Désolé j'ai ciné #7
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Devenu persona non grata sur la Croisette avant d’être redevenu ‘’in’’ cette<br />
année aux yeux du festival et de son big boss Thierry Frémaux, le retour de<br />
Lars Von Trier à Cannes (Hors-Compétition) était autant redouté qu’attendu au<br />
tournant par les <strong>ciné</strong>philes que nous sommes.<br />
Que l’on aime ou pas le <strong>ciné</strong>ma du bonhomme, il est impossible de ne<br />
pas admettre qu’il propose, au-delà d’un sens indéniable de la provocation<br />
extrême, une pluie d’oeuvres singulières et formelles, totalement dédiées à<br />
retranscrire au pied de la lettre ses idées et névroses diverses, même les plus<br />
insondables.<br />
Un <strong>ciné</strong>aste dont le <strong>ciné</strong>ma n’est vraiment pas fait pour tout le monde (malgré<br />
quelques films ‘’abordables’’), en somme, et son nouveau long-métrage, “The<br />
House That Jack Built», suit scrupuleusement cette règle.<br />
Odyssée d’une noirceur abyssale dans les méandres tortueux de la psyché<br />
d’un serial killer/psychopathe alignant les meurtres tous plus odieux les uns<br />
que les autres, le <strong>ciné</strong>aste danois, totalement focalisé sur son point de vue et<br />
articulant son récit sur cinq ‘’incidents’’ importants de son parcours (un récit<br />
fragmenté rappelant fortement son diptyque «Nymphomaniac»), fait de Jack<br />
un artiste narcissique du Mal dont chaque crime est une pulsion créatrice<br />
qu’il se doit d’assouvir.<br />
En dehors du <strong>ciné</strong>ma de LVT, cette étude de la figure du tueur en série aurait<br />
sans doute pu être aussi fascinante que gentiment inconfortable, mais chez<br />
le réalisateur de «Antichrist» et «Breaking The Waves», la balade sanglante et<br />
meurtrière prend tout de suite des allures de séance infiniment malsaine et<br />
captivante.<br />
Fresque comico-métaphysique violente - aussi bien moralement que<br />
physiquement -, profondément provocatrice, grinçante et dérangeante, le<br />
<strong>ciné</strong>aste nous place au coeur (jusque dans sa mise en scène brute) de la<br />
perdition mentale d’un Matt Dillon effrayant, bourré de TOC et totalement<br />
habité par son rôle (sans doute l’une de ses meilleures performances à ce<br />
jour) et ose véritablement tout (quitte à faire de son héros un double fictionnel<br />
de lui-même) pour étayer son questionnement profond (l’art peut-il/doit-il<br />
déranger ?) et dépeindre une image nauséabonde de la nature humaine (ce<br />
qu’elle peut effectivement être, souvent), jusque dans un épilogue dément.<br />
Pas aussi insoutenable que la rumeur l’avait annoncé, bien plus solide et<br />
cohérent que son «Nymphomaniac», «The House That Jack Built» est une<br />
méditation autant sur la vie, la mort et l’art que sur la notion de mal, une<br />
oeuvre quasi-somme (tant le <strong>ciné</strong>aste ne cesse de citer son <strong>ciné</strong>ma) ambitieuse,<br />
barrée et barbare.<br />
Bref, LVT est de retour, et c’est une sacrée bonne nouvelle.<br />
Jonathan Chevrier