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1804<br />

Bicentenaire du Code civil<br />

2004<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

18 mars 2004<br />

123 e année - N° 6132<br />

Bureau de dépôt : Charleroi X<br />

Hebdomadaire, sauf juillet/août<br />

Editeurs : LARCIER, rue des Minimes, 39 - 1000 BRUXELLES<br />

Edmond Picard (1881-1900) - Léon Hennebicq (1901-1940) - Charles Van Reepinghen (1944-1966) - Jean Dal (1966-1981)<br />

12<br />

ISSN 0021-812X<br />

Partout en France, en Belgique, et à travers l’Europe, on célèbre le bicentenaire du Code<br />

civil.<br />

A l’instar des articles consacrés il y a cent ans à ce « monument » (voy. J.T., 1904), le<br />

Journal des tribunaux a voulu cette fois célébrer l’événement par un numéro exceptionnel.<br />

La méthode que nous avons retenue consiste à examiner le Code de 1804 en respectant<br />

son plan et ses subdivisions. Que reste-il des textes originaires? Sont-ils demeurés inchangés<br />

ou ont-ils été totalement ou partiellement remplacés? Sont-ils encore d’actualité?<br />

De lege ferenda, y a-t-il des modifications à suggérer?<br />

Tout le Code est ainsi « revisité » par une quarantaine d’auteurs qui ont réalisé le tour<br />

de force de traiter, chacun à sa manière, mais en quelques pages, ces vastes questions qui<br />

recouvrent parfois deux cents ans d’histoire juridique.<br />

Historiquement, on rappellera que c’est en qualité de consul que Bonaparte nomma le<br />

24 thermidor an VIII quatre magistrats (Tronchet, Bigot de Préameneu, Maleville et Portalis)<br />

auxquels fut confiée la rédaction du Code civil. Un premier projet fut terminé en<br />

quatre mois et envoyé à la Cour de cassation et au tribunal d’appel pour examen. Les trois<br />

projets de loi, qui formèrent plus tard le titre préliminaire du Code civil et le commencement<br />

du premier livre, suscitèrent cependant de nombreuses critiques, en telle sorte que<br />

Bonaparte les retira le 17 nivôse an X. Après la modification de la composition du corps<br />

législatif, le travail fut repris et terminé en deux ans. Finalement, c’est la loi du<br />

30 ventôse an XII (21 mars 1804) qui a réuni en un seul corps de lois les trente-six lois<br />

composant le Code civil français, successivement décrétées. L’article 7 de cette loi abrogeait<br />

les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, ainsi que les<br />

statuts et les règlements « dans les matières qui sont l’objet de ce Code ». Il en résulte<br />

que, le Code civil ayant traité toutes les matières formant le droit privé proprement dit,<br />

excepté les droits d’emphytéose et de superficie, ce Code a abrogé d’une façon totale tout<br />

le droit civil antérieur à 1789 (Pandectes belges, t. 20, v o « Code civil », n o 78).<br />

Au-delà du texte et de l’histoire du Code, il nous a semblé opportun de nous interroger<br />

sur l’idéal de la codification et sur ses métamorphoses au cours des siècles. De même, il<br />

a été tenu compte d’expériences étrangères récentes en matière de codification. Enfin, un<br />

nombre sans cesse croissant de voix s’élèvent pour établir un futur Code civil européen.<br />

Nous tenons à remercier très vivement tous les auteurs qui ont accepté de collaborer à ce<br />

numéro spécial du Journal des tribunaux. Nous sommes convaincus que nos lecteurs apprécieront<br />

la qualité exceptionnelle de leurs contributions.<br />

Le rédacteur en chef<br />

R.O. DALCQ<br />

2004<br />

225


2004<br />

226<br />

LA CODIFICATION :<br />

IDÉAL ET MÉTAMORPHOSES<br />

Le numéro anniversaire du Journal des tribunaux du 21 mars 1904 reflète<br />

le sentiment général de l’époque : le Code Napoléon est un robuste<br />

centenaire dont le culte doit être célébré dans un élan d’admiration partagé.<br />

Qu’on en juge : le 21 mars, qui est le premier jour du printemps,<br />

est aussi « le premier matin de notre droit moderne ». Il marque « une<br />

fête du droit qui intéresse toute l’humanité »; « ce petit livre qui a conquis<br />

la moitié du monde » a fait que « la raison paisible des lois s’est<br />

substituée à la raison brutale de la force » (1). C’est à peine si les voix<br />

discordantes d’E. Picard (« le Code reflète le droit d’une classe fractionnaire,<br />

la bourgeoisie ») et de J. Destrée, à la tribune de la Chambre<br />

(fustigeant les seuls sept articles qui règlent le rapport de travail) introduisent<br />

un bémol dans ce concert d’éloges (2). Si on était convaincu,<br />

qu’après un siècle, le Code devrait consentir quelques aménagements,<br />

on ne mettait en question ni le principe de la codification, ni même le<br />

fait que le Code civil était, naturellement, le texte destiné à accueillir (et<br />

donc encadrer) les réformes qu’exigeaient les temps nouveaux.<br />

Un siècle plus tard ce sont précisément ces deux certitudes qui font l’objet<br />

de nos interrogations. A vrai dire, la seconde est depuis longtemps<br />

démentie par les faits : il y a belle lurette en effet que le Code civil a cessé<br />

de représenter le siège du ius commune auquel devrait se rattacher<br />

tout nouveau développement juridique. Quant à l’interrogation sur le<br />

principe même de la codification — la question de savoir si cette technique,<br />

triomphante au temps du centralisme étatique et du monisme législatif,<br />

est encore pertinente à notre époque où le droit s’écrit en réseau<br />

— cette interrogation est au centre même des réflexions qui accompagnent<br />

la commémoration du bicentenaire du Code civil.<br />

Notre contribution à ce débat consistera, dans un premier temps, à rappeler<br />

les grandes lignes de l’idée ou de l’idéal de la codification [I],<br />

après quoi nous étudierons les multiples métamorphoses de la technique<br />

de codification [II]. S’il est vrai que la codification se diversifie et se<br />

banalise aujourd’hui — au point même que l’on parle parfois de<br />

« décodification » — on peut se demander si le troisième centenaire du<br />

Code civil sera encore célébré, dans un siècle, par le Journal des tribunaux,<br />

ou bien s’il sera devenu le souci des seuls historiens du droit?<br />

I. — UN IDÉAL SANS CESSE RENAISSANT<br />

De la codification, Portalis disait qu’il s’agissait « de l’esprit de méthode<br />

appliqué à la législation ». Au sens le plus général, le Code est un regroupement<br />

de textes de droit dans un ensemble cohérent, généralement<br />

(mais pas nécessairement) dans une volonté affirmée de réforme (3).<br />

G. Braibant précisait, à propos de la codification classique, dont le<br />

Code civil de 1804 est certainement l’archétype, qu’elle consiste en<br />

« de grandes œuvres réformatrices qui rénovent l’ensemble d’une matière<br />

et qui mêlent dans un texte unique la reprise des règles traditionnelles<br />

et la formulation de règles nouvelles » (4). Mais le terme est<br />

aujourd’hui utilisé également dans un sens nettement moins ambitieux :<br />

ainsi la codification à droit constant, qui se contente de regrouper et de<br />

mettre en ordre tous les textes relatifs à une matière déterminée sans<br />

créer de nouvelles règles. C’est d’elle que Jean Carbonnier écrivait :<br />

« ses produits sentent l’encre; d’un patchwork on ne peut espérer qu’il<br />

ait un esprit » (5). Dans les pays anglophones, c’est également ce sens<br />

(1) « Le centenaire du Code civil » (éditorial anonyme), J.T., 1904, col. 331-3.<br />

(2) J.T., 1904, n o 1887 (suppl.), col. 378 et 386.<br />

(3) J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, Paris, P.U.F., 2001, p. 322.<br />

(4) G. Braibant, v o « Codification », Encyclopaedia universalis.<br />

(5) J. Carbonnier, Droit civil, introduction, 25 e éd., P.U.F., 1997, n o 113.<br />

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restreint qui prévaut : les Codes y sont généralement considérés comme<br />

de simples œuvres de « consolidation » : des restatement; ainsi le plan<br />

des matières traitées est-il le plus souvent alphabétique, plutôt que systématique<br />

ou rationnel comme dans les codes classiques.<br />

Véritables incarnations de la raison politique, les codes classiques prétendaient<br />

réunir tous les attributs de la loi parfaite (6). J. Vanderlinden<br />

a pu dénombrer non moins de huit perfections contribuant (7) à cet effet.<br />

Avant toute chose, le Code est cohérent au sens où il réalise la concentration<br />

de la matière juridique, qualité qui s’apprécie par contraste avec<br />

le caractère dispersé et fragmentaire des sources du droit qui règne<br />

avant la codification. Deuxième attribut : le Code bénéficie d’une large<br />

publicité au sens où ses auteurs ambitionnent de le porter effectivement<br />

à la connaissance de ses destinataires, de façon à ce que « nul ne soit<br />

censé ignorer la loi ». Troisième attribut : le Code est maniable. A défaut<br />

de pouvoir toujours se réduire aux dimensions d’un volume bref et<br />

unique, il ne contiendra que l’essentiel. En seront bannis les textes tombés<br />

en désuétude, les dispositions répétitives, les obiter dicta et autres<br />

formules non strictement normatives. Quatrième attribut : une structuration<br />

logique. Un ordonnancement raisonné des matières codifiées facilitera<br />

la consultation du Code et contribuera à mettre le droit à portée<br />

de chacun. Un cinquième trait renforce cet effet : il s’agit cette fois de<br />

la clarté du Code : écrit dans une langue simple et claire, il devrait éviter<br />

les doutes, les ambiguïtés, les fictions, les latinismes et archaïsmes qui<br />

caractérisent si souvent le style des juristes. Sixième attribut du Code :<br />

l’absence de contradictions entre les solutions qu’il consacre. De ce<br />

point de vue aussi, le Code fait table rase du passé en ramenant la diversité<br />

des règles, coutumes, usages et jurisprudences, souvent contradictoires,<br />

à l’unité de sa logique. Non contente de formuler l’état des sources<br />

en un système clair et harmonieux, l’idée de Code entraîne encore<br />

— septième attribut — la conformité du droit codifié au droit appliqué,<br />

ce qui implique qu’une fois adopté le Code pourra prétendre à l’exclusivité<br />

parmi les diverses sources du droit. Plus question d’un droit subsidiaire<br />

survivant aux marges du Code; désormais, seules s’imposent les<br />

solutions déduites de son texte. Enfin, dernier et non des moindres attributs<br />

de l’idée de Code : la complétude. Quel que soit le champ visé par<br />

le codificateur (une branche ou une source du droit, voire le droit tout<br />

entier), le souci d’exhaustivité marque son œuvre. Bentham avait forgé<br />

un néologisme pour traduire cette idée : le Code serait un Pannomion,<br />

recueil de toutes les lois, un « corps complet de législation », ou ne serait<br />

point (8). D’une œuvre aussi parfaite, les codificateurs attendaient<br />

plusieurs effets : l’unification et la simplification du droit sans doute,<br />

mais aussi sa diffusion auprès de l’ensemble des citoyens, et bien souvent<br />

encore une réforme en profondeur de la matière codifiée ellemême.<br />

C’est dire que l’enjeu de la codification porte bien au-delà des avantages<br />

formels qu’on vient d’évoquer. Un Code représente avant tout une<br />

expression privilégiée du pouvoir : pouvoir et prestige personnel du<br />

Prince qui lui imprime sa marque (Hammourabi, Justinien, Frédéric II,<br />

...), puissance de la nation qui, au terme d’un processus d’unification<br />

(ainsi l’Allemagne et son B.G.B. à la fin du XIX e siècle) ou d’accès à<br />

l’indépendance (de nombreux pays en voie de développement), est en<br />

mesure d’assurer la maîtrise de la production de son propre droit. Dans<br />

chaque cas, une codification réussie va de pair avec un moment de centralisation<br />

politique et de contrôle étatique renforcé sur les sources du<br />

droit.<br />

Bien entendu, des enjeux économiques et sociaux sont associés à cette<br />

reprise en main politique. Codifier revient alors à fixer de nouvelles règles<br />

du jeu social et à stabiliser la société sur la base d’un nouveau pacte<br />

(6) F. Ost, « L’amour de la loi parfaite », in L’amour des lois, sous la direction<br />

de J. Boulad Ayoub e.a., Presses universitaires de Laval, Québec, 1995, pp. 53<br />

et s.<br />

(7) J. Vanderlinden, Le concept de Code en Europe occidentale du XIII e au<br />

XIX e siècle - Essai de définition, Bruxelles, 1967, pp. 163 et s.<br />

(8) J. Bentham, « De la codification », in Œuvres de J. Bentham, jurisconsulte<br />

anglais, éd. par E. Dumont, Bruxelles, 1829, t. III, pp. 91 et s.


social. On sait combien le Code civil, faisant table rase des coutumes,<br />

privilèges et statuts diversifiés de l’Ancien Régime, a réussi à niveler le<br />

corps social autour des principes d’égalité, d’autonomie de la volonté et<br />

de propriété souveraine.<br />

Enfin, et cela se vérifie particulièrement dans le cas du Code Napoléon,<br />

un code est aussi un élément important de l’identité nationale.<br />

Ph. Malaurie n’hésite pas à écrire à cet égard que le Code civil aura été<br />

un facteur décisif de l’unité et de la culture françaises, au même titre que<br />

la législation de Jules Ferry sur l’école primaire obligatoire (9).<br />

Cet idéal codificateur — et le cortège de fantasmes qu’il suscite — doit<br />

être très profondément associé à la raison juridique, car on ne cesse de<br />

le voir renaître, même au cours des plus récentes années, pourtant caractérisées<br />

par la diffraction des pouvoirs et la prolifération des normes.<br />

En France, tout particulièrement, la codification est récemment apparue<br />

comme un instrument privilégié de la réforme de l’Etat : relancée en<br />

1989, par Michel Rocard, cet objectif est régulièrement rappelé par les<br />

gouvernements qui se succèdent depuis. Ainsi, en 1995, la Commission<br />

supérieure de codification s’est risquée à élaborer un plan général de<br />

codification : « démarche exhaustive, du type de celle qui s’était déroulée<br />

sous l’empire », note J.-L. Silicani, commissaire à la réforme de<br />

l’Etat : « il s’agit de substituer aux quelque 8.000 lois et 80.000 décrets<br />

en vigueur une cinquantaine de Codes » (10).<br />

Une circulaire Juppé du 30 mai 1996 (11) précisant la méthodologie de<br />

cette entreprise aux ambitions pharaoniques s’inscrit dans le droit fil de<br />

l’imaginaire codificateur que nous avons rappelé (12). Ici encore, comme<br />

à la grande époque, il s’agit de « rassembler en un corps un ensemble<br />

de règles éclatées ». Ces textes « seront classés dans un sens logique »,<br />

et le Code « sera pleinement conforme à la hiérarchie des normes ». On<br />

y adoptera notamment l’articulation entre « Code pilote et Code<br />

suiveur ». On proposera les modifications nécessaires « pour mettre le<br />

corps des règles en harmonie » et on « constatera » les abrogations, de<br />

façon à ne retenir que les normes valides et en vigueur. La réalisation de<br />

cet objectif ambitieux « doit permettre aux citoyens, aux élus, aux fonctionnaires,<br />

aux entreprises, de mieux connaître leurs droits et<br />

obligations ». Par ailleurs, on attend également de ce travail de réécriture<br />

qu’il « fournisse aux auteurs de projets de réforme une base de textes<br />

clairs, ordonnés et en vigueur », de façon à « préparer la réforme et<br />

la simplification ultérieure des textes ».<br />

Et voilà ressuscité le phénix de la lex perfecta : rien que des textes<br />

clairs, logiquement articulés, dépourvus de lacunes et d’antinomies et<br />

dotés d’une validité incontestable... des textes gravés dans le marbre, à<br />

la portée du citoyen ordinaire, des textes qui diraient la grandeur de<br />

l’Etat et, assurément, celle des Rocard - Portalis et autres Juppé - Napoléon.<br />

Ce nouvel engouement pour l’idéal de la codification classique est<br />

d’autant plus singulier que l’incontestable réussite du Code Napoléon<br />

n’est pourtant jamais parvenue à faire taire les critiques et objections à<br />

l’égard de ce mode de production du droit particulièrement rationaliste<br />

et centralisateur. Du reste, à l’époque du Directoire, Portalis lui-même,<br />

en bon disciple de Montesquieu, se déclarait hostile à la codification :<br />

« Renonçons, disait-il en 1797, à la dangereuse ambition de faire un<br />

Code civil » (13). L’auteur de L’Esprit des lois n’avait-il pas écrit, quant<br />

à lui, « il y a de certaines idées d’uniformité qui saisissent quelquefois<br />

les grands esprits, mais qui frappent infailliblement les petits » (14). A<br />

la codification on n’a jamais cessé de reprocher de « décontextualiser »<br />

(9) Ph. Malaurie, « L’enjeu de la codification », in L’Actualité juridique - Droit<br />

administratif, 20 sept. 1997, p. 642.<br />

(10) J.-L. Silicani, « La codification : instrument de réforme de l’Etat en<br />

France », in L’Actualité juridique - Droit administratif, 20 sept. 1997, p. 640.<br />

(11) J.O., 5 juin 1996, p. 8263.<br />

(12) D. de Bechillon, « L’imaginaire d’un Code », in Droits - La codification,<br />

n o 27, 1998, pp. 171 et s.<br />

(13) Cité par Ph. Malaurie, « Les enjeux de la codification », op. cit., p. 645.<br />

(14) Montesquieu, De l’esprit des lois, XXIX, 18.<br />

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les règles, en les coupant de leur origine historique et les privant du terreau<br />

interprétatif où elles plongent leurs racines (15). Ramenée à un<br />

foyer unique et suprême, la production codifiée du droit s’exposait aux<br />

reproches de centralisme, de formalisme et d’autoritarisme. L’école historique<br />

allemande (Savigny, Grimm) lui opposait une genèse diffuse et<br />

spontanée du droit, un droit coutumier, jurisprudentiel et principiel qui<br />

n’aurait pas perdu le contact avec les réalités historiques. Au XXe siècle,<br />

von Hayek et ses disciples néolibéraux ont poursuivi ce travail de<br />

critique du « constructivisme rationnel » des Codes, cette fois au nom<br />

de la nécessaire autorégulation du marché (16). Par ailleurs, même si sa<br />

spécificité de judge made law se réduit beaucoup aujourd’hui, le Common<br />

Law n’a jamais cessé de constituer une alternative de poids au droit<br />

codifié.<br />

Il reste évidemment, au-delà de ces critiques récurrentes, qu’il faut s’interroger<br />

sur la pertinence actuelle de la technique de codification, alors<br />

que nous sommes résolument entrés dans l’ère de la complexité et que<br />

le droit s’écrit désormais en réseau (17). « La codification », expliquait<br />

Pierre Bourdieu, « rend les choses simples, claires, communicables »<br />

(18). Mais les conditions sur lesquelles reposait cette entreprise de simplification<br />

(monisme juridique, centralisme politique, une rationalité<br />

déductive et linéaire, une temporalité prométhéenne, stable et orientée<br />

vers l’avenir) ne sont-elles pas profondément altérées aujourd’hui?<br />

Qui ne voit pas que le monisme juridique (suprématie, voire exclusivité,<br />

de la loi écrite) cède de toutes parts sous la pression de sources du droit<br />

démultipliées? Qui ne sait que le centralisme politique doit aujourd’hui<br />

composer sous la pression de pouvoirs concurrents d’ordre supranational,<br />

infranational, voire de pouvoirs privés extraterritoriaux? Ne constate-t-on<br />

pas que le mode de raisonnement formel et déductif (notamment<br />

le fameux « syllogisme judiciaire » qui plaçait toujours la loi dans<br />

la position de la majeure du raisonnement) fait place à des évaluations<br />

pragmatiques et contextualisées (dont témoignent, par exemple, le succès<br />

de la balance des intérêts et l’importance acquise par les principes<br />

de proportionnalité et de subsidiarité)? Enfin, n’assiste-t-on pas à une<br />

érosion du temps prométhéen orienté vers un futur maîtrisé par la raison<br />

et la loi dès lors que se multiplient les normes juridiques précaires et révisables,<br />

constitutives d’une temporalité aléatoire (19)? Si l’on continue,<br />

néanmoins, de parler de codification, il ne peut s’agir, dans ces<br />

conditions, que d’une codification dans un sens profondément altéré.<br />

II. — UNE TECHNIQUE QUI SE MÉTAMORPHOSE<br />

Sans doute observe-t-on encore, de-ci, de-là, l’émergence d’un grand<br />

Code classique. La Belgique s’est dotée, en 1967, d’un Code judiciaire<br />

qui pouvait répondre à ce titre; les Pays-Bas sont parvenus à réformer<br />

en profondeur leur Code civil en 1992, et le Québec en 1994. Mais au<br />

bilan, ces exemples sont plutôt exceptionnels. Ils ne sauraient masquer<br />

le phénomène, beaucoup plus répandu, d’éclatement et de banalisation<br />

de la codification, quand il ne s’agit pas tout simplement de « décodification<br />

».<br />

On note, tout d’abord, un éclatement de la codification au plan des matières<br />

traitées. Il est loin le temps où Portalis pouvait soutenir que le<br />

Code civil « régit l’universalité des choses et des personnes ». D’une<br />

part, le droit civil a cessé de bénéficier du statut privilégié de ius com-<br />

(15) B. Oppetit, « De la codification », in Recueil Dalloz-Sirey, 1996, chron.,<br />

p. 38.<br />

(16) F.-A. Hayek, Droit, législation et liberté, t. I, Paris, P.U.F., 1980, p. 113.<br />

(17) F. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau? Pour une théorie<br />

dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires<br />

Saint-Louis, 2002.<br />

(18) P. Bourdieu, « Habitus, code et codification », in Actes de la recherche en<br />

sciences sociales, n o 64, sept. 1986, p. 42.<br />

(19) F. Ost, Le temps du droit, Paris, Odile Jacob, 1999, pp. 251 et s.<br />

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mune qui plaçait les autres « branches » du droit dans une position périphérique<br />

et vassalisée. D’autre part, le Code civil lui-même est désormais<br />

largement phagocyté par quantité de lois spéciales, qui sont autant<br />

de « microsystèmes » dotés de principes et de méthodes d’interprétation<br />

propres : qu’il suffise à cet égard d’évoquer les matières du bail et de la<br />

protection du consommateur. J. Hoeffler notait déjà, en 1985, que dans<br />

l’édition des Codes Bruylant, la part représentée par les codes traditionnels<br />

n’occupait plus que 14% du nombre total des pages publiées. Ce<br />

constat l’autorisait à parler de « décodification » (20). Sans doute ferat-on<br />

valoir la multiplication de nouveaux codes — tels, par exemple, en<br />

France, le Code rural, le Code de l’artisanat ou encore le Code des douanes.<br />

Mais n’est-ce pas parler par antiphrase que d’évoquer ici la codification?<br />

Ces minicodes, n’intéressant qu’un service ou qu’une profession,<br />

ou ne concernant qu’un secteur restreint des activités nationales<br />

sont « contraires à l’esprit de la codification », n’hésite pas à écrire<br />

G. Braibant (21).<br />

La méthode de codification connaît, elle aussi, une transformation profonde.<br />

On sait que les codes classiques tranchaient à cet égard avec les<br />

« compilations » de l’Ancien Régime qui se bornaient, à des fins de<br />

commodité pratique, à regrouper les textes en vigueur, sans les modifier<br />

ni même les ordonner (les Restatement des pays du Common Law continuent<br />

à s’inspirer de cette méthode de simple « consolidation »).<br />

Aujourd’hui, la codification dite « à droit constant » semble renouer<br />

avec cette méthodologie plus modeste. A nouveau, il ne s’agit plus que<br />

de « rassembler et ordonner les normes existantes sans créer de règles<br />

nouvelles » (22). Cette méthode, adoptée depuis 1989 par la Commission<br />

(française) supérieure de codification, se heurte à plusieurs limites<br />

et objections. Tout d’abord, elle présente l’inconvénient majeur de ne<br />

viser que les dispositions législatives et réglementaires, à l’exclusion<br />

des autres sources du droit, et de se limiter de surcroît aux seuls textes<br />

émanant des autorités nationales françaises (23). Dans ces conditions,<br />

aucune norme internationale ni européenne n’est intégrée dans le Code;<br />

même exclusion en ce qui concerne les normes jurisprudentielles, coutumières,<br />

ou encore les règlements émanant d’autorités administratives<br />

indépendantes habilitées à exercer une parcelle du pouvoir réglementaire.<br />

En s’en tenant à la classique pyramide normative étatiste et<br />

légaliste : lois, décrets et arrêtés interministériels et ministériels, la codification<br />

à droit constant fait totalement l’impasse sur la production<br />

contemporaine du droit en réseau. On en est donc réduit à s’en remettre<br />

à l’initiative des éditeurs juridiques en vue de mettre à disposition des<br />

usagers une version plus réaliste du droit en vigueur intégrant notamment<br />

les règlements communautaires et les principales interprétations<br />

jurisprudentielles stabilisées. Par ailleurs, la neutralité absolue dont se<br />

prévaut la codification à droit constant est elle-même en partie illusoire<br />

dès lors que la terminologie doit être actualisée et harmonisée et que ne<br />

peuvent être retenus que des textes nationaux compatibles avec la Constitution<br />

et le droit international, ce qui implique bien entendu une interprétation<br />

évaluative (24). Enfin, on s’interroge sur l’utilité d’une opération<br />

qui, à l’instar du remplissement du tonneau des Danaïdes, s’emploie<br />

à fixer l’état présent d’un flux de réglementations que rien ne<br />

semble, par ailleurs, pouvoir ralentir.<br />

La récente loi française du 2 juillet 2003 « habilitant le gouvernement à<br />

simplifier le droit » (25) marque-t-elle une rupture à l’égard de cette<br />

manière de procéder? On peut le penser dès lors que, pour la première<br />

fois, l’article 34 de la loi habilite le gouvernement à réaliser une codifi-<br />

(20) J. Hoeffler, « L’avenir de la codification en Belgique », in « La codification<br />

et l’évolution du droit », Rev. jur. et pol. Indépendance et coopération,<br />

n os 3-4, 1986, p. 769.<br />

(21) G. Braibant, « La relance de la codification », Rev. fr. dr. adm., 1990,<br />

p. 307.<br />

(22) M. Suel, Essai sur la codification à droit constant, Paris, I.N., J.O., 1999,<br />

p. 205.<br />

(23) Y. Robineau, « A propos des limites d’une codification à droit constant »,<br />

in L’Actualité juridique - Droit administratif, 20 sept. 1997, p. 655.<br />

(24) J.-L. Bergel, op. cit., p. 327.<br />

(25) J.O., 3 juill. 2003, p. 11192.<br />

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cation « à droit inconstant » de la législation relative à une série de matière.<br />

