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<strong>lire</strong><br />

Lorenza Foschini, journaliste italienne, publie un charmant essai sur le Manteau de Proust<br />

TRÉSOR<br />

Le pouvoir des objets<br />

Tout a commencé quand…<br />

J’ai interviewé, pour la télévision,<br />

Piero Tosi, l’un des costumiers les<br />

plus connus au monde. C’est un véritable<br />

maître. Il m’a raconté toute<br />

l’histoire du film que Luchino Visconti<br />

devait tourner, adapté de “A la<br />

Recherche du temps perdu” et pour<br />

lequel il faisait des repérages à Paris.<br />

On lui avait parlé de cet homme forw<br />

Le Manteau<br />

de Proust<br />

Lorenza Foschini,<br />

traduit de l’italien<br />

par Benoît Puttemans.<br />

Portaparole,<br />

108 pp., env. 12€<br />

Lorenza<br />

Foschini,<br />

écrivaine et<br />

journaliste<br />

italienne s’est<br />

lancée à la<br />

recherche du<br />

manteau de<br />

Marcel Proust.<br />

RENCONTRE<br />

CAMILLE PEROTTI<br />

Alors que des lettres de<br />

Marcel Proust à Céleste,<br />

sa gouvernante, viennent<br />

de s’envoler à plus de<br />

10 000 euros chacune lors d’une<br />

vente chez Sotheby’s à Paris, le<br />

16 décembre dernier, un petit essai<br />

d’une journaliste italienne, Lorenza<br />

Foschini, “Le Manteau de<br />

Proust”, paraît chez une maison<br />

d’édition franco-italienne, récit de<br />

la soif de “sauvetage” d’un collectionneur.<br />

Membre de l’association des<br />

Amis de Marcel Proust depuis l’âge<br />

de dix-huit ans, grande lectrice et<br />

amatrice de l’œuvre du grand écrivain,<br />

la journaliste a notamment<br />

traduit le troisième tome de la magistrale<br />

“A la recherche du temps<br />

perdu”, “Le côté de Guermantes”,<br />

du français vers l’italien et organisé<br />

de nombreuses conférences.<br />

Longtemps correspondante de la<br />

RAI au Vatican, entre autres émissions,<br />

son expérience de journaliste<br />

lui a permis de mener une enquête<br />

à la recherche d’une relique :<br />

un pardessus de laine râpé doublé<br />

de fourrure de loutre.<br />

A la recherche du pardessus perdu<br />

CHRISTOPHE BORTELS<br />

midable qui habitait en banlieue parisienne,<br />

industriel, propriétaire d’une<br />

usine de parfums, qui, opéré de l’appendicite<br />

quand il était jeune par Robert<br />

Proust, s’était rendu chez le docteur<br />

pour payer les honoraires et<br />

avait vu des manuscrits de Marcel.<br />

Quand Piero Tosi a retrouvé le nom<br />

de cet homme, ma recherche personnelle<br />

a commencé.<br />

Est-ce de cette manière que Jacques<br />

Guérin, le plus grand collectionneur<br />

du XX e siècle, s’est trouvé du goût<br />

pour les livres ?<br />

En réalité, lorsque Robert Proust<br />

lui a montré les manuscrits de “La<br />

Recherche”, le jeune homme était<br />

très ému parce qu’il était déjà bibliophile<br />

et fou amoureux de tout ce qui<br />

concernait Proust. Il avait déjà des<br />

écrits d’Apollinaire, par exemple.<br />

Malheureusement, il est décédé,<br />

presque centenaire, en 2000…<br />

Oui. Mais j’ai retrouvé un homme,<br />

Italien, qui a vécu près de lui lors de<br />

ses quinze dernières années et avec<br />

son aide, j’ai pu remonter le fil de<br />

l’histoire du manteau de Proust.<br />

Est-ce que des objets peuvent définir<br />

un homme, un artiste ? Que penser<br />

de ce fétichisme ?<br />

Je ne suis pas sûre qu’il s’agisse de<br />

fétichisme. Le manteau de Proust est<br />

le plus important de la littérature<br />

française. Proust avait déjà découvert<br />

que, souvent, dans les familles,<br />

on parle à travers les choses, l’amour<br />

et la haine se manifestent à travers<br />

les objets de quelqu’un qu’on a<br />

aimé, ou pas. Les choses sont<br />

très importantes. A travers elles,<br />

on peut exprimer des<br />

sentiments qu’on n’a pas le<br />

courage d’exprimer de vive<br />

voix. Tout le monde possède<br />

quelque chose qui a appar-<br />

tenu à quelqu’un qui a disparu, un<br />

foulard, un bijou, un bureau. On<br />

transpose l’amour pour ces personnes<br />

à travers ces objets, ce n’est pas<br />

du fétichisme mais du métalangage.<br />

Par exemple, la haine de Marthe<br />

Proust, la femme de Robert, pour<br />

Marcel est significative : elle déchire<br />

et brûle tout ce qui a pu appartenir à<br />

son beau-frère, ce qui prouve que les<br />

choses ont du sens et de l’importance.<br />

Etait-ce symbolique pour elle de détruire<br />

les papiers ? Avait-elle le sentiment<br />

de tirer un trait sur leurs liens ?<br />

Tout à fait. C’était un acte de haine<br />

parce que cela arrive toujours quand<br />

on ne supporte pas la différence.<br />

