11.07.2015 Views

JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

JOURNAL OFFICIEL - Débats parlementaires de la 4e République

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

C'était, je le répète, le 2 juillet. .L'encre <strong>de</strong> <strong>la</strong> signature <strong>de</strong><strong>la</strong> France n'était pas sèche au bas <strong>de</strong> l'armistice <strong>de</strong> Genèveque ie 31 juillet M. Mendès-France était à Tunis pour <strong>la</strong> proc<strong>la</strong>mationdécisive que nous savons.En réalité, monsieur le ministre, ce n'est pas vous, certes,qui participez d'une idéologie, mais votre prési<strong>de</strong>nt du conseil.C'est un homme intransigeant sur ses idées. Il a un goût certain<strong>de</strong> <strong>la</strong> scène historique et c'est tout ce<strong>la</strong> qui dicte son action.Il ne doute jamais ni <strong>de</strong> ses convictions ni <strong>de</strong> son savoir-faireet il entend que, puisqu'il est au pouvoir, ses idées doiventl'être.Ce<strong>la</strong> est respectable et honore un homme. Mais, aux postesoù vous êtes les uns et les autres, c'est d'hommes d'Etat quenous avons besoin. (App<strong>la</strong>udissements sur certains bancs adroite.)M. le prési<strong>de</strong>nt- La parole est à M. Cadi Ab<strong>de</strong>lka<strong>de</strong>r, <strong>de</strong>rnierinterpel<strong>la</strong>teur.M. Cadi Ab<strong>de</strong>lka<strong>de</strong>r. Avant d'apporter dans le débat tout lepoids <strong>de</strong> l'opinion musulmane nord-africaine, permettez-moi,mons'eur le prési<strong>de</strong>nt Mendès-France, <strong>de</strong> vous adresser, ains:qu'à votre belle équipe <strong>de</strong> ministres, toute <strong>la</strong> gratitu<strong>de</strong>, toute<strong>la</strong> reconnaissance, toute l'espérance <strong>de</strong> millions et <strong>de</strong> millions<strong>de</strong> musulmans sensibles aux solutions constructives, apaisantes,courageuses, qui sauvegar<strong>de</strong>nt à 1a fois ies intérêts die <strong>la</strong>France et le désir d'émancipation <strong>de</strong>s peuples nord-africains.Contrairement aux gouvernements qui ont précédé le vôtreet qui vous ont légué l'âpre fruit <strong>de</strong>s pires ma<strong>la</strong>dresses et<strong>de</strong>s pires erreurs, tels que le ratissage, l'emploi ataxique <strong>de</strong><strong>la</strong> force et <strong>la</strong> victoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Croix sur le Croissant, vous vousêtes dégagé du cadre <strong>de</strong>s slogans éculés et <strong>de</strong>s conceptions àcourte vue; vous vous êtes ipenché, malgré <strong>la</strong> conjoncture internationale,sur cette belle fll'le <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, l'Afrique du Nord.Le sultan d'un vieux conte oriental avait une fille, bellecomme le jour. 11 l'aimait, mais régnant sur <strong>de</strong>s peuples sansnombie, il était si chargé <strong>de</strong> soucis qu'il oubliait à tout instantl'existence <strong>de</strong> <strong>la</strong> petite princesse. Chaque fois qu'il rentrait<strong>de</strong> vovage, il fal<strong>la</strong>it que <strong>la</strong> pauvrette vienne lui dired'une voix mouillée <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes: « Je suis votre fille, ô comman<strong>de</strong>ur<strong>de</strong>s croyants, me reconnaissez-vous ? » Il <strong>la</strong> berçaitalors sur son cœur en murmurant joyeusement « C'est vrai,tu es ma fille et <strong>la</strong> fleur <strong>de</strong> ma vie ». Mais c'était toujours arecommencer.Or, sans rien prendre au tragique, on doit convenir quecette mé<strong>la</strong>ncolique histoire est un peu celle <strong>de</strong> l'Afrique duNord. La France, c'est bien certain, n'a pas <strong>de</strong> fille plus aimableni plus fidèle que l'Afrique du Nord. De Charleroi en 1914 àDieu Bien Phu il y a quelques semaines, le sang commun quia été versé à <strong>la</strong>rges flots est <strong>la</strong> réponse <strong>la</strong> plus magnanime àtous les détracteurs, à tous les pessimistes. (App<strong>la</strong>udissements.)Mais l'Afrique du Nord a besoin <strong>de</strong> rappeler <strong>de</strong> temps entemps à <strong>la</strong> France qu'elle existe et elle est, avant