Ainsi, s’agissant par exemple du domaine des personnes publiques,<br />

le gouvernement peut-il « modifier et compléter » les dispositions<br />

énumérées « afin de les simplifier, de les préciser, de les harmoniser ».<br />

Les commentateurs n’ont dès lors pas manqué de noter que, au nom de<br />

l’objectif, légitime certes, d’efficacité de l’action, ce procédé entraînait<br />

un « vaste dessaisissement du Parlement » (26). Par ailleurs, la méthode<br />

mise en place a aussi pour effet de mettre (partiellement et provisoirement?)<br />

hors jeu la Commission supérieure de codification. Singulier résultat<br />

pour un texte dont un des objectifs consiste à lutter contre la prolifération<br />

des conseils et commissions...<br />

Ceci conduit à évoquer une troisième forme d’éclatement et de banalisation<br />

de la codification : il s’agit cette fois de la démultiplication des<br />

niveaux territoriaux auxquels s’opère cette production codifiée : en<br />

marge des Codes « nationaux » classiques, on assiste en effet au développement<br />

de Codes régionaux, tandis que l’idée d’une codification<br />

européenne fait progressivement son chemin.<br />

On ne revient plus sur les projets de recodification menés à l’échelle nationale,<br />

dont la France reste l’exemple le plus significatif avec son plan<br />

« général de codification » prévoyant, en 1995, non moins d’une cinquantaine<br />

de codes à produire au cours des années suivantes (27). Ce regain<br />

de nationalisme juridique n’empêche cependant pas, que, dans des<br />

pays fédéraux comme la Belgique, apparaissent des Codes régionaux.<br />

Dès lors que la Constitution consacre la compétence exclusive des Régions<br />

et Communautés dans des matières telles que l’environnement,<br />

l’enseignement ou le logement, il n’était pas étonnant de voir adopter<br />

des codes recouvrant ces matières, ainsi par exemple le Code wallon de<br />

l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (décret du<br />

26 novembre 1997), ou encore le Code bruxellois du logement (ordonnance<br />

du Conseil de la Région de Bruxelles-capitale du 17 juillet 2003<br />

portant Code bruxellois du logement).<br />

Le mouvement de codification n’a pas manqué d’affecter également le<br />

droit de l’Union européenne. Ici comme ailleurs, le double constat de<br />

l’inflation normative et de la modification permanente des textes suscitait<br />

un besoin d’ordonnancement et de stabilité auquel, croyait-on, le<br />

Code apporterait la solution. Au terme d’un débat déjà ancien, le Parlement<br />

européen adoptait, le 26 mai 1989, une résolution sur la simplification<br />

et la codification du droit communautaire. Plus tard, le<br />

20 décembre 1994, les trois institutions qui participent au processus<br />

législatif (Parlement, Conseil, Commission) conclurent un accord<br />

interinstitutionnel arrêtant une méthode de travail accélérée en vue<br />

d’une codification officielle des textes législatifs. Mais faute d’une impulsion<br />

centrale unique, la méthode — même accélérée — ne produisit<br />

guère de résultats. C’est que l’idée d’une codification européenne suscitait<br />

en elle-même bon nombre de controverses (28). Eût-elle même<br />

partiellement abouti, qu’elle n’aurait pas résolu les problèmes de coordination<br />

entre codification nationale et codification européenne. Faute<br />

pour les codificateurs nationaux d’intégrer la législation européenne<br />

(par exemple les règlements communautaires qui s’intègrent de plein<br />

droit dans les ordres juridiques internes), on en est à nouveau réduit à<br />

en appeler à la collaboration spontanée des éditeurs en souhaitant que<br />

« l’on diffuse de façon connexe aux Codes (officiels) des recueils de législation<br />

communautaire qui suivraient autant que faire se peut le périmètre<br />

et le plan des Codes » (29).<br />

(26) P. Gonod, « La simplification du droit par ordonnances », A.J.D.A.,<br />

20 sept. 1997, p. 639.<br />

(27) J.-L. Silicani, « La codification : instrument de réforme de l’Etat en<br />

France », op. cit.; G. Braibant, « Actualité de la codification », A.J.D.A.,<br />

20 sept. 1997, p. 639.<br />

(28) A l’encontre du projet du Code civil européen, cf. les arguments avancés<br />

par P. Legrand (« Sens et non-sens d’un Code civil européen », R.I.D.C., 4,<br />

1996, pp. 779 et s.).<br />

(29) S. Magnin, « La codification du droit communautaire », A.J.D.A., 20 sept.<br />

1997, p. 683.


Aujourd’hui, il semblerait que ces ambitions codificatrices soient<br />

revues à la baisse, notamment en ce qui concerne un hypothétique Code<br />

de droit privé européen : « l’imposition par le haut d’un tel Code européen<br />

ne semble plus actuellement être défendu par personne », écrit<br />

M. Van Hoecke (30). C’est par des voies indirectes — jurisprudentielles<br />

et privées — dont on parlera bientôt, et par le truchement de l’influence<br />

du droit comparé sur les solutions nationales que les rapprochements<br />

observés s’opèrent. De toute manière, explique W. Van Gerven, une telle<br />

codification du droit privé supposerait une longue préparation doctrinale<br />

des esprits ainsi qu’une interprétation uniforme que seule pourrait<br />

conférer une Cour suprême européenne — deux conditions qui, à l’évidence,<br />

ne sont pas encore remplies aujourd’hui (31).<br />

Le phénomène de diversification de la codification ne résulte pas seulement<br />

de son éclatement par matières, méthodes et niveaux territoriaux<br />

d’application; il résulte également de la démultiplication de ses sources<br />

d’origine. Henri Simonart, qui, en 1997, faisait le point sur la codification<br />

en droit belge, notait déjà cette polysémie du concept. Non content<br />

de viser des modes d’engendrement très diversifiés, le terme de codification<br />

ne fait pas non plus l’objet d’une utilisation systématique : ainsi<br />

des textes, pourtant élaborés selon des méthodes identiques ou analogues<br />

à celles qui président à l’élaboration des lois dénommées « Codes »,<br />

ne bénéficieront jamais de ce label : ainsi en va-t-il par exemple de l’arrêté<br />

royal du 24 juin 1988 portant codification de la loi communale sous<br />

l’intitulé, plus modeste, de « nouvelle loi communale » (32).<br />

Pour le reste, même lorsque le texte bénéficie du label de « Code », il<br />

peut trouver son origine dans l’intervention de sources diverses. Tantôt<br />

il procède de la voie législative, tel le Code judiciaire, le Code de la nationalité,<br />

ou encore le Code de la taxe sur la valeur ajoutée. Tantôt, mais<br />

le recours à cette technique est plutôt rare et n’a certes pas rempli tous<br />

les espoirs qu’elle avait suscités, la codification résulte de l’intervention<br />

du bureau de coordination du Conseil d’Etat (deux codes et sept arrêtés<br />

de coordination entre 1961 et 1997). Finalement, l’essentiel des regroupements<br />

de textes s’est opéré, au coup par coup, sur la base d’habilitations<br />

particulières contenues dans des lois fédérales ou des décrets communautaires<br />

ou régionaux chargeant le Roi ou le gouvernement compétent<br />

d’y procéder. Dans ce cas, le travail de coordination ou de<br />

codification s’effectue par l’entremise de l’administration elle-même,<br />

voire d’un cabinet ministériel. Il semble bien que la plupart des regroupements<br />

de textes réalisés en Belgique depuis 1980 procèdent de telles<br />

habilitations particulières (33).<br />

La mondialisation économique, et l’écriture du droit en réseau qui l’accompagne,<br />

accélèrent encore le processus de démultiplication des sources<br />

du regroupement des règles (on hésite à parler de « codification » au<br />

sens strict). Ainsi, par exemple, on observe que si l’imposition par le<br />

haut d’un Code de droit privé européen est un projet sans doute voué à<br />

l’échec, sinon à très long terme, en revanche, une très réelle harmonisation<br />

des solutions « par le bas » est en route, à l’initiative de la doctrine,<br />

de la jurisprudence et de la pratique contractuelle. On rappellera, à cet<br />

égard, la contribution décisive des comparatistes européens à la mise en<br />

lumière des principes généraux qui se dégagent des traditions et pratiques<br />

européennes du droit privé. En 1995 déjà, un groupe identifié sous<br />

le nom de « Commission Lando » a élaboré un « Code européen du<br />

droit des contrats », revu et augmenté en 2000 (34). Ce modèle a fait<br />

école : dans la suite, le droit de la responsabilité civile (35), et celui de<br />

(30) M. Van Hoecke, L’harmonisation du droit privé en Europe, à paraître, p. 2.<br />

(31) W. Van Gerven, « Codifying European Private Law »; in Epistemology<br />

and Methodology of Comparative Law, M. Van Hoecke (éd.), Oxford, Hart<br />

Publishing, 2003.<br />

(32) H. Simonart, « La codification en droit belge : rayonnement et limites de<br />

la codification napoléonienne », A.J.D.A., 20 sept. 1997, p. 674.<br />

(33) H. Simonart, op. cit., p. 676.<br />

(34) O. Lando et H. Beae (éd.), Principles of European Contract Law, vol. I et<br />

II, Dordrecht, Kluwer Law International, 2000.<br />

(35) C. Von Bar, « Konturen des Deliktsrechiskonzepts der Study Group on a<br />

European Civil Code », in Zeitschrift für Europäisches Privatrecht, 2001,<br />

pp. 515-532.<br />

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la fiducie (36) ont fait l’objet d’un pareil traitement. Il semble que la<br />

pratique commerciale réserve un bon accueil à ces modèles de droit uniforme<br />

dans la mesure où ils sont assez détachés de tel ou tel droit national<br />

auquel l’un des contractants serait tenté de se rattacher, tout en réalisant<br />

une synthèse des divers droits en présence. Dans l’avenir, il n’est<br />

pas du tout impossible que tout ou partie de ces codifications privées<br />

fassent l’objet de directives européennes, voire de réception par un législateur<br />

national (37).<br />

Confortés par ces premiers succès, des groupes de travail relancent<br />

l’idée d’un Code civil européen : ainsi le « groupe d’études sur un Code<br />

civil européen », fondé par le professeur allemand Christian von Bar à<br />

l’Université d’Osnabrück (38). Dans l’intervalle, et de façon plus pragmatique,<br />

on publie des « Chroniques de jurisprudence comparatives »,<br />

telle la série Ius commune Case books for the Common Law of Europe<br />

que dirige le professeur Van Gerven (39).<br />

C’est que la jurisprudence joue, dans le droit en réseau, un rôle essentiel<br />

en vue de dégager des textes et de la pratique les linéaments de solutions<br />

uniformes, ou à tout le moins convergentes. Le recours de plus en plus<br />

systématique au droit comparé, et la technique des questions préjudicielles<br />

favorisent bien entendu ces convergences. Mais sans doute fautil<br />

encore pousser l’analyse un peu plus loin (toujours plus loin du modèle<br />

officiel de la codification étatiste-légaliste) en observant un mouvement<br />

de convergence spontanée des pratiques contractuelles. C’est<br />

que, dans une économie globale, « la tolérance des opérateurs à la différence<br />

normative se fait de plus en plus faible » (40). S’observe ainsi<br />

un phénomène de mondialisation des instruments juridiques, véritable<br />

« sélection naturelle des instruments les plus performants », qui pousse<br />

ces instruments à s’aligner sur les modèles dominants imposés ou réclamés<br />

par les opérateurs économiques des principaux pays industrialisés,<br />

et qui conduit à l’adoption de contrats modèles, bientôt suivis de lois<br />

modèles, elles aussi standardisées (41).<br />

... Tout cela nous aura finalement beaucoup éloigné de l’illustre jubilaire<br />

de 1804. D’évidence, il apparaît que le Code d’aujourd’hui, expression<br />

d’un besoin toujours vérifié et toujours légitime de cohérence et de<br />

prévisibilité, revêt une forme nouvelle accordée à la complexité des<br />

temps : d’inspiration souvent pratique, jurisprudentielle et comparatiste,<br />

émanant des pouvoirs les plus divers (parfois même de pouvoirs privés),<br />

il se concentre sur la formulation de principes généraux de synthèse<br />

plutôt que de s’enfoncer dans le détail de la réglementation. Exemplaire<br />

à cet égard est le Corpus iuris portant dispositions pénales pour<br />

la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, rédigé en<br />

1996 par un groupe d’experts sous la direction de Mireille Delmas-<br />

Marty : trente-cinq articles groupés sous sept principes de droit pénal<br />

substantiel et de la procédure pénale, pour la plupart déjà inscrits dans<br />

la tradition juridique européenne commune (42).<br />

Savoir si ces diverses métamorphoses de la technique de codification<br />

ruinent ou, au contraire, restaurent l’idéal de la codification, est une<br />

question que nous laisserons ouverte. Rendez-vous en 2104!<br />

François OST<br />

(36) D.-J. Hayton, S.C.J.J. Kortmann et H.L.E. Verhagen, Principles of European<br />

Trust Law, Dordrecht, Kluwer Law International, 1999.<br />

(37) M. Van Hoecke, « L’harmonisation du droit privé européen », op. cit., p. 6.<br />

(38) C. Von Bar, « Le groupe d’études sur un Code civil européen », Rev.<br />

intern. dr. comparé, 2001, pp. 127 et s.<br />

(39) Le premier tome de la série est paru sous le titre Cases, Materials and Text<br />

on National, Supranational and International Tort Law, sous la direction de<br />

W. Van Gerven, J. Lever et P. Larouche, Oxford, Hart Publishing, 2000.<br />

(40) E. Loquin et C. Kassedjian, « Avant-propos », in La mondialisation du<br />

droit (sous la dir. de E. Loquin et C. Kassedjian), Dijon, Litec, 2000, p. 8.<br />

(41) A. Martin-Serf, « La mondialisation des instruments juridiques », in «La<br />

mondialisation du droit », op. cit., p. 180.<br />

(42) Corpus iuris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts<br />

financiers de l’Union européenne, sous la direction de M. Delmas-Marty,<br />

Paris, Economica, 1997.<br />

2004<br />

229


2004<br />

230<br />

L’EXPÉRIENCE QUÉBÉCOISE<br />

DE RECODIFICATION<br />

DU DROIT CIVIL<br />

Le droit civil québécois fut codifié une première fois en 1866. Au cours<br />

des années 1950, conscient de la nécessité de moderniser le droit civil,<br />

le législateur entreprend un long processus de révision qui se terminera<br />

par l’adoption d’un nouveau Code. La genèse du processus de recodification<br />

sera brièvement présentée [I], puis seront exposés les travaux<br />

auquel a donné lieu ce vaste chantier [II], finalement les grandes orientations<br />

du Code seront exposées [III].<br />

I. — LA GENÈSE DU PROCESSUS<br />

Durant la première moitié du XIX e siècle, la codification du droit privé<br />

québécois est notamment présentée comme une solution propre à mettre<br />

un terme au problème de confusion des sources du droit. Jusqu’au milieu<br />

du siècle, des difficultés de nature politique et administrative empêchent<br />

la réalisation du projet. Les obstacles levés, l’Assemblée législative<br />

vote, en 1857, une loi qui charge trois juges de rédiger un Code<br />

civil en prenant modèle sur le Code Napoléon. La loi précise que les rédacteurs<br />

doivent rassembler le droit en vigueur dans la province et<br />

qu’ils peuvent proposer les amendements qu’ils estiment nécessaires. Il<br />

revient, par la suite, à l’Assemblée d’étudier les modifications soumises.<br />

Le nouveau Code, désigné sous l’appellation de Code civil du Bas-<br />

Canada, entre en vigueur en 1866 (1).<br />

L’idée de réformer le Code civil, loin d’être apparue spontanément, a<br />

fait son chemin petit à petit. Les premiers à traiter de la question voient<br />

la révision comme un moyen d’épurer le Code. Il est notamment suggéré<br />

de retrancher les dispositions désuètes qu’il contient (2), ainsi que les<br />

articles portant sur la procédure qui voisinent ceux de droit substantiel<br />

(3). Harmoniser l’ensemble du Code constitue le but ultime des promoteurs<br />

de la révision. La démarche souhaitée par ces juristes s’inscrit en<br />

droite ligne dans un courant protectionniste qui transforme le Code en<br />

véritable icône, au cours de l’entre-deux-guerres (4).<br />

La modernisation du droit civil figure, un peu plus tard, au nombre des<br />

motifs qui justifient une révision en profondeur du Code. A l’occasion,<br />

des auteurs signalent certaines institutions qui leur apparaissent ne plus<br />

répondre aux besoins de la société et même nuire à son progrès. Un des<br />

plaidoyers les plus convaincants en faveur d’une modernisation du<br />

Code vient de l’avocat Jean Turgeon qui, au début des années 1950, fait<br />

paraître un article sur le sujet dans la Revue du barreau. Il y souligne la<br />

désuétude de certaines règles du droit civil et fait ressortir l’inadaptation<br />

du Code à de nouvelles réalités : « [...] l’expérience acquise, les<br />

progrès de la science et les conditions économiques et sociales nouvelles<br />

exigent une révision complète tenant compte de la recherche<br />

scientifique » (5). Turgeon ne se contente pas, comme ses devanciers<br />

(1) Sur l’historique de la codification de 1866, voy., Brian Young, The Politics<br />

of Codification : the Lower Canadian Civil Code of 1866, Montréal, McGill-<br />

Queen’s University Press, 1994, xviii, 264 p.<br />

(2) Jules-Arthur Gagné, « Notre Code civil, ses qualités, ses défauts, ses<br />

lacunes », in Deuxième congrès de la langue française au Canada : Mémoires,<br />

t. 2, Québec, 1938, p. 201, p. 210.<br />

(3) Adjutor Rivard, « Notre législation », in Deuxième congrès de la langue<br />

française au Canada : Mémoires, t. 2, Québec, 1938, p. 139, pp. 160-162.<br />

(4) Sylvio Normand, « Un thème dominant de la pensée juridique traditionnelle<br />

au Québec : la sauvegarde de l’intégrité du droit civil », (1986-1987) 32, Rev.<br />

droit de McGill, 559-601.<br />

(5) Jean Turgeon, « De la revision du Code civil québécois », (1951) 29, Revue<br />

du barreau canadien, 70, 77.<br />

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l’ont souvent fait, de traiter généralement de la question, il donne plusieurs<br />

exemples de modifications qu’il souhaite voir apporter à des dispositions<br />

du Code. Il est vraisemblable que cet article, écrit par un des<br />

avocats les plus en vue du barreau de l’époque, exerce une certaine influence<br />

sur le gouvernement.<br />

L’Assemblée législative se rend aux doléances des tenants d’une réforme<br />

du droit civil et vote, en février 1955, la loi concernant la révision<br />

du Code civil (6). Le processus de révision poursuit deux objectifs distincts<br />

soit, d’une part, d’éliminer les imperfections du Code en procédant<br />

à des corrections de style et d’agencement qui s’imposent et,<br />

d’autre part, de proposer au gouvernement des modifications de substance<br />

à apporter au Code. La révision doit, en outre, respecter le style<br />

législatif propre à un code de tradition civiliste.<br />

II. — LES TRAVAUX<br />

La recodification est une tâche dont les initiateurs mesurent rarement<br />

l’ampleur. L’exemple québécois montre les difficultés posées par une<br />

telle entreprise. Rapidement les artisans chargés d’une telle tâche se<br />

rendent compte qu’en plus de présenter un projet qui satisfasse les diverses<br />

composantes de la société, ils doivent composer avec une communauté<br />

juridique aux multiples facettes et un personnel politique qui<br />

perçoit rarement l’attrait d’un tel projet.<br />

1. — Les artisans<br />

La révision du Code civil, qui s’échelonne sur une quarantaine d’années,<br />

se divise en un certain nombre d’étapes successives où, tour à tour,<br />

la conduite des travaux sera confiée à des juristes issus du monde de la<br />

pratique, de l’université et de l’administration publique.<br />

La loi précisait que la révision du droit civil devait être confiée à un juriste.<br />

Le gouvernement désigne Thibaudeau Rinfret, ancien juge en chef<br />

de la Cour suprême du Canada, à titre de réviseur du Code. Les travaux<br />

commencent peu de temps après l’entrée en vigueur de la loi (7). Il est<br />

vraisemblable que Rinfret considère pouvoir mener rapidement à terme<br />

le mandat qui lui est confié. Il consulte la communauté juridique, puis<br />

il rédige des rapports succincts qu’il achemine au gouvernement. L’absence<br />

de réflexion critique et d’une méthode systématique de travail empêchent<br />

cette première phase des travaux de produire des résultats concrets<br />

et satisfaisants.<br />

L’avocat André Nadeau succède quelques années à Rinfret. Il compte<br />

sur une équipe pour l’aider à remplir sa tâche. Sa méthode de travail repose<br />

sur la participation d’experts externes à qui il demande d’analyser<br />

des parties du Code et de lui faire des suggestions de modifications appropriées.<br />

Les rapports soumis sont par la suite étudiés par un comité<br />

que Nadeau supervise. L’apport le plus significatif de Nadeau demeure<br />

son initiative de constituer un comité d’experts chargés de l’étude de la<br />

réforme des régimes matrimoniaux. Cette méthode de travail allait, par<br />

la suite, se généraliser.<br />

Après le départ de Nadeau, le gouvernement crée l’Office de révision du<br />

Code civil, dirigé par le professeur Paul-André Crépeau, à qui il confie<br />

la tâche de la poursuite de la révision amorcée. Le travail est organisé<br />

en comités (8), formés de praticiens, d’universitaires et de juges, qui<br />

étudient simultanément plusieurs sections du Code, de manière à accé-<br />

(6) S.Q. 1955, c. 47.<br />

(7) Sylvio Normand, « La première décennie des travaux consacrés à la révision<br />

du Code civil », (1994) 39, Rev. droit de McGill, 828-844.<br />

(8) Paul-André Crépeau, La réforme du droit civil canadien : une certaine conception<br />

de la recodification, 1965-1977, Montréal, Les éditions Thémis, 2003,<br />

pp. 48-51.


lérer la cadence. Chacun des comités prépare un projet d’articles accompagné<br />

de motifs explicatifs. Des travaux de recherche sont conduits.<br />

Il s’agit surtout de recherches en droit comparé, d’études confiées à des<br />

spécialistes des sciences sociales ou encore d’interviews et de sondages<br />

auprès de personnes et d’organismes préoccupés par les réformes envisagées.<br />

Au terme du processus, le comité soumet un rapport. Une fois<br />

diffusés, les rapports font l’objet de critiques parfois dans la presse et<br />

fréquemment dans les périodiques universitaires. Dans certains cas, des<br />

audiences publiques sont tenues. L’Office dépose son rapport final en<br />

octobre 1977. Il comprend deux volumes, le premier expose le projet de<br />

Code civil et le second fournit des commentaires explicatifs (9).<br />

Tout au long de ses travaux, l’Office cherche à atteindre plusieurs objectifs<br />

(10). Il entend régler les conflits nés des interprétations divergentes<br />

qui affectent le droit civil, en proposant des solutions « réalistes et<br />

conformes aux principes du droit civil » (11). Il s’efforce d’intégrer au<br />

Code la législation particulière en matière de droit civil, par exemple le<br />

droit de l’adoption. Il procède à un examen critique des fondements politiques<br />

sur lesquels avait été appuyé le Code de 1866. Cette orientation<br />

amène l’Office à repenser le droit privé québécois en prenant en compte<br />

le droit comparé et à considérer les changements survenus dans la société.<br />

Finalement, il porte une attention particulière à la qualité de la rédaction.<br />

Parallèlement à la préparation de son projet de Code, l’Office collabore<br />

à des réformes partielles du droit civil (12). Il s’ensuit qu’avant même<br />

le dépôt du rapport final de l’Office, des réformes substantielles transforment<br />

le Code civil du Bas-Canada. Des modifications sont ainsi apportées,<br />

bien avant la fin des travaux, dans les matières suivantes : le<br />

mariage civil (13) les régimes matrimoniaux (14), la déclaration judiciaire<br />

de décès (15), les assurances (16), les droits et libertés de la personne<br />

(17), les relations parents - enfants (18) et le louage de choses<br />

(19).<br />

Le gouvernement reçoit le rapport de l’Office mais décide de ne pas le<br />

soumettre à l’Assemblée nationale pour une adoption immédiate. Les<br />

raisons invoquées par le ministre de la Justice sont multiples ainsi qu’il<br />

le précise à l’Assemblée : « Il serait imprudent de l’adopter à la hâte et<br />

sans consultation suffisante. De plus, certaines des réformes qui sont<br />

proposées par l’Office de révision du Code civil sont d’une telle ampleur<br />

et d’une telle complexité et impliquent de tels coûts financiers et<br />

un immense support administratif que nous devons réaliser qu’il faudra<br />

sans doute plusieurs années avant que nous puissions les mettre toutes<br />

en œuvre » (20). En définitive, plusieurs années sont nécessaires avant<br />

que le projet soit mené à terme. D’autres raisons expliquent ce retard.<br />

Le gouvernement ne dispose pas, à cette époque, d’une grande expertise<br />

interne en droit civil puisque la réforme a été élaborée exclusivement à<br />

l’extérieur de l’appareil gouvernemental. Il lui est vraisemblablement<br />

difficile de mesurer l’impact qu’elle aurait. En outre, le manque de volonté<br />

politique fait défaut, d’autant que ce dossier demeure peu susceptible<br />

d’apporter du capital politique à son parrain.<br />

(9) Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil, Québec, Éditeur<br />

officiel, 1978, 2 vol. en 3 tomes.<br />

(10) Paul-André Crépeau, « La révision du Code civil », [1977] Cours de perfectionnement<br />

du notariat, 335, 344-345.<br />

(11) Ibid., p. 344.<br />

(12) Ibid., p. 354.<br />

(13) Loi concernant le mariage civil, S.Q. 1968, c. 82.<br />

(14) Loi concernant les régimes matrimoniaux, L.Q. 1969, c. 77.<br />

(15) Loi concernant les jugements déclaratifs de décès, L.Q. 1969, c. 79.<br />

(16) Loi sur les assurances, L.Q. 1974, ch. 70.<br />

(17) Charte des droits et libertés de la personne, L.Q. 1975, ch. 6.<br />

(18) Loi modifiant le Code civil, L.Q. 1977, ch. 72.<br />

(19) Loi instituant la Régie du logement et modifiant le Code civil et d’autres<br />

dispositions législatives, L.Q. 1979, ch. 48.<br />

(20) Assemblée nationale du Québec, Commission permanente de la justice,<br />

« Présentation de mémoires sur la réforme du droit de la famille (1) », in Journal<br />

des débats - Commissions parlementaires, 31 e législature, 4 e sess., 13 mars<br />

