JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République
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- Des démocrates ? Dans <strong>la</strong> mesure où ils le paraissent, ils nele sont aujourd'hui que par calcul. La démocratie dont ilsprennent référence n'est qu'une arme à l'usage externe, toutjuste bonne à arracher délinitivement le pouvoir <strong>de</strong> nos mains.Quand cette opération sera conclue, ils se réc<strong>la</strong>meront <strong>de</strong>l'Is<strong>la</strong>m à l'intérieur pour assurer leur néo-califat, leur néotliéocratieà eux.Ces, gens, qui sont en <strong>la</strong>it <strong>de</strong>s adversaires <strong>de</strong> l'Is<strong>la</strong>m, invo-,queront alors pour asseoir leur autorité, toute <strong>la</strong> tradition inscrite<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s siècles dans les sourates du Coran, <strong>de</strong> ce Coranqui est non seulement, il ne faut pas l'oublier, l'ensemble <strong>de</strong>spréceptes moraux ou religieux, mais en même temps tout unsystème légis<strong>la</strong>tif et juridique et <strong>la</strong> base même du droit musulman.Adversaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion musulmane,ils joueront cependant <strong>de</strong> l'une comme <strong>de</strong> l'autre dansle seul but d'écarter les obstacles sur leur chemin.Mais s'ils triomphent <strong>de</strong> leurs compatriotes <strong>de</strong>main, c'estparce qu'ils auront d'abord triomphé <strong>de</strong> nous.Cette inspiration totalitaire que nous leur prêtons n'est nullement,monsieur le prési<strong>de</strong>nt du conseil, une vue <strong>de</strong> notreesprit. Elle a, au contraire, déjà fait ses preuves — très concrètes— dans les métho<strong>de</strong>s qu'ils ont employées quand ils enont eu le loisir.Les hommes qui représentent aujourd'hui le Néo-Destour àDamas, à Karachi, à New-Delhi, ont été naguère arrêtés parles Français et libérés par ies Allemands. Ils se sont initiés àces métho<strong>de</strong>s totalitaires lorsque le Croissant Rouge, commeon le rappe<strong>la</strong>it récemment, mettait ia Tunisie en coupe réglée,se comportait en maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue, perquisitionnait et dénonçait.N'est-ce pas une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> parti totalitaire que cette coercitionpermanente exercée par <strong>la</strong> menace et <strong>la</strong> vindicte du parti,ces grèves <strong>de</strong> commerçants imposées par le chantage, agrémentées<strong>de</strong> pil<strong>la</strong>ges et sanctionnées par l'assassinat ?Je me permets <strong>de</strong> signaler en passant que l'attentat terroriste,quelle que soit sa valeur <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>, n'est en faitqu'une preuve <strong>de</strong> faiblesse, un moyen mineur, écrivaitM. Herly, auquel on a recours quand l'insurrection est impossibleen raison du manque d'enthousiasme <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion.Il donne au l'ont <strong>la</strong> preuve contraire <strong>de</strong> ce qu'il entendaitdémontrer.Je <strong>la</strong>isserai à d'autres collègues le soin <strong>de</strong> dénoncer dans iedétail, avec textes à l'appui — Dieu sait s'il y en a — <strong>la</strong> collusiondu N.éo-Destour avec l'Allemagne. Qu'il me soit simplementpermis <strong>de</strong> rappeler que l'une <strong>de</strong> nos fonctions les plus.ç<strong>la</strong>ires en Afrique : du Nord a été <strong>la</strong> protection effective <strong>de</strong>sminorités, et <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu'il adviendrait <strong>de</strong>s Chleuhs, <strong>de</strong>sChaouïas,, <strong>de</strong>s Kabyles, <strong>de</strong>s Berbères <strong>de</strong> toute sorte, <strong>de</strong>s Mozabites,<strong>de</strong>s Israélites, si les partis nationalistes pouvaient accé<strong>de</strong>rau pouvoir.Il y a malheureusement <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts. L'un <strong>de</strong>s premiers. souct du comité d'action marocaine, lorsqu'il se créa, fut <strong>de</strong><strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l'annu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> notre politique berbère. Et je n'aipas à rafraichir les mémoires en ce qui