Désolé j'ai ciné #7
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Il peut être difficile voire impossible de faire<br />
entrer autant d’informations dans une série<br />
de seulement 10 épisodes, qui plus est à<br />
durées variables. Je vous épargne les sousintrigues<br />
à base d’ordinateur défectueux,<br />
de décès inopportuns, d’affaires judiciaires<br />
douteuses et de complexe d’Oedipe.<br />
La narration non-linéaire réussit efficacement<br />
le pari de suivre deux personnages que tout<br />
oppose, mais qu’au final tout va réunir.<br />
Nous sommes dans leurs cerveaux, et<br />
l’empathie se créé en ayant accès à leurs<br />
doutes, leurs peurs, leurs souffrances. Cette<br />
non-linéarité se poursuit même à l’image;<br />
chaque épisode se passant dans leur esprit,<br />
prenant la forme d’un rêve, se déroule<br />
dans un univers à chaque fois différent. La<br />
réalisation nous fait passer de leur présent<br />
mêlant technologie futuristique et rétro, à<br />
leurs souvenirs les plus tragiques. L’épisode<br />
suivant le spectateur se retrouve soudain<br />
projeté dans ce qui s’apparente aux années<br />
80, puis dans un film noir des années 30,<br />
repassant par un univers de fantasy digne de<br />
Tolkien.<br />
Les séries en font-elles trop ? Me<br />
demanderez-vous. Eh bien je suis au regret<br />
de nous dire que non, les séries n’en font<br />
pas trop. Longtemps, le genre télévisuel<br />
— et maintenant digital, puisque Netflix,<br />
Amazon et compagnie ont dématérialisés<br />
nos écrans de télé sur nos ordinateurs —<br />
a été considéré comme inférieur au 7ème<br />
art. La noblesse du <strong>ciné</strong>ma et de ses grands<br />
chefs d’oeuvres ne faisait aucun doute face<br />
au côté prosaïque de la série, réservée au<br />
peuple et surtout à la ménagère de moins<br />
de 50 ans.<br />
Nous sommes dans un tournant où les<br />
séries rattrapent ce retard. “Breaking Bad”,<br />
“Sense8”, “Game of Thrones”, “Black<br />
Mirror”, certes des noms bien communs,<br />
vous m’en direz tant, ont prouvé aux<br />
créateurs de série qu’il était possible de voir<br />
plus loin qu’une sitcom mettant en scène<br />
les dilemmes amoureux d’une bande de<br />
potes. Les séries osent, désormais, elles vont<br />
de l’avant, et c’est dans cet héritage que<br />
“Maniac” s’inscrit.<br />
À ce titre, dans “Maniac” de multiples genres<br />
s’assemblent, se mélangent, tout comme les<br />
sentiments et tourments des personnages.<br />
De plus, Emma Stone et Jonah Hill sont loin<br />
d’avoir revus leurs performances à la baisse,<br />
bien au contraire. Ils sont vulnérables,<br />
touchants, vrais. Ils nous mettent face à<br />
nous-mêmes : ce sont deux êtres humains<br />
imparfaits et fragiles, leurs failles font d’eux<br />
qui ils sont, et les voir en tandem de cette<br />
série fait autant de bien que de mal — dans<br />
le bon sens du terme, j’entends.<br />
Les hommages au <strong>ciné</strong>ma se multiplient<br />
d’ailleurs, et le procédé maître de “Maniac”<br />
et de l’expérience centrale de la série n’est<br />
pas sans rappeler “Eternal Sunshine of the<br />
Spotless Mind”. Dans un monde paraissant<br />
tout à fait banal, c’était déjà en 2002<br />
que Michel Gondry et Charlie Kaufman<br />
imaginèrent l’industrie Lacuna, faisant son<br />
fond de commerce en s’immisçant dans ce<br />
que nous avons de plus intime et caché :<br />
nos esprits. Le <strong>ciné</strong>ma et les séries aiment<br />
se jouer de nous, se jouer de la science<br />
pratiquer une analyse détaillée de l’espèce<br />
la plus complexe qui soit : l’être humain.<br />
Maniac nous met non seulement face à<br />
la maladie mentale de façon clinique,<br />
chirurgicale et pragmatique, mais joue<br />
également sur le tableau de l’affect du<br />
spectateur pour transcrire une vérité dure et<br />
souvent mal représentée à l’écran.<br />
Lucie Bellet