« TU NE SAIS PAS ÉCRIRE MAIS TU AS UNE BELLE HISTOIRE À RACONTER ? VIENS ! »
L’ÉCOSYSTÈME DE LA BALLE ORANGE Quand il n’est pas en train de monter des projets dans tous les sens, Bakary Sakho se vide la tête avec le basket. Mais là encore, il a trouvé le moyen de faire progresser tout l’écosystème de la balle orange, avec l’organisation des All Parisian Games, un tournoi calqué sur le All-American aux USA, qui rassemble les meilleurs joueurs de lycée du pays. Chaque année depuis 2013, 600 joueurs et joueuses de moins de 20 ans d’Île-de- France participent aux sélections, d’où sortent les 48 meilleurs (24 garçons, 24 filles), qui représentent la rive droite et la rive gauche. « On ne voulait pas créer un simple tournoi, mais un événement qui allait donner de la force à la culture basket à Paris. » L’initiative cartonne, soutenue par des joueurs NBA de passage dans la capitale, dont Lebron James en 2018. Bakary et son compère Paul sont aussi à l’origine du sauvetage du playground historique de Stalingrad, sous le métro aérien. Devenu impraticable, il devait disparaître. « On s’est positionnés en disant que ce terrain était un héritage du quartier, et qu’il fallait le garder. On a obtenu un budget de la mairie pour proposer un nouveau projet dans cet espace, qui lierait sport et cultures urbaines. » Le terrain flambant neuf a été inauguré le 21 septembre dernier, et depuis, il accueille sans discontinuer bloc parties hip-hop et matches à haute intensité. « MOI-MÊME, J’AI DU MAL À COMPRENDRE MON PROPRE CHEMIN. » party. On n’avait pas un rond, un copain a ramené des platines, l’autre la sono, et on a organisé un open mic. » Écrire son histoire Lassé par trente années de politique de la ville sans résultats, Bakary, qui trouve vaines les manifestations, a compris que pour être efficace, il fallait viser haut : « Il faut faire en sorte de ne plus être exclus des cercles de décision. Et ne pas se contenter des conseils de quartier, où l’une s’occupe des merdes de chien et l’autre se plaint des loyers qui explosent. Il faut être présent là où l’argent est distribué. » C’est dans cet esprit qu’il a monté sa maison d’édition, Faces cachées, inaugurée par son propre livre, Je suis, en 2015, un plaidoyer pour l’énorme potentiel des quartiers populaires, qui fut parfois le premier livre lu hors programmes scolaires par des lycéens. Évidemment, pas question pour lui d’aller démarcher les grandes maisons parisiennes. « Le projet ne commence pas par l’envie de sortir un livre mais par celle de créer une maison d’édition. On a regardé comment ça fonctionnait et on s’est lancés. » Une idée cohérente avec sa démarche de faire s’exprimer les habitants des cités. « Il y a beaucoup de belles histoires à raconter. Au lieu de se plaindre sur le mode : “On ne parle pas de nous dans les livres”, écrivons les nôtres ! C’est important de faire connaître nos histoires, à l’extérieur, mais déjà pour nous ! » Depuis quatre ans, Faces cachées a édité quatre livres et vient de signer avec un distributeur pour se concentrer sur l’édition. La porte est ouverte à tous les talents : « Tu ne sais pas écrire mais tu as une belle histoire à raconter ? Viens ! Tu sais écrire mais tu avais peur de le faire ? Viens ! Tu ne sais pas écrire et tu n’as pas d’histoires à raconter ? Bon ben salut. Le social oui, mais la performance avant tout. » Performant, Bakary Sakho l’a été en 2017, lorsque le XIX e arrondissement a été secoué par une querelle entre bandes rivales qui causa un mort. Il monte au créneau et met les parents, qui « ne prennent plus leurs responsabilités », les associations « qui ne font pas leur travail » et « les milieux politiques qui laissent faire tant que ça n’éclabousse pas les autres quartiers » devant leurs responsabilités. Il va même mettre la pression à l’imam de la mosquée du coin pour qu’il participe au retour à la paix. « J’ai allumé tout le monde politiquement ! Pour la première fois, après mes vidéos sur Facebook, on avait un car de CRS dans la cité. J’ai dit qu’on serait tous les dimanches sur le parvis de la gare Rosa-Parks tant que ça ne s’arrêterait pas. Quand on a lancé l’appel, les mamans sont sorties et tout s’est calmé tout de suite », raconte celui qui est devenu aujourd’hui bien plus qu’un gardien d’immeuble. La performance sociale Il quittera d’ailleurs sa loge en 2020, pour se lancer dans une nouvelle aventure avec son collègue Paul, avec qui il monte tous ses projets. Leur association, Le 99, va devenir une agence, qui exploitera le concept de performance sociale et surtout le stakhanovisme de ses fondateurs. « Aujourd’hui, je donne 35 heures par semaine à l’association, en plus de mes 35 heures de travail. L’an prochain, je donnerai 70 heures par semaine à l’agence ! On a bien travaillé, on a un modèle économique. Gardien d’immeuble, c’était un choix, je n’ai jamais voulu vivre de la politique ou du milieu associatif. Je n’ai pas gagné un euro, mais ça m’a ouvert un réseau incroyable et offert des compétences. Je donne des cours à la fac de Lyon, l’année prochaine à HEC, je suis parfois payé pour animer des colloques, qui l’eût cru ? » Si tout se passe comme il le veut, Bakary se voit bien, d’ici une dizaine d’années, faire la navette entre France et Afrique, pour travailler à une forme de réconciliation identitaire, « une nouvelle Françafrique » : « Un truc intelligent, où tout le monde s’y retrouve, pour éviter que les gens ne tombent dans cette schizophrénie. » Histoire de boucler une boucle qui s’étire dans tous les sens sans jamais casser depuis plus de vingt ans : « La dernière fois, j’étais à un colloque à Arras avec des intellectuels, des docteurs en sociologie… J’étais non seulement intervenant mais aussi l’un des grands témoins. Et sur mon badge, il y avait écrit : “Bakary Sakho, gardien d’immeuble et écrivain.” J’ai posté la photo sur les réseaux en rigolant : “Même moi, j’ai du mal à comprendre mon propre chemin !” » Instagram : @allparisiangames THE RED BULLETIN 35