concerne les exactionsracistes <strong>de</strong> 1912, ou <strong>de</strong> 1952, en Tunisie ou <strong>de</strong> Petitjean en 1954.Voilà les hommes à qui le Gouvernement français a choisi<strong>de</strong> remettre le pouvoir. Nullement représentatifs du peupletunisien, qu'ils ne sont capables <strong>de</strong> mobiliser que par <strong>la</strong>menace, poursuivant ostensiblement <strong>de</strong>s objectifs qui vont bienau <strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que vous croyez seulement leur concé<strong>de</strong>r,appuyés par <strong>de</strong>s acteurs et <strong>de</strong>s alliés invisibles qui se serventd'eux pour nous évincer, mais sauront ensuite jouer leurpropre jeu, il fal<strong>la</strong>it vraiment, monsieur le prési<strong>de</strong>nt du conseil,une bonne volonté. sortant <strong>de</strong> l'ordinaire pour leur accor<strong>de</strong>rquelque crédit.D'autres que vous s!y étaient d'abord <strong>la</strong>issé prendre. Ils ensont aujourd'hui revenus. J'en veux pour témoin cette motionvotée par <strong>la</strong> commission exécutive <strong>de</strong> <strong>la</strong> section <strong>de</strong> Tunis dusyndicat national <strong>de</strong>s instituteurs:« Les instituteurs se refusent à accepter le crime, l'assassinat,le vol comme <strong>de</strong>s moyens légitimes d'accès à l'autonomie,interne. Ceux qui, sans" partager absolument <strong>la</strong> doctrine duNéo-Destour, étaient cependant favorables à un acheminementprogressif du peuple tunisien à son autonomie interne, s'interrogentactuellement sur le crédit qu'il convient d'accor<strong>de</strong>r àcertaines déc<strong>la</strong>rations du Néo-Destour re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> situation<strong>de</strong>s Français et <strong>de</strong>s Européens vivant en Tunisie. »C'est pourtant, monsieur le prési<strong>de</strong>nt du conseil, ce créditque vous avez accordé. Ce faisant, vous êtes non seulemententré dans leur jeu, mais vous avez tourné le dos à ceux qui,<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s dizaines d'années, avaient mis leur espoir et leurconfiance en nous.Vous avez cruellement déçu ies nombreux amis.que <strong>la</strong> Francepossè<strong>de</strong> sur le sol tunisien. Nous leur avons accordé notreamitié mais nous avons <strong>la</strong>issé agir nos ennemis, qui étaientaussi IP.S leursQue vont <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>main ces caïds,, ces cheiks, ces khalifes,qui secondaient efficacement l'autorité française, à partir dumoment où leur situation dépendra <strong>de</strong>s ministres néo-<strong>de</strong>stouriens?Nos amis ne comprennent pas et ne peuvent prendre notretolérance que pour <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse.Il y a pourtant autre chose en Tunisie que le Néo-Destour^Il y a aussi <strong>de</strong>s têtes sages à Tunis, disait M. le maréchal Juin,mais il ajoutait que les têtes sages se taisent, sans doute parceque nous prêtons plus volontiers* l'oreille aux autres, à ceuxqui parlent le plus fort.Il est. juste <strong>de</strong> prêter attention au tapage <strong>de</strong>s cliques minoritaires,mais il est plus juste <strong>de</strong> faire écho aux aspirations <strong>de</strong>sbonnes volontés, <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>stes, <strong>de</strong> ceux qui savent qu'un changement<strong>de</strong> maître ne leur apportera rien.En fondant votre espoir sur ia pérennité <strong>de</strong>s intérêts français,sur les conventions dont vous voulez obtenir <strong>la</strong> signature,vous seriez.<strong>la</strong> victime d'une illusion majeure.Ces conventions n'auraient <strong>de</strong> valeur que si <strong>la</strong> bonne foiétait assurée <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés. Comment peut-on prétendre qu'ilen sera ainsi, lorsque vos partenahes eux-mêmes prennent tesoin <strong>de</strong> vous avertir que ce que vous considérez comme définitif,eux lo considèrent seulement comme provisoire.Bourguiba, qui s'écriait en 1950 que « l'indépendance extérieuresuivrait" l'autonomie interne inexorablement », nous afait savoir, après votre voyage à Tunis, que ce n'était là« qu'une étape substantielle sur <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> l'indépendance,totale ».Ne pensez-vous pas que le premier soin <strong>de</strong> l'assemblée, ditesouveraine, réunie par les soins du Néo-Destour, serait dodénoncer tout engagement antérieur qui constituerait unobstacle sur le chemin <strong>de</strong> sa souveraineté ?Quelle attitu<strong>de</strong>, je vous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, pourra prendre <strong>la</strong> France,en dépit <strong>de</strong> vos conventions, si le vote unanime d'une chambre •tunisienne prétendument élue au suffrage universel, <strong>la</strong> meten <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> supprimer son ultime contrôle ?Il semblerait qu'il n'y ait que nous à ne pas le saveir, à nopas le prévoir.Alors, quelle est <strong>la</strong> solution, cette solution constructive quevous réc<strong>la</strong>miez l'autre jour ?Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai, d'abord : <strong>la</strong> solution à quoi ? Au terrorisme ?J'ai dit qu'il fal<strong>la</strong>it d'abord donner au terrorisme son véritablesens et ses Véritables limites. Si vous estimez que le terrorismeest 1e fruit spontané du sentiment tunisien, que leNéo-Destour est le représentant qualifié du peuple tunisien etque pour mettre fin aux troubles il n'y a pas d'aulre issue que<strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r le pouvoir au Néo-Destour, je dis qu'il s'agit là d'unevue fausse du problème et que, par conséquent, <strong>la</strong> solutionque vous préconisez n'est pas va<strong>la</strong>ble.11 faut, d'abord, à tout prix, écarter <strong>de</strong> nos conversations,présentes et futures, tous ceux que se sont révélés les ennemis<strong>de</strong> <strong>la</strong> France quand nos libertés étaient menacées. Comme ilsont élé <strong>de</strong> mauvais juges, ils seraient <strong>de</strong> mauvais partenaires.Il faut juguler le terrorisme tel qu'il est et non tel qu'on sel'imagine, c'est-à-dire qu'il faut frapper non seulement lesexécutants, mais les instigateurs. Il est possible d'en atteindreun grand nombre. 11 est possible, si on le veut vraiment, do,dénoncer et <strong>de</strong> paralyser les autres.Il faut ensuite, méthodiquement, faire suivre à nos amis tunisiensl'apprentissage <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie, en particulier parl'exercice <strong>de</strong>s franchises communales. C'est par ia pratique <strong>de</strong>slibertés <strong>de</strong> nos communes que <strong>la</strong> France, sortant du moyénâge,a appris à <strong>de</strong>venir républicaine. Tant que ce sta<strong>de</strong> n'àurapas' été dépassé tout autre essai <strong>de</strong> démocratisation serait unleurre et une machine <strong>de</strong> guerre entre les mains <strong>de</strong>s stratègesqui veulent notre départ. Nous savons par l'expérience d'uncertain nombre <strong>de</strong> pays à travers le mon<strong>de</strong> que l'indépendancejuridique ne signifie pas nécessairement l'indépendance réelleet que l'impérialisme n'a pas qu'un seul visage.Il faut ensuite, avant <strong>de</strong> penser à une promotion politiquedont beaucoup, dans l'immédiat, ne sauraient que faire, travaillerà une promotion sociale, suivant le sage conseil d'unancien gouverneur <strong>de</strong> l'Algérie : « Quand tout ie mon<strong>de</strong> auraété mis sur un pied d'égalité sociale, on pourra alors envisagerpour tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s droits politiques égaux ». Il s'agit làd'une ascension lente et raisonnée, non seulement légitime,mais nécessaire, et nous sommes bien plus qualifiés pour prési<strong>de</strong>rà cette ascension sociale que tous les féodaux et tous lesmandarins.Il faut, en particulier, pour ce faire, combler le vi<strong>de</strong> énormequi existe dans les futurs cadres tunisiens sur le p<strong>la</strong>n technique..Il n'y a pas <strong>de</strong> spécialistes en Tunisie.. Les avocats et lesmé<strong>de</strong>cins pullulent aux Quartiers Généraux du Néo-Destour,mais on cherche encore les ingénieurs, les architectes et tousles techniciens. Or, tant pour son expansion économique quepour <strong>la</strong> sécurité <strong>de</strong>s travailleuis, <strong>la</strong> Tunisie a besoin <strong>de</strong> spécialisteset c'est à nous <strong>de</strong> les lui préparer.