1979 (fasc. 8), p. B-349-B350.<br />

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Le gouvernement décide de scinder l’étude du Code en sections et de<br />

présenter chacune de ces sections à l’Assemblée nationale sous forme<br />

de projets ou d’avant-projets de loi qui font l’objet d’une étude en commission<br />

parlementaire et donnent lieu à des audiences publiques. Le<br />

processus choisi entraîne une mise en vigueur du Code civil du Québec<br />

par tranches. Un premier livre – celui de la famille – est adopté par l’Assemblée<br />

en décembre 1980 (21) et est partiellement mis en vigueur l’année<br />

suivante. Par la suite, l’étude du reste du Code est poursuivie et les<br />

livres sur les personnes, les successions et les biens sont adoptés, sans<br />

toutefois être mis en vigueur. Le reste des livres est étudié et le gouvernement<br />

présente un projet consolidé en 1990. Ce projet, qui donne lieu<br />

à une étude globale, y compris pour le droit de la famille, est adopté en<br />

décembre 1991 (22) et entre en vigueur le 1 er janvier 1994.<br />

Une loi ayant pour objet d’assurer l’application de la réforme vient<br />

compléter le Code (23). Cette loi prévoit des dispositions de droit transitoire<br />

qui visent à résoudre les inévitables conflits entre l’ancien et le<br />

nouveau droit. De plus, cette même loi apporte des modifications au<br />

Code de procédure civile et à une centaine de lois particulières afin de<br />

les rendre compatible avec le nouveau Code. Finalement, elle abroge<br />

une dizaine de lois.<br />

Tout au long du processus de recodification, plusieurs composantes de<br />

la communauté juridique prendront part à ce vaste chantier. Les professeurs,<br />

et dans une moindre mesure les praticiens (juges, avocats et notaires),<br />

joueront un rôle de premier plan à la rédaction du projet de Code<br />

élaboré par l’Office de révision. Par la suite, les juristes de l’Etat se<br />

chargent du dossier. Des professeurs viennent épauler, à l’occasion,<br />

l’équipe des rédacteurs, surtout dans les dernières phases. Il est indéniable<br />

qu’une certaine concurrence s’est développée entre les différents intervenants<br />

chargés de la recodification.<br />

2. — Les sources<br />

Tout au cours du long processus de recodification du droit québécois, de<br />

nombreuses sources furent utilisées. Le Code est en grande partie bâti<br />

sur des relations textuelles faites d’emprunts et souvent de transformations<br />

de textes antérieurs.<br />

A. — L’ancien Code<br />

La source première du Code civil du Québec demeure sans doute le<br />

Code civil du Bas-Canada. On n’est donc guère étonné que le ministre<br />

de la Justice, dans ses commentaires introductifs au nouveau Code, ait<br />

reconnu la parenté qui rapproche les deux Codes : « [...] cette réforme<br />

s’inscrit [...] dans la continuité du droit antérieur; elle en constitue le<br />

prolongement, la bonification, la consolidation » (24). Des tables de<br />

concordance, constituées par les rédacteurs du Code ou par des éditeurs<br />

privés, permettent de voir la filiation directe qui lie plusieurs articles du<br />

nouveau Code à ceux de l’ancien. Aussi complètes que soient ces tables,<br />

elles ne peuvent avoir la prétention de présenter tous les rapprochements<br />

existants entre les deux Codes. Il revient à chacun dans sa lecture<br />

des dispositions d’identifier la relation d’hypertextualité (25) qui se cache<br />

derrière le libellé du nouveau Code. L’ancien Code est donc appelé<br />

à jouer un rôle majeur dans la compréhension et l’interprétation du<br />

Code civil du Québec (26).<br />

(21) Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille,<br />

L.Q. 1980, c. 39.<br />

(22) Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.<br />

(23) Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57.<br />

(24) Commentaires du ministre de la Justice, Québec, Les Publications du Québec,<br />

1993, p. vi.<br />

(25) Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Le<br />

Seuil, 1992, pp. 7 et 12-16. (coll. Points, n o 257).<br />

(26) Maurice Tancelin, « Les silences du Code civil du Québec », (1994) 39,<br />

Rev. droit de McGill, 747-760.<br />

2004<br />

231


2004<br />

232<br />

B. — La jurisprudence et la doctrine<br />

Une préoccupation des artisans de la recodification fut de régler les conflits<br />

d’interprétation qui avaient, au fil des ans, opposé les différentes<br />

juridictions des tribunaux et parfois les auteurs de doctrine. Les rédacteurs<br />

ont donc cherché à identifier et à intégrer au Code des solutions<br />

prétoriennes ou encore à prendre position sur des solutions jurisprudentielles<br />

ou doctrinales incertaines, peu satisfaisantes ou incohérentes.<br />

Le Code civil du Bas-Canada s’était montré fort peu disert sur certaines<br />

questions et la doctrine comme la jurisprudence s’efforcèrent de combler<br />

ces lacunes. Les solutions avancées, malgré les avantages qu’elles<br />

offraient, laissaient parfois des zones d’obscurité susceptibles d’engendrer<br />

un inutile contentieux. Ainsi, en 1977, un arrêt de la Cour suprême<br />

était venu fixer, en s’inspirant de la doctrine, les conditions d’application<br />

de la doctrine de l’enrichissement injustifié (27). A la faveur de la<br />

révision du Code, l’enrichissement injustifié a été reconnu comme source<br />

d’obligations suivant les conditions arrêtées par la jurisprudence<br />

(1493, C.c.Q.) (28). Le ministre justifie l’introduction du nouvel article<br />

par la nécessité « [d’]éviter que ne se perpétue une certaine insécurité<br />

qui existait encore sur [l]es conditions d’exercice » (29) de cette source<br />

d’obligations.<br />

Au lieu de les entériner, le législateur a parfois décidé de rejeter des solutions<br />

acceptées par la jurisprudence. Une querelle a longtemps divisé<br />

la communauté juridique. Elle portait sur le droit de la victime d’un préjudice,<br />

lié par contrat avec la partie défenderesse, de pouvoir choisir<br />

d’appuyer son recours sur le régime de la responsabilité contractuelle<br />

ou sur celui de la responsabilité extracontractuelle. La doctrine s’était<br />

montrée plutôt défavorable à ce droit d’option, alors que la jurisprudence<br />

avait été plus réceptive. En 1981, dans un arrêt célèbre, la Cour suprême<br />

du Canada reconnut à la victime le droit d’opter pour le régime<br />

qu’elle estimait le plus approprié (30). Plusieurs auteurs réagirent en<br />

critiquant le jugement (31). Le législateur, sous l’influence de la doctrine<br />

majoritaire, a rejeté l’option des régimes (1458, al. 2, C.c.Q.), au motif<br />

que cette solution portait atteinte à la logique juridique et était de nature<br />

à engendrer des injustices envers l’une ou l’autre des parties au<br />

contrat (32).<br />

C. — Le droit comparé<br />

Le Code, selon le ministre de la Justice, n’a pas suivi de modèle législatif<br />

(33). En cela, il se distingue du Code précédent qui devait prendre<br />

modèle sur le Code Napoléon. Il ne faut certes comprendre de cette affirmation<br />

que le législateur n’a pas été influencé par le droit comparé.<br />

Au contraire, le droit comparé a exercé une influence considérable sur<br />

les travaux des rédacteurs du Code civil du Québec.<br />

Le projet de Code soumis par l’Office de révision du Code civil reconnaissait<br />

de nombreux emprunts ou sources d’inspiration au droit comparé,<br />

perçu comme un « précieux, voire un indispensable, instrument<br />

d’évolution du droit » (34). En revanche, les commentaires du ministre<br />

de la Justice sur le Code civil mentionnent fort peu de renvois au droit<br />

étranger. Il demeure que, pour plusieurs articles du Code s’inscrivant en<br />

filiation avec le projet de l’Office, il est possible de trouver leur racine<br />

dans des sources étrangères. Un relevé systématique des sources citées<br />

(35) révèle que les livres sur le droit international privé et sur la preuve<br />

(27) Cie immobilière Viger ltée c. Lauréat Giguère inc., [1977] 2 R.C.S. 67, 77<br />

(le juge Beetz).<br />

(28) Cette abréviation désigne le Code civil du Québec.<br />

(29) Commentaires du ministre de la Justice, supra, note 24, pp. 916-917.<br />

(30) Wabasso Ltd. c. The National Drying Machinery Co., [1981] 1 R.C.S. 578.<br />

(31) Pierre-Gabriel Jobin, « Wabasso : un arrêt tristement célèbre », (1982) 27,<br />

Rev. droit de McGill, 813-833.<br />

(32) Commentaires du ministre de la Justice, supra, note 24, pp. 888-889.<br />

(33) Ibid., p. viii.<br />

(34) Paul-André Crépeau, supra, note 8, p. 21.<br />

(35) H. Patrick Glenn, « Le droit comparé et l’interprétation du Code civil du<br />

Québec », in Le nouveau Code civil : interprétation et application, Montréal,<br />

Les éditions Thémis Inc., 1993, p. 175, à la page 189.<br />

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sont les plus perméables aux sources étrangères, avec la présence de<br />

telles sources pour 84% et 67% de leurs articles. Dans les autres livres<br />

du Code, le pourcentage des citations de sources étrangères est plus<br />

faible : les obligations (25%), les successions (17%), les biens (17%),<br />

les personnes (11%), la prescription (8%), les priorités et les hypothèques<br />

(7%), la publicité (7%) et la famille (2%). L’origine des sources<br />

varie sensiblement. Les sources françaises demeurent importantes, de<br />

même que celles qui viennent des juridictions de common law. A ces<br />

sources, où a traditionnellement puisé le droit civil québécois, s’ajoutent<br />

des instruments internationaux ou transnationaux (1468, 1469 et<br />

1473, C.c.Q.) et plusieurs codes ou projets de codes dont ceux de<br />

l’Allemagne, de la Belgique, de l’Éthiopie, de l’Italie, du Liban, de la<br />

Suisse ou de la Pologne.<br />

L’uniformisation des pratiques commerciales en Amérique du Nord explique<br />

que le droit des sûretés mobilières soit marqué par l’influence de<br />

la législation développée par les provinces canadiennes soumises à la<br />

common law et par les Etats américains. Le Code civil a donc adopté des<br />

solutions apparentées à celles retenues par la loi sur les sûretés mobilières<br />

(36) qui régit ce droit dans la province voisine de l’Ontario. Ce faisant<br />

le droit québécois s’est distancé du droit français.<br />

3. — La forme du Code<br />

Le travail de recodification a amené une révision de la terminologie de<br />

l’ancien Code qui a engendré son lot de critiques de la part de juristes<br />

opposés à un exercice jugé inutile. Cette révision visait d’abord et avant<br />

tout à rajeunir l’expression de la loi. La notion de dommage a ainsi été<br />

remplacé par « préjudice » (1457, C.c.Q.), celle d’exécuteur testamentaire<br />

par « liquidateur de la succession » (783, C.c.Q.) et celle d’enregistrement<br />

par « publicité » (2934, C.c.Q.) (37).<br />

Les rédacteurs du Code civil du Bas-Canada s’étaient montrés très réservés<br />

à l’inclusion de définitions. Pour sa part, le nouveau Code est<br />

nettement plus réceptif. Le législateur s’est, en effet, efforcé de décrire<br />

avec précision le contenu de dizaine de concepts juridiques. A titre<br />

d’exemple, il définit la clause abusive (1437, C.c.Q.), la propriété superficiaire<br />

(1110, C.c.Q.) et le contrat de consommation (1384, C.c.Q.).<br />

La doctrine a souligné le risque que pouvait entraîner la fixité du contenu<br />

des concepts de droit civil (38).<br />

Une des transformations importantes au droit civil réside dans le recours<br />

marqué à des notions floues comme la force majeure (1470,<br />

C.c.Q.), la clause abusive (1437, C.c.Q.), le préjudice sérieux (1420,<br />

C.c.Q.) ou l’intérêt général (1417, C.c.Q.). A plusieurs endroits, il utilise<br />

des qualificatifs tels « raisonnable » (art. 1392, 1436 et 1849),<br />

« déraisonnable » (7, 1437 et 1901, C.c.Q.), « excessive » (7, 1406 et<br />

2629, C.c.Q.), « légitime » (2230, 2261 et 2568, C.c.Q.) ou « justes »<br />

(1927 et 1967, C.c.Q.). Ces notions confèrent un large pouvoir d’appréciation<br />

au tribunal. Cette orientation est tout à fait compatible avec les<br />

nombreux pouvoirs d’intervention que le Code accorde au tribunal dans<br />

plusieurs circonstances. En droit de la famille, lorsque les époux ne parviennent<br />

pas à s’accorder sur l’exercice de leurs droits ou l’accomplissement<br />

de leurs obligations, le tribunal peut statuer (400, C.c.Q.). De<br />

même, en droit de la location, lorsqu’il existe un désaccord entre le locateur<br />

et le locataire sur des travaux majeurs à un logement, le tribunal<br />

(36) Loi sur les sûretés mobilières, L.R.O., 1990, c. p. 10.<br />

(37) Sur la question de la terminologie, voy., Louise Langevin et Denise Pratte,<br />

« Du Code civil du Bas-Canada au nouveau Code civil du Québec : l’influence<br />

de la codification française », in H. Patrick Glenn (dir.), Droit québécois et<br />

droit français : communauté, autonomie, concordance, Cowansville, Les éditions<br />

Yvon Blais inc., 1993, p. 63, aux pages 85-89.<br />

(38) John E.C. Brierley, « Les langues du Code civil du Québec », in Le nouveau<br />

Code : interprétation et application, Montréal, Les éditions Thémis,<br />

1993, p. 134.


a le pouvoir d’ « imposer les conditions qu’il estime justes et<br />

raisonnables » (1927, C.c.Q.).<br />

La rédaction d’un code bilingue dont les deux versions, française et anglaise,<br />

ont valeur officielle, présente des problèmes particuliers. La difficulté<br />

d’harmoniser les deux versions demeure un objectif recherché,<br />

encore que la rédaction d’un Code par différentes équipes de juristes<br />

rend parfois l’exercice complexe. Des discordances entre les deux versions<br />

du Code qui avaient été identifiées par des chercheurs ont récemment<br />

été corrigées par le législateur (39).<br />

III. — LES GRANDES ORIENTATIONS<br />

DU NOUVEAU CODE CIVIL<br />

Au terme du processus de révision du Code civil, il est indéniable que<br />

le droit civil québécois n’a plus la configuration qui était la sienne sous<br />

le Code précédent. Une présentation des grandes orientations du nouveau<br />

droit civil permettra d’en saisir les caractéristiques principales. A<br />

plusieurs égards, le Code civil se situe dans le prolongement du droit exposé<br />

dans le Code civil du Bas-Canada. Il amène cependant des changements<br />

qui tiennent compte de l’évolution sociale et économique de la<br />

société québécoise. Il s’inscrit donc dans la continuité, tout en marquant<br />

des ruptures par rapport au droit antérieur.<br />

1. — L’expression du droit commun<br />

L’éparpillement de matières relevant du droit civil dans des lois particulières<br />

incita le législateur à intégrer plusieurs de ces textes dans le Code.<br />

Cet effort de consolidation fut accompagné d’une volonté manifeste<br />

d’accorder une place centrale au Code comme expression du droit commun.<br />

Afin de parvenir à cette finalité, il fut décidé d’exprimer ce dessein<br />

en l’inscrivant dans une disposition préliminaire. Le texte précise,<br />

en outre, que le Code, dans les matières qu’il régit doit agir en harmonie<br />

avec les grands principes qui gouvernent l’ordre juridique :<br />

« Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits<br />

et libertés de la personne et les principes généraux du droit, les personnes,<br />

les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.<br />

» Le Code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières<br />

auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions,<br />

établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces<br />

matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent ellesmêmes<br />

ajouter au Code ou y déroger ».<br />

D’abord vue avec suspicion, cette disposition préliminaire fut défendue<br />

par ses rédacteurs au nom de l’illustration du droit civil dans un environnement<br />

où domine la common law (40). La doctrine et la jurisprudence<br />

ont souvent eu l’occasion depuis la mise en vigueur du Code de<br />

commenter et d’interpréter cette disposition. Elle a fait prendre conscience<br />

aux juristes que le Code exprime bel et bien le droit commun<br />

(41); on va même jusqu’à proclamer que le Code civil constitue la<br />

« pierre angulaire » du droit québécois (42) ou « la loi fondamentale du<br />

(39) Loi modifiant le Code civil, L.Q. 2002, c. 19, art. 15. Sur l’inventaire des<br />

discordances, voy., Jean-Maurice Brisson et Nicholas Kasirer (dir.), Code civil<br />

du Québec. Édition critique / Civil Code of Québec. A Critical Edition, 2002-<br />

2003, 10 e éd., Cowansville, éditions Yvon Blais, 2001, xvi-xxi.<br />

(40) Alain-François Bisson, « La disposition préliminaire du Code civil du<br />

Québec », (1999) 44, Rev. droit de McGill 539, 551.<br />

(41) Doré c. Ville de Verdun, [1997] 2 R.C.S. 862, 874 (le juge Gonthier).<br />

(42) Communauté urbaine de Montréal c. Syndicat des fonctionnaires municipaux<br />

de Montréal - section locale 429, Cour supérieure (district de Montréal),<br />

n o 500-05-046573-984, le 12 mai 1999, [1999] J.Q., n o 1585, § 23 (en ligne :<br />

disponible sur le site de Quicklaw).<br />

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Québec » (43). Comme expression du droit commun, le Code fournit<br />

des règles supplétives. La valeur normative de la disposition préliminaire<br />

est désormais avérée (44). La reconnaissance de la portée opérationnelle<br />

de ce texte a été grandement facilitée par son intégration au Code<br />

sous forme de disposition. Son caractère normatif aurait, sans doute, été<br />

moins affirmé si elle avait plutôt pris la forme d’un préambule.<br />

Le législateur ne s’est pas limité à affirmer dans une disposition préliminaire<br />

le rôle fondamental joué par le Code dans l’ordonnancement du<br />

droit québécois, il s’est efforcé de nouer des liens avec des matières souvent<br />

éloignées de la sphère d’attraction du Code. Au chapitre des personnes<br />

morales, le Code distingue celles-ci suivant qu’elles relèvent du<br />

droit public ou du droit privé (298, C.c.Q.). Tout en reconnaissant que<br />

les « personnes morales de droit public sont d’abord régies par les lois<br />

particulières qui les constituent et par celles qui leur sont applicables »,<br />

le Code ajoute que ces personnes sont également assujetties aux prescriptions<br />

du droit civil lorsque les dispositions de ces lois particulières<br />

doivent être complétées (300, C.c.Q.) (45). Le Code fournit, par<br />

ailleurs, une définition du contrat de consommation (1384, C.c.Q.),<br />

même si le législateur a renoncé à son projet initial d’intégrer au Code<br />

les règles particulières applicables à ce type de contrat. Pour sa part, le<br />

contrat de travail est l’objet d’un chapitre distinct au titre consacré aux<br />

contrats nommés (2085-2097, C.c.Q.). La pertinence de ce chapitre<br />

avait toutefois été remise en question au nom de la cohésion d’un droit<br />

déjà régi par le Code du travail (46).<br />

2. — La prééminence accordée à la personne<br />

Les nouvelles orientations privilégiées par le Code concernent au premier<br />

plan le droit de la personne. Si le Code précédent s’était caractérisé<br />

par la place centrale qu’il accordait au droit des obligations dans l’ordonnancement<br />

du droit, le nouveau Code se distingue par la prééminence<br />

qu’il reconnaît au droit des personnes ainsi que l’affirme le ministre<br />

de la Justice dans sa présentation du livre consacré aux personnes : « Il<br />

met davantage en lumière que ne le faisait le Code civil du Bas-Canada,<br />

la primauté accordée à la personne humaine » (47). Cette orientation est<br />

tout à fait compatible avec les instruments de droit public, que sont la<br />

Charte canadienne des droits et libertés (48) et la Charte [québécoise]<br />

des droits et libertés de la personne (49), qui sont venus consacrer les<br />

droits fondamentaux de la personne en droit canadien et québécois.<br />

La volonté manifeste d’assurer la prépondérance de la personne amène<br />

le législateur à énoncer des droits et des libertés fondamentales déjà reconnus<br />

par la Charte [québécoise] des droits et libertés de la personne<br />

(50). En reprenant certains de ces principes, le Code en précise la portée<br />

pour les matières qui relèvent du droit civil. Après avoir affirmé que<br />

tout être humain possède la personnalité juridique (1, C.c.Q.), le Code<br />

reconnaît à la personne la titularité de droits de la personnalité dont « le<br />

droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect<br />

de son nom, de sa réputation et de sa vie privée » (3, C.c.Q.). Ces droits<br />

extrapatrimoniaux sont, en outre, déclarés incessibles.<br />

Un titre, consacré à certains droits de la personnalité, vient compléter<br />

l’article qui énonce ces droits (10-49, C.c.Q.). Le principe de l’inviola-<br />

(43) Procureur général du Québec c. Tribunal d’arbitrage de la Fonction publique,<br />

[1998] R.J.Q. 2771, 2779 (C.S.).<br />

(44) Prud’homme c. Prud’homme, 2002 C.S.C. 85, § 30 (en ligne : disponible<br />

à l’adresse électronique suivante : http://www.lexum.umontreal.ca/csc-scc/fr/.<br />

(45) Patrice Garant, « Code civil du Québec, Code de procédure civile et société<br />

distincte », (1996) 37, Les Cahiers de droit 1141-1148 et Doré c. Ville de<br />

Verdun, supra, note 41, pp. 874-877 (le juge Gonthier).<br />

(46) Pierre Verge, « Faut-il “ nommer ” le contrat de travail? », (1988) 29, Les<br />

Cahiers de droit, 977-992.<br />

(47) Commentaires du ministre de la Justice, supra, note 24, p. 3.<br />

(48) Partie I de la loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la loi<br />

constitutionnelle de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.<br />

(49) L.R.Q., C-12.<br />

(50) Idem.<br />

2004<br />

233


2004<br />

234<br />

bilité et de l’intégrité de la personne présente une pertinence indéniable<br />

avec le développement de la médecine moderne. Le Code prévoit qu’en<br />

règle générale une personne doit donner « son consentement libre et<br />

éclairé » à une atteinte à son intégrité (10, C.c.Q.). La règle a donc pour<br />

effet d’empêcher qu’une personne ne soit soumise à des soins médicaux<br />

sans avoir exprimé son consentement. Des critères sont prévus pour les<br />

cas où il y a lieu de requérir un consentement substitué lorsqu’une personne<br />

est inapte ou incapable de prendre une décision qui la concerne.<br />

Le Code établit également que l’aliénation d’une partie ou de produits<br />

du corps, susceptibles ou non de régénération, est désormais gratuite<br />

(25, C.c.Q.).<br />

Le droit à la réputation et au respect et à la vie privée d’une personne<br />

reçoit une reconnaissance expresse au Code (35, C.c.Q.). Le droit à la<br />

vie privée protège la personne de certains actes qui auraient pour effet<br />

de violer son intimité, par exemple en pénétrant chez elle, en interceptant<br />

ses communications, en exploitant son image ou sa voix ou encore<br />

en la surveillant (36, C.c.Q.). L’application de ce droit, en plus de tenir<br />

compte de circonstances propres à chaque affaire, doit être harmonisée<br />

avec les lois particulières.<br />

Au nombre des droits qui régissent les relations entre les personnes, le<br />

droit à l’égalité occupe une importance considérable que le Code ne<br />

pouvait ignorer. Au premier rang, il était impératif de proclamer l’égalité<br />

juridique des époux : « Les époux ont, en mariage, les mêmes droits<br />

et les mêmes obligations » (392, C.c.Q.). Il découle de cette égalité que<br />

les époux exercent « ensemble » les responsabilité qui découlent du mariage<br />

(394, C.c.Q.). Chaque époux conserve durant le mariage le nom<br />

qui lui a été attribué à l’acte de naissance (393, C.c.Q.). L’épouse ne doit<br />

donc plus utiliser le nom de son mari. Le législateur, dans le but<br />

« d’enrayer la coutume de la transmission du seul nom patronymique<br />

paternel » (51), reconnaît, par ailleurs, chaque parent le droit de transmettre<br />

son nom à l’enfant (51, C.c.Q.). L’égalité existe aussi à l’égard<br />

des enfants puisque, une fois leur filiation établie, ils ont les mêmes<br />

droits et les mêmes obligations, et ce, peu importe les circonstances de<br />

leur naissance (522, C.c.Q.).<br />

Nulle part mieux que dans ce livre, peut-on constater que le Code, en<br />

plus d’être un instrument normatif, s’inscrit aussi dans un processus pédagogique<br />

(52). En effet, les relations que le Code privilégie dans les<br />

rapports entre les personnes ne sont pas nécessairement celles qui prévalent<br />

dans la société. Toutefois, le législateur a vraisemblablement présenté<br />

un ordre social qu’il a souhaité donner en exemple et promouvoir.<br />

3. — La modernisation du droit des biens<br />

Le droit des biens, qui avait connu, somme toute, relativement peu de<br />

modifications depuis 1866, a été revu substantiellement lors de la recodification.<br />

Le législateur s’est efforcé de moderniser des institutions<br />

vieillies et parfois devenues obsolètes, tout en prenant acte de la nécessité<br />

d’intégrer au Code des institutions qui tiennent compte des nouvelles<br />

préoccupations de la société.<br />

Dans le chapitre qui regroupe les règles particulières à la propriété immobilière<br />

(976-1008, C.c.Q.), le législateur a prévu un premier article<br />

qui codifie le principe de la tolérance dans les rapports de voisinage et<br />

reconnaît expressément le recours pour trouble de voisinage au cas de<br />

violation de la règle (976, C.c.Q.). De plus, dans ce chapitre qui reprend<br />

des règles pour une part issues de l’ancien Code, le législateur s’est efforcé<br />

d’introduire des solutions équitables et de tenir compte des préoccupations<br />

de sauvegarde de l’environnement.<br />

La notion de modalité de la propriété est reconnue par le législateur<br />

comme une forme particulière prise par la propriété (947 et 1009,<br />

C.c.Q.). L’intérêt manifesté par le législateur pour la modalité s’est no-<br />

(51) Commentaires du ministre de la Justice, supra, note 24, p. 46.<br />

(52) Danièle Loschak, « Droit, normalité et normalisation », in Jacques Chevalier<br />

et autres, Le droit en procès, Paris, P.U.F., 1984, p. 61.<br />

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tamment manifesté par l’introduction d’un chapitre consacré à la copropriété<br />

par indivision (1012-1037, C.c.Q.). Le recours fréquent depuis<br />

quelques décennies à l’indivision contractuelle a incité le législateur à<br />

conférer des assises plus solides à cette modalité par l’introduction au<br />

Code et l’établissement de règles pour en régir l’exercice. Pour sa part,<br />

la propriété superficiaire jouit désormais d’une définition et d’un régime<br />

juridique qui devrait favoriser son développement (1110-1118,<br />

C.c.Q.).<br />

Une des innovations parmi les plus marquantes de la recodification<br />

demeure l’introduction d’un chapitre sur la fiducie (1260-1298,<br />

C.c.Q.). L’institution, qui connaissait depuis longtemps une large<br />

diffusion en droit québécois, avait évolué en partie en marge du Code.<br />

Cette situation causait régulièrement des problèmes juridiques<br />

comme le révèle une abondante jurisprudence (53). Dans le but de remédier<br />

à ces lacunes et de permettre une meilleure compréhension<br />

des diverses espèces de fiducies, le législateur a décidé de préciser<br />

sa qualification et de lui attribuer un régime juridique plus adéquat.<br />

La fiducie devient un patrimoine d’affectation, ce qui, de l’avis du<br />

ministre de la Justice devrait régler le problème persistant de la propriété<br />

des biens transmis en fiducie (54).<br />

En droit des sûretés, le législateur tient compte de la configuration actuelle<br />

des patrimoines – souvent formés de biens meubles – et permet<br />

l’hypothèque des meubles (2660, C.c.Q.). De surcroît, l’hypothèque est<br />

susceptible de porter non seulement sur un bien particulier mais aussi<br />

sur « un ensemble de bien compris dans une universalité » (2666,<br />

C.c.Q.), qu’il s’agisse de biens immeubles (2665 et 2949, C.c.Q.), de<br />

biens meubles (2665 et 2950, C.c.Q.) ou de créances (2710, C.c.Q.).<br />

L’hypothèque qui porte sur une universalité de biens est ouverte aux<br />

seules entreprises (2684, al. 1 er , C.c.Q.).<br />

Le régime de publicité des droits réels devait inévitablement subir une<br />

transformation afin de tenir compte des changements subis par le droit<br />

des sûretés. Le législateur a donc prévu l’introduction d’un nouveau registre<br />

des droits personnels et réels mobiliers (2980, C.c.Q.). Pour sa<br />

part, le régime de publicité des droits fonciers devait connaître des<br />

changements importants afin d’accorder une valeur probante aux inscriptions<br />

portées au registre foncier (2943-2944, C.c.Q.). Cette réforme<br />

restait conditionnelle à une révision du cadastre et à l’informatisation du<br />

système d’inscription des droits. L’ampleur de la tâche et les coûts engendrés<br />

par ce changement ont toutefois empêché la mise en vigueur<br />

des dispositions, puis ont entraîné leur abrogation (55).<br />

4. — L’équilibre contractuel<br />

Le droit des obligations, longtemps critiqué à cause d’un libéralisme<br />

jugé excessif, avait déjà connu des transformations substantielles par la<br />

reconnaissance d’un droit de la consommation (56). Le nouveau Code<br />

prend acte de cette orientation et s’efforce d’établir un meilleur équilibre<br />

entre les parties à un contrat. La sécurité des rapports juridiques,<br />

même si elle demeure une préoccupation du législateur, ne doit pas<br />

l’emporter sur la recherche d’une justice contractuelle. Dans ce contexte,<br />

le contrat d’adhésion et le contrat de consommation reçoivent un encadrement<br />

plus strict (1435, 1436 et 1437, C.c.Q.), les clauses abusives<br />

dans les contrats de consommation ou d’adhésion sont sanctionnées par<br />

la nullité (1437, C.c.Q.), une clause excluant ou limitant la responsabilité<br />

d’une personne pour le préjudice corporel ou moral est sans effet<br />

(1474, al. 2, C.c.Q.) et le montant d’une clause pénale jugée abusive est<br />

(53) Sylvio Normand et Jacques Gosselin, « La fiducie du Code civil : un sujet<br />

d’affrontement dans la communauté juridique québécoise », (1990) 31, Les<br />

Cahiers de droit, 681-729.<br />

(54) Commentaires du ministre de la Justice, supra, note 24, p. 741.<br />

(55) Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives relativement<br />

à la publicité foncière, L.Q. 2000, c. 42, art. 13-15.<br />

(56) Loi de la protection du consommateur, L.Q. 1971, ch. 74.


