HORS DOSSIERPhoto 18 : Nano-codes-barres à nano-bâtonnets contenant une succession de six tranches à deux métaux différents(© Nanoplex Technologies)• identification de personnes : les empreintes digitalesétaient déjà utilisées comme signature par lesBabyloniens il y a quatre mille ans, mais ce n’est qu’aumilieu du XIX e siècle que la police, à Londres, commenceà les utiliser pour identifier les criminels. Lestechnologies numériques permettent aujourd’huid’identifier automatiquement un individu parmi plusieursmillions à partir de douze points caractéristiqueschoisis sur la centaine de points qui caractérisent la texturede son empreinte digitale. Le dessin de l’iris, l’irrigationsanguine de la rétine, le réseau veineux de lamain peuvent également être utilisés comme élémentsbiométriques. Des nanoparticules fluorescentes à based’oxyde de zinc permettent de rendre visibles des tracesd’empreintes digitales, même sur des surfaces humides ;• lutte contre la contrefaçon : on peut marquer un produitde manière unique et pratiquement infalsifiable endisséminant des nanoparticules magnétiques de manièrealéatoire à un endroit déterminé de sa surface. À l’aided’un scanner magnétique semblable à la tête de lectured’un disque dur, on lit ce code-barres magnétiqueet on identifie le produit. Un faussaire devrait reconstituerla configuration exacte des nanoparticules magnétiques,ce qui serait très difficile et coûteux. Une autrepossibilité serait de fabriquer des nano-codes-barres àl’aide de nano-bâtonnets, chacun contenant une successionde tranches de métaux différents comme l’or,l’argent ou le platine. Avec trois métaux, un nanobâtonnetà cinq tranches engendre 135 codes. Enmélangeant plusieurs types de nano-bâtonnets, onobtient donc une combinatoire d’une richesse impressionnante(voir la photo 18).RISQUES POTENTIELSComme toute technologie nouvelle, les nanotechnologiessoulèvent optimisme et enthousiasme, mais aussiinquiétude et méfiance. Des romans de science-fictionexpriment ces dernières de façon angoissante. Ainsi,<strong>É</strong>ric Drexler, dans Engines of Creation, paru en 1986,évoque la menace du « gray goo », une gelée griseconstituée de nanorobots capables de s’auto-répliqueren consommant la matière vivante de la planète.Michael Crichton, l’auteur du scénario du film JurassicPark, a repris cette idée dans son roman La proie (Pray)paru en 2002 : un essaim volant de nanoparticulesintelligentes menace la vie sur la Terre.Dans la vision d’Eric Drexler, les «assembleurs moléculaires»sont des dispositifs capables de positionner unatome ou une molécule avec une grande précision et deconstruire ainsi, atome par atome (ou molécule parmolécule), des édifices complexes, que l’on peut appelernano-machines. Ces «assembleurs moléculaires»peuvent s’auto-répliquer ou fabriquer de nouveaux«assembleurs moléculaires», encore plus complexes(voir la photo 19).Dans la pratique, ce processus est impossible : il faudraitd’abord initier le processus en construisant unassembleur moléculaire qui puisse démarrer une productionen série de nanomachines. En outre, concevoirune nanomachine est difficile, car, malgré les progrèsréalisés dans la simulation mathématique, il est pratiquementimpossible de prédire le fonctionnement précisd’un assemblement complexe d’atomes.Sélectionner les réalisations réussies en écartant leséchecs est pratiquement impossible par d’autresméthodes que celle spécifique à l’évolution darwinienne(la survie ou l’extinction), qui nécessiterait un tempstrès long. Enfin, construire une nanomachine atomepar atome demanderait de casser et de former des liaisonschimiques entre des atomes ou des moléculesdéterminés tout en évitant les atomes et les moléculesindésirables se trouvant dans le voisinage. Un tel processusreste très difficile à mettre en pratique car il sedéroule dans un environnement instable, à cause del’agitation thermique et des effets quantiques.Les problèmes réels posés par les nanotechologies sontplutôt d’ordres toxicologique et éthique.Du fait de leur petite taille, les nanoparticules peuventpénétrer dans l’organisme en franchissant les barrièresnaturelles (au niveau des poumons, de la muqueusenasale, du tube digestif, voire de la peau). Elles ont unesurface spécifique plus grande que les substances« macro », car plus la taille des particules diminue, plusleur surface de contact est grande. Enfin, ayant unnombre restreint d’atomes, elles présentent des défautsde surface qui leur confèrent une réactivité chimiqueaccrue.Lors de son évolution, l’homme a toujours vécu encontact avec des nanoparticules naturelles, comme lescendres d’éruptions volcaniques, les fumées des feux deforêt, les aérosols transportés par le vent ou le pollen82R<strong>É</strong>ALIT<strong>É</strong>S INDUSTRIELLES • AOÛT 2010
