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Littérature étrangère<br />
Antonio Soler, né en 1956 et auteur de six<br />
romans dont voici le troisième traduit en<br />
français, est l’un des écrivains phares de la littérature<br />
andalouse. Après <strong>Le</strong>s Héros de la<br />
frontière et <strong>Le</strong>s Danseuses mortes, Albin<br />
Michel publie <strong>Le</strong> Spirite mélancolique,<br />
ou comment un chroniqueur de faits<br />
divers de Malaga participe à la découverte<br />
du corps mutilé d’une jeune<br />
femme. Soler, qui en janvier 2004 remportait<br />
le prestigieux prix Nadal avec El<br />
Camino de los Ingleses (<strong>Le</strong> Chemin des<br />
Anglais —non traduit), est un maître<br />
de l’enchevêtrement des époques, des<br />
lieux et des personnages.<br />
© D. Jochau<br />
Annoncé comme l’un des incontournables de la<br />
rentrée, Tristano meurt (Gallimard) raconte<br />
l’agonie de Tristano, ancien héros de la résistance<br />
antifasciste rongé par la gangrène. Dans sa maison toscane, le vieil<br />
homme fait venir à son chevet un écrivain afin qu’il rédige ses mémoires.<br />
Chaque livre de l’Italien Antonio Tabucchi crée l’événement. On lui doit<br />
entre autres Nocturne indien (Médicis étranger, 1987).<br />
L’Allemande Stefanie Zweig, auteure d’Une jeunesse<br />
allemande et Une jeunesse africaine, une autobiographie<br />
en deux volets dont<br />
le second tome, adapté au<br />
cinéma, a remporté<br />
l’Oscar 2003 du meilleur<br />
film étranger, publie Nos<br />
rêves d’Afrique (Du<br />
Rocher), une œuvre<br />
encore une fois marquée<br />
par les souvenirs de son<br />
enfance au Kenya.<br />
D’ici 2006, les Éditions Joëlle Losfeld auront publié six<br />
des principaux romans de Paula Fox, une Américaine<br />
tombée dans les oubliettes de l’histoire littéraire et redécouverte<br />
par Jonathan Franzen (<strong>Le</strong>s Corrections). Cette<br />
entreprise de réhabilitation commence avec la réédition<br />
de Personnages désespérés et <strong>Le</strong> Dieu des cauchemars.<br />
Égérie d’un roman de facture classique et très cérébral,<br />
Fox, née en 19<strong>24</strong>, a vécu en Californie, à Cuba et au<br />
Québec. Notons également que L’école des loisirs publie<br />
quatre de ses romans pour enfants : <strong>Le</strong> Cerf-volant brisé,<br />
Vent d’ouest, L’Île aux singes et L’Œil du chat.<br />
<strong>Le</strong> New-Yorkais Rick Moody,<br />
auteur de Tempête de glace, voit<br />
deux de ses livres publiés :<br />
L’Étrange Horloge du désastre<br />
(Rivages), un recueil de nouvelles,<br />
et À la recherche du<br />
voile noir, récit autobiographique<br />
(De l’Olivier).<br />
Un auteur à découvrir, si ce<br />
n’est déjà fait.<br />
© Jerry Bauer<br />
BARBARA GOWDY<br />
<strong>Le</strong>s Romantiques<br />
La passion, ça ne se vit pas que sous les projecteurs.<br />
Que nenni ! L’amour, comme le dit<br />
Stefie Shock, ça peut se trouver en plein<br />
désert, et ça tapisse bien les murs. Et tout le<br />
monde peut en profiter, avec les joies et les<br />
tourments qui viennent avec. Cette réalité,<br />
Barbara Gowdy l’a bien comprise. Elle nous<br />
l’avait déjà prouvé dans les sublimes Anges<br />
déchus et Un lieu sûr, de même que dans On<br />
pense si peu à l’amour, recueil de nouvelles<br />
aussi dures qu’émouvantes. Dans <strong>Le</strong>s<br />