éductible (1623, al. 2, C.c.Q.). Le Code s’efforce, en outre, d’équilibrer<br />

les relations entre le locateur et le locataire.<br />

Malgré le choix fait par le législateur en faveur d’une meilleure justice<br />

contractuelle, il refuse d’étendre substantiellement le champ de<br />

l’équité contractuelle. Le cas de la lésion illustre cette retenue. Dans<br />

son rapport, l’Office de révision du Code civil proposait de généraliser<br />

l’application de la lésion à l’ensemble de la pratique contractuelle,<br />

plutôt que de la limiter à la seule protection des mineurs, des<br />

majeurs protégés ou des consommateurs. Le législateur rejette cette<br />

proposition et demeure fidèle à l’énoncé du droit positif. Dans ses<br />

commentaires, le ministre justifie cette réserve par une crainte « de<br />

compromettre la stabilité de l’ordre contractuel, d’engendrer éventuellement<br />

certains abus et de diminuer dans une certaine mesure le<br />

sens des responsabilités des citoyens » (57).<br />

C.c.B.-C. O.R.C.C. C.c.Q.<br />

1012 – Les majeurs ne<br />

peuvent être restitués contre<br />

leurs contrats pour<br />

cause de lésion seulement.<br />

Livre 5, art. 37 – La lésion<br />

vicie le consentement<br />

lorsqu’elle résulte de l’exploitation<br />

de l’une des<br />

parties par l’autre et entraîne<br />

une disproportion<br />

sérieuse entre les prestations<br />

du contrat.<br />

La disproportion sérieuse<br />

fait présumer l’exploitation.<br />

1405 – Outre les cas expressément<br />

prévus par la<br />

loi, la lésion ne vicie le<br />

consentement qu’à<br />

l’égard des mineurs et des<br />

majeurs protégés.<br />

La dation en paiement à titre de garantie de l’obligation d’un débiteur<br />

faisait l’objet de vives critiques avant la recodification. Cette sûreté qui,<br />

dès lors qu’un débiteur était en défaut, permettait au créancier de prendre<br />

possession d’un bien dont la valeur pouvait dépasser le montant de<br />

la créance, possédait un effet rétroactif qui avait pour résultat de priver<br />

de tout droit le créancier postérieur à la constitution de la sûreté.<br />

L’amendement apporté au Code civil du Bas-Canada au cours des<br />

années 1960 dans le but d’atténuer la rigueur de la sûreté n’avait pas<br />

suffit à la rendre plus acceptable (1040a, C.c.B.-C.) (58). Aussi, le législateur<br />

a-t-il décidé de priver de son effet une clause de dation constituée<br />

sous forme de sûreté (1801, C.c.Q.).<br />

* * *<br />

Au terme de ce processus de modification du droit civil, la question de<br />

la pertinence d’un code dans une société postmoderne mérite d’être<br />

posée. En effet, alors que les valeurs de la société sont plurales et mouvantes,<br />

l’idée de les réduire en un code et de proclamer par surcroît le<br />

rôle central de ce code dans l’ordonnancement du droit peut paraître<br />

plus ou moins appropriée. Le nouveau Code semble pourtant avoir réussi<br />

à trouver sa place dans un environnement fait d’incertitude. La souplesse<br />

du Code et une culture juridique déjà ouverte à de nouvelles valeurs<br />

sous la pression des instruments de protection des droits et libertés<br />

fondamentaux ont probablement contribué à faciliter l’adaptation du<br />

Code aux mutations sociales. Cette qualité explique probablement l’intérêt<br />

manifesté par un certain nombre d’États qui ont vu dans le Code<br />

civil du Québec une source d’inspiration dans le processus de recodification<br />

qu’ils ont eux-mêmes entrepris.<br />

Sylvio NORMAND<br />

Faculté de droit de l’Université Laval<br />

Québec, Canada<br />

(57) Commentaires du ministre de la Justice, supra, note 24, p. 853.<br />

(58) Cette abréviation désigne le Code civil du Bas-Canada.<br />

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LE CODE CIVIL NÉERLANDAIS<br />

Les douze premières années<br />

I. — INTRODUCTION<br />

En 2004, au lieu de célébrer le bicentenaire du Code Napoléon, les<br />

Néerlandais commémorent plutôt les douze années révolues après l’entrée<br />

en vigueur de leur nouveau Code civil en 1992 (1). Plus précisément,<br />

ce sont les livres 3 (droit patrimonial en général), 5 (des droits<br />

réels) et 6 (partie générale du droit des obligations) ainsi que quelques<br />

titres du livre 7 (des contrats particuliers) de ce Code qui sont entrés en<br />

vigueur le 1 er janvier 2002. Auparavant, les livres 1 (de la famille et des<br />

personnes) (1970), 2 (des personnes morales) (1977) et 8 (des transports)<br />

(1991) étaient déjà entrés en vigueur (2). Après 1992, le livre 4<br />

(des successions) ainsi que presque tous les autres contrats particuliers<br />

ont suivi. Aux Pays-Bas, l’année 1992 signalait la fin du régime d’une<br />

codification d’inspiration française, un régime qui avait commencé<br />

avec l’introduction du Code Napoléon en 1811 (et d’un code similaire<br />

en 1806) et avait continué avec l’adoption en 1838 d’un Burgerlijk Wetboek<br />

fortement inspiré par le Code Napoléon. Ainsi, après vingt-huit<br />

années de vie commune (1811-1838) et 161 ans de vie presque commune<br />

(1804-1811, 1838-1992), les voies des Belges et des Luxembourgeois<br />

d’un côté et des Néerlandais de l’autre ont divergé (3).<br />

Dans cet essai, je veux faire le bilan de l’expérience néerlandaise de la<br />

recodification. Des questions multiples se posent. La recodification at-elle<br />

valu la peine? Quelle a été l’influence du nouveau Code sur le développement<br />

du droit? Comment les juristes ont-ils accepté de vivre<br />

avec le nouveau Code? L’introduction du nouveau Code a-t-elle détérioré<br />

la position des Néerlandais en matière d’harmonisation du droit privé<br />

à l’échelle européenne? Quelle a été le coût de l’exercice? Je ne pourrai<br />

pas analyser toutes ces questions. Je traiterai donc des thèmes suivants :<br />

pourquoi les Néerlandais ont-ils recodifié leur droit civil [II], comment<br />

s’est passé l’introduction du nouveau Code [III], quels ont été les développements<br />

depuis 1992 [IV], quelle est la place du droit civil parmi les<br />

autres domaines du droit [V] et la place du droit néerlandais en Europe<br />

[VI]. Je compte terminer par quelques conclusions, portant également<br />

sur les relations entre la Belgique et les Pays-Bas [VII]. Une question<br />

que je laisserai à part est celle de savoir si les Belges feraient bien de<br />

suivre l’exemple néerlandais (4) (5).<br />

(1) Les dix premières années étaient célébrées dans un numéro spécial du<br />

W.P.N.R. : « Tien jaar Nieuw B.W. », W.P.N.R., 6472, 2002, pp. 1-87.<br />

(2) Voy., Arthur S. Hartkamp, « The Development of Dutch Private Law in a<br />

European Perspective », in : Dutch and Japanese Laws Compared, Tokyo,<br />

1993, pp. 7-30, et B. Wessels, « Civil Code Revision in the Netherlands : System,<br />

Contents and Future, 41 », Netherlands International Law Review, 163-<br />

199, 1994.<br />

(3) Quoiqu’il y ait toujours la législation commune sur les astreintes, les marques<br />

et l’assurance de la responsabilité routière, etc., ainsi que la Cour Benelux;<br />

voy. infra, pt 7.<br />

(4) De temps en temps on rencontre des voix belges qui se prononcent pour la<br />

révision d’au moins une partie du Code civil belge : voy. par ex. dans ce sens,<br />

J.H. Herbots, « De codificatie in het privaatrecht », in Liber memorialis François<br />

Laurent 1810-1887, Bruxelles, Story-Scientia, 1989, pp. 467-472, ainsi<br />

que dans le même livre Christian De Wulf, « Over de wenselijkheid van de hercodificatie<br />

van het familiaal vermogensrecht », pp. 491-509, Yvette Merchiers,<br />

« Faut-il recodifier notre droit des contrats? », pp. 569-580, Irma Moreau-Margrève,<br />

« Faut-il réviser les dispositions du Code civil en matière de sûretés et<br />

dans l’affirmative, quelles seraient les grandes orientations d’une révision? »,<br />

pp. 581-604 et F. Van Neste, « Eigendom en zakenrecht anders opgevat - Proeve<br />

van herziening van artikelen 516 e.v., B.W. », pp. 643-660. Par contre, encore<br />

dans ce même livre, Roger O. Dalcq, « Une révision législative des<br />

articles 1382 à 1386 du Code civil est-elle souhaitable? », pp. 473-489, juge<br />

qu’une intervention du législateur ne se justifie vraiment pas, tandis que Johan<br />

2004<br />

235


2004<br />

236<br />

Cet aperçu sera limité à ces parties du Code civil qui sont entrées en vigueur<br />

en 1992. Ceci veut dire que le droit de la famille et des personnes,<br />

celui des personnes morales, le droit de la succession, une partie des<br />

contrats particuliers, la propriété industrielle et le droit international<br />

privé ne seront pas traités.<br />

II. — POURQUOI LES NÉERLANDAIS<br />

ONT-ILS RECODIFIÉ LEUR DROIT CIVIL?<br />

En 1947, le professeur E.M. Meijers s’est vu confier la charge de préparer<br />

une révision du Code civil néerlandais. Depuis des années,<br />

Meijers avait préconisé une telle révision; il n’était pas du tout content<br />

de la systématique du Burgerlijk Wetboek de 1838 (6). La grande<br />

majorité de la doctrine ne partageait pas ses opinions (7). En 1938 encore,<br />

à l’occasion du centenaire du Burgerlijk Wetboek, elle avait fait<br />

l’éloge du Code. Bien connues aux Pays-Bas sont les paroles de Paul<br />

Scholten, l’autre grand juriste de la première moitié du XX e siècle,<br />

selon lequel le Code est « een rustig bezit » (une possession tranquille)<br />

(8). C’est donc pour le moins surprenant que le gouvernement<br />

néerlandais ait confié cette commission à Meijers. Ce sont surtout<br />

des arguments politiques d’après-guerre qui peuvent expliquer ce développement<br />

(9). Meijers mourut en 1954, mais son travail fut continué<br />

par d’autres juristes. Le résultat en a été un nouveau code avec<br />

une nouvelle structure, comme par exemple une partie générale qui,<br />

d’après le BGB allemand, introduit l’acte juridique comme modèle.<br />

Le nouveau Code connaît un nombre de normes générales qui laissent<br />

une grande discrétion aux juges (10) . La division entre droit civil<br />

et droit commercial a été supprimée et une protection du consommateur<br />

a été intégrée dans le Code.<br />

La codification du droit a toujours fasciné les historiens du droit (11).<br />

Souvent, c’est à l’occasion d’un centenaire — ABGB (12), BGB (13),<br />

B.W. (14), Code civil (15) — ou même d’un bicentenaire (16), qu’ils<br />

sont appelés à se pencher sur l’origine du Code. Ce sera une étude<br />

des archives ou d’autres documents. Ces archives peuvent être détruites,<br />

comme l’illustrent les documents portant sur la codification<br />

japonaise (17). Mais même quand les archives sont disponibles, quel<br />

Gerlo, « Is hercodificatie van het familierecht wenselijk? », pp. 511-523 se déclare<br />

contre une recodification totale d’un régime qui est en train d’être révisé<br />

tout le temps.<br />

(5) Même en France, quelques auteurs audacieux préconisent l’élaboration<br />

d’un nouveau Code civil; voy., M. Grimaldi, L’exportation du Code civil, Pouvoirs<br />

n o 107, Paris, Seuil, 2003.<br />

(6) E.M. Meijers, Verzamelde privaatrechtelijke opstellen, I, pp. 93 et s., 109 et<br />

s.<br />

(7) P. Scholten, E.M. Meijers (éds.), Gedenkboek Burgerlijk Wetboek 1838-<br />

1938, Zwolle : W.E.J. Tjeenk Willink, 1938.<br />

(8) Paul Scholten, Verzamelde geschriften, III, 1951, p. 29.<br />

(9) Voy., P.C. Kop, « Motieven voor hercodificatie », in Liber memorialis<br />

François Laurent 1810-1887, Bruxelles, Story-Scientia, 1989, pp. 317-330.<br />

(10) H.C.F. Schoordijk, in Liber amicorum Jacques Herbots, Antwerpen :<br />

Kluwer, 2002.<br />

(11) Voy., Groninger Opmerkingen en Mededelingen, XII, Groningen 1995.<br />

(12) Festschrift zur Jahrhundertfeier am 1. Juni 1911, Wien, 1911.<br />

(13) Voy., sur le centenaire du Bürgerliches Gesetzbuch allemand : Mathias<br />

Schmoeckel, 100 Jahre B.G.B. : Erbe und Aufgabe, Neue Juristische Wochenschrift,<br />

1996, pp. 1697-1705; Hans Schulte-Nölke, « Die schwere Geburt des<br />

Bürgerlichen Gesetzbuchs », Neue Juristische Wochenschrift, 1996, pp. 1705-<br />

1709.<br />

(14) Gedenkboek Burgerlijk Wetboek 1838-1938, précité.<br />

(15) Le Code civil 1804-1904 - Livre du centenaire, Paris, 1904.<br />

(16) Voy. ce numéro spécial du Journal des tribunaux ainsi que Xavier Martin,<br />

Mythologie du Code Napoléon - Aux soubassements de la France moderne,<br />

Bouère, Martin Morin, 2003, 512 p.; par le même auteur, « Fondements politiques<br />

du Code Napoléon », R.T.D. civ., 2003, pp. 247-264.<br />

(17) Malcolm Smith, « The use and abuse of foresee ability : some observations<br />

on judicial law making in the common law system », in Wege zum japa-<br />

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dommage qu’un Portalis, un Tronchet, un Napoléon ne soient plus en<br />

vie, afin qu’ils puissent répondre à nos questions. Dans le cas du<br />

Code civil néerlandais, l’histoire orale est toujours une solution.<br />

Quoique l’histoire du projet de codification date des années quarante<br />

du dernier siècle, il y a toujours des juristes qui ont participé aux travaux<br />

qui sont en vie. Dans sa thèse de doctorat soutenue à l’Université<br />

de Maastricht, Evert Florijn a retracé l’histoire de l’idée de recodification<br />

aux Pays-Bas depuis 1838 (18). Dans son étude, Florijn arrive<br />

à la conclusion qu’un projet tel que la recodification devrait être<br />

fini rapidement : « Studying too long simply means that the problems<br />

increase and that the original plan gets lost » (19). Cependant on peut<br />

également constater que la période de gestation extrêmement longue<br />

de la recodification néerlandaise a eu des avantages, comme j’espère<br />

le démontrer maintenant.<br />

III. — UNE NAISSANCE SANS PROBLÈMES<br />

L’introduction du nouveau Code civil a longtemps été une question discutée<br />

avec passion aux Pays-Bas. Des avocats et des juges espéraient à<br />

une retraite anticipée afin d’échapper aux cours de recyclage qui étaient<br />

organisés avec l’aide du ministère de la Justice. Une nouvelle revue juridique<br />

était fondée (20). Mais l’introduction du nouveau Code n’a pas<br />

été l’apocalypse, prévue par quelques auteurs (21). Au contraire, on<br />

peut dire que le droit civil est devenu plus accessible, plus compréhensible.<br />

Il n’est pas vrai qu’il n’y a pas eu des problèmes. Le remplacement<br />

du système des sûretés par un nouveau régime a causé des ennuis<br />

(22). De même, la protection de l’acquéreur de mauvaise foi a été fortement<br />

critiquée (23). Mais en général, l’entrée en vigueur s’est passée<br />

tranquillement.<br />

Ceci peut être attribué à la présence d’une infrastructure impressionnante<br />

en 1992. Les travaux parlementaires étaient accessibles facilement<br />

[1], les grands commentaires traitaient déjà du nouveau Code [2], la jurisprudence<br />

anticipait l’entrée en vigueur du Code [3] et une nouvelle<br />

génération de juristes recevait un enseignement sur le nouveau droit [4].<br />

Il faut ajouter que quelques articles innovateurs du nouveau Code n’ont<br />

guère été utilisés [5]. Le pouvoir discrétionnaire attribué aux juges a<br />

également été utilisé avec modération [6].<br />

1. — L’accessibilité<br />

Il s’est avéré important de rendre accessible à tous les travaux préparatoires.<br />

C’est ce que les fonctionnaires du ministère ont préparé (24). Un<br />

nischem Recht - Festschrift Kitagawa, Berlin : Duncker & Humblot, 1992,<br />

p. 523, 524.<br />

(18) E.O.H.P. Florijn, Ontstaan en ontwikkeling van het nieuwe Burgerlijk Wetboek,<br />

thèse de doctorat, Maastricht, Universitaire Pers, 1994, 583 p.<br />

(19) Florijn, op. cit., p. 570.<br />

(20) Kwartaalbericht Nieuw B.W., maintenant intitulé Nederlands Tijdschrift<br />

voor Burgerlijk Recht.<br />

(21) D’après J.M. van Dunné, E.A.A. Luijten, P.A. Stein, Kosten en tekortkomingen<br />

van het Nieuw Burgerlijk Wetboek (boeken 3, 5 en 6), Rapport uitgebracht<br />

aan de vaste Commissie voor justitie van de Tweede Kamer, Amhern,<br />

1990, p. 9; les coûts de l’introduction de l’ordre de 7 millions HFL (plus de<br />

3.000.000 €) pour les cinq premières années et de 15 million HFL (plus de<br />

6.500.000 €) pour les vingt premières années.<br />

(22) Hoge Raad, 19 mai 1995, N.J., 1996, n o 119, note W.M. Kleijn, N.T.B.R.,<br />

1995, p. 207, note E.B. Rank-Berenschot, Keereweer q.q. c. Sogelease.<br />

(23) C.J.H. Brunner, « Dief wordt eigenaar », in Quod licet - Mélanges Kleijn, Deventer,<br />

Kluwer, 1992, pp. 45-53; c. P. Neleman, « Thieves’ paradise revisited », in<br />

C.J.H.B. - Mélanges Brunner, Deventer, Kluwer, 1994, pp. 293-302.<br />

(24) Parlementaire Geschiedenis van het Nieuwe Burgerlijk Wetboek, édité par<br />

C.J. van Zeben, J.W. du Pon, M.M. Olthof et plus tard par W.H.M. Reehuis et<br />

E.E. Slob.


précédent a été la publication en 1907-1909 des travaux préparatoires<br />

concernant le contrat de travail (25). Ce qui ne veut pas dire que ces travaux<br />

seront toujours décisifs quand une question d’interprétation se manifestera<br />

(26).<br />

2. — Les commentaires<br />

Depuis longtemps déjà la doctrine néerlandaise a été très active en matière<br />

de recodification. Dès la publication des avant-projets, les grands<br />

commentaires, tels que la série Asser, ont traité des nouveaux textes.<br />

3. — L’interprétation par voie d’anticipation<br />

Non seulement la doctrine mais également la jurisprudence ont facilité<br />

l’introduction du nouveau Code. Elles ont fait ceci en utilisant, si possible,<br />

la nouvelle terminologie — par exemple « redelijkheid en<br />

billijkheid » au lieu de « goede trouw » en droit des obligations — mais<br />

surtout en considérant les (avant-)projets de loi comme l’expression des<br />

« verkeersopvattingen » (27).<br />

L’interprétation anticipée n’était pas tout à fait nouvelle (voy., l’arrêt<br />

Lindenbaum c. Cohen) (28), mais ce n’est qu’avec le nouveau Code civil<br />

que cette méthode d’interprétation s’est répandue (29).<br />

4. — L’enseignement du droit nouveau<br />

Déjà dès 1983, quelques facultés de droit ont changé leur enseignement<br />

du droit ancien au droit futur. Ceci a sans doute influencé l’avènement<br />

du nouveau Code. D’abord, les jeunes juristes avec le nouveau droit en<br />

tête ont su apaiser les doutes des cabinets d’avocats sur cette révolution.<br />

Et puis le fait qu’un nombre de facultés enseignait déjà le nouveau droit<br />

a peut-être influencé la décision (après une longue bataille de quelques<br />

antagonistes du nouveau Code) du Parlement de donner son accord.<br />

Enfin, l’enseignement du nouveau Code nécessitait l’élaboration de<br />

nouveaux grands commentaires (30). Un développement inverse a été la<br />

« traduction » des anciens « grands arrêts » dans une terminologie moderne<br />

(31).<br />

(25) A.E. Bles, De Wet op de arbeidsovereenkomst, 4 vol., La Haye, 1907-<br />

1909.<br />

(26) V. W.H.M. Reehuis « De wil van de wetgever : over het gezag van wettekst<br />

en parlemantaire geschiedenis », in : Rechtsvinding onder het N.B.W. -<br />

Een Groningse kijk op het nieuwe vermogensrecht, Deventer, Kluwer, 1992,<br />

pp. 57-72, ainsi que mon exposé « De fiskale waardering van emolumenten in<br />

Engeland », in Heden verschene voor mij..., Mélanges Soons, Arnhem, Gouda-<br />

Quint, 1995, pp. 3-16.<br />

(27) Hoge Raad, 27 avril 1984, N.J., 1984, n o 679, note W.C.L. van der Grinten,<br />

Helder c. N.V.B.<br />

(28) Hoge Raad, 31 janv. 1919, N.J., 1919, n o 161.<br />

(29) Hoge Raad, 7 mars 1980, N.J., 1980, n o 353, note G.J. Scholten.<br />

(30) Entre autres, P. Clausing, Korte inleiding tot het vermogensrecht onder het<br />

Nieuw B.W., Groningen 1984; C.C. van Dam et E.H. Hondius (éd.), Het Nieuw<br />

B.W. in 400 trefwoorden, Deventer, Kluwer, 1990; A.S. Hartkamp, Compendium<br />

van het vermogensrecht volgens het nieuwe burgerlijk wetboek, 5 e éd.,<br />

Deventer, Kluwer, 1999; E.H. Hondius et C.C. van Dam, Het Nieuw B.W. in<br />

perspectief, Zwolle, W.E.J. Tjeenk Willink, 1990; W.M. Kleijn et J.D.A. den<br />

Tonkelaar (éd.), 101 Praktijkvragen nieuw B.W., Zwolle, W.E.J. Tjeenk Willink,<br />

1991; W.M. Kleijn, H.J. Snijders, W.Th. Braams, R.S. Meijer,<br />

H. Wammes (éd.), Overzicht vermogensrecht naar huidig B.W., Arnhem, Gouda-Quint,<br />

1992; R.S. Meijer et al., Wegwijzer nieuw B.W., 5 vol., Zwolle,<br />

W.E.J. Tjeenk Willùik, 1992; B.W.M. Nieskens-Isphording, J.G.A. Linssen,<br />

A.C. van Schaick, H.A.W. Vermeulen, Van nieuw B.W. naar B.W., Zwolle,<br />

1993; B.W.M. Nieskens-Isphording, H.A.W. Vermeulen, J.G.A. Linssen,<br />

A.C. van Schaick, B.W. in beeld, Zwolle, 1993; R. Zwitser, N.B.W. in 100 uur,<br />

2 e éd., Arnhem, Gouda Quint, 1991.<br />

(31) Voy., E.H. Hondius et G.E. van Maanen (éds.), Civiele klassiekers revisited<br />

- Van Blaauboer/Berlips tot Breda/Antonius, Deventer, Kluwer, 2003, 258 p.<br />

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5. — Une application modérée<br />

Il faut également dire que la jurisprudence a été prudente dans l’application<br />

des nouveaux pouvoirs discrétionnaires. Un exemple est<br />

l’article 258 du livre 6 portant sur l’imprévision dont le premier paragraphe<br />

