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JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

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ASSEMBLEE NATIONALE — 2* SEANCE DU 26 AOUT 1954 4279On a libéré — c'était une mesure <strong>de</strong> courage et <strong>de</strong> hautepolitique — quatorze lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong> l'Istiq<strong>la</strong>l. Istiq<strong>la</strong>l veut dire« parti <strong>de</strong> l'indépendance ». La plupart, d'ailleurs, <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong>l'Istki<strong>la</strong>l ne sont pas les monstres que l'on suppose; beaucoupd'entre eux sont <strong>de</strong> bons bourgeois pru<strong>de</strong>nts, qui se comp<strong>la</strong>isaientbeaucoup plus à <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> Condorcet et <strong>de</strong> Montesquieuqu'à l'appel à l'incendi.e et au terrorisme, croyez-moi.Ils avaient, d'ailleurs, une influence plutôt calmante, lénifiantesur <strong>la</strong> jeunesse marocaine, car il va<strong>la</strong>it mieux que lesjeunes Marocains écoutent jusqu'aux longues heures <strong>de</strong> l'aube,eu buvant le thé, tel lea<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'Istiq<strong>la</strong>l ou chef <strong>de</strong> quartier <strong>de</strong>l'Istiq<strong>la</strong>l discutant <strong>de</strong> Benjamin Franklin ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>rationd'indépendance plutôt qu'ils se promènent avec <strong>de</strong>s coïts ou<strong>de</strong>s mitraillettes.. M. Joseph Halleguen. Monsieur Clostermann, voulez-vous mepermettre <strong>de</strong> vous interrompre ?M. Pierre Clostermann. Je vous en prie, mon cher collègue.M. Joseph Halleguen. Je suis tout à fait touché du tableauidyllique que vous venez <strong>de</strong> nous présenter. Il est cependantun certain nombre <strong>de</strong> points que je ne comprends pas très bienet que je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai <strong>de</strong> m'expliquer.D'abord, si je me souviens bien, l'opposition entre Beribèreset Arabes ne date pas du 20 août 1953. En effet, déjà, avant <strong>la</strong>guerre, vers 1935, lorsque fut créé le comité d'action marocaine,...M. Pierre Clostermann. Le daliir qui le créa date <strong>de</strong> 1933.M. Joseph Halleguen. ... le premier acte <strong>de</strong> cet organisme fut<strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r que le protectorat français renonçât à sa politiqueberbère. Ainsi, dès 1935 — et le fait est probablement bien plusancien — régnait une certaine opposition entre Arabes et Berbères.Vous avez dit ensuite, monsieur Clostermann, que l'affairemarocaine avait commencé le 20 août 1953.M. Pierre Clostermann. Nullement.M. Joseph Halleguen. Vous l'avez dit à peu près textuellementau début <strong>de</strong> votre discours.M. Pierre Clostermann. J'ai dit que les événements marocainss'étaient précipités à partir du 20 août 1953.M. Joseph Halleguen. Cependant, avant le 20 août 1953, existaient<strong>de</strong> petites difficultés qui tenaient, en particulier, à <strong>la</strong>personne au sultan Mohamed ben Ynussef.Enfin, vous venez <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> certaines manifestations spontanées.Mais je crois avoir entendu parler également <strong>de</strong> certainesautres manifestations, par exemple <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> Port-Lyautey, dont vous avez été le témoin.Kl. Pierre Clostermann. J'agis précisément en parler.M. Joseph Halleguen. Sid!