Dans ce cas, au début du XX e siècle,<br />

c’était une question de sexualité et,<br />

pour Marcel Proust, d’homosexualité,<br />

aujourd’hui, il s’agirait plutôt de<br />

racisme. Marthe Proust a détruit toutes<br />

les lettres d’amour de Marcel<br />

parce qu’elles étaient adressées à<br />

des hommes.<br />

“Le Manteau de Proust”, c’est aussi<br />

le portrait d’un collectionneur…<br />

Jacques Guérin ne voulait pas être<br />

défini comme collectionneur, il voulait<br />

être sauveur. Il ne montrait jamais<br />

ses lettres, ses papiers et ses livres.<br />

Il invitait les gens chez lui mais<br />

il inventait toujours une excuse<br />

parce qu’il était très jaloux, très possessif.<br />

Proche de la mort, on lui a suggéré<br />

de faire une donation en son<br />

nom au lieu de vendre toutes ces<br />

choses et il a répondu “non, il faut<br />

payer très cher pour comprendre<br />

la valeur de ces<br />

choses”. Il a donc tout<br />

vendu. n<br />

Le dessin<br />

ci-contre est une<br />

adaptation<br />

d’Eleonora<br />

Lattanzio du<br />

croquis de Jean<br />

Cocteau sauvé par<br />

Jacques Guérin.<br />

(Ancienne<br />

collection Jacques<br />

Guérin).<br />

Le pardessus de Marcel<br />

Proust est probablement le<br />

plus célèbre de la littérature<br />

française. Ce manteau<br />

de laine gris tourterelle, croisé,<br />

fermé par une double série de trois<br />

boutons, à l’intérieur doublé de<br />

loutre râpée et mangée par les mites,<br />

repose aujourd’hui au milieu<br />

de feuilles de papier de soie, au<br />

fond d’une grande boîte en carton à<br />

l’odeur de naphtaline, entreposée<br />

dans la réserve du musée Carnavalet,<br />

à Paris.<br />

Cette pelisse que le fameux écrivain<br />

n’enlevait même pas lorsqu’il<br />

dînait au restaurant du Ritz, celle<br />

qu’il étendait sur son lit pour ne<br />

pas avoir froid (il ne chauffait pas<br />

sa chambre à cause de son asthme)<br />

lorsqu’il écrivait “La Recherche”, a<br />

connu bien des tribulations.<br />

UNE RELIQUE SACRÉE<br />

Jacques Guérin, industriel parfumeur,<br />

dandy bibliophile et<br />

proustien s’est lié avec le brocanteur<br />

chargé de vider l’appartement<br />

des Proust. Après avoir “sauvé” le<br />

mobilier de la chambre de Marcel<br />

– exposé au musée Carnavalet –, il<br />

continua à demander, inlassablement,<br />

au “broc” s’il ne restait pas<br />

un petit quelque chose, jusqu’à<br />

l’aveu… Le manteau, que Marthe,<br />

femme de Robert, frère de Marcel,<br />

lui a donné, tient ses pieds au<br />

chaud lors de parties de pêche en<br />

barque sur la Marne. “Je le veux,<br />

même s’il est sale et déchiré !”<br />

s’écria le “sauveteur”, Jacques<br />

Guérin.<br />

A noter qu’en 2000, à sa mort,<br />

six ventes chez Sotheby’s ont été<br />

nécessaires pour distribuer tous<br />

ses trésors – manuscrits, lettres,<br />

mobilier, dessins, livres, etc.<br />

SECRETS DE FAMILLE<br />

Outre le portrait d’un collectionneur<br />

averti et passionné qui allait<br />

jusqu’à parcourir les rubriques nécrologiques<br />

des journaux au cas où<br />

un connaisseur de Proust serait<br />

mort, prêt à soutirer quelques reliques,<br />

Lorenza Foschini retrace des<br />

éléments de la vie de l’écrivain.<br />

Par un objet, comme un coffre empli<br />

de trésors, de secrets de famille,<br />

de lettres, de photographies, de papiers<br />

chiffonnés, elle dévoile certains<br />

aspects de la personnalité de<br />

Marcel Proust et redessine sa vie.<br />

Avec un talent de conteuse mais<br />

avec rigueur, la journaliste<br />

raconte pourtant<br />

une histoire<br />

vraie, celle des blessures<br />

de l’auteur d’“A la<br />

Recherche du temps<br />

perdu”.<br />

“L’homosexualité de<br />

Proust plane comme<br />

un mur invisible mais<br />

infranchissable dans<br />

cette histoire d’incompréhensions<br />

familiales,<br />

de silences, de papiers<br />

déchirés, de meubles<br />

abandonnés.”<br />

Quand Marthe, la belle-sœur<br />

de Marcel<br />

Proust, brûle tout les papiers<br />

qu’il a légués, on se<br />

rend compte à quel point<br />

l’homosexualité de l’écrivain<br />

pesait sur la famille<br />

comme un déshonneur,<br />

mais aussi, comme il est<br />

possible de vivre pendant<br />

des années aux côtés d’un génie<br />

sans s’en apercevoir, ou<br />

peut-être, sans vouloir saisir<br />

l’importance de l’œuvre, puisqu’elle<br />

ne l’a jamais lue.<br />

C.P.<br />

LATTANZIO/COCTEAU/GUÉRIN<br />

VI VENDREDI 26 DÉCEMBRE 2008<br />

L A L I B R E B E L G I Q U E<br />

© S.A. <strong>IPM</strong> 2008. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

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