Rapport annuel ADRAO 1996Points sail<strong>la</strong>nts <strong>de</strong>s activitésDes machines <strong>de</strong> prix abordab<strong>le</strong>« Je risque peut-être <strong>de</strong> me brû<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s doigts, mais <strong>pour</strong>tant,je suis certain que ce<strong>la</strong> va marcher... » Celui qui par<strong>le</strong> ainsiest Ibre Seck, directeur technique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Société industriel<strong>le</strong>sahélienne <strong>de</strong> machinisme agrico<strong>le</strong>, <strong>de</strong> mécanique et <strong>de</strong>représentation (SISMAR), entreprise dakaroise qui opèredans toute l’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest. Cel<strong>le</strong>-ci est en train <strong>de</strong> se<strong>la</strong>ncer dans un nouveau projet : <strong>la</strong> fabrication et <strong>la</strong> commercialisationd’une batteuse <strong>pour</strong> <strong>le</strong> riz.L’importation <strong>de</strong> gr osses moissonneuses-batteuses a été uneerreur coûteuseDe petites machines peuvent êtr e fabriquéesloca<strong>le</strong>ment à un prix abordab<strong>le</strong>La récolte et <strong>le</strong> battage du riz sont encore effectuésmanuel<strong>le</strong>ment par <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s paysans sénéga<strong>la</strong>is. Ce sont<strong>de</strong>s opérations qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt énormément <strong>de</strong> temps. Etcomme el<strong>le</strong>s ont lieu au même moment sur toutes <strong>le</strong>sexploitations, <strong>la</strong> main-d’oeuvre fait défaut et coûte cherpendant cette pério<strong>de</strong>. Il en résulte <strong>de</strong>s retards qui setraduisent par <strong>de</strong>s pertes quantitatives et qualitatives. Et <strong>le</strong>sprix à <strong>la</strong> consommation atteignent jusqu’à 25% <strong>de</strong> plus que<strong>le</strong> niveau qu’ils <strong>pour</strong>raient avoir autrement.La réponse logique est <strong>la</strong> mécanisation. Mais <strong>le</strong>stentatives qui ont été faites jusqu’à présent se sont soldéespar un échec. Les grosses moissonneuses-batteusesimportées <strong>de</strong> pays industrialisés à un prix unitaire <strong>de</strong>40 millions <strong>de</strong> francs CFA se sont révélées inadaptées auxsols boueux du Sénégal. El<strong>le</strong>s sont tombées en panne et,faute <strong>de</strong> pièces détachées, n’ont pu être réparées. On peutvoir aujourd’hui <strong>le</strong>urs carcasses rouillées d’un bout à l’autre<strong>de</strong> <strong>la</strong> vallée du f<strong>le</strong>uve Sénégal.En 1994, lors d’une visite à l’Institut international <strong>de</strong>recherches rizico<strong>le</strong>s (IRRI) aux Philippines, Miézan a vu<strong>de</strong>ux machines—une moissonneuse-égreneuse et unebatteuse-vanneuse—qui lui ont semblé mieux adaptées auxconditions du Sénégal. Il s’agissait <strong>de</strong> petites machines peucoûteuses qui pouvaient être fabriquées avec <strong>de</strong>s matériauxlocaux, ce qui éviterait d’importer et résoudrait <strong>le</strong> problème<strong>de</strong>s pièces détachées. A <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> Miézan, l’IRRI aenvoyé un prototype <strong>de</strong> chaque machine à <strong>la</strong> station ADRAO<strong>de</strong> Ndiaye.L’ISRA, qui possè<strong>de</strong> une expertise dans <strong>le</strong> domaine<strong>de</strong>s opérations post-récolte, est apparu comme <strong>le</strong>partenaire idéal <strong>pour</strong> effectuer <strong>de</strong>s essais en milieu paysan.Après une évaluation initia<strong>le</strong>, il a été <strong>de</strong>mandé à un petitentrepreneur d’un vil<strong>la</strong>ge proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> stationexpérimenta<strong>le</strong> <strong>de</strong> fabriquer <strong>le</strong>s premiers modè<strong>le</strong>s sénéga<strong>la</strong>is.Lorsque ces machines ont été prêtes, l’ISRA, <strong>la</strong> SAED etl’ADRAO ont procédé à <strong>de</strong> nouveaux essais. Un séminaireintensif <strong>de</strong> quatre jours a ensuite été organisé <strong>pour</strong> discuter<strong>de</strong>s résultats.Ce séminaire a marqué une étape décisive. Desintervenants <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s sta<strong>de</strong>s du processus <strong>de</strong> recherchedéveloppementy ont participé : l’inventeur <strong>de</strong>s machines,Boru Douthwaite <strong>de</strong> l’IRRI, <strong>le</strong>s chercheurs et <strong>le</strong>s vil<strong>la</strong>geoisqui avaient fait <strong>le</strong>s essais locaux, et Ibre Seck <strong>de</strong> <strong>la</strong> SISMAR,36
