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Demande au vent

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À l’image de cette ville insensée, je me désagrégeais de<br />

l’intérieur. Au fond, Los Angeles m’allait comme un gant. J’étais<br />

là sur mon terrain, avec les assassins de mon père, les petits<br />

malins producteurs à vingt-deux ans et les gourous de la<br />

distribution qui avaient joué avec sa vie. J’étais un vrai fils de<br />

L.A.<br />

Tout allait pour le mieux. Je m’étais déshonoré dans une<br />

crise d’éthylisme sexuel, je m’étais coupé les veines en prison et<br />

maintenant j’allais serrer la main de mon frère et embrasser la<br />

joue maternelle.<br />

Alors, dans les toilettes de l’aéroport, j’ai pris une décision.<br />

Au diable tout ça. Finis les efforts imbéciles pour plaire <strong>au</strong>x<br />

<strong>au</strong>tres, finis les cade<strong>au</strong>x. Mon père avait passé sa vie à dire ce<br />

qu’on lui disait de dire et à cirer les bottes d’acteurs et d’agents<br />

hollywoodiens ; résultat, il était en train de mourir. Ça ne l’avait<br />

pas rendu plus heureux. Et moi, j’étais comme j’étais.<br />

Je me suis séché la figure. Sans remords. Et je suis allé <strong>au</strong>x<br />

bagages retrouver mon frère et ma femme.<br />

Son vrai prénom, sur le certificat de naissance, c’était<br />

Fabrizio, un choix que mon père regretta immédiatement : trop<br />

prétentieux pour un fils d’écrivain, trop ethnique pour la<br />

Californie du Sud. Aussi, quelques jours plus tard, le changea-til<br />

en Thomas. Mais légalement, c’était toujours Fabrizio.<br />

J’aimais bien ce nom, Fabrizio. Original, vaguement<br />

grotesque. J’avais douze ans à sa naissance et j’ai continué à<br />

l’appeler Fabrizio quand on était ensemble. Fabrizio, pas<br />

Tommy. Le vieux me répétait d’arrêter mais je continuais, ça<br />

faisait un secret de cœur entre le gosse et moi. Pour moi, il était<br />

toujours Fabrizio.<br />

Physiquement, nous étions à l’opposé. J’avais les cheveux<br />

clairs. J’étais trapu comme mon père, mêmes yeux, même nez et<br />

même menton, mais avec la pe<strong>au</strong> blanche de ma mère. Fabrizio<br />

avait la pe<strong>au</strong> foncée du vieux et des cheveux ondulés de rital,<br />

mais la minceur britannique et distinguée de sa mère.<br />

Nous étions fruits du métissage, ce qui arrive quand une<br />

femme de la classe moyenne supérieure, d’origine anglosaxonne,<br />

épouse le fils d’un maçon italien à la pe<strong>au</strong> olivâtre et<br />

<strong>au</strong>x doigts épais.<br />

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