03.05.2015 Views

lire - IPM

lire - IPM

lire - IPM

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

D É B A T S<br />

Opinion - CRISE FINANCIÈRE<br />

L’idéologiesansledogme<br />

EPA<br />

M Ce qui est aujourd’hui au cœur du débat n’est pas seulement ce contrôle des banques, mais bien le rapport entre l’activité économique et la société, entre le privé et le public, entre le marché et l’Etat.<br />

D.R.<br />

w Elaborons démocratiquement de nouvelles idéologies et<br />

éloignons-nous des dogmes comme “Le marché s’autorégule”<br />

ou “La science trouvera réponse à tous les problèmes”.<br />

Luc VAN CAMPENHOUDT<br />

Directeur de La Revue nouvelle (*)<br />

Les enseignements de la crise financière<br />

sont plus nombreux et<br />

plus fondamentaux qu’il y paraît.<br />

De prime abord, elle a montré<br />

le manque de régulation des marchés financiers<br />

et l’incapacité des grandes institutions<br />

financières privées à maîtriser les<br />

produits de plus en plus complexes qu’elles<br />

ont elles-mêmes concoctés pour satisfaire<br />

l’impatiente cupidité de leurs dirigeants<br />

et de leurs actionnaires. Dans une<br />

économie où les dollars circulent infiniment<br />

plus vite que les marchandises, la<br />

crise a montré l’aveuglement et l’inconséquence<br />

de certains dirigeants dont les décisions<br />

désastreuses se sont avérées, au<br />

fur et à mesure de leurs prises de risques,<br />

de fatales fuites en avant.<br />

Cette déroute est aussi celle d’une partie<br />

de la mathématique financière et de la<br />

confiance hypnotique dans ses modèles,<br />

pourtant vite dépassés par les conséquences<br />

en chaîne de produits trop sophistiqués,<br />

échafaudés à partir d’eux. Les cadres<br />

de la finance ne comprenaient plus<br />

rien aux produits qu’ils vendaient à d’innombrables<br />

épargnants, et les modélisateurs<br />

eux-mêmes en perdaient le contrôle.<br />

La bulle explosait alors au visage des apprentis<br />

sorciers qui en avaient combiné<br />

tous les ingrédients. Ce fiasco porte un<br />

méchant coup au mythe selon lequel une<br />

modélisation mathématique serait seule<br />

capable de résoudre pratiquement tous<br />

les problèmes. L’échec est donc aussi celui<br />

d’un type de savoir, lorsqu’il se veut exclusif<br />

en matière de gestion et de politique<br />

économique, mais qui, aussi élaboré<br />

soit-il, ne sera jamais qu’une construction<br />

théorique. Il ne faudrait donc jamais<br />

prendre les résultats de la modélisation<br />

pour réalité ni pour certitude, mais seulement<br />

comme outil, certes précieux. Il faudrait<br />

cesser de penser qu’elle imposerait,<br />

par sa seule cohérence logique, un one best<br />

way qui dispenserait d’une appréciation<br />

plus qualitative de l’ensemble des conditions<br />

à prendre en compte et, surtout, de<br />

la nécessité de faire, in fine, des choix politiques<br />

et moraux en<br />

contexte d’incertitude.<br />

C’est en partie au<br />

nom de cette utopie<br />

d’une société gérée par<br />

un mode de traitement<br />

de l’information<br />

fondé sur un langage<br />

mathématique universel<br />

que s’est répandue<br />

l’idéologie de la fin<br />

des idéologies et de la<br />

fin du politique (1) . Si<br />

les lois de l’économie<br />

sont infrangibles, si<br />

les systèmes de calcul<br />

CETTE DÉROUTE EST<br />

CELLE D’UNE PARTIE<br />

DE LA MATHÉMATIQUE<br />

FINANCIÈRE ET DE LA<br />

CONFIANCE<br />

et d’information nous offrent à tous les<br />

coups la bonne solution, si en somme la<br />

nécessité commande notre destin, les programmes<br />

politiques ne peuvent plus être<br />

que de légères variantes d’une direction<br />

générale qui s’impose au bon sens. Pourquoi<br />

s’encombrer encore d’un Etat qui se<br />

mêlerait un peu trop d’économique et de<br />

social ? Qu’il s’occupe d’abord de bien faire<br />

la police. Pourquoi entretenir dans nos<br />

universités des intellectuels non acquis à<br />

une science et à une technique instrumentalisée<br />

? Pourquoi ne pas laisser le<br />

HYPNOTIQUE DANS SES<br />

MODÈLES.<br />

monde industriel produire sans entraves<br />

de la richesse dont tous devraient finir par<br />

profiter, tôt ou tard ?<br />

Qu’après les banquiers, les grands patrons<br />

de Ford, General Motors et Chrysler<br />

en soient réduits à venir mendier des milliards<br />

de dollars au Congrès américain,<br />

que le monde politique doive reprendre<br />

brusquement la main pour sauver l’économie,<br />