ILARION PAVELPhoto 19 : Nano-robot réparant lescellules du corps humain, imaginépar des auteurs de romans de science-fiction(©www.techtoggle.com).produit par les plantes. Mais ce n’est que depuis récemmentqu’il est en contact avec des nanoparticulesmanufacturées, ce qui pose pertinemment la questionde leur impact sur sa santé. C’est pourquoi plusieursprojets de recherche ont été lancés sur le thème de latoxicité potentielle des nanoparticules.Ces études posent de grands défis car la réponse de l’organismedépend de chaque nanoparticule et il est difficilede tirer des conclusions générales pour des classesplus larges. De plus, certaines nanoparticules nontoxiques peuvent piéger, à leur surface, des moléculestoxiques et pénétrer dans l’organisme : cet effet estappelé «cheval de Troie».Au-delà de l’impact sur la santé se pose la question dudevenir des nanoparticules disséminées dans la nature,de leurs interactions avec les plantes et les animaux etde leur transport dans l’environnement.Enfin, les nanotechnologies soulèvent des problèmeséthiques. Manipuler des cellules souches ou remplacerdes organes défaillants de l’organisme humain peutconduire à des dérapages, en particulier à des travauxvisant à améliorer l’être humain ou à augmenter artificiellementses capacités.ACCEPTABILIT<strong>É</strong> SOCIALECes perspectives suscitent des inquiétudes, d’autant plusque les objets nanométriques, invisibles à l’œil nu, nesont pas perceptibles directement. Certaines expériencesmalheureuses comme l’utilisation de l’amiante dans laconstruction, longtemps présenté comme un matériaumiracle (isolant électrique, résistant au feu et à l’agressionchimique) alors qu’il est toxique, ont rendu legrand public plus anxieux face aux risques potentiels.Une mesure radicale consisterait à abandonner larecherche en nanotechnologies. Cela nous protégeraitcertes des risques potentiels, mais nous priverait enmême temps des retombées positives de cette recherche.Il appartient à la société de peser les bénéfices et lesrisques et de décider de poursuivre ou d’abandonnercette voie de recherche et de développement. Par unaccord international, l’ensemble des pays pourrait déciderd’abandonner la recherche en nanotechnologies etchoisir d’explorer d’autres voies.Plus raisonnablement, plusieurs actions sont envisageables: mettre au point des protocoles d’évaluationtoxicologique et éco-toxicologique, avec des tests delaboratoire in vitro et sur animal, des règles de bonusage dans la production des nanoparticules, des systèmesde surveillance sanitaire des personnes exposées,des règlements de traçabilité des produits nano, desmoyens pour que les consommateurs soient informésen toute transparence, des comités d’éthique pours’interroger sur l’opportunité de développer les nanotechnologies.Ces problèmes, qui relèvent plus de décisions politiquesque de choix scientifiques et techniques, ne sontd’ailleurs pas spécifiques aux nanotechnologies. Il y aun espace de liberté et un espace de contraintes : ce quenous réaliserons ne dépend que de nous.Pour assumer ses décisions et juger les choix technologiques,le citoyen doit avoir une culture scientifique.Comment comprendre le monde d’aujourd’hui sansun minimum de compréhension de la science ?Comment ne pas se sentir perdu, impuissant, frustré,quand on ne se représente pas du tout la façon dontfonctionne un circuit électrique ? Aujourd’hui, seulsquelques cerveaux privilégiés ont accès à la compréhensionde la réalité, alors que le plaisir de faire un pasde plus vers le réel inaccessible est un des plus merveilleux.Il est urgent de transformer l’enseignementdes sciences. L’école doit apporter à chacun, quelquesoient ses possibilités intellectuelles apparentes, lesmoyens d’être un peu moins myope face au réel.R<strong>É</strong>ALIT<strong>É</strong>S INDUSTRIELLES • AOÛT 2010 83