énonce : « Le juge peut, à la demande de l’une des parties, modifier<br />

les effets du contrat ou le résilier en tout ou en partie en raison de<br />

circonstances imprévues d’une nature telle que, d’après les critères de<br />

la raison et de l’équité, l’autre partie ne peut s’attendre au maintien intégral<br />

du contrat. La modification ou la résiliation peut être accordée<br />

avec effet rétroactif ».<br />

Cette faculté a été interpretée comme ultimum remedium par la jurisprudence<br />

néerlandaise (32). Il en est de même en ce qui concerne la possibilté<br />

de déroger au contrat et à la loi prévue par l’article 248, deuxième<br />

paragraphe, du livre 6 qui se lit comme suit : « La règle à laquelle leur<br />

rapport est soumis par l’effet du contrat ne s’applique pas dans la mesure<br />

où, en la circonstance, cela serait inacceptable d’après les critères de<br />

la raison et de l’équité ».<br />

6. — Le développement du droit par la jurisprudence<br />

On aurait pu croire que le nouveau Code ne laisse point de possibilité à<br />

un raisonnement par voie d’analogie. Mais c’est un des auteurs du nouveau<br />

Code, A.S. Hartkamp, qui dans son discours inaugural à l’Université<br />

d’Utrecht a défendu la thèse selon laquelle en interprétant le nouveau<br />

Code, le raisonnement par analogie est permis (33).<br />

7. — Le droit transitoire<br />

Le succès de l’introduction est également dû à un système de droit transitoire<br />

très réussi. L’idée principale a été que la transition devait être<br />

aussi rapide que possible (34).<br />

IV. — LE DÉVELOPPEMENT DU DROIT CIVIL<br />

APRÈS 1992<br />

D’après Portalis, un Code n’est jamais fini. Le Code civil néerlandais<br />

a déjà été modifié à maintes reprises depuis 1992. Quelques exemples<br />

en sont l’introduction d’une action collective, le recours de<br />

l’employeur, la responsabilité pour infractions à l’environnement, la<br />

responsabilité routière, les contrats spécifiques, le droit des successions,<br />

la protection de la propriété culturelle et la protection du consommateur.<br />

Une des conséquences du vieillissement d’un Code peut être que la jurisprudence<br />

développe elle-même un régime qui n’est plus basé sur le<br />

Code qu’en théorie. Ce développement s’est produit aux Pays-Bas.<br />

Avec un nouveau Code moderne, on pouvait espérer que la jurisprudence<br />

deviendrait plus prudente. Ceci n’a pas été le cas aux Pays-Bas. Quelques<br />

exemples peuvent se trouver dans la jurisprudence en matière de<br />

causalité multiple.<br />

(32) Hoge Raad, 27 april 1984, N.J. 1984, n o 679, note W.C.L. van der Grinten.<br />

(33) A.S. Hartkamp, « Wetsuitleg en rechtstoepassing na de invoering van het<br />

nieuwe Burgerlijk Wetboek », discours inaugural Utrecht, Deventer, Kluwer,<br />

1992.<br />

(34) Voy., H.L. van der Beek, Overgangsrecht nieuw Burgerlijk Wetboek, thèse<br />

de doctorat Maastricht, Deventer, Kluwer, 1992.<br />

2004<br />

237


2004<br />

238<br />

1. — Causalité multiple<br />

En matière de causalité multiple le Hoge Raad a développé une protection<br />

solidaire (35) qui va encore plus loin que la jurisprudence californienne<br />

dite « market share » dans l’arrêt Sindell c. Abbott Laboratories<br />

(36).<br />

2. — Responsabilité routière<br />

En matière de la responsabilité des automobilistes encore, le Hoge Raad<br />

a développé toute une jurisprudence qui vise à protéger les piétons et cyclistes<br />

(37). A l’inverse du législateur belge, le législateur néerlandais<br />

n’a toujours pas encore réussi à légiférer sur cette question.<br />

3. — Environnement<br />

En matière d’environnement, le Hoge Raad a plutôt délimité la responsabilité<br />

du pollueur à sa propre propriété, en ce sens qu’une telle responsabilité<br />

ne sera pas facilement admise pour la pollution produite avant<br />

le 1 er janvier 1975 (38). Cette jurisprudence semble avoir beaucoup en<br />

commun avec un arrêt de règlement.<br />

4. — Amiante<br />

En matière de responsabilité d’employeurs qui ont utilisé de l’amiante,<br />

le Hoge Raad a été très sévère. Dans l’arrêt Cijsouw c. De Schelde<br />

(39), la Cour a renversé le fardeau de la preuve. Dans l’arrêt Van Hese<br />

c. De Schelde, la Cour a admis la possibilité qu’une entreprise ne<br />

peut pas se prévaloir de la prescription en cas de responsabilité délictuelle<br />

(40).<br />

Cette jurisprudence démontre donc que la Cour de cassation néerlandaise<br />

ne veut plus se séparer du pouvoir quasi législatif dont elle s’était<br />

dotée dans la période avant 1992 (41).<br />

V. — LA STRUCTURE DU DROIT<br />

La recodification du droit civil a posé quelques questions de structure :<br />

quelle est la relation avec le droit de procédure civile, avec le droit administratif,<br />

avec le droit constitutionnel, avec la self-regulation? En matière<br />

de frontière entre droit matériel et droit procédural, le nouveau<br />

Code est très pragmatique. Plusieurs sujets ont régulièrement changé de<br />

place. C’est le cas par exemple pour l’astreinte, qui d’abord était réglée<br />

dans le Code civil, mais a finalement trouvé sa place dans le Code de<br />

procédure civile. Juste après la recodification du droit civil, un Code de<br />

droit administratif a été élaboré, ou plûtot est encore en élaboration. Il<br />

y a un grand nombre de références au Code civil dans le Code administratif;<br />

par contre, le Code civil a été critiqué pour une certaine absence<br />

de références au droit administratif. Ce qui frappera l’observateur étran-<br />

(35) Hoge Raad, 9 oct. 1992, N.J., 1994, n o 535, note C.J.H. Brunner, DES.<br />

(36) 607, P2d, 924.<br />

(37) Hoge Raad, 28 févr. 1992, N.J., 1993, n o 5, note C.J.H. Brunner, IZA c.<br />

Vrerink.<br />

(38) Hoge Raad, 25 avril 1992, N.J., 1993, n o 643, Van Wijngaarden c. Etat.<br />

(39) Hoge Raad, 25 avril 1992, N.J., 1993, n o 686, note P.A. Stein.<br />

(40) Hoge Raad, 28 avril 2000, N.J., 2000, n o 430, note A.R. Bloembergen.<br />

(41) J.K. Franx, De Hoge Raad : voorgaan, doorgaan of omgaan, Studiekring<br />

« Prof Mr. J. Offerhaus », nieuwe reeks nr 1, Deventer, Kluwer, 1994.<br />

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ger, mais qui est tout à fait naturel pour un juriste néerlandais, est l’intégration<br />

du droit commercial dans le Code civil (42).<br />

Enfin, une distinction majeure entre d’un côté le droit néerlandais et de<br />

l’autre presque tous les autres systèmes européens consiste dans l’absence<br />

d’un contrôle constitutionnel aux Pays-Bas (43). Il n’y a pas de<br />

Cour d’arbitrage ni même un contrôle constitutionnel par la Cour de<br />

cassation, sauf en matière de traités internationaux. Comme la Convention<br />

européenne des droits de l’homme figure entre autres parmi les<br />

Traités, ce contrôle est quand même assez important (44).<br />

La doctrine européenne s’est penchée sur la question de savoir si le droit<br />

néerlandais est maintenant passé de la famille française à la famille germanique.<br />

Ceci n’est pas le cas d’après le juriste allemand Ulrich<br />

Drobnig :<br />

« Das niederländische Neue Bürgerliche Gesetzbuch hat einige Strukturelemente<br />

und einige materielle Prinzipien aus dem deutschen Recht<br />

übernommen oder hat sie eigenständig entwickelt. Es ist jedoch keineswegs<br />

ein Mitglied der deutschen Rechtsfamilie geworden » (45).<br />

VI. — L’EXPORTATION<br />

DU CODE CIVIL NÉERLANDAIS (46)<br />

Un des arguments contre la recodification néerlandaise fut le fait qu’à<br />

l’heure actuelle une harmonisation du droit privé semble être en cours<br />

en Europe (47). En vérité, le fait que la codification néerlandaise soit la<br />

plus moderne d’Europe a beaucoup a grandi son influence sur l’élaboration<br />

de ce droit (48). En Russie et dans les anciens Etats de l’Union<br />

soviétique, l’influence du droit néerlandais a été grande (49).<br />

En ce sens il a été important que le Code fut traduit en plusieurs langues<br />

étrangères, telles que l’allemand (50), l’anglais, le français (51) et l’es-<br />

(42) Voy., R.J.Q. Klomp, Opkomst en ondergang van het handelsrecht, thèse de<br />

doctorat Amsterdam, Nimègue, Ars Aequi, 1998, 255 p.<br />

(43) Sur la Cour d’arbitrage, voy. récem., Paul Martens, « La Cour de cassation<br />

et la Cour d’arbitrage - Les paradoxes du respect », in Imperat lex - Liber amicorum<br />

Pierre Marchal, Bruxelles, Larcier, 2003, pp. 97-120.<br />

(44) Voy., J.M. Smits, Constitutionalisering van het vermogensrecht, preadvies<br />

Nederlandse Vereniging voor Rechtsvergelijking, Deventer, Kluwer, 2003,<br />

pp. 1-163.<br />

(45) U. Drobnig, « Das neue niederländische bürgerliche Gesetzbuch aus vergleichender<br />

und deutscher Sicht », Rev. eur. dr. privé 1993, pp. 171 et 187.<br />

(46) Voy., W.J. Zwalve, « De Zwitserse les », in Rechtsvinding onder het<br />

N.B.W. - Een Groningse kijk op het nieuwe vermogensrecht, Deventer, Kluwer,<br />

1992, pp. 41-55.<br />

(47) D’après J.H. Dalhuisen, « Wat is vreemd recht? », discours inaugural<br />

Utrecht, Deventer, Kluwer, 1991, p. 11 : « Heeft het weinig zin om op dit late<br />

uur nog eens met een geheel nieuw comprehensief lokaal wetboek aan te komen<br />

zeker niet in een zo klein rechtsgebied als het onze ». Voy. égalem.,<br />

J.M. van Dunné, « The use of comparative law by the legislator in the<br />

Netherlands », in Netherlands Reports to the Eleventh International Congress<br />

of Comparative Law, Caracas 1982, Deventer, Kluwer, 1982, p. 43.;<br />

G.H.A. Schut, RM Themis, 1992, p. 2; B. Wachter, « Elk volk krijgt het recht<br />

dat bij zijn aard past », discours d’adieu Tilburg, Zwolle, W.E.J. Tjeenk Willink,<br />

1992, p. 22 : « Meent men werkelijk dat ons land met het voor buitenlanders<br />

moelijk toegankelijke nieuwe B.W. een inbrengf van enige betekenis kan<br />

hebben? ».<br />

(48) D.C. Fokkema, « De invloed van de rechtsvergelijking op de ontwikkeling<br />

van het nieuwe B.W. », Nederlands Juristenblad, 1983, pp. 1223-1227.<br />

(49) W.A. Timmermans, « Nederlandse invloed op het nieuwe Russische<br />

B.W. », in B.W.-krant, Jaarboek 13, Deventer, Gouda Quint, 1997, pp. 95-112.<br />

(50) F. Nieper, A.S. Westerdijk (éds.), Niederländisches Bürgerliches Gesetzbuch,<br />

München-The Hague-London-Boston, Buch 2, Juristische Personen,<br />

1995; Bücher 6, Allgemeiner Teil des Schuldrechts, 7 und 7A, Besondere Verträge,<br />

1995; Bücher 3, Allgemeiner Teil des Vermögensrechts, 4, Erbrecht,<br />

5, Sachenrecht, 1996; Buch 1, Personen- und Familienrecht, 1996.<br />

(51) P.P.C. Haanappel, Ejan Mackaay, New Netherlands Civil Code — Nouveau<br />

Code civil néerlandais, Deventer, Kluwer 1990, avec suppléments.


pagnol. La nouvelle codification a également fait couler de l’encre aux<br />

juristes néerlandais, dans les introductions générales au droit néerlandais<br />

(52) des rapports nationaux pour les congrès de l’Académie internationale<br />

de droit comparé, dans leurs monographies et dans des articles<br />

parues dans les revues étrangères.<br />

Ce qui est également important est le fait que les juristes étrangers donnent<br />

assez souvent des références au nouveau droit néerlandais. Ceci est<br />

le cas en Belgique, surtout dans la doctrine néerlandophone (53), mais<br />

également en Allemagne (54).<br />

VII. — LE FUTUR<br />

En guise de conclusion, nous émettrons à quelques observations. Le sort<br />

du nouveau Code néerlandais démontre que les historiens du droit ne<br />

devraient pas attendre le centenaire d’une loi importante avant d’entamer<br />

des recherches. Il vaut mieux commencer ces recherches dès l’entrée<br />

en vigueur du nouveau texte [II]. Cet essai démontre que la voie excessivement<br />

longue de la recodification néerlandaise a eu des avantages<br />

(55) en ce sens que la jurisprudence, la doctrine et l’enseignement juridique<br />

ont pu préparer la pratique à l’entrée en vigueur. L’expérience<br />

néerlandaise démontre que le droit transitoire est extrêmement important<br />

pour garantir une transition sans problèmes [III]. Après l’introduction<br />

du nouveau Code, le Hoge Raad n’a pas voulu restreindre son rôle<br />

d’innovateur du droit civil, ainsi qu’en témoignent des arrêts rendus en<br />

matière de causalité multiple, responsabilité routière, environnement et<br />

amiante [IV]. La recodification du droit civil a posé quelques problèmes<br />

de structure, mais le développement qui est peut-être le plus important<br />

pour un observateur étranger, à savoir la fusion des droits civil et commercial,<br />

est passé presque inaperçu aux Pays-Bas [V]. En Europe, au<br />

lieu de devenir un cast-out, le nouveau Code civil s’est montré un produit<br />

d’exportation qui a servi comme modèle pour un certain nombre de<br />

pays autrefois socialistes [VI].<br />

Ceci nous amène aux relations entre la Belgique et les Pays-Bas. Le fait<br />

qu’en 1992, les Pays-Bas ont quitté leur Code d’inspiration française signifie-t-il<br />

la fin des relations? Ce ne semble pas être le cas. D’abord, il<br />

y a un nombre de lois communes et même une Cour commune (56).<br />

Puis, il y aura toujours « l’Association avec le nom très long », la Vereniging<br />

voor de vergelijkende studie van het recht van België en Nederland<br />

(57). Cette association se réunit tous les ans et les « preadviezen »<br />

portant sur le droit civil sont publiés dans la T.P.R. (58).<br />

Le nombre de Belges qui ont été appelés à une chaire néerlandaise a toujours<br />

été grand; des noms tels que De Ly (Rotterdam), De Witte (Maas-<br />

(52) Voy. J.M.J. Chorus e.a. (éds.), Introduction to Dutch Lawfor Foreign<br />

Lawyers, 3 e éd., La Haye, 1999.<br />

(53) Voy., les articles parues dans la Tijdschrift voor Privaatrecht ainsi que<br />

Walter de Bondt, « Het nieuwe Nederlandse Burgerlijk Wetboek - Verleden, heden,<br />

toekomst », R.W., 1994-1995, pp. 761-773.<br />

(54) O. Remien, « Das neue Burgerlijk Wetboek der Niederlande und seine<br />

Erschliessung durch die Rechtsliteratur », Zeitschrift für Europäisches Privatrecht,<br />

1994, pp. 187-195.<br />

(55) Comme le dit l’ancien joueur de football Johan Cruyff : « elk nadeel heb<br />

zijn voordeel ».<br />

(56) Voy., W.J.M. Davids, « Het Benelux-Gerechtshof en het Hof van Justitie<br />

van de Europese Gemeenschappen », in Imperat lex - Liber amicorum Pierre<br />

Marchal, Bruxelles, Larcier, 2003, pp. 15-35.<br />

(57) Voy., B. Van Camp et C.J.H. Jansen, « De lotgevallen van de Vereniging<br />

voor de vergelijkende studie van het recht in België en Nederland », in<br />

Jubileumbundel : 1947-1997, Deventer, W.E.J. Tjeenk Willink, 1997, pp. 1-<br />

18.<br />

(58) Voy. récem., Hubert Bocken, Ingrid Boone, « Causaliteit in het Belgische<br />

recht », T.P.R., 2002, pp. 1625-1693 et J.H. Nieuwenhuis, « Eurocausaliteit »,<br />

T.P.R., 2002, pp. 1695-1736.<br />

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tricht), Faure (Maastricht), Mortelmans (Utrecht), Nihoul (Groningue),<br />

Stuyck (Nimègue), Van den Bossche (Nimègue), Van Gerven (Maastricht),<br />

Verbeke (Tilburg) et Vervaele (Utrecht) ne sont que quelques<br />

exemples. En sens inverse, le nombre semble plus petit; quelques noms :<br />

Broekman (Leuven), Kruithof (Anvers), Thorbecke (Gand), Wijffels<br />

(Louvain-la-Neuve). Puis, les universités entretiennent des relations<br />

cordiales. Je n’en mentionne que deux, ayant participé à leurs travaux.<br />

Depuis 1997, la Katholieke Universiteit Leuven, avec des collègues de<br />

Liège et de Louvain-la-Neuve, participe, avec les Universités d’Amsterdam,<br />

Maastricht et Utrecht, dans la Onderzoeksschool ius commune.<br />

Dans le cadre de ce « graduate school » international, des groupes de recherches<br />

publient des ouvrages collectifs (59). En 1967, avec les professeurs<br />

Feenstra (Leyde) et Bocken, Spanoghe et Marcel Storme<br />

(Gand) j’ai participé à la fondation d’un échange qui existe toujours. Le<br />

même Marcel Storme a fondé la chaire T.P.R. qui invite aux échanges<br />

de professeurs, tandis que « son » T.P.R. est très actif, en favorisant les<br />

contacts entre doctrines belge et néerlandaise. Les thèses de doctorat<br />

belges ont une longue tradition d’attention pour le droit néerlandais,<br />

comme le démontrent des thèses portant sur l’obligation de renseignement<br />

(60) et la faute de la victime (61). Quoique la majorité de ces initiatives<br />

soient d’origine néerlandophone, il existe également des initiatives<br />

francophones qui s’intéressent au droit néerlandais, telles que les<br />

Journées franco-belges (62).<br />

En sens inverse les juristes néerlandais sont actuellement plus enclins<br />

à étudier le droit belge. Quand par le passé un chercheur néerlandais<br />

avait à choisir les systèmes à comparer, le fait que le droit<br />

français était considéré comme mère de la famille le conduisait souvent<br />

à préférer le système français au droit belge. Mais lorsque le<br />

droit belge offrait son propre système, comme en matière de peine<br />

privée (63), de relation entre les litigants (64) ou de responsabilité<br />

routière (65), un autre choix se présentait. L’avènement d’un droit civil<br />

européen pourrait bien favoriser l’intérêt que les Néerlandais devraient<br />

avoir pour leurs voisins du Sud (66). Nous les félicitons à<br />

l’occasion du bicentenaire de leur Code civil.<br />

Ewoud HONDIUS (*)<br />

Professeur de droit civil à l’Université d’Utrecht<br />

Professeur invité à l’université de Gand<br />

(59) Voy. par ex., Jan Smits et Sophie Stijns (éds.), Totstandkoming van de<br />

overeenkomst naar Belgisch en Nederlands recht, Antwerpen/Groningen : Intersentia,<br />

2002, 291 p.<br />

(60) Annick De Boeck, Informatierechten en -plichten bij de totstandkoming<br />

en uitvoering van overeenkomsten, thèse Anvers, Anvers, Intersentia, 2000,<br />

572 p.<br />

(61) Britt Weyts, De fout van het slachtoffer in het buitencontractueel aansprakelijkheidsrecht,<br />

thèse Anvers, Anvers, Intersentia, 2003, 565 p.<br />

(62) M. Fontaine (éd.), Le processus de formation du contrat - Contributions<br />

comparatives et interdisciplinaires à l’harmonisation du droit européen,<br />

Bruxelles, Bruylant - Paris, L.G.D.J., 2002, 920 p.<br />

(63) H.N. Schelhaas, Het boetebeding in het Europese Contractenrecht - De<br />

balans tussen rechtszekerheid en bescherming, thèse de doctorat, Utrecht, Deventer,<br />

Kluwer, 2004 (à paraître).<br />

(64) B.Th.M. van der Wiel, De rechtsverhouding tussen procespartijen, thèse<br />

de doctorat, Leyde, Deventer, Kluwer, 2004, 436 p.<br />

(65) Martien van Dam, Verkeersongevallen, thèse de doctorat, Maastricht,<br />

2001.<br />

(66) Les Néerlandais peuvent également s’inspirer de l’intérêt que les Belges<br />

ont montré vis-à-vis de l’impact européen sur le droit privé : voy., H. Bocken<br />

e.a., De invloed van het Europees recht op het Belgisch recht, XXVIIIste postuniversitaire<br />

cyclus Willy Delva 2001-2002, Malines, Kluwer, 2003, 846 p.<br />

(*) L’auteur remercie Mme Hélène Hondius-Schoots de son aide précieuse.<br />

2004<br />

239


2004<br />

240<br />

LA LANGUE DU CODE CIVIL<br />

« Nos Codes sont des odes »<br />

Paul-Louis COURIER<br />

Les juristes ont toujours plaisir à rappeler que Stendhal, grand styliste<br />

s’il en fut, lisait deux ou trois pages du Code civil avant de se mettre à<br />

écrire (1). Et maints auteurs soulignent les qualités de forme du Code :<br />

« C’est au premier consul que nous devons le bienfait d’une législation<br />

qui, pour la clarté et la précision de la forme est un vrai chef-d’œuvre »<br />

(2); « La langue du Code est claire, simple, précise, les rédacteurs ont<br />

souvent usé de formules souples, ce qui a permis une évolution du droit<br />

par voie d’interprétation » (3); « Notre beau Code civil est devenu<br />

méconnaissable. Il disparaît sous la lave d’un volcan... Ce que je reproche<br />

à celles [les réformes] dont on affuble aujourd’hui le Code civil,<br />

c’est d’être inconsistantes quant au fond, et inélégantes dans la forme »<br />

(4); « La langue qui lui [au Code] sert d’expression est ferme et nette...<br />

Cette langue est volontairement brève et dépouillée » (5). On pourrait<br />

multiplier les citations (6).<br />

Votre serviteur a dès lors été surpris de trouver, sous la plume de l’éminent<br />

linguiste Ferdinand Brunot, un relevé sévère de défauts imputés à<br />

notre Code. Celui-ci est, apprenons-nous, infesté d’archaïsmes (7) :<br />

hoirie (art. 511), fruits industriels (8) (art. 547), servitudes urbaines (9)<br />

(art. 687), hardes (10) (art. 1492, 1495 et 1566), icelle (art. 2144),<br />

«etc.» (11), ajoute l’auteur (12). La syntaxe n’est pas davantage à<br />

l’abri de la critique : l’inversion du sujet (déjà archaïque en 1804) est<br />

fréquente (13), ensemble est employé comme préposition (14), un nom<br />

indéterminé n’est pas accompagné de l’article indéfini (acte reçu par of-<br />

(1) Ce n’est pas une légende. La réalité du fait est attestée par des lettres de<br />

Stendhal à Balzac et à Sainte-Beuve (voy. Brunot, Histoire de la langue française,<br />

t. XII, p. 190).<br />

(2) Laurent, Principes de droit civil, t. I, n o 1.<br />

(3) Weill et Terré, Droit civil - Introduction générale, n o 103.<br />

(4) Dekkers, avant-propos à la 3 e édition du tome IV du Traité de De Page, p. 1-2.<br />

(5) Encyclopédie Dalloz, Droit civil, v o « Code civil », n o 40.<br />

(6) Voy. notam., Pand. b., v o « Code civil », n o 147; P. Orianne, Introduction<br />

au système juridique, p. 102.<br />

(7) Brunot vise naturellement des mots (ou des emplois) constituant déjà des<br />

archaïsmes au moment de l’élaboration du Code.<br />

(8) Alors qu’il s’agit des produits de la culture.<br />

(9) L’adjectif s’applique à des bâtiments, qu’ils soient situés en ville ou à la<br />

campagne.<br />

(10) Mot employé ici au sens originaire (vers 1480) du terme, soit « ensemble<br />

des effets personnels (vêtements, linge et même meubles voyageant avec les<br />

bagages » (Grand Robert, éd. 2001). La signification actuelle (vêtements très<br />

pauvres, usagés) apparaît en 1771 (Grand Robert; Brunot, op. cit., t. VI, 2 e partie,<br />

p. 1344). La critique de Brunot à l’encontre du Code n’est toutefois pas entièrement<br />

convaincante : Littré, dont le dictionnaire est bien postérieur au<br />

Code, ne donne que le sens originaire. De même, en 1869, le père du roman policier,<br />

Gaboriau, emploie encore hardes dans ce sens (Monsieur Lecoq, éd. de<br />

la Bibliothèque mondiale, p. 305).<br />

(11) Par exemple, compéter (art. 137) constitue également un archaïsme (Brunot,<br />

op. cit., t. IX, p. 1048). L’expression si mieux n’aime est aussi assez désuète<br />

(art. 1086, 1638, 1653, 1716). Esdites villes (art. 663) est déjà archaïque en<br />

1804 : dès le XVII e siècle, ès n’est plus utilisé, en dehors d’emplois littéraires<br />

(volontairement archaïsants) ou ironiques, que dans des expressions toutes faites,<br />

comme docteur ès lettres (Grand Robert, éd. 2001; voy. aussi Littré et Bescherelle).<br />

(12) Op. cit., t. X, 2 e partie, p. 881.<br />

(13) En effet : voy. art. 391, 427, 428, 442, 444, 524, 526, 528, 529, 725, 727,<br />

897, 907, 909, 911, 975, 976, 979, 1049, 1596, 1653, 2107, 2108, 2118, 2136,<br />

2139, 2144, 2162, 2163, 2165, 2193.<br />

(14) Brunot cite l’expression ensemble les témoins, qu’il situe à l’art. 1401.<br />

Force est de constater que cette disposition ne contient pas ces termes, mais ensemble<br />

de tout le mobilier, ce qui est sans doute tout aussi archaïque. Ensemble<br />

de a ici simplement le sens de et. Pour le surplus, le juriste aime bien cette suppression<br />

de l’article : nombre d’auteurs parlent d’opposition à mariage (voy.<br />

par ex., Rigaux, Les personnes, t. I, n o 1272), alors même que le Code emploie<br />

opposition au mariage (art. 66 et ancien intitulé du ch. III du t. V du L. I).<br />

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ficiers publics : art. 1317 - comp. art. 1328; voy. aussi les art. 844 [venant<br />

à partage], 1027, 1083, 1250, 1335, 1341, 1852, 2033 et 2212).<br />

Brunot termine par l’analyse d’une phrase (en sous-entendant que beaucoup<br />

d’autres sont de la même encre) : « Tout ce que dessus sera fait de<br />

suite et sans divertir à autres actes » (art. 976). Voici son commentaire :<br />

