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Demande au vent

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était une adresse de motel à Hollywood. Merde à DMI. Et merde<br />

à cette folle de Nancy Cooper.<br />

Deux heures avant, j’avais relu cinquante pages de <strong>Demande</strong><br />

<strong>au</strong> <strong>vent</strong>. En reposant le livre, quelque chose en moi s’était<br />

réveillé. Après tant d’années sans le lire, je me voyais soudain<br />

dans le miroir de la sincérité de mon père, de la pure poésie de<br />

ces pages, et j’avais honte. Je me sentais déshonoré par mon<br />

égoïsme. Par mon échec d’écrivain.<br />

Tant que mon père vivait, <strong>Demande</strong> <strong>au</strong> <strong>vent</strong> vivait <strong>au</strong>ssi.<br />

Mais tout cela était fini. Un grand écrivain inconnu venait d’être<br />

réduit <strong>au</strong> silence. J’<strong>au</strong>rais pu être un écrivain à la Jonathan<br />

Dante, j’en avais les moyens. J’avais renoncé pourtant, comme<br />

lui-même avait renoncé pour se vendre à l’industrie du cinéma.<br />

J’<strong>au</strong>rais même pu écrire des livres. Il l’avait bien fait, lui.<br />

Pourquoi pas moi ? J’avais baissé les bras, je n’avais pas eu le<br />

courage de risquer l’échec. Mon père était mort et moi avec lui.<br />

Telles étaient la tristesse et la vérité de mon âme.<br />

J’avais besoin de parler, désespérément. De parler à des<br />

gens. Ivre à moitié, la bonbonne à moitié vide. J’ai décidé de<br />

faire un tour <strong>au</strong> Sunset Saloon, pour voir. Peut-être même pour<br />

acheter un flingue à l’un des motards.<br />

Je me suis levé en pensant à ce fric dans ma poche, toute ma<br />

fortune. J’ai pris Rocco par le collier et je me dirigeais vers<br />

l’entrée quand j’ai pris conscience de mon accoutrement, cette<br />

absurde tenue d’homme d’affaires, le veston et la cravate<br />

ridicule. Un imposteur, voilà ce que j’étais. Nulle part à sa place.<br />

Je me suis rassis sur le banc, j’ai arraché la cravate de la<br />

chemise, la chemise neuve et raide, et on a joué à tirer dessus,<br />

avec le chien.<br />

J’entendais des voix, maintenant. Faibles d’abord. Puis j’ai<br />

aperçu, émergeant lentement de la nuit dans le brouillard de la<br />

grève, deux types qui zigzaguaient vers moi. À mesure qu’ils<br />

approchaient, je me rendais compte qu’ils se disputaient à voix<br />

h<strong>au</strong>te dans une langue qui n’était pas de l’américain. Des<br />

journaliers, des travailleurs agricoles. Des frères en belle étoile.<br />

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