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Numéro 24 - Le libraire

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Littérature québécoise<br />

JEAN-FRANÇOIS<br />

BEAUCHEMIN<br />

Cher<br />

papa<br />

Par Stanley Péan<br />

Jean-François Beauchemin n’est pas peu fier du Jour des corneilles, le premier des<br />

deux titres qu’il fait paraître cet automne.* Et on le comprend ! Aux yeux de certains<br />

lecteurs, cette novella sera sûrement considérée comme son œuvre la plus achevée :<br />

« Mon dada, ç’a toujours été un travail poétique sur la langue. Mais j’ai l’impression<br />

d’être allé plus loin, d’avoir conçu un scénario plus prenant et des personnages<br />

encore plus forts. » Et Beauchemin d’ajouter, avec humour : « Peut-être bien que je<br />

prends du métier. »<br />

Duel entre un fils mal-aimé et un père malaimant,<br />

<strong>Le</strong> Jour des corneilles reconduit des<br />

thèmes récurrents dans l’œuvre de Jean-<br />

François Beauchemin : « C’est vrai, j’y apparais<br />

toujours aussi préoccupé par le thème de<br />

l’enfance, par exemple. Même si mon héros, le<br />

fils Courge,a 45 ans,il traîne encore des obsessions<br />

de ce type, il se pose toujours des questions<br />

que se poserait un gamin de 8 ans. Je ne<br />

saurais pas expliquer la raison de la récurrence<br />

de ce thème. J’aime les enfants, mais ce n’est<br />

pas une explication satisfaisante.<br />

J’ai pourtant eu une<br />

enfance somme toute banale,<br />

où rien de particulier ne m’est<br />

arrivé. Je suppose qu’il y a dans<br />

l’enfance des choses intéressantes<br />

à mettre en mots. »<br />

Comme d’autres protagonistes<br />

de Beauchemin, le fils Courge<br />

est lancé dans une quête<br />

d’amour. En cela, le livre approfondit<br />

des questionnements<br />

présents dans les œuvres<br />

antérieures : « <strong>Le</strong> fils Courge va<br />

plus loin que mes autres héros,<br />

jusqu’au bout de sa pensée. Il va jusqu’à commettre<br />

cet acte irréparable, définitif et pourtant<br />

libérateur : le meurtre de son père. C’est<br />

de ce parricide que naîtra quelque chose de<br />

fondamental pour le fils. » Cette tonalité sombre<br />

du récit le démarque des autres livres de<br />

Beauchemin : « Il reste que, comme dans les<br />

autres, la vie finit par l’emporter », de préciser<br />

néanmoins l’auteur, à qui l’on doit Comme<br />

enfant je suis cuit, un premier roman fort<br />

remarqué, Garage Molinari, <strong>Le</strong>s Choses terrestres<br />

et <strong>Le</strong> Petit Pont de la louve.<br />

© Pierre Beauchemin<br />

À la source du conflit entre ces deux paumés<br />

qui vivent coupés du monde, il y a ce traumatisme<br />

subi par le père, qui a perdu d’abord ses<br />

propres parents, puis sa femme morte en<br />

couches. Si le spectre de la mère apparaît parfois<br />

au fils, c’est néanmoins la figure du père<br />

autoritaire et quasi monstrueux qui domine,<br />

une figure fondamentale en littérature<br />

québécoise : « C’est certain que le désir de<br />

tuer le père est très présent, explique<br />

Beauchemin. Encore là, ce serait difficile de<br />

l’expliquer par ma propre histoire<br />

puisque j’ai eu un père<br />

aimant, presque sans défaut. »<br />

La mort, dont l’ombre plane<br />

sur le livre comme celle d’une<br />

volée d’oiseaux de malheur,<br />

Jean-François Beauchemin<br />

croit volontiers que les enfants<br />

sont souvent mieux préparés à<br />

y faire face que les adultes :<br />

« Je pense à Charles Bruneau,<br />

le fils du lecteur de nouvelles,<br />

mort du cancer il y a quelques<br />

années. Avec un brin de<br />

voyeurisme, on nous avait<br />

montré ses derniers moments<br />

à la télé. Ce qui m’avait frappé alors, c’était le<br />

courage de cet enfant-là. J’ai travaillé<br />

longtemps comme bénévole dans les hôpitaux,<br />

auprès des enfants malades ou<br />

mourants et j’en ai vu tellement des<br />

courageux, des forts. C’est peut-être par innocence,<br />

parce qu’ils n’ont pas d’idée préconçue<br />

sur le sujet qu’ils sont capables d’affronter la<br />

mort avec plus de sérénité que nous. Et peutêtre<br />

aussi parce qu’ils sont encore près de leur<br />

naissance, de ce sommeil qui est si semblable<br />

à la mort… »<br />

<strong>Le</strong> Jour des corneilles, Jean-François Beauchemin, <strong>Le</strong>s Allusifs, 16,95 $<br />

