br />
Dans <strong>Le</strong>s Mardis de Béatrice (Libre Expression), la scénariste<br />
Francine Tougas nous convie aux rendez-vous<br />
d’une rédactrice de publicité et de son psychologue.<br />
Ces huis clos à trois réunissent donc le thérapeute,<br />
Béatrice, qui cherche à se convaincre qu’elle fait bien<br />
de consulter… et la voix intérieure de sa conscience !<br />
Étonnez-moi, mais pas trop !, Éditions Triptyque, 17 $<br />
La Course folle des spermatozoïdes, Éditions Trois, 22 $<br />
le <strong>libraire</strong> • SEPTEMBRE 2004 22