Romantiques (Actes Sud), l’auteure canadienne-anglaise<br />
se surpasse ; ce qui unit<br />
Louise et Abel est à la fois un amour exalté et<br />
une lente agonie marquée par le deuil de la<br />
mère, l’absence d’origines et les rêves<br />
envolés : « Ce n’est qu’une fois rendue au<br />
milieu du roman que j’ai vu le lien entre<br />
Abélard et Héloïse.Louise est mon deuxième<br />
prénom et je l’ai utilisé pour plus d’une<br />
jeune héroïne. Et Abel est juste un prénom<br />
que j’aime bien. En fait, j’ai compris, comme<br />
Louise, qu’on pouvait difficilement qualifier<br />
son idylle avec Abel de “ grand amour ”<br />
puisque l’histoire avait été sabotée non pas par des forces<br />
externes, mais par Abel lui-même. »<br />
Nous sommes en 1960, dans une banlieue ontarienne.<br />
Louise a 10 ans. Elle vit seule avec son père depuis que sa<br />
mère, une beauté distante plus préoccupée par sa garderobe<br />
dernier cri que par la bonne tenue de son livingroom,<br />
a disparu en laissant, scotché au frigo, un mot<br />
assassin : « Louise sait faire marcher la machine à laver. »<br />
Selon Barbara Gowdy, « c’est durant l’enfance que nos<br />
sentiments sont les plus intenses. Nous n’avons pas de<br />
recul par rapport à ce que nous ressentons ; nous nous<br />
contentons de ressentir. Nos liens et nos deuils sont donc<br />
plus poignants, et je crois que nous passons le reste de<br />
nos vies à essayer de compenser pour nos premières<br />
expériences émotives. » Lorsque qu’une famille<br />
d’Allemands, les Richter, déménage dans sa rue, Louise est<br />
obsédée par la mère, dont elle espère attirer l’attention et,<br />
dans son esprit de fillette, se faire adopter. Après un certain<br />
temps, c’est plutôt d’Abel, leur fils véritablement<br />
adopté, lui, qu’elle s’éprendra.<br />
Chronique du passage de l’enfance à l’adolescence<br />
jusqu’au début de l’âge adulte, <strong>Le</strong>s Romantiques est porté<br />
par la voix forte de Louise, qui se souvient de son amour<br />
inconditionnel pour Abel, au départ voué à l’échec.<br />
Lorsque le roman s’ouvre, dans les années 90, Abel,<br />
pianiste prometteur, vient de mourir d’une cirrhose du<br />
foie. Sa vie, il l’a noyée dans l’alcool, égarée dans la<br />
pénombre des bars de Vancouver, où il habitait avec sa<br />
famille depuis quelques années. « L’amour est au cœur<br />
de tous mes romans et nouvelles, mais avant ce livre, je<br />
n’avais jamais traité des aléas de l’amour romantique,<br />
souligne Barbara Gowdy ; je voulais que les lecteurs<br />
soient émus par l’évolution de Louise, par la transformation<br />
de cette enfant qui aimait de manière égoïste cette<br />
femme généreuse [la mère d’Abel] et, peut-être, aussi,<br />
qu’ils soient appelés à rejeter toutes leurs idées reçues sur<br />
la nature d’une dépendance affective. » <strong>Le</strong>s Romantiques<br />
est une histoire d’autodestruction très troublante écrite<br />
dans une langue d’une rare élégance. Étonnamment, elle<br />
recèle aussi du bonheur et de l’espoir. Comme toujours,<br />
Gowdy se révèle une portraitiste hors pair, recréant avec<br />
soin tout un contexte historique — celui de son<br />
enfance, puisqu’elle a l’âge de son héroïne.Il en résulte un<br />
roman riche en émotions, construit avec brio et dont on<br />
sort troublés. Heureusement, chagrin d’amour ne dure<br />
qu’un temps !<br />
29 le <strong>libraire</strong> • SEPTEMBRE 2004