Rapport annuel ADRAO 1996Points sail<strong>la</strong>nts <strong>de</strong>s activitéspotentiel<strong>le</strong>ment intéressé par <strong>la</strong> fabrication et <strong>la</strong>commercialisation <strong>de</strong>s machines. Il a été jugé que cel<strong>le</strong>s-ciétaient prometteuses, mais qu’il faudrait <strong>le</strong>s modifier <strong>pour</strong>pouvoir <strong>le</strong>s utiliser au Sénégal. Les participants ont passéen revue <strong>le</strong>s principaux problèmes et <strong>le</strong>s solutions à <strong>le</strong>urapporter.S’agissant <strong>de</strong> <strong>la</strong> batteuse, il s’avérait avant tout nécessaired’en accroître <strong>la</strong> capacité <strong>pour</strong> l’adapter à <strong>la</strong> superficiere<strong>la</strong>tivement importante <strong>de</strong>s parcel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s périmètres irriguésdu Sénégal, sans <strong>pour</strong> autant porter atteinte à <strong>la</strong> qualité<strong>de</strong>s grains. Il fal<strong>la</strong>it éga<strong>le</strong>ment modifier <strong>le</strong>s dimensions <strong>de</strong><strong>la</strong> machine <strong>pour</strong> en faciliter <strong>le</strong> maniement, car <strong>le</strong>spaysans sénéga<strong>la</strong>is sont généra<strong>le</strong>ment plus grands que <strong>le</strong>spaysans <strong>de</strong>s Philippines. Enfin, <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s sols locauxexigeait un matériel plus robuste, fabriqué avec un acier plusépais.Quant à <strong>la</strong> moissonneuse-égreneuse, il fal<strong>la</strong>it en remanier<strong>la</strong> conception <strong>de</strong> manière plus fondamenta<strong>le</strong>. Le principalproblème était <strong>la</strong> trop gran<strong>de</strong> légèreté du modè<strong>le</strong> philippin.Ibre Seck : il ne risque pas <strong>de</strong> se brû<strong>le</strong>r<strong>le</strong>s doigts dans cette affaireEn outre, <strong>la</strong> chaîne cassait faci<strong>le</strong>ment lorsque <strong>la</strong> machineétait utilisée en terrain boueux. Et il était indispensab<strong>le</strong> <strong>de</strong>réduire <strong>le</strong>s pertes <strong>de</strong> grains au niveau du compartiment <strong>de</strong>stockage.En dépit <strong>de</strong> ces problèmes, Seck était convaincu que <strong>le</strong>smachines avaient un avenir non seu<strong>le</strong>ment au Sénégal, maisdans toute l’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest. Grâce à ses connexionsinternationa<strong>le</strong>s, sa société serait bien p<strong>la</strong>cée <strong>pour</strong> <strong>le</strong>scommercialiser. Le <strong>de</strong>rnier jour du séminaire, après avoirpris une profon<strong>de</strong> inspiration, il s’est déc<strong>la</strong>ré volontaire <strong>pour</strong>construire <strong>de</strong> nouveaux prototypes et financer <strong>de</strong> nouveauxessais en milieu paysan.Aujourd’hui, <strong>la</strong> SISMAR a achevé <strong>le</strong> travail sur <strong>la</strong>batteuse, et Seck se dit enchanté du résultat. Pour un tiersdu coût <strong>de</strong>s batteuses commercialisées jusqu’à présent, <strong>le</strong>nouveau modè<strong>le</strong> sénéga<strong>la</strong>is produit jusqu’à 80 sacs par jour<strong>de</strong> grain bien propre, ce qui représente une améliorationradica<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> productivité par rapport au battage manuel.La machine sera bientôt <strong>la</strong>ncée officiel<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong> ministère<strong>de</strong> l’Agriculture a accepté <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>cer sur <strong>la</strong> liste <strong>de</strong>séquipements <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s producteurs peuvent obtenirun crédit.Apparemment, Seck ne se brû<strong>le</strong>ra pas <strong>le</strong>s doigts danscette affaire. Pour présenter <strong>la</strong> batteuse aux agriculteurs, <strong>la</strong>SAED a organisé trois journées <strong>de</strong> restitution dans <strong>de</strong>svil<strong>la</strong>ges. Les paysans ont été impressionnés par ce qu’ilsont vu, et <strong>la</strong> nouvel<strong>le</strong> s’est répandue comme un feu <strong>de</strong>brousse. La SISMAR a déjà reçu plus <strong>de</strong> 100 comman<strong>de</strong>s<strong>de</strong> producteurs ou <strong>de</strong> groupements <strong>de</strong> producteurs, quiviennent s’ajouter à une grosse comman<strong>de</strong> passée par <strong>le</strong>gouvernement.D’après Miézan, l’introduction <strong>de</strong> ces machines auSénégal fournit un exemp<strong>le</strong> édifiant <strong>de</strong>s bienfaits <strong>de</strong> <strong>la</strong>col<strong>la</strong>boration entre institutions. « Du côté du secteur public,<strong>de</strong>s organismes nationaux et internationaux ont conjugué<strong>le</strong>urs efforts <strong>pour</strong> évaluer cette technologie, l’adapter auxconditions loca<strong>le</strong>s et en faire <strong>la</strong> démonstration auxproducteurs », dit-il. « Ce<strong>la</strong> a ouvert <strong>la</strong> voie à l’interventiond’une société privée, qui a décidé <strong>de</strong> produire ces machineset <strong>de</strong> <strong>le</strong>s commercialiser. En investissant dans <strong>la</strong> construction<strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> génération <strong>de</strong> prototypes et dans <strong>le</strong>s essaisen milieu paysan, <strong>la</strong> SISMAR a misé gros dans l’entreprise,d’où son intérêt à <strong>la</strong> faire réussir. »37