« On voit le rapport qu’elle [la phrase] présente avec la langue usuelle :<br />

tout ce que dessus rappelle le temps lointain où le que neutre était sujet;<br />

de suite est du temps, mais c’est une nouveauté propre au milieu, et considérée<br />

comme incorrecte par les puristes (15); divertir ainsi suivi de à<br />

et d’un complément, et pris au sens de se détourner, est tout à fait<br />

archaïque ». Il termine par une phrase qui constitue sa seule concession<br />

aux qualités que l’on reconnaît habituellement au Code :<br />

« Heureusement que tout n’est pas écrit sur ce type » (16).<br />

Tout cela paraît sévère. La présence d’archaïsmes est certes incontestable.<br />

L’on rencontre également des expressions malheureuses, comme<br />

curateur au ventre (17) (art. 393), ambiguës (18) ou redondantes, comme<br />

caution bonne et solvable (art. 807) (19). Il y a aussi, çà et là, une<br />

disposition passablement obscure, comme l’article 918 (20), qui a<br />

d’ailleurs fait l’objet d’une loi interprétative. Il n’en demeure pas moins<br />

qu’une lecture systématique du Code incline à se rallier à l’opinion de<br />

Stendhal. On ne compte pas les dispositions claires ou heureusement didactiques<br />

(21). Le recours à un archaïsme est parfois évité là où il était<br />

tentant, par exemple quand l’article 25, aujourd’hui abrogé, réglait le<br />

sort des biens d’un condamné comme s’il était mort sans testament,<br />

alors qu’intestat menaçait. De même, les articles 724 et suivants parlent<br />

du défunt et non du de cujus. Le latin n’est pas utilisé (22), alors que les<br />

auteurs du Code avaient été nourris de culture latine. L’inversion du<br />

sujet n’est pas la règle. Le Code s’en abstient dans des cas où l’on aurait<br />

pu s’attendre à la rencontrer, c’est-à-dire dans des dispositions qui contiennent<br />

des énumérations (art. 674, 1124, 2271, 2272, 2277).<br />

Et depuis 1804 (23)? Si d’innombrables dispositions irréprochables<br />

quant à la langue sont toujours présentes, si le curateur au ventre et les<br />

hardes ont vécu, si des termes ou expressions corrects, mais vieillis<br />

(comme enfants de famille [art. 151] ou crue (24) [art. 825]), et des redondances<br />

(art. 838, 1483, 1513) ont disparu, s’il arrive qu’une loi nouvelle<br />

soit saluée comme un modèle pour le fond et la forme (25), en re-<br />

(15) De suite mérite de plus amples développements, auxquels on doit renoncer<br />

dans le cadre de la présente contribution. Mais on vous promet d’y consacrer<br />

un coup de règle (avant vingt ans!).<br />

(16) Loc. cit.<br />

(17) Personnage au nom « aussi grotesque qu’indécent » (De Page, t. II, 3 e éd.,<br />

n o 139).<br />

(18) Par exemple, quand l’article 302 disposait qu’après le divorce, la garde<br />

des enfants mineurs ne pouvait être modifiée qu’à la demande du procureur impérial<br />

ou de la famille. Cette formulation ne brillait pas par sa clarté.<br />

(19) Voy. aussi les art. 838 (tuteur spécial et particulier), 965 (clause qui sera<br />

regardée comme nulle et ne pourra produire aucun effet), 1483 (bon et fidèle),<br />

1513 (franc et quitte), 1676 (le délai court aussi et n’est pas suspendu), 1630,<br />

1673 et 1699 (frais et loyaux coûts).<br />

(20) Cf. le savoureux commentaire de De Page : « Les juristes rompus à leur<br />

discipline conseillent toujours à ceux (étudiants ou praticiens) qui veulent comprendre<br />

exactement le sens d’un texte de le lire d’abord très attentivement en<br />

en pesant tous les mots. Ici, on peut franchement dire que c’est peine perdue.<br />

L’article 918 reste d’un hermétisme absolu pour quiconque n’en a pas fait préalablement<br />

une étude approfondie » (t. VIII, vol. II, 1 e éd., n o 1456).<br />

(21) Voy., par ex., les art. 572, 696, 700, 716, 737, 738, 752, 778, 882, 894, 895,<br />

1101 à 1123, 2092, 2093, 2114.<br />

(22) Ou à peine. L’article 318 employait « tuteur ad hoc », là où « tuteur<br />

spécial » eût suffi (même formule à l’art. 159). Mais l’article 412 usait de l’expression<br />

mandataire spécial et l’article 838 utilisait celle de tuteur spécial.<br />

(23) Signalons ici que notre étude porte également sur les lois qui, sans s’intégrer<br />

dans la numérotation des articles du Code, font néanmoins partie de celui-ci, dont<br />

elles constituent un titre ou un chapitre. Insistons aussi, même si le lecteur doit<br />

s’en douter, sur le fait que, tant pour le texte initial du Code que pour les modifications<br />

qui y ont été apportées, l’on ne saurait ici faire œuvre exhaustive.<br />

(24) « Supplément de prix établi par ceux qui estimaient la valeur des meubles<br />

vendus aux enchères et cela en sus de la prisée » (Grand Robert, éd. 2001).<br />

(25) Dekkers émet cette opinion au sujet de la loi du 8 juillet 1924 sur la copropriété<br />

(avant-propos précité à la 3 e édition du tome IV du Traité de De Page).


vanche, une série de défauts sont encore bien là et, on s’en doute, la langue<br />

des nouvelles dispositions n’est pas toujours impeccable. Donnons<br />

quelques précisions.<br />

Des archaïsmes subsistent. Des dispositions rédigées avec inversion du<br />

sujet ou employant des mots vieillis, comme compéter ou ès (cf. supra),<br />

ou des expressions comme si mieux n’aime, n’ont pas été modifiées.<br />

Des termes ou des significations, qui n’étaient pas archaïques en 1804,<br />

mais qui le sont devenus, survivent : dettes actives, au lieu de créances<br />

(art. 531), recelé, au lieu de recel (art. 801), retour, au lieu d’ajout ou<br />

de supplément (art. 833), modifications, au lieu de restrictions<br />

(art. 1091), événement, au lieu de réalisation (art. 1182), en minorité et<br />

en majorité, au lieu de pendant sa minorité et de devenu majeur<br />

(art. 1311). Parfois, une loi récente use elle-même d’archaïsmes : « Le<br />

consentement mutuel des époux ne sera point admis si l’un d’eux a<br />

moins de vingt ans » (art. 275), « Le préciput n’est point regardé comme<br />

une donation, mais comme une convention de mariage » (art. 1458,<br />

al. 1 er ), le conjoint « n’est point comptable de ceux [les fruits] qui ont<br />

été consommés jusqu’alors » (art. 1467) (26), « l’usage commun de<br />

deux ou plusieurs héritages distincts appartenant à des propriétaires<br />

différents » (art. 577-2) (27), « Les congés, ... doivent à peine d’inexistence,<br />

être signifiés par exploit d’huissier de justice » (art. 57 de la section<br />

relative aux baux à ferme) (28).<br />

De nouvelles dispositions recourent allégrement à l’inversion du sujet<br />

(art. 170, 224, 319, 378, 397, 398, 487ter, 488bis-b, 577-4, 1322, 1399,<br />

1400, 1401, 1405, 1407, 1408, 1414, 1690, 1952, 1954ter; art. 4, 35 et<br />

135 de la loi hypothécaire; art. 1 er , al. 2, de la section II du chapitre II<br />

du titre VIII du livre III [baux relatifs à la résidence principale du preneur];<br />

art. 2 de la section IIbis du même chapitre [baux commerciaux];<br />

art. 1 er , 2, 7, 9, 10, 12, 20, 28, 30, 37, 53 et 56 de la section III du même<br />

chapitre [baux à ferme]).<br />

Des expressions nouvelles sont peu heureuses (minorité prolongée) (29)<br />

ou éléphantesques (personne mise sous statut de minorité prolongée).<br />

On constate aussi des escamotages injustifiés de l’article : empêchement<br />

à mariage (art. 63, § 3, al. 2, 313, § 2, 314, al. 2, 321, 325; comp.<br />

art. 370, § 1 er , al. 2, et § 4), pour raisons graves (art. 165, § 2, al. 1 er ),<br />

sur base (art. 1728bis, § 1 er , al. 1 er , et art. 37, § 2, de la section relative<br />

aux baux à ferme) (30).<br />

Le déclin du latin n’empêche pas le tuteur ad hoc de s’enraciner<br />

(art. 232, al. 2, 331sexies, 348, §§ 1 er et 2, 378, al. 3, 404, 480, al. 2;<br />

comp. art. 355, al. 3, et 410, § 1 er , 12 o ).<br />

On relève l’une ou l’autre redondance. Ainsi, il est bien inutile, de préciser<br />

qu’un héritier peut être tenu de donner caution bonne et solvable<br />

(art. 807, modifié en 1967, avec conservation de la redondance). De<br />

même, quand l’on donne des exemples, précédés par tels que, il est superflu<br />

d’en faire suivre la liste par etc. (art. 7 de la section relative aux<br />

baux à ferme) (31).<br />

Des constructions sont ambiguës, maladroites ou peu rigoureuses.<br />

Quand nous apprenons que « Le juge de paix tutélaire est immuable »<br />

(art. 390, al. 2), nous comprenons que c’est le for tutélaire qui est im-<br />

(26) Quand il n’est ni littéraire ni régional, point, au sens de pas, est<br />

aujourd’hui archaïque (Hanse, Nouveau dictionnaire des difficultés du français<br />

moderne, v o «Pas»).<br />

(27) En ce sens, héritage est vieilli (voy. Grand Robert, éd. 2001) et incompréhensible<br />

du profane.<br />

(28) Exploit constitue un terme technique, c’est entendu. Mais, dans ce sens, il<br />

est vieilli et surtout comique. L’on fait mieux d’utiliser simplement acte, que<br />

tout le monde comprend. Voy. aussi les art. 7, 10 et 21 de la section relative aux<br />

baux commerciaux.<br />

(29) La minorité prolongée débute la plupart du temps bien avant que l’intéressé<br />

atteigne l’âge de la majorité et le statut dit de minorité prolongée, caractérisé<br />

par une incapacité plus étendue que celle du mineur, débute dès que la mise<br />

sous ce statut a été décidée.<br />

(30) Bien que sur base soit très répandu, c’est « sur la base » qu’il faut écrire<br />

(voy. Hanse, op. cit., v o «Base»).<br />

(31) Voy. aussi l’art. 915bis, § 2, al. 2 (contre sa volonté empêché).<br />

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muable, mais la formulation légale ne fait pas moins sourire. On sourit<br />

aussi quand on lit que le bailleur peut mettre fin au bail « au cours de<br />

chacune des périodes successives de bail, à l’exclusion de la première<br />

et de la deuxième » (art. 8, § 1 er , de la section relative aux baux à ferme)<br />

(32). Autre exemple, les deux dernières phrases de l’article 1395, § 1 er ,<br />

alinéa 1 er , sont rédigées comme suit : « Les époux comparaissent ensemble<br />

et en personne. Lorsque ceux-ci doivent être établis, ils produisent<br />

les actes contenant inventaire de leurs biens et dettes et règlement<br />

de leurs droits respectifs ». On se doute que ceux-ci renvoie aux actes<br />

qui vont être cités et non aux époux. Il n’empêche que la rédaction est<br />

malencontreuse. Elle l’est tout autant à l’article 1395, § 4, où nous lisons<br />

qu’« En cas de liquidation ou de transfert des biens immeubles<br />

d’un patrimoine à un autre, il convient de constater ceci par acte devant<br />

notaire. » Que vise ceci? Sans doute la liquidation et le transfert des<br />

biens. La formulation aurait néanmoins pu être plus claire, d’autant que<br />

ceci annonce ce qui va suivre (33)(34). Maladresse encore à l’article 10,<br />

alinéa 5, de la section relative aux baux commerciaux : « Le preneur<br />

peut, à peine de forclusion, se pourvoir dans les quinze jours de<br />

l’opposition ». Les termes à peine de forclusion eussent été mieux placés<br />

à la fin de la phrase (comp. d’ailleurs les art. 16 I, 4 o , et 18, al. 1 er .<br />

de la même section). De son côté, l’article 19 de la loi hypothécaire<br />

commence par : « Les créances privilégiées sur la généralité des meubles<br />

sont celles ci-après exprimées, et s’exercent dans l’ordre suivant »,<br />

après quoi certains termes de l’énumération sont rédigés sous forme de<br />

phrases indépendantes, ne s’enchaînant pas avec le début de la disposition<br />

(voy. le 4 o quater et le 4 o octies). Et la construction devient carrément<br />

incorrecte quand un que remplaçant un si est suivi de l’indicatif et<br />

non du subjonctif : « s’il y a plusieurs adoptants de nationalité différente<br />

et que le statut personnel de chacun d’eux reconnaît la filiation<br />

adoptive,... » (art. 344, § 1 er , b) (35).<br />

Aux lecteurs qui affectionnent les textes lourds, l’on recommandera la<br />

lecture des articles 826, alinéa 1 er , du Code, 19, 20 et 27, 5 o , alinéa 1 er ,<br />

de la loi hypothécaire, ainsi que de nombre de dispositions des sections<br />

consacrées aux baux relatifs à la résidence principale du preneur, aux<br />

baux commerciaux et aux baux à ferme.<br />

Pour en terminer avec les critiques, relevons encore : le belgicisme que<br />

constitue l’emploi de pension pour retraite (36); l’emploi de l’affreux<br />

«et/ou» (art.64, §1 er , 5 o ), pourfendu par Etiemble ainsi que, dans ces<br />

colonnes, par Tertius (37); le recours à la locution à concurrence de,<br />

alors qu’il faut écrire jusqu’à concurrence de (art. 1432, 1434, 1437,<br />

1438, 1440 à 1442; comp. les art. 113 de la loi hypothécaire, 26 et 45 de<br />

la section relative aux baux à ferme) (38).<br />

Il serait toutefois injuste de laisser croire que rien n’est convenable dans<br />

l’œuvre du législateur depuis 1804. Nous avons d’ailleurs déjà signalé ce<br />

qui peut être mis à son actif. Il n’empêche que, si Stendhal revenait parmi<br />

nous, il ne lirait sans doute pas deux ou trois pages du Code version 2004<br />

avant de se mettre à l’écriture.<br />

RHADAMANTHE<br />

(32) C’est comme ce restaurant qui affichait : « Ouvert tous les jours. Fermé le<br />

lundi ».<br />

(33) Girodet, Pièges et difficultés de la langue française, v o «Ceci», Hanse,<br />

op. cit., v o « Ceci, cela ».<br />

(34) Voy. aussi les art. 1402, où il aurait gagné à être remplacé par cet époux,<br />

et 1436, où elles aurait été utilement remplacé par les récompenses.<br />

(35) Le subjonctif est en revanche injustifié dans la construction suivante : « ...la<br />

décision judiciaire par laquelle l’adoption est révoquée sans qu’il soit décidé que<br />

l’enfant mineur soit replacé sous l’autorité parentale... » (art. 50, § 2, al. 2).<br />

(36) « Si le preneur ayant atteint l’âge de la pension, ... » (art. 8bis de la section<br />

relative aux baux à ferme). D’autres textes, extérieurs au Code, parlent au contraire<br />

très justement d’âge de la retraite (voy. notam., art. 383, C. jud. et l’A.R.<br />

12 mai 1927 sur l’âge de la mise à la retraite).<br />

(37) J.T., 1982, p. 805, et 1986, p. 65. On doit à l’objectivité de signaler que<br />

d’aucuns, et non des moindres, ne critiquent pas cet usage (Hanse, op. cit.,<br />

v o «Et»; Grevisse, Le Bon Usage, 13 e éd., par Goosse, § 1030).<br />

(38) Voy. Grand Robert, éd. 2001, v o « Concurrence », et Hanse, op. cit.,<br />

v o « Concurrence ».<br />

2004<br />

241


2004<br />

242<br />

UN CODE CIVIL EUROPÉEN,<br />

MYTHE OU RÉALITÉ?<br />

1. — Il y a quinze ans, le Parlement européen a, pour la première fois,<br />

appelé de ses vœux l’élaboration d’un Code européen commun de droit<br />

privé (1).<br />

Aujourd’hui, à la veille de la commémoration du bicentenaire du Code<br />

civil, le projet de Code civil européen a évolué et a donné lieu à de très<br />

nombreux commentaires, colloques ou séminaires. Curieusement toutefois,<br />

cette entreprise reste mal connue, voire inconnue, du praticien du<br />

droit.<br />

Il s’agit là d’un paradoxe : d’une part, les institutions européennes envisagent<br />

d’européaniser le droit civil, soit une des branches de notre<br />

droit, si ce n’est la branche du droit, associée par excellence à l’identité<br />

juridique et culturelle de la nation et par ailleurs à la base de la pratique<br />

quotidienne des juristes et, d’autre part, dans le même temps, il semble<br />

que cette considération ait échappé à la plupart des amateurs de droit<br />

que nous sommes, à l’exception des quelques privilégiés, généralement<br />

des universitaires, qui étaient associés ou qui se sont associés volontairement<br />

au projet.<br />

Sans doute, aujourd’hui, le bicentenaire du Code civil aidant, la plupart<br />

d’entre nous ont entendu ces rumeurs faisant état d’une initiative des<br />

instances européennes qui viserait à élaborer un Code de droit privé.<br />

Toutefois, nous semble-t-il, la perplexité et l’étonnement restent la<br />

règle, le contenu précis du projet européen étant mal connu.<br />

La présente contribution a précisément pour objet de définir les contours<br />

de l’entreprise envisagée par le Parlement européen d’abord, par<br />

la Commission et le Conseil ensuite, dans une perspective qui se veut<br />

non seulement descriptive mais également, dans une certaine mesure,<br />

critique.<br />

Cet examen nous amènera dans un premier temps à décrire le projet eu<br />

égard aux textes adoptés au sein des instances européennes (section I).<br />

Dans un second temps, nous nous attellerons brièvement à examiner les<br />

principaux commentaires et réactions émanant de la doctrine à ce sujet<br />

(section II). Nous tenterons enfin dans un dernier temps de déterminer<br />

les perspectives d’avenir du projet (section III).<br />

I. — LE PROJET DE CODE CIVIL EUROPÉEN<br />

2. — Le projet de Code civil européen tel que nous l’entendons dans le<br />

cadre de la présente contribution est celui qui émane actuellement des<br />

instances européennes et qui consiste en la « codification » de certaines<br />

branches du droit privé et notamment le droit des contrats. Autrement<br />

dit, nous ne visons pas les nombreuses initiatives privées, de type doctrinal,<br />

qui foisonnent dans cette matière. A titre d’exemple, citons les<br />

travaux du groupe de Trente sous la direction de U. Mattei et<br />

M. Bussani consacrés au common core du droit privé (2), le Code européen<br />

des contrats élaboré par l’Académie des privatistes européens de<br />

Pavie (3), le groupe d’études sur un Code civil européen dirigé par<br />

C. Von Bar (4), les travaux du groupe d’experts présidé par M. Storme<br />

(1) Résolution du P.E. du 26 mai 1989, J.O.C.E., C 158/400, 26 juin 1989.<br />

(2) Voy. à cet égard, l’article des directeurs du projet, « The Common Core Approach<br />

to European Private Law », The Columbia Journal of European Law,<br />

vol. 3, n o 3, (1997-1998), pp. 339 et s.<br />

(3) Voy. à cet égard, M. L. Ruffini Gandolfi, « Problèmes d’unification du droit<br />

en Europe et le Code européen des contrats », R.I.D.C., 2002, pp. 1075 et s.<br />

(4) Voy. à cet égard, C. Von Bar, « Le groupe d’études sur un Code civil<br />

européen », R.I.D.C., 2001, pp. 127 et s.<br />

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en vue d’un rapprochement du droit judiciaire de l’Union européenne<br />

(5) ou encore les Principles of European Contract Law de la commission<br />

Lando (6).<br />

3. — Le projet de Code civil européen est, à l’origine, un projet parlementaire.<br />

En 1989, en effet, le Parlement européen, particulièrement favorable à<br />

l’unification du droit civil, adoptait une résolution visant à promouvoir<br />

l’élaboration d’un Code européen commun de droit privé (7).<br />

Il s’agissait là du premier vœu en ce sens formulé officiellement par<br />

l’une des institutions communautaires. Les parlementaires à l’origine de<br />

cette résolution soulignaient alors l’importance de former « l’ossature<br />

du droit européen de l’avenir » dans un contexte où les efforts d’harmonisation<br />

globale faisaient à leur sens défaut (8).<br />

Malgré un contexte politique propice (9), le débat sur l’élaboration de<br />

ce que d’aucuns nommaient déjà le Code civil européen restait cependant<br />

encore limité à la sphère du Parlement européen.<br />

4. — Dix années après la première résolution du Parlement, la question<br />

est abordée par d’autres acteurs institutionnels et transcende ainsi le<br />

débat purement parlementaire à l’occasion du Conseil européen de<br />

Tampere. Les conclusions de la présidence (10) invitent en effet des experts<br />

extérieurs à se pencher sur la question de la nécessité de rapprocher<br />

les législations des Etats membres en droit privé à l’occasion d’une<br />

étude qui est commandée et réalisée (11).<br />

S’ensuivra une relative effervescence doctrinale qui trouvera principalement<br />

sa source dans une initiative de la Commission. En 2001, la<br />

Commission se penche en effet à son tour sur la question du rapprochement<br />

des législations mais centre son propos sur le droit des contrats<br />

(12).<br />

La Commission indique ne rechercher à ce stade qu’à rassembler des informations<br />

sur la nécessité – qui ne semble dès lors pas encore acquise<br />

– d’une action communautaire plus étendue en matière de droit des contrats<br />

et invite les acteurs du monde politique, socio-économique et juridique<br />

à communiquer leurs réflexions sur la question. A cette fin, elle<br />

soumet aux Européens quatre approches possibles (non limitatives et<br />

non exclusives) susceptibles d’orienter sa politique législative future en<br />

la matière. Les quatre approches peuvent en réalité être résumées, à<br />

notre sens, à deux types de démarches. La première, qui ne soulève pas<br />

(5) J. Normand, « Un droit judiciaire privé européen? », in Le droit privé européen,<br />

actes du colloque de Reims, dir. P. de Vareilles-Sommières, Economica,<br />

1998, pp. 124 et s.<br />

(6) Voy. à cet égard, O. Lando, Some Features of the Law of Contract in the<br />

Third Millenium, inaugural lecture held on 2 November 1995, Erasmus University<br />

of Rotterdam, pp. 345-402; C. Castronovo, « Contract and the idea of codification<br />

in the Principles of European Contract Law », in Festskrift til Ole<br />

Lando, Copenhagen, 1997, pp. 109-124.<br />

(7) Résolution du P.E. du 26 mai 1989, J.O.C.E., C 158/400, 26 juin 1989. Ce<br />

souhait fut par la suite réitéré par le Parlement régulièrement (résolution du P.E.<br />

du 6 mai 1994, J.O.C.E., C 205/518, 25 juillet 1994; résolution du P.E. concernant<br />

le rapprochement du droit civil et commercial des Etats membres de<br />

2001).<br />

(8) Doc. B2-55/85/rév.<br />

(9) Ainsi, au Conseil de Birmingham, le 16 octobre 1992, a été adopté la déclaration<br />

de Birmingham mettant l’accent sur l’importance du débat démocratique<br />

et affirmant le souhait de voir la législation communautaire devenir « plus simple<br />

et plus claire ». Ces préoccupations furent réaffirmées quelques mois plus<br />

tard au Conseil d’Edimbourg (11 décembre 1992). Cette impulsion donna lieu<br />

par la suite à une résolution du Conseil relative à la qualité rédactionnelle de la<br />

législation communautaire (17 juin 1993, J.O., C 166) et à la pratique de la rédaction<br />

annuelle de rapports par la Commission intitulés « Mieux légiférer ».<br />

(10) Conclusions de la présidence, Conseil européen de Tampere des 15 et<br />

16 octobre 1999, SI (199), 800, Communication, p. 4.<br />

(11) The Private Law Systems in the EU : Discrimination on Grounds of Nationality<br />

and the Need for a European Civil Code, JURI 103 EN (juin 2000).<br />

(12) COM (2001) 398 final.


de problème particulier, n’implique aucune action communautaire spécifique<br />

mais uniquement une amélioration de la qualité de la législation<br />

en vigueur. La seconde, plus problématique tant au niveau de la compétence<br />

que de l’opportunité (13), consiste soit en la mise au point de principes<br />

communs de droit des contrats, soit en l’adoption d’une législation<br />

complète au niveau communautaire, c’est-à-dire un Code européen de<br />

droit des contrats.<br />

A la suite de cette communication, le Parlement européen adopte une<br />

nouvelle résolution en 2001 (14) à l’occasion de laquelle, il établit un<br />

projet de plan d’action échelonné sur une dizaine d’années qui comporte<br />

dix étapes et dont la dernière devrait consister en l’adoption d’un<br />

« corpus de règles sur le droit des contrats de l’Union européenne » en<br />

2010 (15).<br />

Le lendemain de l’adoption de la résolution du Parlement, le Conseil<br />

des ministres de l’Union diffuse un « Rapport sur la nécessité de rapprocher<br />

les législations des Etats membres en matière civile » (16),<br />

destiné à être soumis au Conseil européen de Laeken. A l’occasion<br />

de ce rapport, le Conseil insiste sur la nécessité d’améliorer la qualité<br />

de la législation existante tout en envisageant l’éventualité d’une<br />

harmonisation horizontale dans l’optique de former un « noyau<br />

commun », celui-ci devant viser le droit des contrats mais également,<br />

le cas échéant, le droit de la responsabilité et des biens, voire même<br />

le droit de la famille. Toutefois, aucune mesure concrète n’est envisagée<br />

à ce stade par le Conseil.<br />

Enfin, le 12 février 2003, la Commission a adopté une nouvelle communication<br />

contenant un plan d’action qui semble toutefois sensiblement<br />

en retrait par rapport à ce que l’on aurait pu imaginer puisque, outre la<br />

mise en place d’une terminologie commune, la Commission ne semble<br />

prévoir que l’éventuelle élaboration d’un instrument optionnel limité au<br />

droit des contrats transfrontaliers (17).<br />

II. — RÉCEPTION DU PROJET<br />

AU SEIN DU MONDE SCIENTIFIQUE<br />

5. — A la suite de la communication de la Commission en 2001, un vaste<br />

débat s’est noué au sein de la doctrine sur l’opportunité et la faisabilité<br />

d’une codification européenne du droit civil. A côté de la thèse traditionnelle<br />

en faveur d’une harmonisation du droit privé en Europe, se<br />

sont fait entendre, de plus en plus nombreuses, des voix dénonçant ce<br />

projet créant ainsi une véritable controverse en doctrine sur cette question<br />

(18).<br />

(13) Voy. infra.<br />

(14) Résolution du P.E. concernant le rapprochement du droit civil et commercial<br />

des Etats membres.<br />

(15) Doc. A5-0384/2001, p. 4. A la lecture, l’on constate que parmi les différentes<br />