* L’auteur signe également Turkana Boy (Québec Amérique), un roman mettant en<br />

scène un vieil homme qui, au crépuscule de sa vie, est encore hanté par le souvenir de<br />

son fils, décédé plusieurs années auparavant.<br />

La voix des poètes se fera entendre haut et fort cet automne. À l’Hexagone,<br />

mentionnons À ceux qui sont dans la tribulation, de Thierry Dimanche, qui<br />

signe ici le premier volet de « Mes Encycliques désaxées », la réédition de<br />

Rue Pétrole-Océan de Tony Tremblay, qui nous avait donné Des receleurs en<br />

2003 et Il n’y a rien d’intact dans ma chair de Danielle Fournier. Mentionnons<br />

aussi Grosse guitare rouge de Patrice Desbiens (Prise de Parole) ; La Manière<br />

noire de Jean-Paul Gaudreau et <strong>Le</strong> Parfum du bois dur de Lili Côté (Du<br />

Passage) ; et finalement, Mémoires parallèles de Denise Desautels et Rires,<br />

sixième recueil de Bertrand Laverdure (<strong>Le</strong> Noroît).<br />

ÉLIZABETH FILION<br />

<strong>Le</strong> Fils de la légende<br />

Après La Femme de la fontaine,Élizabeth Filion poursuit sa saga avec <strong>Le</strong> Fils de la légende,<br />

qui nous entraîne aux quatre coins du monde et où le lecteur assiste aux grands faits<br />

de l’histoire ayant marqué les années 1940 à 1989. Aux dires de l’auteure, sans être, à<br />

proprement parler, la suite du premier volet, ce second titre : « La Femme de la fontaine<br />

et <strong>Le</strong> Fils de la légende sont un seul roman, mais aussi<br />

deux entités distinctes. Ils peuvent donc être lus (…)<br />

indépendamment l’un de l’autre. La Femme de la<br />

fontaine finit au moment où [surviennent] les terribles<br />

bouleversements de la Deuxième Guerre mondiale,<br />

et <strong>Le</strong> Fils de la légende reprend à cet instant précis,<br />

refermant doucement chacune des parenthèses.<br />

» Dans ce deuxième roman, les lecteurs trouveront<br />

réponse à certaines questions soulevées dans la première<br />

partie de l’histoire. Notamment la relation entre<br />

Robert et Katia, qui semblait titiller la curiosité de certains<br />

lecteurs, trouvera finalement son dénouement.<br />

Élizabeth Filion compare la structure du Fils de la<br />

légende à un losange : « [en] étant un perpétuel<br />

chassé-croisé, l’histoire prend de plus en plus de sens<br />

au fur et à mesure qu’elle avance. »<br />

Derrière chacun de ses romans, Filion dissimule<br />

une quête : « Dans mon cas, le questionnement<br />

portait sur les grandeurs et les<br />

bassesses de l’âme humaine [et] prenait<br />

source dans mon désir de comprendre le<br />

monde dans lequel je vivais. » Depuis le<br />

moment où ce récit s’est imposé à elle, à 17<br />

ans, l’histoire s’est raffinée : « Pour mettre en<br />

lumière l’âme humaine, il faut des événements-chocs,<br />

et ma culture et mes intérêts de<br />

l’époque n’allaient pas beaucoup plus loin<br />

que la Deuxième Guerre. J’avais trois familles à<br />

mettre en scène pendant quatre générations,<br />

le nœud étant le dernier conflit mondial. J’ai<br />

donc dû apprendre ce qu’il y avait eu avant et<br />

ce qui s’était passé après. » C’est donc en<br />

© Éléanor <strong>Le</strong> Gresley<br />

traçant le destin de chacune de ces familles<br />

que Filion a redécouvert l’histoire de l’humanité : « Avec une famille russe, j’ai découvert<br />

la révolution, la guerre civile, Staline, la dissidence, la course à la bombe atomique,<br />

la conquête de l’espace et l’effondrement du Bloc de l’Est. Puis, j’ai changé de lunettes.<br />

C’était l’Allemagne. La Première Guerre, l’humiliation, la République de Weimar, Rosa<br />

Luxembourg, Hitler… Et ainsi de suite pour chacune des familles et chacune des<br />

générations. » L’auteure a consulté une quantité phénoménale de documents pour alimenter<br />

son livre, un travail caractérisé par une certaine démesure : « Cinq cents pages<br />

pour écrire trois paragraphes », résume-t-elle. Malgré toutes ces lectures, les événements<br />

historiques s’imbriquent discrètement dans le texte. Et bien que <strong>Le</strong> Fils de la<br />

légende retrace les événements ayant ponctué l’actualité, Élizabeth Filion n’a pas pour<br />

autant négligé les coutumes et les milieux de vie, auxquels elle apporte une attention<br />

toute particulière.<br />

le <strong>libraire</strong> • SEPTEMBRE 2004 20

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