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Désolé j'ai ciné #7

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only god forgives 23<br />

Alors certes, «Only God Forgives» est loin, bien loin d’incarner une œuvre définitive<br />

tant on se demande même comment la rigueur du <strong>ciné</strong>aste (pas connu pour autant<br />

comme un faiseur de script complexe) a pu laisser filtrer un scénar aussi brinquebalant<br />

et minimaliste que creux et prévisible, melting-pot plein de grumeaux de tout ce qui<br />

a pu faire la saveur de son <strong>ciné</strong>ma depuis plus d’une quinzaine d’années maintenant.<br />

Mais via une esthétique absolument inattaquable, souvent fétichiste et criante, Refn<br />

déballe ainsi durant plus d’une heure et demie, tout son savoir-faire dépouillé et<br />

séduisant, citant autant la furie de son «Bronson», la lenteur Lynchienne des travellings<br />

de son «Inside Job», la violence frontale de ses «Pusher» et même l’ambiance<br />

hypnotique et métaphysique de son «Guerrier Silencieux».<br />

Dans une Thaïlande fantasmatique, toujours ou presque, filmée de nuit pour en<br />

montrer tout le vice qui l’empoisonne, Winding Refn magnifie chacun de ses<br />

plans comme un peintre magnifierait sa toile d’une radicalité ultra-stylisée, tout en<br />

s’appuyant sur une quasi-absence de dialogue parfois pesante (il faut admettre que<br />

trop de silence, tue le silence).<br />

Lourd, fiévreux, lancinant, la bande déroute tout autant qu’elle séduit tout spectateur<br />

à même d’accepter l’invitation qu’elle incarne, un trip aux douces saveurs de<br />

descentes aux enfers comme seul Gaspard Noé saurait le faire (son ombre, tout<br />

comme celle de David Lynch d’ailleurs, planant grandement sur l’aura du métrage).<br />

Prenant pour toile de fond le film de bastons cher aux amateurs de séries B burnées,<br />

le <strong>ciné</strong>aste démystifie complètement l’image même du héros contemporain (là où<br />

au contraire, «Drive» iconisait complètement le mythe du super-héros), en lui faisant<br />

perdre tous ses combats pour le montrer faible, impuissant, complexé par une mère<br />

aussi castratrice qu’imposante.<br />

Dans le rôle du frère et de l’enfant indigne, Ryan Gosling en masochiste consentant,<br />

en prend plein la gueule, aussi symboliquement que physiquement, et si beaucoup<br />

lui reprocheront son sempiternel regard de chien battu, difficile de ne pas admettre<br />

qu’ici il fait des merveilles tant la tristesse et la frustration immense qui caractérise<br />

son personnage, en avait cruellement besoin.<br />

Proche de l’archi-posture, un peu froid et désincarné face à un mutisme, une violence<br />

bouillante, un complexe œdipien constant et un manque cruel de romantisme, mais<br />

également jouissivement étouffant, gore et extrême (plus d’une scène est à la limite<br />

de l’insoutenable), «Only God Forgives» est définitivement une putain d’expérience<br />

à part, un feux d’artifices sophistiqué et au ralenti qui se trouve tout autant sublimé<br />

qu’enfermé par sa radicalité, la faute à une trop grande volonté, peut-être, de la part<br />

de Winding Refn de se démarquer du produit purement mainstream et populaire de<br />

son précédent long («Drive»).<br />

Jonathan Chevrier

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