07.11.2022 Views

AM 434 Free

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

ON EN PARLE<br />

Guslagie<br />

Malanda,<br />

très convaincante.<br />

CINÉMA<br />

INFANTICIDE ET MARABOUTS<br />

Un bébé abandonné sur une plage par sa mère, universitaire sénégalaise<br />

en France… Alice Diop reconstitue le procès d’un crime qui remue<br />

des SENTIMENTS COMPLEXES. Un film puissant.<br />

UNE JEUNE SÉNÉGALAISE prend le train depuis la région<br />

parisienne pour une plage du nord de la France, après avoir<br />

consulté les horaires des marées. Et laisse sa fillette métisse de<br />

15 mois sur le sable, pour qu’elle soit emportée par la mer…<br />

Ce triste fait divers de novembre 2013 avait eu un grand<br />

retentissement. La réalisatrice Alice Diop [voir son interview<br />

pages 52-57] avait assisté au procès qui avait suivi : elle le<br />

restitue aujourd’hui dans un film d’une rigueur remarquable.<br />

On est d’abord fascinés par cette mère infanticide, jeune<br />

femme aux cheveux lisses attachés, dont le visage ne laisse<br />

transparaître aucune émotion. Et pourtant, la caméra la<br />

scrute longuement (rarement femme noire aura été aussi<br />

bien filmée dans un film français), comme pour tenter de<br />

saisir une émotion, peut-être un début d’explication à son<br />

geste. La comédienne qui l’incarne, Guslagie Malanda (déjà<br />

très convaincante en tête d’affiche de Mon amie Victoria,<br />

de Jean-Paul Civeyrac, en 2014), reprend le phrasé et la<br />

syntaxe soutenus de la jeune femme, dont on avait souligné<br />

à l’époque le quotient intellectuel élevé, oubliant un peu vite<br />

qu’elle était aussi universitaire. Sa condition, son origine,<br />

sans doute sa couleur de peau, l’avaient assignée à une autre<br />

place. À la barre, une collègue parle d’elle comme d’une<br />

« affabulatrice », qui a choisi d’étudier un philosophe allemand<br />

du début du XX e siècle, Ludwig Wittgenstein, « loin de sa<br />

culture africaine ». Il faut dire que sa défense est compliquée :<br />

elle n’avait pas déclaré la naissance de son enfant et avait<br />

utilisé l’argent donné par le père, un homme blanc de trente<br />

ans de plus qu’elle, pour rétribuer des marabouts au Sénégal…<br />

Le récit, construit à trois (la réalisatrice, la monteuse Amrita<br />

David et l’écrivaine Marie Ndiaye), ne se contente pas de<br />

reconstituer le procès, il nous le fait suivre à travers les yeux<br />

d’une autrice, elle-même enceinte et d’origine africaine,<br />

remuée par les échos évidents sur sa propre vie. Elle croise<br />

hors du prétoire la mère de l’accusée, venue de Dakar :<br />

« Tu as vu tous ces journaux qui parlent d’elle ? » lui dit-elle<br />

étrangement. Certaines références sont un peu trop appuyées<br />

(comme les extraits de Médée, avec Maria Callas), mais<br />

c’est un vrai geste de cinéma qui, loin de glorifier un crime,<br />

ne cesse de l’interroger. On est emportés par la sobriété et la<br />

puissance de l’interprétation et de la mise en scène. ■ J.-M.C.<br />

SAINT-OMER (France), d’Alice Diop. Avec Guslagie<br />

Malanda, Kayije Kagame, Valérie Dréville. En salles.<br />

LAURENT LE CRABE<br />

16 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>434</strong> – NOVEMBRE 2022

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!