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The Red Bulletin Decembre 2019 (FR)

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uand les autres<br />

laissent leur vie se dérouler en pilotage<br />

automatique, lui n’a qu’une philosophie ;<br />

prendre le volant et se donner les moyens<br />

d’atteindre ses objectifs. Français, Noir,<br />

musulman, vivant dans un quartier populaire<br />

? Bakary Sakho est surtout un mec<br />

qui bosse et qui ne jure que par la « performance<br />

sociale ». Sa première perf ? Elle<br />

date de 1996 : pour aider sa mère qui luttait<br />

afin d’obtenir un logement décent,<br />

après vingt ans passés dans un troispièces<br />

de 45 m² humide, « avec le plâtre<br />

qui se barrait », dans lequel se blottit sa<br />

famille de neuf personnes. Il a alors<br />

quinze ans, et il est stagiaire pour l’association<br />

Droit au logement (DAL), pour laquelle<br />

il organise des rassemblements devant<br />

les portes des bailleurs sociaux. « Ma<br />

mère était la première à se mobiliser dans<br />

le quartier, pour elle et pour des familles<br />

qui vivaient dans des conditions pires que<br />

la nôtre. Ça n’était pas une démarche politique.<br />

J’ai fait ça par amour pour ma<br />

mère, pour tout ce qu’elle avait fait pour<br />

moi », raconte-t-il assis au bureau de son<br />

QG cosy du 159 rue de Flandres, véritable<br />

petit temple dédié au basket.<br />

Il faudra quelques années pour reloger<br />

les familles, mais la machine à do-it-yourself<br />

est lancée. Elle montera en régime<br />

après un drame, la mort d’un copain de<br />

lycée d’une crise cardiaque. Une véritable<br />

prise de conscience pour lui et son groupe<br />

d’amis réunis sous l’alias BGA, pour Black<br />

Guerrilla Army, en référence au film Les<br />

Princes de la ville de Taylor Hackford.<br />

« IL FAUT<br />

FAIRE EN<br />

SORTE DE NE<br />

PLUS ÊTRE<br />

EXCLUS DES<br />

CERCLES DE<br />

DÉCISION. »<br />

« Après cette mort soudaine, j’ai réalisé<br />

qu’il fallait que je laisse une trace. J’ai<br />

décidé de moins traîner dans la rue et de<br />

donner un sens à ma vie avec tous ceux<br />

autour de moi. On a décidé de positiver<br />

ce qu’on faisait et BGA est devenu Braves<br />

Garçons d’Afrique. » Il se met à travailler<br />

sur la question de l’identité, et avec Christiane<br />

Taubira sur la loi sur la reconnaissance<br />

de la traite négrière. Déjà, il a dans<br />

l’idée de sortir de la Françafrique et de<br />

rééquilibrer les relations entre l’Hexagone<br />

et le continent noir : « D’un côté, on envoie<br />

des fusées dans l’espace, de l’autre, il n’y a<br />

pas d’eau potable. » Pendant cinq ans, il<br />

organise des conférences et débats avec<br />

des personnalités comme Lilian Thuram<br />

ou Olivier Laouchez. « L’idée, c’était de<br />

dire qu’on est fiers d’être Français, mais<br />

qu’on a aussi cette double culture, qui est<br />

racisée : quand on va quelque part, on est<br />

vus comme Noirs. On était dans l’air du<br />

temps, avec le débat sur l’identité nationale<br />

lancé par Sarkozy. »<br />

Un déclencheur<br />

Jusque-là, Bakary Sakho semblait parti<br />

pour une carrière assurée dans le milieu<br />

associatif. Mais sa conscience est bousculée<br />

en 2005, avec la mort de Zyed et<br />

Bouna, deux jeunes qui fuyaient la police<br />

à Clichy-sous-Bois, déclenchant trois<br />

semaines d’émeutes dans les cités françaises.<br />

« Pour moi, cet événement a été le<br />

tournant dans le milieu associatif. En tant<br />

qu’acteur principal, j’ai été choqué de voir<br />

que la réponse politique n’a pas été à la<br />

hauteur. Il n’y avait pas de leader, on ne<br />

parlait pas d’une même voix ! Nous vivons<br />

l’injustice de manière claire mais à quel<br />

moment va-t-on avoir un vrai discours ? »<br />

C’est lors de son séjour aux États-Unis,<br />

quelques mois plus tard, qu’il prend<br />

conscience des carences dans la « com »<br />

des quartiers populaires. Invité par l’ambassade<br />

américaine dans le cadre du<br />

programme des jeunes leaders internationaux,<br />

il se rend compte « qu’à part avoir<br />

fait du tort à l’intérieur des cités, on<br />

n’avait pas porté de message à l’extérieur<br />

». Pendant trois semaines, il rencontre<br />

des maires, députés, sénateurs et<br />

apprend « le lobbying, la force de la communauté,<br />

l’indépendance financière ».<br />

« Ce que j’ai aimé, c’est que les Américains<br />

n’attendent rien des politiques. Ils<br />

se prennent en main pour initier des levées<br />

de fonds, comme ce médecin qui a<br />

lancé Youthville à Detroit, grâce à son<br />

association avec un cadre de Kellogg’s.<br />

Ils ont levé 24 millions de dollars pour un<br />

bâtiment immense avec terrain de sport,<br />

piscine, studio, salles de cours, centre de<br />

réinsertion… » Il en revient conforté dans<br />

l’idée que si quelque chose doit bouger<br />

dans les quartiers, il faut que ça vienne<br />

de l’intérieur. Il se met alors à arroser sa<br />

communauté de cette philosophie. Il récupère<br />

une salle dans un centre sportif du<br />

quartier, où sont dispensés des cours de<br />

CrossFit ou de basket, organise une dizaine<br />

d’événements par an, entre concerts,<br />

conférences, projections de films… « Aujourd’hui,<br />

on a un staff de 80 personnes,<br />

de 12 à 45 ans, explique-t-il. On partage la<br />

valeur du travail et de la discipline. Et on<br />

n’attend pas les autres pour faire. Si, pour<br />

un événement, on n’a que 4 000 euros sur<br />

les 10 000 nécessaires, on ne va pas aller<br />

pleurnicher aux portes. On fait avec. On<br />

n’a rien mais l’idée est bonne et elle est<br />

réalisable quand même ? On le fait. C’est<br />

ce qui s’est passé pour notre dernière bloc<br />

Les proches de Bakary : en bleu, Mody Niakaté,<br />

chef de projet digital. À droite, Sali Sylla,<br />

présidente de l’association Oasis Sportive.<br />

En jeans, Paul Odonnat, co-fondateur des<br />

All Parisian Games et de Faces Cachées Éditions.<br />

À vélo, Elias Konaté, animateur réseau.<br />

32 THE RED BULLETIN

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