étapes envisagées par le Parlement se retrouvent chacune des options<br />

proposées par la Commission dans sa communication (à l’exception de la première<br />

puisque celle-ci impliquait justement une absence d’intervention).<br />

(16) Rapport du Conseil des ministres de l’Union européenne du 29 octobre<br />

2001, doc. 13017/01.<br />

(17) Communication de la Commission du 12 février 2003 « Un droit européen<br />

des contrats plus cohérent - Un plan d’action » (COM[2003] 68 final),<br />

J.O.C.E., 13 mars 2003, n o C063; sur ce plan d’action, voy. égalem.,<br />

B. Fauvarque-Cosson, « Droit européen des contrats : première réaction au<br />

plan d’action de la Commission », Dalloz, 2003, pp. 1171 et s.<br />

(18) En faveur du projet, voy. notam., C. Witz, « Plaidoyer pour un Code européen<br />

des obligations », Dalloz, 2000, pp. 79 et s.; D. Tallon, « Les principes<br />

pour le droit européen des contrats », Defrénois, 2000, pp. 683 et s.; O. Lando,<br />

« Some Features of Contract in the Third Millenium », leçon inaugurale du<br />

2 novembre 1995, Erasmus University of Rotterdam, pp. 335-356; A. Chamboredon,<br />

« The Debate on a European Civil Code: For an Open Texture », in The<br />

Harmonisation of European Private Law, ed. By Van Hoecke and Ost, Oxford<br />

- Portland Oregon, 2000, pp. 63-99; G. Gandolfi, « Pour un Code européen des<br />

contrats », R.T.D.C., 1992, pp. 718 et s.; G. Alpa, « European Community Re-<br />

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De manière un peu schématique sans doute, nous pensons pouvoir articuler<br />

les arguments en faveur ou en défaveur du projet autour de trois<br />

ordres de considérations : des considérations de nature juridique (point<br />

A), des considérations de nature économique (point B) et des considérations<br />

de nature culturelle (point C).<br />

A. — Considérations d’ordre juridique<br />

6. — La faisabilité d’un Code civil européen suppose que les autorités<br />

communautaires soient habilitées à adopter un tel instrument. Se<br />

pose donc naturellement en premier lieu la question du fondement juridique<br />

d’une codification européenne englobant tout ou partie du<br />

droit privé.<br />

Contrairement aux législateurs nationaux, le législateur communautaire<br />

ne jouit que d’une compétence d’attribution. L’élaboration d’un pan entier<br />

de législation au niveau européen dans une matière ressortissant<br />

dans son principe à la compétence des Etats membres est en outre une<br />

innovation. La question du fondement juridique est partant loin d’être<br />

simple, à tel point que cela fait dire à certains (19) que, dans l’état actuel<br />

du droit communautaire, il n’existe aucune base juridique valable autorisant<br />

une telle entreprise, par ailleurs contraire au principe de subsidiarité<br />

(20) et au principe de proportionnalité (21).<br />

A notre sens, la difficulté vient de ce que l’on ne raisonne pas de la<br />

même manière en droit national qu’en droit communautaire. La notion<br />

de droit privé ainsi que la distinction entre le droit privé et le droit public<br />

sont inexistantes en tant que telles en droit communautaire. Dans le système<br />

du Traité, les compétences sont en effet distribuées en fonction<br />

non du contenu mais des objectifs à atteindre et des actions à entreprendre<br />

définis respectivement par les articles 2 et 3 du Traité. Or, l’article 3<br />

ne prévoit pas expressément d’intervention communautaire en vue de<br />

l’élaboration d’un droit privé européen. Dès lors, pour déterminer si un<br />

fondement juridique peut être trouvé dans le Traité, il faudrait raisonner<br />

au cas par cas en déterminant si l’objectif poursuivi par l’adoption de<br />

telle norme ou tel système de normes répond à un objectif prévu par le<br />

Traité. A la lecture des différents angles d’action envisageables (22),<br />

solutions and the Codification of Private Law », E.R.P.L., 2000, pp. 329-330;<br />

R. David, « Le droit continental, la common law et les perspectives d’un Jus<br />

Commune européen », in Nouvelles perspectives d’un droit commun de l’Europe,<br />

éd. M. Cappelletti, Bruylant et Le Monnier, 1978, pp. 115 et s. contra :<br />

P. Legrand, « Sens et non-sens d’un Code civil européen », R.I.D.C., 1996,<br />

pp. 779-812; « European Legal Systems are not converging », International<br />

and Comparative Law Quaterly, 1996, pp. 52 et s.; « La leçon d’Appolinaire »,<br />

in Fragments on Law-as-Culture, Deventer, 1999, pp. 117 et s.; Y. Minatchy,<br />

« Un Code civil pour l’Europe : entre harmonisation et exception », Jour. procès,<br />

2004, n o 473, pp. 12 et s.; J. Bonell, « The need and possibilities of a codified<br />

European contract law », actes de la Conférence de Scheveningen du<br />

28 février 1997 organisée par le ministère de la Justice néerlandais, in R.E.D.<br />

privé, 1997, Kluwer, pp. 505 et s.; Y. Lequette, « Vers un Code civil<br />

européen? », Pouvoirs, 2003, n o 107, pp. 95-126; Ph. Malinaud, « Réponse –<br />

hors délai – à la Commission européenne : à propos d’un Code européen des<br />

contrats », Dalloz, 2002, pp. 2542 et s.; C. Jamin, « Un droit des contrats », in<br />

Le droit privé européen, Economica, 1998, pp. 54 et s.; G. Cornu, « Un Code<br />

civil n’est pas un instrument communautaire », Dalloz, 2002, pp. 351 et s.<br />

(19) Ph. Malinvaud, « Réponse – hors délais – à la Commission européenne : à<br />

propos d’un Code européen des contrats », op. cit., p. 2544; L. Idot, « Les<br />

bases communautaires d’un droit privé européen », in Le droit privé européen,<br />

Economica, 1998, pp. 22 et s.; Ph. Malaurie, « Le Code civil européen des obligations<br />

et des contrats - Une question toujours ouverte », J.C.P., 2002, doct. I-<br />

110, p. 282; V. Heuze, « A propos d’une initiative européenne en matière de<br />

droit des contrats », J.C.P., 2002, doct. I-152, p. 1345; Y. Minatchy, « Un Code<br />

civil pour l’Europe : entre harmonisation et exception », Jour. procès, 2004,<br />

n o 473, pp. 12 et s.<br />

(20) En vertu duquel la Communauté agit dans les limites des compétences qui<br />

lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le Traité.<br />

(21) En vertu duquel l’action de la Communauté ne peut excéder ce qui est nécessaire<br />

pour atteindre les objectifs du Traité.<br />

(22) Articles 35 et 37 T.C.E., article 94 (ex-art. 100) T.C.E., article 95 (ex-art.<br />

100 A) T.C.E. et article 308 (ex-art. 235) T.C.E.<br />

2004<br />

243


2004<br />

244<br />

l’on entrevoit des possibilités. L’Union s’est en effet dotée de différents<br />

mécanismes lui permettant de faire face aux situations qu’elle n’avait<br />

pas expressément envisagées au moment de l’adoption de ses Traités<br />

constitutifs. La difficulté réside dès lors essentiellement dans la nécessité<br />

d’une volonté politique forte et d’un consensus entre les Etats membres.<br />

Or, ce sont précisément ces éléments qui restent sensibles.<br />

B. — Considérations d’ordre économique<br />

7. — Les considérations d’ordre économique sont à la base du débat<br />

sur l’opportunité de codifier le droit privé, ou même « simplement »<br />

le droit des contrats, en Europe. Ce sont en effet, des arguments de<br />

type essentiellement économique qui sont avancés par les défenseurs<br />

du projet ainsi que par les instances européennes pour justifier l’entreprise.<br />

Ainsi, la justification théorique du projet consiste à dire que, dans la mesure<br />

où la construction européenne serait principalement basée sur l’établissement<br />

progressif d’une zone de libre-échange au sein d’un vaste<br />

marché unique, la présence d’une pluralité de droits nationaux, avec lesquels<br />

il est pour l’instant impératif de jongler tant bien que mal, constituerait<br />

un frein, si pas matériel, à tout le moins psychologique, au développement<br />

des transactions transfrontières. Les agents économiques,<br />

ignorant dans la majorité des cas le prescrit des droits étrangers, seraient<br />

confrontés à des difficultés supplémentaires à l’occasion des transactions<br />

transfrontières, ce qui engendrerait une insécurité juridique accrue<br />

et une augmentation des coûts (23).<br />

Cette conception est vivement critiquée par les opposants au projet. Les<br />

différentes critiques formulées à cet égard peuvent, à notre sens, être<br />

rassemblées en une critique principale : cette affirmation n’est pas vérifiée!<br />

Ainsi, à l’encontre de la justification économique généralement avancée,<br />

l’on fait notamment valoir le fait que l’absence de droit civil unifié<br />

aux Etats-Unis ou au Canada n’a pas fait obstacle à la constitution d’un<br />

marché intérieur vaste et dynamique (24).<br />

Par ailleurs, un certain nombre d’auteurs sont convaincus que la justification<br />

économique avancée est non seulement non vérifiée, mais également<br />

inexacte. Ainsi, le professeur V. Heuze relève que le recensement<br />

des sentences rendues sous l’égide de la Chambre de commerce internationale<br />

entre 1995 et 2001 révèle que seulement 3% des litiges ont été<br />

soumis aux principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international<br />

(25) et, parmi ces décisions, seulement deux (soit moins de<br />

deux pour mille) à la demande des parties.<br />

Dans le même ordre d’idées, C. Jamin cite une étude sociologique<br />

réalisée dans le nord de la France sur le comportement des consommateurs<br />

dans les régions transfrontalières belges, anglaises et françaises,<br />

qui révélerait que l’élément déterminant de l’achat du bien de<br />

consommation serait formé, non par la connaissance éventuelle que<br />

les consommateurs peuvent avoir du droit de la vente du pays où ils<br />

contractent, mais par les différences de prix qui peuvent exister entre<br />

les produits (26).<br />

Enfin, il est également régulièrement relevé le fait que, loin de diminuer<br />

les coûts de transaction, l’introduction d’un Code civil européen entraî-<br />

(23) Voy., O. Lando et H. Beale, Principles of European Contract Law, vol. I,<br />

1995, p. XV.<br />

(24) Voy. notam. Y. Lequette, « Vers un Code civil européen? », op. cit., p. 101;<br />

Ph. Malinvaud, « Réponse – hors délai – à la Commission européenne : à propos<br />

d’un Code européen des contrats », op. cit., pp. 2549-2550.<br />

(25) C’est-à-dire à une législation uniforme du type de celle qui est envisagée<br />

dans la communication de la Commission comme l’une des options possibles.<br />

(26) Etude menée par le Centre régional de la consommation, Comportements<br />

d’achats transfrontaliers, décembre 1996, p. 76, citée par C. Jamin, « Un droit<br />

européen des contrats », op. cit., p. 52.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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nerait des coûts supplémentaires résultant du fait qu’un tel droit uniforme<br />

supposerait, pour être efficace, la création d’une juridiction ad hoc<br />

(ou éventuellement l’extension des missions de la Cour de justice des<br />

Communautés européennes), ce qui en soi entraînerait des coûts conséquents<br />

ainsi que du fait qu’une modification d’une telle ampleur provoquerait<br />

une grave insécurité juridique, au moins dans un premier temps,<br />

engendrant également des frais supplémentaires et donc une augmentation<br />

du coût des transactions (27).<br />

Ces quelques réflexions révèlent à quel point le discours des partisans<br />

du Code civil européen peut parfois mettre mal à l’aise dès lors que, à<br />

l’examen, l’on observe qu’il repose dans une certaine mesure sur une<br />

série de présupposés qui apparaissent plutôt comme un discours de légitimation<br />

du projet. Il semble en effet, ainsi que le relève à bon escient<br />

à notre estime le professeur Ph. Malinvaud (28), que ce dont se plaignent<br />

les opérateurs économiques ce n’est pas tant la diversité des droits<br />

que l’incertitude du droit applicable et la difficulté de le connaître. Or,<br />

la création, en sus des législations existantes, d’un nouveau droit privé<br />

apparaît à première vue plutôt comme un facteur d’insécurité juridique<br />

supplémentaire que comme un remède à l’incertitude des agents économiques.<br />

C. — Considérations d’ordre culturel<br />

8. — La dimension culturelle du projet de Code civil européen fait<br />

également couler beaucoup d’encre et suscite des réactions passionnées.<br />

Généralement, la pluriculturalité caractérisant l’Europe est présentée<br />

comme constituant un obstacle à l’élaboration d’un droit civil<br />

européen. Ainsi, des considérations d’ordre culturel sont avancées<br />

tant pour justifier l’infaisabilité du projet que pour condamner son<br />

opportunité.<br />

9. — S’agissant de la question de la faisabilité d’un droit privé européen,<br />

le débat semble s’inscrire autour de la problématique de l’existence<br />

d’un ius commune européen moderne.<br />

Un certain courant doctrinal se prononce en effet en faveur de la réactualisation<br />

d’un droit commun européen. Selon les partisans de ce<br />

courant doctrinal (29), le droit commun européen plongerait ses racines<br />

dans le ius commune du Moyen Age et des temps modernes qui<br />

n’aurait, en réalité, jamais complètement disparu, et ce, même au<br />

plus profond du XVIIIe et du XIXe siècle, âge d’or du nationalisme.<br />

L’on aurait toujours pu constater en effet la présence d’un substrat de<br />

culture juridique commune fondée sur les principes du ius commune<br />

médiéval (30) ainsi que sur la philosophie des Lumières. Cette philosophie<br />

juridique commune, en transcendant les droits positifs, créerait<br />

un canevas harmonisant susceptible de mettre en place les conditions<br />

nécessaires au développement de la démocratie et du commerce<br />

intracommunautaire.<br />

Inversement, certains auteurs s’appliquent à démontrer que la diversité<br />

culturelle européenne rendrait toute tentative de codification il-<br />

(27) Y. Lequette, « Vers un Code civil européen? », op. cit., p. 103; J. Huet,<br />

« Nous faut-il un “ euro »-droit civil? ”, Dalloz, 2002, p. 2613.<br />

(28) Ph. Malinvaud, op. cit., p. 2549.<br />

(29) Voy. le colloque qui eut lieu en 1977 à l’Institut européen universitaire de<br />

Florence, dont les travaux ont été publiés sous la direction de M. Cappelletti,<br />

Nouvelles perspectives d’un droit commun de l’Europe, Stijthoff-Bruylant,<br />

1978; la conférence réunie en 1991 à la Faculté de droit de Maastricht, dont les<br />

travaux furent publiés sous la direction de B. De Witte et C. Forder, Le droit<br />

commun de l’Europe et l’avenir de l’enseignement juridique, Kluwer, 1992;<br />

M. Delmas-Marty, Vers un droit commun de l’humanité - Entretien avec Philippe<br />

Petit, éd. Textuel, Paris, 1996; R. Schulze, « Le droit privé commun<br />

européen », R.I.D.C., 1995, pp. 7-32; R. Knütel, « L’unité du droit en Europe<br />

et le droit romain », Revue d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique,<br />

1998, n o 19, pp. 125-169<br />

(30) Constitué de principes issus du droit romain et du droit canon.


lusoire (31). Plus précisément, l’Europe serait le théâtre de deux traditions<br />

juridiques inconciliables, voire opposées : la tradition romaniste<br />

et la tradition de common law, chacune de ces traditions étant<br />

caractérisée par une« épistémologie propre » (32). La première,<br />

ayant pour concept central l’idée de système et privilégiant le raisonnement<br />

logique, regrouperait les droits où, selon le critère d’Alan<br />

Watson (33), le Digeste de Justinien y a été reçu à un moment ou à<br />

un autre de leur histoire comme ayant force de loi. La seconde aurait,<br />

quant à elle, toujours pensé le droit en terme de cas, privilégiant le<br />

raisonnement pragmatique et regrouperait les pays dont le droit est<br />

d’abord issu du droit anglais.<br />

Cette conception radicale apparaît toutefois aujourd’hui dépassée (34).<br />

Il semble en effet que la majorité des comparatistes conviennent actuellement<br />

que le rapport common law/civil law ne doit plus être pensé en<br />

tant que ces deux modes de pensée juridique seraient inconciliables<br />

(35).<br />

10. — Plus délicates encore sont les considérations qui ont trait à l’opportunité<br />

de codifier en Europe. Ainsi, certains auteurs, partant du postulat<br />

légitime que la richesse culturelle de l’Europe constitue l’un de ses<br />

atouts, considèrent que l’uniformisation du droit privé, ou du droit des<br />

contrats, en Europe détruirait, selon l’expression du professeur<br />

Ph. Malaurie,« la base profonde de la réalité humaine, sa pluralité<br />

culturelle » (36). Ces auteurs associent généralement le droit à la langue<br />

à laquelle est à son tour lié un riche patrimoine artistique, littéraire, philosophique<br />

et juridique, qui serait mis en péril par l’uniformisation du<br />

droit.<br />

Il convient toutefois, à notre sens, de relativiser quelque peu ces considérations.<br />

Ainsi, l’on constate que la plupart des auteurs précités<br />

sont français et s’indignent particulièrement à l’idée de mettre à mal<br />

leur Code civil qui, selon l’expression célèbre du professeur<br />

J. Carbonnier, constitue à leurs yeux « la Constitution civile de la<br />

nation » (37).<br />

L’on pourrait en effet logiquement imaginer que la question se pose en<br />

des termes différents suivant les Etats et donc suivant que le droit du<br />

(31) P. Legrand, « Sens et non-sens d’un Code civil européen », R.I.D.C.,<br />

1996, p. 781; J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la V e République,<br />

Paris, Flammarion, 1996, p. 175.<br />

(32) P. Legrand, « Sens et non-sens d’un Code civil européen », R.I.D.C.,<br />

1996, p. 781.<br />

(33) A. Watson, The Making of the Civil Law, Cambridge, Harvard University<br />

Press, 1981, p. 4.<br />

(34) Voy. à cet égard, A. Chamboredon, « The debate on a European Civil<br />

Code : For an Open Texture », in The Harmonisation of European Private Law,<br />

éd. Van Hoecke and Ost, Oxford - Portland Oregon, 2000, pp. 63-99; R. David,<br />

« Le droit continental, la Common Law et les perspectives d’un Jus Commune<br />

européen », in Nouvelles perspectives d’un droit commun de l’Europe, éd.<br />

M. Cappelletti, Bruylant et Le Monnier, 1978, pp. 115 et s.; W. Friedmann, « A<br />

Re-Examination of the Relations between English, American and Continental<br />

Jurisprudence - A Study of the Relations between Social Ideals and Legal<br />

Technique », Can. Bar Review, 1942, p. 188; I. Rorive, Le revirement de<br />

jurisprudence : étude de droit anglais et de droit belge, Bruxelles, Bruylant,<br />

2003.<br />

(35) Les comparatistes relèvent en effet l’apparition d’un double phénomène.<br />

D’une part, le droit britannique aurait tendance à utiliser progressivement de<br />

manière plus fréquente l’instrument législatif (statutes). D’autre part, l’effet inverse<br />

se produirait en droit continental de sorte que l’on assisterait à une influence<br />

croissante du droit jurisprudentiel dans nos pays.<br />

(36) Ph. Malaurie, « Le Code civil européen des obligations et des contrats -<br />

Une question toujours ouverte », op. cit., p. 284, n o 12; voy. égalem.,<br />

P. Legrand, « Sens et non-sens d’un Code civil européen », R.I.D.C., 1996,<br />

pp. 779-812; « European Legal Systems are not converging », International<br />

and Comparative Law Quaterly, 1996, pp. 52 et s.; « La leçon d’Appolinaire »,<br />

in Fragments on Law-as-Culture, Deventer, 1999, pp. 117 et s.; Y. Minatchy,<br />

« Un Code civil pour l’Europe : entre harmonisation et exception », Journ. procès,<br />

2004, n o 473, pp. 12 et s.; Y. Lequette, « Vers un Code civil européen? »,<br />

Pouvoirs, 2003, n o 107, pp. 95-126.<br />

(37) J. Carbonnier, Droit civil - Introduction, P.U.E., coll. Thémis, 26 e éd.,<br />

1999, n o 78.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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pays est ou non profondément ancré dans la culture. De ce point de vue,<br />

le professeur Ph. Malinvaud a classé les Etats européens en trois catégories.<br />

En premier lieu, les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, dits<br />

« en transition » à la suite de l’effondrement du régime soviétique et<br />

leur entrée dans l’Union (effective ou annoncée), qui ont complètement<br />

réformé leur droit en opérant généralement une réception, complète ou<br />

partielle, d’un modèle qui s’est avéré être souvent européen. En ce qui<br />

les concerne, l’on est autorisé à penser qu’ils seraient ouverts à l’idée<br />

d’un droit européen uniforme. En tous les cas, l’obstacle culturel ne<br />

semble pas déterminant les concernant.<br />

En deuxième lieu, l’on retrouve les Etats qui ont récemment réformé en<br />

profondeur leur Code civil tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas et dont<br />

certains auteurs ont, à différentes occasions, rappelé que leur nouveau<br />

droit civil pourrait constituer un modèle adéquat pour le nouveau droit<br />

privé de l’Europe.<br />

Enfin, en troisième lieu, l’on regrouperait les Etats dont le droit conserve<br />

une dimension culturelle et historique importante, tel que la<br />

France. Certains auteurs dénoncent à cet égard les dangers qui pourraient<br />

résulter de la méconnaissance de cette dimension culturelle, à<br />

savoir le réveil des nationalismes, conséquence du déracinement engendré<br />

(38).<br />

III. — AVENIR DU PROJET<br />

DE CODE CIVIL EUROPÉEN<br />

11. — Ainsi que nous l’avons déjà relevé, le projet des instances<br />

européennes fait l’objet d’une littérature abondante, tantôt favorable,<br />

tantôt contraire. Toutefois, à notre estime, la plupart des auteurs discutent<br />

de la matière de façon abstraite en considérant essentiellement<br />

la question de savoir si la création d’un Code civil européen est nécessaire,<br />

possible et désirable et en concluant généralement avec des<br />

recommandations concernant ce qu’il convient de faire ou ce qu’il<br />

faut éviter.<br />

Or, la problématique de la codification, qui semble par ailleurs connaître<br />

un regain d’intérêt au sein du monde politique et scientifique actuellement,<br />

est caractérisée, à notre sens, par l’émergence de deux tendances.<br />

La première tendance privilégie la codification à droit constant de<br />

nouvelles branches du droit ayant acquis une autonomie à la suite de<br />

l’inflation législative dont elles furent l’objet, telles que le droit de l’environnement<br />

ou encore le droit de la t.v.a., et donne ainsi naissance à de<br />

nouveaux codes au contenu précis, dense et circonscrit (39). La seconde<br />

tendance est quant à elle plutôt caractérisée par l’apparition de codes de<br />

principes, ayant pour objet la mise en place du canevas général d’une<br />

matière, soit qu’ils se bornent à énoncer les bases en termes généraux<br />

de la matière visée, soit encore qu’ils constituent des codes de bonne<br />

conduite à l’usage des professionnels. Ce deuxième type de codification<br />

moderne est pour sa part généralement l’apanage d’organisation privées<br />

— émanant soit des professionnels du monde des affaires, soit des chercheurs<br />

issus du monde scientifique — ou encore d’organisations internationales.<br />

Le projet de Code civil européen ne pourrait à notre sens participer, dans<br />

son état actuel, que de la seconde tendance. En effet, si l’on s’attarde<br />

quelque peu sur le contexte actuel d’élaboration de ce Code civil européen,<br />

l’on est forcé de constater que le projet semble plus modeste que<br />

ce que l’on peut lire à son propos.<br />

(38) Voy. notam. Ph. Malinvaud, op. cit., p. 2547; Y. Lequette, op. cit., p. 113.<br />

(39) En France, a ainsi été instituée en 1989 la commission supérieure de codification<br />

chargée de la codification systématique du droit français.<br />

2004<br />

245


2004<br />

246<br />

Les déclarations récentes des institutions européennes s’inscrivent en<br />

effet en porte-à-faux par rapport à la perspective d’un Code civil européen<br />

obligatoire au contenu normatif dense.<br />

Ainsi, le Parlement européen, au lendemain du Conseil européen de<br />

Nice, a adopté une résolution sur « la délimitation des compétences entre<br />

l’Union européenne et les Etats membres » qui révèle que, contrairement,<br />

à ce que l’on pourrait croire, la tendance actuelle va plutôt dans<br />

le sens d’une délimitation stricte des compétences des institutions communautaires.<br />

Ainsi, le Parlement rappelle qu’il faut « recourir au principe<br />

de présomption de compétence de l’Etat lorsque le texte constitutionnel<br />

n’en dispose pas autrement ».<br />

La Commission a, pour sa part, à l’occasion de sa communication sur<br />

l’avenir de l’Union du 22 mai 2002 intitulée « Un projet pour l’Union<br />

européenne », insisté sur les avantages de la concertation non contraignante<br />

entre les institutions et les Etats membres. S’agissant plus particulièrement<br />

de l’unification du droit civil, elle précise qu’il conviendrait<br />

de clarifier la manière dont l’Union exerce et met en œuvre ses<br />

compétences « afin de préserver les compétences nationales ». A cet<br />

égard, elle ajoute que « les prérogatives du législateur national seront<br />

mieux respectées si les lois européennes se concentrent sur les objectifs<br />

généraux et lui laissent un choix aussi large que possible quant aux<br />

moyens de les mettre en œuvre ». Enfin, comme le Parlement, la Commission<br />

envisage de renforcer les principes de subsidiarité et de proportionnalité.<br />

Ainsi, les choix politiques du Parlement et de la Commission vont plutôt<br />

dans le sens d’une limitation de l’intervention communautaire, renforçant<br />

ainsi l’idée selon laquelle les Etats membres conservent une compétence<br />

de droit commun tandis que l’Union ne dispose que d’une compétence<br />

d’attribution.<br />

A notre sens, la récente communication de la Commission du 12 février<br />

2003 intitulée « Un droit européen des contrats plus cohérent - Un plan<br />

d’action » s’inscrit dans la lignée de cette politique.<br />

En effet, s’agissant plus particulièrement de la problématique de l’élaboration<br />

d’un nouveau droit européen des contrats, elle se borne à encourager<br />

une « plus ample réflexion sur l’opportunité » d’adopter « un<br />

instrument optionnel dans le domaine du droit des contrats » (40). Ainsi,<br />

la Commission indique clairement qu’à ce stade, l’opportunité de<br />

l’adoption d’un Code civil européen, ou d’un Code de droit des contrats,<br />

n’est pas acquise. Par ailleurs, dans l’hypothèse où une telle adoption<br />

apparaîtrait comme souhaitable, elle préconise l’adoption d’un instrument<br />

non contraignant qui ne se substituerait pas aux droits nationaux<br />

mais qui coexisterait avec eux et qui en outre ne concernerait en priorité<br />

que les transactions transfrontalières.<br />

A ce stade-ci d’avancement du projet d’européanisation du droit privé,<br />

nous pensons en conséquence qu’il serait abusif de qualifier les efforts<br />

de rapprochement des législations des Etats membres de futur Code<br />

civil européen.<br />

Zoé PLETINCKX<br />

Avocat au barreau de Bruxelles<br />

(40) Communication de la Commission du 12 février 2003 « Un droit européen<br />

des contrats plus cohérents - Un plan d’action » (COM[2003] 68 final),<br />

J.O.C.E., 13 mars 2003, n o C063, p. 26, pt 4.3.<br />

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LE TITRE PRÉLIMINAIRE<br />

DU CODE CIVIL<br />

Le législateur consulaire a groupé sous les six articles du titre préliminaire<br />

du Code civil, ayant pour intitulé « De la publication, des effets et<br />

de l’application des lois en général », des dispositions normatives hétérogènes.<br />

Quatre de ces articles ont une portée générale, excédant largement<br />

la matière propre du Code civil, mais ils sont eux-mêmes de nature<br />

assez diverse. L’article 1er subordonne la force obligatoire des lois —<br />

c’est-à-dire de toutes les lois — à leur promulgation par le chef du pouvoir<br />

exécutif. L’article 2 énonce le principe de la non-rétroactivité de<br />

« la loi ». Quant aux articles 4 et 5, ils portent deux interdictions adressées<br />

aux titulaires de la fonction de juger, à savoir celle du déni de justice<br />

(art. 4) et la défense de « prononcer par voie de disposition générale<br />

et réglementaire » (art. 5).<br />

Restent alors deux articles dont le champ d’application est plus<br />

restreint : divisé en trois alinéas, l’article 3 contient trois règles de conflit<br />

de lois; quant à l’article 6, il se rattache à la matière des obligations<br />

conventionnelles, interdisant de « déroger, par des conventions particulières,<br />

aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs », disposition<br />

partiellement reprise sous l’article 1133 définissant la cause illicite.<br />

Parmi les quatre articles ayant une portée générale, l’article 1 er se<br />

distingue des trois autres : en effet, il détermine une condition à laquelle<br />

est subordonnée la force obligatoire de la loi : mais alors que<br />

l’intitulé du titre vise la « publication » de la loi, l’article 1 er énonce<br />

une exigence distincte, sa « promulgation ». Des trois autres articles<br />

ayant une portée générale l’un arrête les effets de la loi dans le<br />

temps : en principe elle ne dispose que pour l’avenir (art. 2), tandis<br />

que les deux autres fixent les rapports entre la fonction du législateur<br />

et celle du juge (art. 4 et 5).<br />

L’article 3 se laisse rapprocher de l’article 2 : également relatif aux<br />

conflits de lois, il les règle dans l’espace. Alors que les alinéas 2 et<br />

3 couvrent des matières traditionnelles du droit civil (régime des immeubles<br />

et statut personnel), l’alinéa 1er inclut dans l’expression<br />

« lois de police et de sûreté », outre certaines normes de droit civil,<br />

les lois administratives et les lois pénales. L’idée sous-jacente à<br />

l’article 6 est qu’il existe deux catégories de lois civiles, les unes, tenues<br />

pour supplétives de la volonté des parties et auxquelles il est<br />

permis de déroger, les autres que le législateur a placées à l’abri des<br />

volontés individuelles.<br />

Trois des articles originels du titre préliminaire du Code civil en ont été<br />

distraits. L’article 1 er a été transformé en une double norme constitutionnelle<br />

dont les termes sont restés inchangés au cours des réformes<br />

successives de la Constitution. Aux termes de l’article 69 (devenu 109) :<br />

« Le Roi sanctionne et promulgue les lois ».<br />

Les décrets des Communautés et des Régions sont sanctionnés et<br />

promulgués par l’exécutif compétent (loi spéciale du 8 août 1980 de<br />

réformes constitutionnelles, art. 216, article applicable aux ordonnances<br />

de la Région de Bruxelles-capitale en vertu de l’article 8 de<br />

la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises).<br />

La publication fait l’objet d’un autre article de la Constitution (129, devenu<br />

190) : « Aucune loi, aucun arrêté ou règlement d’administration<br />

générale, provinciale ou communale, n’est obligatoire qu’après avoir<br />

été publié dans la forme déterminée par la loi ».<br />

Ces formes ont été fixées par la loi du 31 mai 1961 relative à l’emploi<br />

des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et<br />

à l’entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires.


