Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Littérature québécoise<br />
JEAN-FRANÇOIS<br />
BEAUCHEMIN<br />
Cher<br />
papa<br />
Par Stanley Péan<br />
Jean-François Beauchemin n’est pas peu fier du Jour des corneilles, le premier des<br />
deux titres qu’il fait paraître cet automne.* Et on le comprend ! Aux yeux de certains<br />
lecteurs, cette novella sera sûrement considérée comme son œuvre la plus achevée :<br />
« Mon dada, ç’a toujours été un travail poétique sur la langue. Mais j’ai l’impression<br />
d’être allé plus loin, d’avoir conçu un scénario plus prenant et des personnages<br />
encore plus forts. » Et Beauchemin d’ajouter, avec humour : « Peut-être bien que je<br />
prends du métier. »<br />
Duel entre un fils mal-aimé et un père malaimant,<br />
<strong>Le</strong> Jour des corneilles reconduit des<br />
thèmes récurrents dans l’œuvre de Jean-<br />
François Beauchemin : « C’est vrai, j’y apparais<br />
toujours aussi préoccupé par le thème de<br />
l’enfance, par exemple. Même si mon héros, le<br />
fils Courge,a 45 ans,il traîne encore des obsessions<br />
de ce type, il se pose toujours des questions<br />
que se poserait un gamin de 8 ans. Je ne<br />
saurais pas expliquer la raison de la récurrence<br />
de ce thème. J’aime les enfants, mais ce n’est<br />
pas une explication satisfaisante.<br />
J’ai pourtant eu une<br />
enfance somme toute banale,<br />
où rien de particulier ne m’est<br />
arrivé. Je suppose qu’il y a dans<br />
l’enfance des choses intéressantes<br />
à mettre en mots. »<br />
Comme d’autres protagonistes<br />
de Beauchemin, le fils Courge<br />
est lancé dans une quête<br />
d’amour. En cela, le livre approfondit<br />
des questionnements<br />
présents dans les œuvres<br />
antérieures : « <strong>Le</strong> fils Courge va<br />
plus loin que mes autres héros,<br />
jusqu’au bout de sa pensée. Il va jusqu’à commettre<br />
cet acte irréparable, définitif et pourtant<br />
libérateur : le meurtre de son père. C’est<br />
de ce parricide que naîtra quelque chose de<br />
fondamental pour le fils. » Cette tonalité sombre<br />
du récit le démarque des autres livres de<br />
Beauchemin : « Il reste que, comme dans les<br />
autres, la vie finit par l’emporter », de préciser<br />
néanmoins l’auteur, à qui l’on doit Comme<br />
enfant je suis cuit, un premier roman fort<br />
remarqué, Garage Molinari, <strong>Le</strong>s Choses terrestres<br />
et <strong>Le</strong> Petit Pont de la louve.<br />
© Pierre Beauchemin<br />
À la source du conflit entre ces deux paumés<br />
qui vivent coupés du monde, il y a ce traumatisme<br />
subi par le père, qui a perdu d’abord ses<br />
propres parents, puis sa femme morte en<br />
couches. Si le spectre de la mère apparaît parfois<br />
au fils, c’est néanmoins la figure du père<br />
autoritaire et quasi monstrueux qui domine,<br />
une figure fondamentale en littérature<br />
québécoise : « C’est certain que le désir de<br />
tuer le père est très présent, explique<br />
Beauchemin. Encore là, ce serait difficile de<br />
l’expliquer par ma propre histoire<br />
puisque j’ai eu un père<br />
aimant, presque sans défaut. »<br />
La mort, dont l’ombre plane<br />
sur le livre comme celle d’une<br />
volée d’oiseaux de malheur,<br />
Jean-François Beauchemin<br />
croit volontiers que les enfants<br />
sont souvent mieux préparés à<br />
y faire face que les adultes :<br />
« Je pense à Charles Bruneau,<br />
le fils du lecteur de nouvelles,<br />
mort du cancer il y a quelques<br />
années. Avec un brin de<br />
voyeurisme, on nous avait<br />
montré ses derniers moments<br />
à la télé. Ce qui m’avait frappé alors, c’était le<br />
courage de cet enfant-là. J’ai travaillé<br />
longtemps comme bénévole dans les hôpitaux,<br />
auprès des enfants malades ou<br />
mourants et j’en ai vu tellement des<br />
courageux, des forts. C’est peut-être par innocence,<br />
parce qu’ils n’ont pas d’idée préconçue<br />
sur le sujet qu’ils sont capables d’affronter la<br />
mort avec plus de sérénité que nous. Et peutêtre<br />
aussi parce qu’ils sont encore près de leur<br />
naissance, de ce sommeil qui est si semblable<br />
à la mort… »<br />
<strong>Le</strong> Jour des corneilles, Jean-François Beauchemin, <strong>Le</strong>s Allusifs, 16,95 $<br />