§'"doute pourrez-vous nous dire siles jeunes gens gavés d'alcool et dopés <strong>de</strong> stupéfiants qui, cejour-là, ont éventré <strong>de</strong>s femmes à Port-Lyautev, agissaient <strong>de</strong>leur propre initiative ou si quelques-uns <strong>de</strong> ces bons bourgeoisdont vous venez <strong>de</strong> parler les avaient très idylliquement préparésà exécuter ce travail.M. Pierre Clostermann. Je commençais, quand vous m'avezinterrompu, à parler <strong>de</strong> l'affaire <strong>de</strong> Port-Lyautey.Je disais qu'avaient été libérés — c'était un acte <strong>de</strong> courage— quatorze lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong> l'Istiq<strong>la</strong>l, qui ont pris l'engagementsolennel <strong>de</strong> faire respecter le calme, dans <strong>la</strong> mesure, d'ailleurs,où il est possible <strong>de</strong> contrôler une foule.C'était un engagement assez impru<strong>de</strong>nt. Cependant, pendantune semaine, Port-Lyautev — vous le savez, monsieur le ministre— a été <strong>la</strong> ville'<strong>la</strong> plus calme du Maroc. Mais il y avait cefameux problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> fermeture <strong>de</strong>s boutiques!" Tout lemon<strong>de</strong> sait que ies boutiques marocaines ont <strong>de</strong>ux portes, une<strong>de</strong>vant, une autre <strong>de</strong>rrière. La porte donnant sur <strong>la</strong> rue estfermée et le commerçant continue à recevoir ses clients par <strong>la</strong>porte <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière.Pour <strong>de</strong>s raisons que je veux croire parfaitement pures lesautorités locales ont décidé <strong>de</strong> faire ouvrir <strong>de</strong> force les boutiques,quoique personne ne se p<strong>la</strong>ignait.Des troupes supplétives ont été envoyées sur p<strong>la</strong>ce. La policefrançaise, l'armée française sont respectées; mais les forcessupplétives le sont beaucoup moins. Celles-ci ont fait sauter lespremières portes à coups <strong>de</strong> fusil. En l'espace <strong>de</strong> quelquesminutes, c'était l'émeute.On ne peut pas contrôler une foule, qu'elle soit française,hindoue ou britannique encore que, dans ce <strong>de</strong>rnier cas, cesoit différent. Rappelez-vous, cependant, les événements survenusen pays <strong>de</strong> Galles, en 1929, et les troubles <strong>de</strong> Cardifï.On ne peut plus contrôler une foule même à une échelleenfantine. Souvenez-vous <strong>de</strong> ce qui s'est passé lors du monômedu bacca<strong>la</strong>uréat à Paris à <strong>la</strong> suite duquel trois agents ont dûêtre hospitalisés au Val-<strong>de</strong>-Grâce et au cours duquel un autobusa été brûlé. Victor Hugo a dit <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule qu'elle était unmonstre.Il s'est produit <strong>de</strong>s événements très graves qui auraient puêtre évités si l'on n'avait pas insisté pour l'ouverture <strong>de</strong>s boutiques.Immédiatement tous les éléments interlopes son intervenuset les agitateurs professionnels ont tout <strong>de</strong> suite profité<strong>de</strong> <strong>la</strong> situation.Ce furent alors <strong>de</strong>s événements <strong>la</strong>mentables: l'école <strong>de</strong> puériculture,l'hôpital furent incendiés. Ce fut ignoble; ce<strong>la</strong> achoqué, d'ailleurs, tous les Marocains.Voilà <strong>la</strong> vérité sur l'affaire <strong>de</strong> Port-Lyautey. Cette re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>sfaits correspond sans doute aux informations du Gouvernement,car si celui-ci a <strong>de</strong>s informations différentes, elles sont probablementtendancieuses.Des Européens ont été assassines: on aurait dû les évacuer<strong>de</strong>s médinas.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Voulez-vous me permettre<strong>de</strong> vous interrompre, mon cher collègue ?M. Pierre Clostermann. Je vous en prie.