tout, Fohjet<strong>de</strong> cette intervention.Mes c.hers collègues, lorsque je dis l'Afrique du Nord c'est,dans mon esprit, et dire le contraire est une affirmation contrenature, qu'il n'y a pas <strong>de</strong> problème tunisien seul, qu'il n'ya pas <strong>de</strong> problème marocain seul, qu'il n'y a pas <strong>de</strong> problèmealgérien seul, pas plus qu'il n'y a <strong>de</strong> problème breton,provençal ou alsacien. Il n'y a qu'un seul peuple qui, d'Agadirà Gabès, attend du seul peuple français et <strong>de</strong> <strong>la</strong> seule Francerépublicaine et démocratique une seule politique <strong>de</strong> compréhension,<strong>de</strong> confiante amitié, <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> paix.Lorsque les prémices d'une telle politique seront définitivementétablies, l'application régionale avec ses multiplesvariantes n'en sera que plus facile et plus nette car, jusqu'àce jour, mes chers collègues, nous n'avons pas eu <strong>de</strong> politiquemusulmane digne <strong>de</strong> ce nom, nous n'avons eu qu'unepolitique à <strong>la</strong> petite semaine, aux contours extrêmement vagueset d'une imprécision telle qu'elle justifiait par avance tousles abus d'outre-mer.La IV" 3 République manque totalement <strong>de</strong> spécialistes <strong>de</strong>squestions musulmanes qui firent <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes, ellemanque <strong>de</strong> sens musulman, elle manque <strong>de</strong> ces grands diplomates,<strong>de</strong> ces grands ambassa<strong>de</strong>urs, <strong>de</strong> ces grands cerveauxqui portèrent haut le prestige <strong>de</strong> <strong>la</strong> France en pays musulman.Notre politique musulmane s'est trouvée réduite aux coups<strong>de</strong> force, aux atermoiements, aux volte-faces dont les résultatsdésastreux restent une <strong>de</strong>s pages les plus sombres <strong>de</strong>l'histoire nord-africaine.En donnant carte b<strong>la</strong>nche aux administrations locales, ensubissant le chantage <strong>de</strong> ceux pour qui l'intérêt privé primel'intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, le quai d'Orsay a été à l'origine <strong>de</strong> <strong>la</strong>situation actuelle.11 a <strong>la</strong>issé se créer <strong>de</strong> par-<strong>de</strong>là les mers, <strong>de</strong> véritables Etatsdans l'Etat, <strong>de</strong> véritables proconsu<strong>la</strong>ts qui n'hésitaient pas àdésobéir au pouvoir central et n'exécutaient pas les directivesdonnées par lui.La déca<strong>de</strong>nce romaine a commencé au jour où les proconsuls<strong>de</strong> l'empire ne tinrent plus compte <strong>de</strong>s avis du sénat <strong>de</strong> Rome.11 n'est que d'analyser les faits, soit en Tunisie, soit au Mîaroc,soit même en Algérie pour me'.tre en relief les fautes commises,ies erreurs incompréhensibles et qui s'écartent <strong>de</strong> <strong>la</strong>ligne <strong>de</strong> conduite d'une nation qui encore hier était <strong>la</strong> premièrepuissance musulmane.En Tunisie, <strong>la</strong> négociation avait commencé l'été 1950 avec leministère Chenik. Tout al<strong>la</strong>it bien jusqu'au 15 mai 1951, lorsquele Bey, fort <strong>de</strong>s traités dits <strong>de</strong> protectorat qui le reconnaissaient'maître absolu du pouvoir exécutif, décidait <strong>de</strong> restaurerce pouvoir exécutif sur les bases d'une représentation<strong>de</strong> son peuple dans <strong>de</strong>s corps élus dont les attributions seraientprécisées.Cette velléité <strong>de</strong> démocratisation du pouvoir par un monarquemusulman eut. le don curieux et combien paradoxal d'irriterles représentants d'un gouvernement républicain et essentiellementdémocrate.Le mémorandum beylical du 31 octobre fut jugé irrecevable,et sans négociations, sans prise <strong>de</strong> contact,-ce fut <strong>la</strong> fameusenote du 15 décembre brutale, cassante, ma<strong>la</strong>droite, et par<strong>la</strong>quelle le quai d'Orsay, perdant son sang-froid, rompait avecle Bey et lui dictait ses volontés.Les ministres étaient arrêtés. Deux d'entre eux MM. Sa<strong>la</strong>hBen Youssef et Badia, qui se trouvaient à Paris, étaient lelen<strong>de</strong>main poursuivis