que les libéraux réclament soudain<br />

plus d’Etat, jurant qu’on les a mal compris<br />

lorsqu’ils défendaient l’inverse, que les organes<br />

publics de contrôle des banques,<br />

comme la Commission bancaire, n’aient<br />

rien vu venir et trouvent cela normal…,<br />

on voit bien que ce qui est aujourd’hui au<br />

cœur du débat n’est pas seulement ce contrôle<br />

des banques, mais bien le rapport entre<br />

l’activité économique et la société, entre<br />

le privé et le public, entre le marché et<br />

l’Etat. C’est la fonction de ce dernier,<br />

comme norme ultime, norme des normes<br />

en quelque sorte, qui est rappelée et qui<br />

doit être repensée, sans retomber dans les<br />

excès partisans et bureaucratiques.<br />

Une profonde réforme<br />

des rapports entre<br />

l’économie et la société<br />

doit s’accompagner<br />

d’une réflexion<br />

approfondie sur les<br />

rapports entre la<br />

science et la société. Il<br />

s’agit de donner la<br />

priorité à la connaissance<br />

et à la transformation<br />

de la réalité,<br />

dans toute sa complexité<br />

et toutes ses dimensions<br />

plutôt qu’au<br />

modèle pour luimême,<br />

de soumettre le savoir au projet et<br />

de s’interroger sur son sens. Il s’agit aussi<br />

et surtout d’élaborer et de confronter de<br />

nouvelles idéologies, conçues comme systèmes<br />

de pensée propres à guider la mise<br />

en œuvre d’un projet collectif adapté aux<br />

enjeux de l’époque. Depuis les dérives<br />

dogmatiques d’un certain marxisme, justement<br />

dénoncées par Raymond Aron, le<br />

mot idéologie hérisse. Mais on parle ici<br />

d’idéologies débarrassées des dogmes et<br />

croyances non scientifiques qui devraient<br />

désormais appartenir au passé, mais qui<br />

meublent encore trop d’esprits, tentés de<br />

se rassurer à peu de frais. “Le monde ne<br />

peut pas s’autodétruire”, “Les grandes<br />

institutions privées et publiques sont gérées<br />

de manière rationnelle”, “Une très<br />

grande entreprise ne peut faire faillite”,<br />

“La science trouvera réponse à tous les<br />

problèmes”, “Les techniques de l’information<br />

permettront de créer une société<br />

mondiale harmonieuse”, “Le capitalisme<br />

finira toujours par trouver une solution<br />

aux problèmes qu’il a lui-même créés”, “Il<br />

n’y a plus vraiment de classes sociales,<br />

seulement un intérêt général”, “L’Etat est<br />

impartial”, “Quoi qu’on lui fasse subir, la<br />

nature est capable de se régénérer”, “Le<br />

marché s’autorégule”, “En toutes circonstances,<br />

un Etat fort ne peut être que nuisible”…<br />

un des rôles de la science est de tordre<br />

davantage encore le cou à de telles<br />

croyances, à montrer à la société qu’elle<br />

n’est face qu’à elle-même, sans aucun garant<br />

puisé dans quelque loi naturelle ou<br />

métaphysique que ce soit, et à alimenter<br />

des systèmes de pensée mobilisateur et<br />

des projets radicalement lucides et courageux.<br />

A droite, à gauche comme au centre, il y<br />

a urgence à élaborer et confronter démocratiquement<br />

de nouvelles idéologies capables<br />

de remobiliser des citoyens et des<br />

responsables trop résignés, où une vision<br />

à long et moyen termes dicte les décisions<br />

à court terme, et où une pensée encastrée<br />

dans la réalité sociale et l’expérience humaine<br />

prend le pas sur les certitudes abstraites.<br />

n<br />

w (1) Voir à ce sujet le petit ouvrage éclairant d’Armand<br />

Mattelart, “Histoire de la société de l’information” (Paris, La<br />

Découverte, Repères, 2003).<br />

w Le numéro de “La Revue<br />

nouvelle” de décembre 2008<br />

consacre un dossier spécial à<br />

“Violents, les jeunes ?”, coordonné<br />

par Joëlle Kwaschin avec<br />

“Violences et cultures juvéniles”<br />

(Xavier Rousseaux et David<br />

Niget), “La violence des jeunes et<br />

le drame de la reconnaissance”<br />

(Mauricio Garcia), “Les<br />

justifications de l’acte adolescent”<br />

(Antoine<br />

Masson),<br />

“L’intériorisation du stigmate de la<br />

délinquance comme violence” (Jacinthe Mazzocchetti) et<br />

“Tirer ou ne pas tirer ? Passage à l’acte à la lumière du “biais<br />

du tireur”” (Olivier Klein et Stéphane Doyen).<br />

Rens. : 02.640.31.07, e-mail redaction@revuenouvelle.be ou<br />

Web www.revuenouvelle.be.<br />

L A L I B R E 2 VENDREDI 26 DÉCEMBRE 2008 29<br />

© S.A. <strong>IPM</strong> 2008. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!