* L’auteur signe également Turkana Boy (Québec Amérique), un roman mettant en<br />
scène un vieil homme qui, au crépuscule de sa vie, est encore hanté par le souvenir de<br />
son fils, décédé plusieurs années auparavant.<br />
La voix des poètes se fera entendre haut et fort cet automne. À l’Hexagone,<br />
mentionnons À ceux qui sont dans la tribulation, de Thierry Dimanche, qui<br />
signe ici le premier volet de « Mes Encycliques désaxées », la réédition de<br />
Rue Pétrole-Océan de Tony Tremblay, qui nous avait donné Des receleurs en<br />
2003 et Il n’y a rien d’intact dans ma chair de Danielle Fournier. Mentionnons<br />
aussi Grosse guitare rouge de Patrice Desbiens (Prise de Parole) ; La Manière<br />
noire de Jean-Paul Gaudreau et <strong>Le</strong> Parfum du bois dur de Lili Côté (Du<br />
Passage) ; et finalement, Mémoires parallèles de Denise Desautels et Rires,<br />
sixième recueil de Bertrand Laverdure (<strong>Le</strong> Noroît).<br />
ÉLIZABETH FILION<br />
<strong>Le</strong> Fils de la légende<br />
Après La Femme de la fontaine,Élizabeth Filion poursuit sa saga avec <strong>Le</strong> Fils de la légende,<br />
qui nous entraîne aux quatre coins du monde et où le lecteur assiste aux grands faits<br />
de l’histoire ayant marqué les années 1940 à 1989. Aux dires de l’auteure, sans être, à<br />
proprement parler, la suite du premier volet, ce second titre : « La Femme de la fontaine<br />
et <strong>Le</strong> Fils de la légende sont un seul roman, mais aussi<br />
deux entités distinctes. Ils peuvent donc être lus (…)<br />
indépendamment l’un de l’autre. La Femme de la<br />
fontaine finit au moment où [surviennent] les terribles<br />
bouleversements de la Deuxième Guerre mondiale,<br />
et <strong>Le</strong> Fils de la légende reprend à cet instant précis,<br />
refermant doucement chacune des parenthèses.<br />
» Dans ce deuxième roman, les lecteurs trouveront<br />
réponse à certaines questions soulevées dans la première<br />
partie de l’histoire. Notamment la relation entre<br />
Robert et Katia, qui semblait titiller la curiosité de certains<br />
lecteurs, trouvera finalement son dénouement.<br />
Élizabeth Filion compare la structure du Fils de la<br />
légende à un losange : « [en] étant un perpétuel<br />
chassé-croisé, l’histoire prend de plus en plus de sens<br />
au fur et à mesure qu’elle avance. »<br />
Derrière chacun de ses romans, Filion dissimule<br />
une quête : « Dans mon cas, le questionnement<br />
portait sur les grandeurs et les<br />
bassesses de l’âme humaine [et] prenait<br />
source dans mon désir de comprendre le<br />
monde dans lequel je vivais. » Depuis le<br />
moment où ce récit s’est imposé à elle, à 17<br />
ans, l’histoire s’est raffinée : « Pour mettre en<br />
lumière l’âme humaine, il faut des événements-chocs,<br />
et ma culture et mes intérêts de<br />
l’époque n’allaient pas beaucoup plus loin<br />
que la Deuxième Guerre. J’avais trois familles à<br />
mettre en scène pendant quatre générations,<br />
le nœud étant le dernier conflit mondial. J’ai<br />
donc dû apprendre ce qu’il y avait eu avant et<br />
ce qui s’était passé après. » C’est donc en<br />
© Éléanor <strong>Le</strong> Gresley<br />
traçant le destin de chacune de ces familles<br />
que Filion a redécouvert l’histoire de l’humanité : « Avec une famille russe, j’ai découvert<br />
la révolution, la guerre civile, Staline, la dissidence, la course à la bombe atomique,<br />
la conquête de l’espace et l’effondrement du Bloc de l’Est. Puis, j’ai changé de lunettes.<br />
C’était l’Allemagne. La Première Guerre, l’humiliation, la République de Weimar, Rosa<br />
Luxembourg, Hitler… Et ainsi de suite pour chacune des familles et chacune des<br />
générations. » L’auteure a consulté une quantité phénoménale de documents pour alimenter<br />
son livre, un travail caractérisé par une certaine démesure : « Cinq cents pages<br />
pour écrire trois paragraphes », résume-t-elle. Malgré toutes ces lectures, les événements<br />
historiques s’imbriquent discrètement dans le texte. Et bien que <strong>Le</strong> Fils de la<br />
légende retrace les événements ayant ponctué l’actualité, Élizabeth Filion n’a pas pour<br />
autant négligé les coutumes et les milieux de vie, auxquels elle apporte une attention<br />
toute particulière.<br />
le <strong>libraire</strong> • SEPTEMBRE 2004 20