par <strong>la</strong> police comme s'il s'agissait <strong>de</strong>bandits redoutables, et ils ne durent leur salut qu'en gagnantprécipitamment l'étranger où ils vivent aujourd'hui en proscrits.Ce manque <strong>de</strong> tact déchaîna l'action du peuple tunisien. Cefut l'appel à l'O. N. U., ce fut le terrorisme où d'innocentesvictimes tombèrent <strong>de</strong> part et d'autre, ce furent les fel<strong>la</strong>ghas.Enfin M. Mendès-France vint. L'autonomie interne <strong>de</strong> <strong>la</strong>Tunisie étaient reconnue loyalement et sans arrière-pensée. Desnégociations reprennent sous le signe <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension et<strong>de</strong> l'amitié avec M. Tahar Ben Ammar. La <strong>de</strong>rnière tournée dugénéral <strong>de</strong> La Tour démontre amplement que le peuple tunisienreprend confiance et apprécie ce grand pas fait dans <strong>la</strong> voie<strong>de</strong> <strong>la</strong> satisfaction <strong>de</strong> ses aspirations nationales.Monsieur le prési<strong>de</strong>nt Mendès-France, allez <strong>de</strong> l'avant. Nevous <strong>la</strong>issez point intimi<strong>de</strong>r par ceux qui découragèrentM. Robert Schuman. Soyez <strong>la</strong>rge, soyez net, sovez français,c'est-à-dire humain. Ouvrez les prisons, fermez lès camps <strong>de</strong>concentration, arrêtez les condamnations, proc<strong>la</strong>mez l'amnistie,ren<strong>de</strong>z sans retard au peuple le lea<strong>de</strong>r Bourguiba et les ministresBen Youssef et Badia.Vous aurez rendu <strong>la</strong> confiance aux Tunisiens, qui n'ontjamais marchandé leur sang pour défendre <strong>la</strong> France et quien 1939, à <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, firent une réception chaleureuseet enthousiaste au prési<strong>de</strong>nt Da<strong>la</strong>dier, démontrant ainsi, aux puissances ennemies leur profond attachement à <strong>la</strong> France.Au Maroc <strong>la</strong> situation est pénible, • conséquence <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxlour<strong>de</strong>s erreurs uniques dans les annales <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique françaiseen pays d'Is<strong>la</strong>m.En premier lieu, c'est <strong>la</strong> brutale déposition du sultan SidiMohammed ben Youssef par un jour <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> fête religieusemusulmane. Mussolini avait choisi le vendredi saint pour attaquer<strong>la</strong> petite Albanie. Mais où est Mussolini ?Arraché à son peuple qu'il adorait et qui l'adorait, SidiMohammed ben Youssef fut conduit entre <strong>de</strong>ux policiers,comme un vulgaire malfaiteur, d'abord en Corse puis à Madagascar,sans respect pour sa personne ni pour le peuple marocain.Ce geste a été ressenti comme un soufflet par tout le mon<strong>de</strong>musulman, car il porte atteinte non seulement à <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong>Sidi Mohammed ben Youssef, mais aux principes fondamentaux<strong>de</strong> <strong>la</strong> religion musulmane.II vient d'être aggravé par l'arrestation <strong>de</strong>s Oulémas <strong>de</strong> Fez,arrestation organisée par <strong>la</strong> Bési<strong>de</strong>nce générale et le généralDuval, et non par ben Arafa, comme on veut le faire croire.Jamais, au grand jamais, <strong>la</strong> poignée <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>s noirs ne sefût aventurée dans les ruelles <strong>de</strong> Fez si <strong>de</strong>ux mille légionnairesn'avaient pas été là pour <strong>la</strong> soutenir.Le horm <strong>de</strong> Mou<strong>la</strong>y Idriss fut violé. Des Oulémas, <strong>la</strong> plupart<strong>de</strong>s vieil<strong>la</strong>rds <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> soixante-dix ans, furent matraqués,emmenés manu militari vers ce qu'on appelle en terme <strong>de</strong>police, une <strong>de</strong>stination inconnue, c'est-à-dîre vers les lieux oùl'on sait mater les récalcitrants.Je ne sais, mesdames, messieurs, si vous appréciez ces procédésque l'on vous présente soit par <strong>la</strong> presse, soit par communiquésofficiels, sous un jour anodin et édulcoré.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!