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Vous nous avez déc<strong>la</strong>réavoir été le témoin <strong>de</strong>s événements qui se sont déroulés auMaroc antérieurement au 20 août 1953, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> dénosition<strong>de</strong> l'ancien sultan, et <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts récents <strong>de</strong> Port-Lyautey.Vous avez apporté <strong>de</strong>s précisions telles qu'elles doivent êtreprises au sérieux par cette Assemblée.Je serais heureux si vous vouliez me faire l'honneur <strong>de</strong>m'ecouter quand j'interviendrai à mon tour; car j'étais auMaroc lors <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> 1951 et en 1952, au moment <strong>de</strong>sinci<strong>de</strong>nts du syndicat. Le 20 août 1953, au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépositiondû sultan, j'étais sur les routes du Maroc...'M. Pierre Clostermann. Y avez-vous vu les cavaliers berbères ?M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Je vous répondrai.Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> simplement pour l'instant d'être assezaimable pour entendre <strong>la</strong> contradiction que j'apporterai à vostémoignages, car, moi aussi, j'ai été un témoin et je ne suispas du tout d'accord sur ce que vous déc<strong>la</strong>rez.M. Pierre Clostermann. C'est d'ailleurs parfaitement normal.M. Edouard Corniglion-Molinier. Chacun sa vérité!M. le prési<strong>de</strong>nt. M. Clostermann a aimablement consenti àêtre interrompu. Mais je ne puis <strong>la</strong>isser s'engager ici un dialogue.M. Jean-Marie Bouvier O'Cottereau. Les déc<strong>la</strong>rations <strong>de</strong>M. Clostermann sont trop graves.M. le prési<strong>de</strong>nt. Il s'agit d'une interpel<strong>la</strong>tion adressée parM. Clostermann au Gouvernement et non pas d'une controverse<strong>de</strong> collègue à collègue.M. Jacques Fonlupt-Esperaber. Très bien!M. Pierre Clostermann. Je continue mon exposé.Un an s'est écoulé <strong>de</strong>puis le 20 août 1953. Où en sommesnousaujourd'hui ?Les grands griefs que l'on faisait à Sidi Mohamed V étaientau nombre <strong>de</strong> trois. Le premier <strong>de</strong> ces griefs était: il se refuseà condamner l'Istiq<strong>la</strong>l; le second: c'est un ennemi <strong>de</strong> <strong>la</strong>France; le troisième: il se refuse à signer les réformes.Je vous avo'ue, mes chers collègues, que j'attends avec impatience,<strong>de</strong>puis un an, <strong>la</strong> condamnation dé l'Istiq<strong>la</strong>l par BenArafa, et j'attends également les fameuses réformes.En effet, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux choses l'une: ou l'ancien sultan refusait<strong>de</strong> signer les réformes et elles auraient dû paraître dansles cinq jours qui suivirent sa déposition; ou il n'y en avaitpas d'établies — car les journaux ont indiqué ensuite qu'ellesétaient mises à l'étu<strong>de</strong> — c'est donc qu'un texte incomplet avaitété soumis au suitan, et alors <strong>la</strong> position française n'était pasd'une honnêteté intellectuelle absolue.Quant à l'autre grief: « c'é<strong>la</strong>it un ennemi <strong>de</strong> <strong>la</strong> France»,reste à savoir ce que l'on entend par le mot « ennemi ». EnelTet, on a dit bien <strong>de</strong>s choses sur l'ancien sultan. Appelle-t-onennemi un interlocuteur difficile ?C'est vrai. Sidi Mohamed V était un interlocuteur difficile. Enface d'un pareil interlocuteur, mieux vaut p<strong>la</strong>cer un hommequi le domine intellectuellement, surtout intellectuellement,car c'esi le point important au Maroc. L'a-t-on fait ?L'on perd au poker et l'on tire sur celui qui vient <strong>de</strong> vousbattre : c'est une formule pratiquée dans certains pavs. Cen'est généralement pas dans les habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> France."Toujours est-il que ni les réformes ni <strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong>l'Istiq<strong>la</strong>l ne sont intervenues.On a prétendu que le sultan avait été déposé à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>du peuple marocain.On compte aujourd'hui plus <strong>de</strong> cent mille signatures <strong>de</strong> notables,d'hommes <strong>de</strong> vrleur, au bas <strong>de</strong> pétitions qui affirment leurfidélité au sultan déposé. Nous Français qui <strong>de</strong>vons être arïri-

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