Demande au vent
Demande au vent
Demande au vent
- TAGS
- demande
- vent
- nihon-ryouri.asia
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
avant de l’entendre dire que Jonathan Dante, mon père, était en<br />
train de mourir, les reins, le diabète, c’était pour ça que la cure<br />
était écourtée. Depuis sa deuxième amputation à la jambe, le<br />
vieux vivait à la maison sous la garde de ma mère et son vieux<br />
corps usé, aveugle et diabétique avait fini par lâcher. Tout ce<br />
qu’il en restait était visible <strong>au</strong> service des urgences du Cedars<br />
Hospital de Los Angeles dans un état critique.<br />
J’ai épousé Agnès il y a onze ans. D’une famille juive du<br />
Bronx, elle était professeur. Yeux noirs, cheveux noirs, cul<br />
merveilleux, un oreiller d’ange. Nous nous étions rencontrés un<br />
soir <strong>au</strong> temps où j’écrivais, dans une lecture de poésies sur la<br />
Deuxième Avenue.<br />
J’avais récité deux de mes poèmes, des textes déjà publiés,<br />
courtes pièces pleines de fureur. Elle avait trouvé ça bon et<br />
demandé à une collègue prof de lettres de nous présenter, ce qui<br />
fut fait. Aggie trouvait be<strong>au</strong>coup de romantisme <strong>au</strong>x poètes<br />
buveurs de tequila et nous étions revenus dans mon studio<br />
conclure une discussion sur Yeats.<br />
Après, nous avons vécu ensemble. Je travaillais, elle <strong>au</strong>ssi. À<br />
cette époque, j’écrivais la nuit et tout se passait bien. Mais<br />
j’avais sou<strong>vent</strong> la migraine, j’étais déprimé par mon œuvre et les<br />
boulots alimentaires sans intérêt qui rapportaient des<br />
clopinettes. Je me suis mis à critiquer Agnès, à être dur avec elle<br />
et j’ai fini par m’<strong>au</strong>to-prescrire du whisky pour me remonter le<br />
moral. Et j’ai remarqué ceci : quand j’arrêtais d’écrire et quand<br />
je buvais, j’étais moins déprimé. J’ai cessé de critiquer Agnès<br />
mais j’ai <strong>au</strong>ssi perdu tout intérêt à l’histoire.<br />
Peu après, j’ai trouvé un boulot d’intérim dans la <strong>vent</strong>e par<br />
téléphone. Surprise, j’avais le don ! Vite, j’ai gagné pas mal<br />
d’argent et tout a changé. Dans la fièvre du succès, dépression et<br />
migraines ont disparu. C’est ainsi que j’ai abandonné l’écriture.<br />
Un an plus tard, j’avais monté ma propre boîte. Je vendais<br />
des vidéos pornos avec un associé et, un week-end, Agnès et moi<br />
sommes allés nous marier dans le Maryland. J’ai promis de me<br />
remettre à écrire, joli mensonge puisqu’à l’époque je ramenais<br />
cinq mille dollars par semaine, parfois plus. Quand j’en ai eu ma<br />
claque de vendre du porno, je me suis recyclé dans les copies<br />
pirates de films. Six mois ici, un an ailleurs, <strong>au</strong> téléphone quatre<br />
7