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Le regard de Mike passa de Sam à Harry, puis revint sur Sam.
— Ma mission consiste donc à protéger le canon du bureau d’en face. Qui refuse de
t’adresser la parole. Si je comprends bien, la sauter une fois n’a pas suffi…
La fin de sa phrase resta bloquée dans la gorge de Mike tandis que Sam refermait une
poigne d’acier sur son cou. Sam n’avait pas réfléchi, n’avait rien prémédité. C’était arrivé
comme ça. Quand Mike avait utilisé l’expression sauter, un déclic s’était produit dans sa tête
et il avait bondi. Il n’eut que vaguement conscience que Mike était en train de suffoquer et le
bourrait de coups de poing qu’il ne sentait même pas tandis que Harry hurlait en lui tirant le
bras…
Les bruits s’amplifièrent, et finirent par lui parvenir par-dessus le silence assourdissant qui
lui meublait la tête. Il reprit progressivement conscience et commença à sentir les coups de
poing de Mike dans ses côtes, la main de Harry sur son bras.
Quand il réalisa qu’il était en train d’essayer d’étrangler son propre frère, il desserra la
main, laissa son bras retomber et recula.
Mike se pencha en avant, les mains en appui sur les genoux, s’efforçant de reprendre son
souffle.
— Sam… gronda Harry.
Il le saisit à l’épaule et le secoua une fois avant de le relâcher. Ils avaient tous trois passé
leur enfance à évaluer le risque d’explosion de leur père adoptif, et Harry avait
instinctivement senti que l’orage était passé et que Sam commençait à se ressaisir.
Seigneur. Celui-ci avait les mains tremblantes. Qu’est-ce qui lui avait pris, bordel ? C’était
Mike. Son frère. Et il avait voulu le tuer.
Il n’avait pas supporté de l’entendre parler de Nicole comme d’une fille qu’on baise en
passant. Surtout Mike. Parce que c’était justement ce qu’il faisait ; les filles entraient et
sortaient de son lit à un rythme soutenu. Mike avait fait sienne la formule « aime-les et
quitte-les ». Et Sam aussi. Jusqu’à aujourd’hui.
Aujourd’hui, c’était lui qui avait été aimé et qu’on avait quitté.
Sam et Mike se mesurèrent du regard, aussi haletants l’un que l’autre. Mike devait des
excuses à Sam. Et Sam lui en devait autant. En quelque sorte.
Lequel des deux craquerait le premier ? Ils se regardaient sans ciller, l’air hostile, tels
deux vieux élans prêts à en découdre. Sam n’avait pas l’intention de céder.
Un arôme d’excellent whisky lui parvint soudain.
— Ça suffit, décréta Harry en fourrant un verre à whisky dans la main de chacun d’eux.
Laissez tomber et buvez un coup. L’alcool vous aidera peut-être à retrouver un peu de bon
sens.
— Il est 10 heures, observa Mike, qui avait pour principe de ne jamais boire avant midi.
— C’est déjà l’après-midi à New York, rétorqua Harry.
Cet argument aussi scientifique qu’irréfutable incita Mike à garder le verre en main. Sam
laissa échapper un long soupir et regarda, dégoûté, Harry verser une généreuse rasade de
whisky dans leurs verres avec un tel empressement que le liquide glouglouta.
— Vas-y mollo ! s’exclama-t-il. C’est une bouteille à deux cents dollars.
— Ah ouais ? fit Harry en levant les yeux. Dans ce cas, je vais l’emmener chez moi, parce
que c’est du gâchis de faire boire un truc pareil à des primates comme vous.
Ils avalèrent sans mot dire des gorgées de whisky en laissant échapper des soupirs
satisfaits, la tension entre eux s’atténuant à mesure que le niveau descendait dans la