Un ange ne vaut pas un radis - Je me livre ... Eric Vincent

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Un ange ne vaut pas un radis
Ange Aune, postier de son état, spécialisé dans la prise et la remise de messages enregistrés au
centre des communications télépathiques, fonçait entre les nuages de transport, les nuages
personnels, les auréoles volantes officielles, précédées d'anges casqués chargés d'ouvrir la
voie. A cette heure avancée de la soirée, les artères du Paradis étaient encore chargées. Les
trente-cinq heures auraient dû réguler les bouchons !
Ange Aune n'en avait rien à faire ; il rivalisait d'audace avec les livreurs de pizzas aux flocons
de neige, il frôlait les véhicules de ses ailes aux plumes taillées pour la vitesse, il prenait un
nombre incalculable de risques. Pourquoi ? D'ordinaire, ses clients acceptaient de bon cœur
qu'il délivre ses messages en tenant compte du délai incompressible de transport. Alors ?
Pourquoi ces risques insensés ?
Il évita de peu un cumulonimbus, un énorme poids lourd du Paradis, chargé de transporter
des matériaux bruts ou des éléments servant à la construction d'habitation tels que colonnes
d'eau, extracteur de fumée, four à vapeur, générateur de foudre, laine de nuages (pour
l'isolation), etc…
"Ouf ! J'ai failli lui rentrer dedans !" Soupira-t-il intérieurement. "Mais je ne suis pas tiré
d'affaire pour autant."
Il se retourna une brève seconde, vérifiant si son poursuivant était toujours à ses trousses. Il
l'était. Un petit nuage noir, au moteur gonflé à bloc d'électricité, lui filait le train. Même dans
le trafic, en usant de ses ailes et de son faible encombrement, Ange Aune ne parvenait pas à
décramponner cette sangsue. L'autre disposait d'un moyen de transport de petit gabarit, agile,
efficace et puissant. Un nuage noir préparé par sainte Mercedes, l'ensorceleuse de nuages, la
reine aux flèches d'argent, la championne toutes catégories des rallyes paradisiaques.
"Bon sang ! Qu'est-ce qu'il m'a pris d'espionner cette conversation ? Qu'est-ce que j'ai fait ?"
Ange Aune se remémora les faits datant à peine d'une heure. La journée de travail s'achevait
mollement, après une inactivité notoire, bien qu'il ait remplacé le défunt Ange Aponais au
pied levé. En sept heures de présence, il n'avait pas connecté plus de cinquante personnes à
leurs correspondants. Il s'ennuyait fermement. Il avait continué à prendre des messages,
cumulant désormais deux fonctions. Puis, vers seize heures, il avait remarqué une anomalie
sur la machine à connecter les esprits, en tous points identique aux anciens standards des
opératrices des Postes et Télécommunications françaises, dotée d'une cohorte de prises et de
fiches.
Quelques orifices ronds, destinés à recevoir des fiches, brillaient intensément, preuve qu'ils
n'avaient jamais été connectés. Pourquoi cette absence de lustrage, d'éraflures ? Cette
machine, comme les nombreuses autres du centre de communication télépathique, était
vouée à servir dans son intégralité. Comment, statistiquement parlant, des lignes
télépathiques n'étaient-elles jamais attribuées derrière ces prises rondes ?