Un ange ne vaut pas un radis - Je me livre ... Eric Vincent

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Un ange ne vaut pas un radis
Un meurtre ! L'affaire était extrêmement grave. Saint Pierre était effondré. Depuis que Dieu
lui avait laissé les clefs du paradis, le foutoir s'installait de plus en plus. La semaine dernière, il
s'était heurté à un mouvement de grève des transports en commun, mené par un syndicat, le
tristement célèbre CFDT (C'est Fichtrement Dur de Travailler). Le mois précédent, les
parents d'angelots avaient défilé dans les rues de Paradisland, la capitale administrative du
paradis. Ils réclamaient l'abolition des histoires tristes à faire peur, en vogue chez les
instituteurs épris de réalisme, et le retour de Hans-Christian Andersen, des frères Grimm et
de Perrault sur les bancs de l'école. Leurs chers anges blonds méritaient une éducation
traditionnelle et non un vent de révolution aux relents sulfureux. Une grève des instituteurs
visés avait immédiatement été déclenchée, en réponse aux revendications parentales. Ils en
avaient profité pour réclamer à la retraite à 6000 ans, des accès aux paradis fiscaux et un
abonnement à vie au journal officiel de Vanessa (Paradis, bien sûr !). Pierre ne savait plus où
donner de la tête. Le meurtre fut la goutte d'eau faisant déborder le nuage. Il pleura de rage,
excédé par les événements se déchaînant contre lui avec force. Ses larmes grossirent les
rivières paradisiaques et se déversèrent dans les nuages d'évacuation. Le trop plein descendit
directement sur la Terre où les climatologues crurent que les précipitations étaient le fruit
d'un nouveau réchauffement de la Terre (encore !) et où un certain Noé se mit en tête de
construire un gros bateau dans son jardin.
- Un meurtre ! Un assassinat au paradis ! Cela n'était pas arrivé depuis… Ange Enéalogie ?
Depuis combien de temps n'y a-t-il pas eu un tel crime au paradis ?
L'intéressé, un ange à lunettes, à l'allure de rat de bibliothèque, à l'apparence négligée,
compulsa ses livres anciens, faits de lignes d'horizons et de lettres de noblesse. Il humecta
son doigt et fit virevolter les pages à une allure vertigineuse. Les feuilles mortes défilèrent et
tout à coup, il posa son regard sur l'une d'entre elles. Le texte historique était accompagné
d'une illustration dont la vision le plongea dans une terreur indescriptible.
- C'était… Gloups ! Fit-il en déglutissant. C'était…
- Eh bien, ange Enéalogie ? Qu'as-tu découvert ? Je sais que j'ai toute l'éternité devant moi
mais le temps presse !
- C'était…
N'en pouvant plus de soutenir la vision atroce, il fit glisser le grimoire jusqu'au bureau de
Pierre. Ce dernier eut un geste d'énervement mais il se ravisa en découvrant la scène peinte à
la main. La gravure (mais non, une peinture ! Je viens de le dire avant) décrivait une bataille
entre le Bien et le Mal. Une bataille, que dis-je ! LA bataille. Le conflit unique où Satan, ange
déchu, avait été banni par Dieu. Le prince des ténèbres avait rallié une kyrielle d'anges
déviants à sa cause et s'était livré à une guerre sans merci contre les forces du Bien. La bataille
avait duré un siècle et avait causé de gigantesques destructions, de part et d'autre des camps.
L'issue du conflit avait balancé mille fois de chaque côté, sans jamais se décider
définitivement.
Après des années de lutte interminables, Dieu et Satan comprirent qu'aucun des camps ne
remporterait la victoire. Ils conclurent une trêve illimitée durant laquelle chacun resterait à sa