La publication des décrets fait l’objet des articles 22 et 84 de la loi spéciale<br />

de réformes institutionnelles du 8 août 1980, l’article 22 étant applicable<br />

aux ordonnances de la Région de Bruxelles-capitale en vertu de<br />

l’article 8 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions<br />

bruxelloises. La loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles<br />

pour la Communauté germanophone a directement réglé la sanction et<br />

la promulgation des décrets du Conseil (art. 46) ainsi que leur publication<br />

(art. 47 et 48).<br />

Les articles 4 et 5 du Code civil ont été transférés, avec le même libellé,<br />

sous les articles 5 et 6 du Code judiciaire. Tel qu’il est demeuré en vigueur<br />

en Belgique, le titre préliminaire du Code civil ne contient plus<br />

que trois articles, 2, 3 et 6. Sauf des retouches de détail apportées par la<br />

loi du 15 décembre 1949 (substitution dans l’article 3 des mots<br />

« belge » et « Belge » à « française » et « Français », ils ont conservé<br />

leur rédaction primitive.<br />

Les modifications plus profondes apportées à l’article 1 er du Code civil<br />

lors de sa constitutionnalisation n’en ont pas radicalement modifié l’esprit.<br />

Portalis écrivait déjà dans la présentation de cet article : « D’après<br />

la commission, et d’après les maximes du droit public universel, nous<br />

avons établi, dans le projet, que les lois sont exécutoires en vertu de la<br />

promulgation faite par le premier consul » (1).<br />

L’article 2 du Code civil n’a pas une portée constitutionnelle : le législateur<br />

peut déroger au principe de non-rétroactivité qu’il a lui-même<br />

posé. En outre la jurisprudence a distingué de la rétroactivité proprement<br />

dite l’application immédiate d’une loi nouvelle aux effets futurs<br />

des situations juridiques, non définitivement accomplis, consommés ou<br />

épuisés sous l’empire de la loi ancienne (2). L’article 2 du Code civil ne<br />

s’applique pas aux poursuites répressives, régies par l’article 2 du Code<br />

pénal.<br />

Les trois alinéas de l’article 3 du Code civil sont familiers à tous les juristes<br />

et un commentaire exhaustif de ces dispositions outrepasserait les<br />

limites assignées à la présente contribution. Puisque celle-ci s’insère<br />

dans un numéro spécial du Journal des tribunaux célébrant le deuxième<br />

centenaire du Code civil, il a paru plus adéquat de se référer à la manière<br />

dont cet article fut conçu par les rédacteurs du Code.<br />

L’alinéa 1 er de l’article 3 affirme la territorialité des lois de police. Portalis<br />

prend le soin de justifier cette solution moins par la tradition de<br />

l’ancien droit que selon un usage commun à toutes les nations et par un<br />

effet de la souveraineté des Etats, principe fondamental du droit public<br />

européen.<br />

« Il est des lois, par exemple, sans lesquelles un Etat ne pourrait subsister.<br />

Ces lois sont toutes celles qui maintiennent la police de l’Etat, et qui<br />

veillent à sa sûreté [...]. Il ne peut à cet égard, exister aucune différence,<br />

entre citoyens et étrangers.<br />

» Un étranger devient le sujet casuel du pays dans lequel il passe, dans<br />

lequel il réside...<br />

» D’autre part chaque Etat a le droit de veiller à sa propre conservation,<br />

et c’est dans ce droit que réside la souveraineté.<br />

» ... Aussi, chez toutes les nations, les étrangers qui délinquent, sont traduits<br />

devant les tribunaux du pays » (3).<br />

Non sans mélanger lois de police, lois administratives et lois pénales,<br />

Portalis justifie la territorialité des lois de police par les principes de<br />

droit public communs à « toutes les nations ».<br />

Les alinéas 2 et 3 de l’article 3 du Code civil paraissent reproduire la<br />

distinction des statuts réels et des statuts personnels qui était en vi-<br />

(1) Code civil français, discours et exposé des motifs (à Bruxelles, chez<br />

G. Huyghe, l’an XI, 1803), p. 23.<br />

(2) Cass., 23 oct. 1970, Pas., 1971, I, 144, et les conclusions du ministère public.<br />

(3) Op. cit., note 1.<br />

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gueur dans l’ancien droit sans être une particularité française. Depuis<br />

l’Ecole italienne des statuts (XIV e siècle), en passant par les jurisconsultes<br />

français du XVI e siècle et l’Ecole des Pays-Bas au XVII e ,<br />

dont les idées essaimèrent en Angleterre, la classification des lois civiles<br />

(statuta) était le bien commun de l’Europe civilisée. La modification<br />

la plus notable des doctrines anciennes apparaît dans<br />

l’alinéa 3, qui substitue la loi de la nationalité à la loi du domicile.<br />

La rédaction unilatérale de cet alinéa qui ne paraît régler que le statut<br />

personnel des Français est négligée par Portalis : « Les lois personnelles<br />

suivent la personne partout ».<br />

Et il ajoute aussitôt : « Les différents peuples, depuis les progrès du<br />

commerce et de la civilisation, ont plus de rapports entre eux qu’ils n’en<br />

avaient autrefois. L’histoire du commerce est l’histoire de la communication<br />

des hommes » (4).<br />

Commentant l’article 3 du Code civil, le tribun Grenier renchérit :<br />

« Voilà autant de principes enseignés par tous les publicistes, ils sont généralement<br />

admis chez les nations civilisées, et sans lesquels il serait<br />

impossible d’organiser un ordre social » (5).<br />

Bien qu’elle ne paraisse pas commandée par la rédaction unilatérale de<br />

l’article 3, alinéa 3, la Cour de cassation s’est ralliée à l’interprétation<br />

multilatérale de cet alinéa, vers laquelle penchait le commentaire de<br />

Portalis. Pareille interprétation est notamment motivée par la citation<br />

d’un extrait des Institutes et tenue pour une application « du droit des<br />

gens fondé sur l’usage universel des peuples » (6).<br />

Quant à l’article 6, il mériterait de trop longs développements qui risqueraient<br />

de faire double emploi avec le commentaire des conditions de<br />

validité des contrats.<br />

* * *<br />

Le législateur de 1804 a manifestement conçu le titre préliminaire du<br />

Code civil comme un portique donnant accès à l’ensemble du droit<br />

français. Il annonce clairement son propos : « ... des lois en<br />

général ». Etait certes sous-jacente l’idée que le droit civil est la<br />

branche maîtresse (fondatrice?) de l’ordonnancement positif. La<br />

France du XIX e siècle a été « constituée » davantage par son Code<br />

civil que par ses Constitutions successives. Le droit des relations familiales,<br />

en ce inclus les successions à cause de mort, les contrats et<br />

la responsabilité pour faute demeurent les piliers fondamentaux de la<br />

vie en société. Les régimes politiques se modifient le fondement civil<br />

de la société résiste. Face aux modifications subies par la plupart des<br />

autres titres du Code civil, la permanence des principes posés dans le<br />

titre préliminaire est remarquable : à l’exception de l’article 1 er , le<br />

texte des cinq autres articles est demeuré intact, le rédacteur du Code<br />

judiciaire n’ayant pas estimé devoir modifier le libellé des articles 4<br />

et 5 passés sous les numéros 5 et 6 de ce Code. La relecture des travaux<br />

préparatoires révèle aussi la volonté du législateur de faire une<br />

œuvre universellement acceptable, il s’agit de s’aligner sur « les nations<br />

policées », expression qui apparaît à plusieurs reprises dans les<br />

travaux préparatoires du titre préliminaire.<br />

François RIGAUX<br />

Professeur émérite de l’U.C.L.<br />

Membre de l’Académie royale de Belgique<br />

(4) Eod. loco, pp. 27-28.<br />

(5) Eod. loco, p. 42.<br />

(6) Cass., 1 re ch., 8 févr. 1849, Assurances générales de Paris c. Ruelens, Pas.,<br />

1849, I, 239.<br />

2004<br />

247


2004<br />

248<br />

DE LA JOUISSANCE<br />

ET DE LA PRIVATION<br />

DES DROITS CIVILS<br />

Livre I - Titre I<br />

Le livre premier du Code civil traite « Des personnes » et s’ouvre par un<br />

titre premier qui s’articule sur deux chapitres.<br />

Le chapitre premier s’intitule « de la jouissance des droits civils » et le<br />

chapitre 2 « de la privation des droits civils ».<br />

Ces dispositions, décrétées le 17 ventôse an XI (8 mars 1803), forment<br />

à l’origine un corps à peu près cohérent de 27 articles, dont les dix premiers,<br />

qui composent le chapitre premier, s’attachent à assurer la jouissance<br />

des droits civils à tout Français (art. 8), qu’il soit ou non<br />

« citoyen », au sens légal du terme (art. 7), à poser les conditions de réclamation<br />

(art. 9), d’acquisition et de recouvrement (art. 10) de la<br />

« qualité de Français », à régir la condition des étrangers en France<br />

(art. 11 à 13) et à décréter la compétence internationale de juridiction<br />

des tribunaux français dès qu’une partie en a la nationalité (art. 14 et<br />

15), en imposant à l’étranger demandeur la cautio judicatum solvi<br />

(art. 16).<br />

Les dix-sept articles suivants, réunis dans le chapitre 2, sont scindés en<br />

deux sections : la première est intitulée « de la privation des droits civils<br />

par la perte de la qualité de Français », et posent les règles de perte de<br />

la nationalité française (art. 17, 19 et 21) ainsi que de recouvrement de<br />

celle-ci (art. 18, 19 et 21), en précisant les effets qui s’y attachent<br />

(art. 20). La seconde section dispose « de la privation des droits civils<br />

par suite des condamnations judiciaires » et organise, par douze articles,<br />

« la mort civile » (art. 22 à 33).<br />

Au jour du bicentenaire du Code Napoléon, force est de constater que le<br />

texte original a subi un profond élagage. Il ne reste ainsi du titre premier<br />

que quatre articles, réunis au sein du seul chapitre premier, sur les vingtsept<br />

qu’il comportait originairement.<br />

* * *<br />

L’article 7 a conservé son libellé originaire alors même que la disposition<br />

qu’il contient n’est plus, depuis notre Constitution de 1831, « en<br />

harmonie avec notre ordre politique » (1).<br />

Il dispose que « l’exercice des droits civils est indépendant de la qualité<br />

de citoyen, laquelle ne s’acquiert et ne se conserve que conformément à<br />

la loi constitutionnelle ».<br />

Or, par l’abolition des conditions qu’il convenait de remplir, sous la<br />

Constitution française de l’an VIII, pour acquérir le titre de citoyen,<br />

cette qualité légale a disparu (2).<br />

Et dès lors, tous les Belges sont désormais par leur nationalité des citoyens<br />

et sont, par conséquent, habiles à exercer les droits politiques,<br />

sous les conditions posées par la Constitution.<br />

La seule vertu qu’a conservé cet article est donc de maintenir, dans le<br />

Code civil, la distinction entre les droits civils ou privés qu’il traite et<br />

(1) F. Laurent, Principes de droit civil, Bruxelles, Bruylant, 3 e éd. 1878,<br />

n o 317, p. 417.<br />

(2) Pour être citoyen, il fallait ainsi être du sexe masculin, français, avoir 21 ans<br />

accomplis et être inscrit sur le registre civique de son arrondissement communal,<br />

et résider pendant une année dans l’arrondissement communal où l’on voulait<br />

exercer ses droits politiques.<br />

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régit, et les droits politiques, qui sont eux réglés par la Constitution et<br />

les lois qui s’y rapportent.<br />

L’article 7 du Code civil a d’ailleurs, ce qui exprime clairement cette<br />

dualité, son pendant à l’article 8 de notre Constitution qui dispose pour<br />

sa part que c’est certes à la loi civile de déterminer comment s’acquiert,<br />

se conserve et se perd « la qualité de Belge », mais bien à « la Constitution<br />

et (aux) autres lois relatives aux droits politiques » de déterminer<br />

« quelles sont, outre cette qualité, les conditions nécessaires pour<br />

l’exercice de ces droits ».<br />

L’article 8 du Code civil poursuit dans cette voie de la démarcation<br />

en disposant que « tout Belge jouira des droits civils ». Le texte original<br />

du 18 mars 1803 posait cette règle pour « tout Français », et<br />

non pour tout « citoyen », ce qui est dans cette même logique. Mais<br />

il ne parle que de la jouissance des droits civils, qui naît avec l’acquisition<br />

de la nationalité belge, l’exercice de ces droits étant lié à la<br />

capacité. Un mineur ou un incapable majeur, pourvu qu’il soit belge,<br />

jouit ainsi des droits civils, mais ne peut les exercer qu’à l’intervention<br />

de son représentant légal.<br />

Par contre, l’étranger ne jouissait, en Belgique, des droits civils dont<br />

tous les Belges ont sans condition la jouissance, que pour autant, suivant<br />

l’article 11 du Code civil, que « les traités de la Nation à laquelle<br />

cet étranger appartiendra » accordent ces mêmes droits aux Belges.<br />

La loi du 15 décembre 1980 supprime cette condition de réciprocité en<br />

donnant un nouveau contenu à l’article 11 du Code civil qui assure désormais<br />

à l’étranger en Belgique la jouissance de « tous les droits civils<br />

reconnus aux Belges, sauf les exceptions établies par la loi ».<br />

Cette révision radicale est en réalité la consécration législative de la jurisprudence<br />

de notre Cour de cassation qui, dès 1929, déduisit de<br />

l’article 128 de la Constitution (3) le principe de l’égalité de traitement<br />

qui permet à l’étranger de se prévaloir de tout droit quelconque dont la<br />

jouissance n’est pas réservée au Belge par une disposition expresse de<br />

la loi (4).<br />

Le nouvel alinéa 2 de l’article 11 a assuré quant à lui l’assimilation<br />

complète de l’étranger établi sur notre territoire, et a entraîné l’abrogation<br />

logique de l’article 13 du Code civil (5).<br />

* * *<br />

Le Code Napoléon réglait la nationalité française, par huit articles (6),<br />

qui trouvaient tous place au sein du titre premier de son livre premier.<br />

Au début de notre indépendance, les conditions d’acquisition et de perte<br />

de la nationalité belge furent ainsi régies par le Code civil, complété<br />

d’abord par les articles 4 et 5 de la Constitution (7), puis par des lois<br />

particulières (8).<br />

(3) Nouvellement numéroté 191 depuis la Constitution coordonnée du<br />

17 février 1994.<br />

(4) Cass., 10 oct. 1929, Jenni c. Lombois, Pas., 1929, I, p. 322; F. Rigaux et<br />

M. Fallon, Droit international privé, t. II, Larcier, Bruxelles, 2 e éd., 1993,<br />

n o 716, p. 121.<br />

(5) L’article 13 du Code Napoléon disposait en effet que « L’étranger qui aura<br />

été admis par le gouvernement à établir son domicile en France, y jouira de tous<br />

les droits civils, tant qu’il continuera à y résider » et accordait donc le bénéfice<br />

de l’assimilation à l’étranger régulièrement établi.<br />

(6) A savoir les articles 9, 10, 12 et 17 à 21 du Code Napoléon.<br />

(7) Nouvellement numérotés 8 et 9 depuis la Constitution coordonnée du<br />

17 février 1994, qui disposent qu’il revient à la loi civile de régler la matière et<br />

consacrent le mode particulier d’acquisition de la nationalité belge par naturalisation,<br />

en précisant que celle-ci est accordée par le pouvoir législatif.<br />

(8) Pour le détail de ces textes législatifs, voy. Ch.-L. Closset, Traité de la nationalité<br />

belge, Larcier, Bruxelles, 1993, n os 65 et 66, pp. 40 et 41.


Vint ensuite la loi du 8 juin 1909 sur l’acquisition et la perte de la nationalité<br />

belge (9) qui contient un ensemble de règles nouvelles et remaniera<br />

considérablement la législation relative à la nationalité. Elle engendra<br />

surtout l’abrogation des dispositions du Code civil qui jusqu’à<br />

elle régissaient la matière de la nationalité. Et elle n’y retourna plus, demeurant<br />

cernée par des lois coordonnées consacrant des textes cohérents,<br />

dont la dernière évolution est le Code de la nationalité institué par<br />

la loi du 28 juin 1984.<br />

* * *<br />

Le chapitre premier s’achevait originairement par trois articles relevant<br />

de la procédure civile.<br />

Ainsi, l’article 14 assurait la compétence nationale et internationale<br />

des tribunaux français au profit de tout ressortissant français désireux<br />

d’ester en justice contre un étranger, que celui-ci réside en France<br />

ou non, que les obligations litigieuses aient été ou non contractées<br />

en France. Cette règle exorbitante sur le plan du droit international<br />

privé tendait à offrir à tout Français la garantie d’agir devant une juridiction<br />

nationale nécessairement impartiale et équitable, ce dont il<br />

ne pouvait être certain s’il s’était trouvé contraint de procéder dans<br />

un autre for.<br />

Sans doute parce qu’il a fini par paraître « odieux » (10), cet article<br />

fut abrogé par la loi du 15 décembre 1949 (11). Il a toutefois survécu,<br />

en quelque sorte, en matière d’état des personnes, par l’effet de<br />

l’article 3, alinéa 3, du Code civil qui désigne la droit national de<br />

l’individu au titre de loi applicable à son statut personnel. Il paraît<br />

effectivement inévitable de maintenir une règle de compétence juridictionnelle<br />

permettant de soumettre aux juridictions belges toute<br />

question relative à l’Etat ou à la capacité d’un Belge (12), même si<br />

cette solution est douteuse puisqu’elle est à proprement parler incompatible<br />

avec l’abandon de ce critère de compétence reposant sur<br />

la nationalité du demandeur voulu par le législateur qui a abrogé<br />

l’article 14 du Code civil.<br />

L’article 15 du Code Napoléon a par contre survécu (13) et assure donc<br />

toujours la compétence internationale de nos juridictions dès que le défendeur<br />

est belge, sauf évidemment lorsque cette disposition de droit interne<br />

doit s’incliner face à un traité international. Sous cette réserve,<br />

cette disposition institue donc en toutes matières, patrimoniales et extrapatrimoniales<br />

(14), un privilège de juridiction du juge belge à l’égard<br />

des Belges.<br />

L’article 16 enfin, qui contraignait l’étranger demandeur qui souhaite<br />

procéder devant les juridictions belges à donner caution, garante<br />

de sa solvabilité, « pour le paiement des frais et dommages et intérêts<br />

résultant du procès » fut abrogé lors de la réforme de la procédure ci-<br />

(9) Loi du 8 juin 1909, M.B., 17 juin 1909.<br />

(10) Voy. F. Laurent, Principes de droit civil, Bruxelles, Bruylant, 3 e éd. 1878,<br />

n o 436, p. 545, qui écrivait ceci « espérons qu’un jour ce privilège paraîtra<br />

odieux, parce qu’il n’aura plus de raison d’être ».<br />

(11) Loi du 15 décembre 1949 corrigeant les termes périmés du texte français<br />

du Code civil et y constatant certaines abrogations tacites, M.B., 1 er , 2 et<br />

3 janvier 1950.<br />

(12) F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, t. II, Larcier, Bruxelles,<br />

2 e éd. 1993, n o 818, pp. 200 et 201, et spécialement la jurisprudence citée.<br />

(13) Même si certains auteurs ont soutenu son abrogation tacite par la loi du<br />

25 mars 1876 sur la compétence; voy. P. De Paepe, Etudes sur la compétence<br />

civile à l’égard des étrangers, t. I, n o 749, p. 141 et L. Ganshof, « La compétence<br />

générale des tribunaux belges à l’égard des Belges, en matière d’état et<br />

de capacité », J.T., 1976, p. 93, qui est une thèse à rejeter (voy., à ce propos,<br />

F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, t. II, Larcier, Bruxelles, 2 e<br />

éd. 1993, n o 816, pp. 198 et 199).<br />

(14) La conception extensive du champ d’application matériel de l’article 15<br />

du Code civil prévaut en effet même s’il se réfère dans sa lettre à des obligations<br />

« contractées » (voy., à ce propos : H. Born, M. Fallon et J.- L. Van Boxstael,<br />

« Droit judiciaire international : chronique de jurisprudence 1991-1998 »,<br />

Les Dossiers J.T., n o 292, pp. 558 et 559).<br />

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vile du 10 octobre 1967 instaurant le Code judiciaire. Mais le principe<br />

de la cautio judicatum solvi n’a pas disparu pour autant puisqu’il<br />

demeure de droit positif, désormais inscrit à l’article 851 du Code judiciaire<br />

(15).<br />

* * *<br />

Quant à la section II du chapitre 2, sous le thème « De la privation<br />

des droits civils par suite des condamnations judiciaires », elle organisait<br />

en douze articles (16) la « mort civile », cette institution venue<br />

de l’ancien droit qui se définissait comme « l’état d’un homme retranché<br />

de la société civile et qui ne peut plus contracter avec elle »<br />

(17).<br />

La Constitution belge l’a abolie, dès 1831, par son article 13 (18), qui<br />

en interdit d’ailleurs le rétablissement. Il en résulta évidemment<br />

l’abrogation (19) des articles 22 à 33 du Code civil. Il aura fallu attendre<br />

en France une loi du 31 mai 1854 pour que son abolition y soit<br />

prononcée.<br />

* * *<br />

Il ne subsiste ainsi du titre premier du livre premier, qui en comptait originairement<br />

vingt-sept, que quatre articles.<br />

Cette indigence, à bien y regarder, a deux causes essentielles : la première<br />

est historique et repose sur l’abolition de la mort civile, la seconde<br />

résulte de la volonté du législateur d’assurer une<br />

« codification », par un texte distinct du Code civil, du droit de la nationalité.<br />

Jean-Christophe BROUWERS<br />

Avocat au barreau de Bruxelles<br />

Assistant à l’U.L.B.<br />

(15) Pour un commentaire de cet article : G. de Leval, Eléments de procédure<br />

civile, Collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège, Larcier, 2003,<br />

note 148, p. 49.<br />

(16) Soit les articles 22 à 33 du Code Napoléon.<br />

(17) Propos de l’avocat général Gilbert, rapporté par F. Laurent, Principes de<br />

droit civil, Bruxelles, Bruylant, 3 e éd. 1878, n o 401, p. 506, qui se réjouit<br />

d’ailleurs de l’abolition de la mort civile en Belgique par le constituant de 1831<br />

en ces termes : « Nous sommes heureux de n’avoir pas à commenter la loi barbare<br />

qui souillait le Code Napoléon ».<br />

(18) Nouvellement numéroté 18 depuis la Constitution coordonnée du<br />

17 février 1994,<br />

(19) Seulement tacite jusqu’à la loi du 15 décembre 1949 corrigeant les termes<br />

périmés du texte français du Code civil et y constatant certaines abrogations tacites,<br />

M.B., 1 er , 2 et 3 janvier 1950, qui les abrogent expressément.<br />

2004<br />

249


2004<br />

250<br />

DES ACTES DE L’ÉTAT CIVIL<br />

Livre I - Titre II<br />

Le titre II du livre premier du Code civil consacre un des acquis majeurs<br />

de la Révolution française : la sécularisation et l’organisation<br />

officielle de l’état civil annoncée par la Constitution du 3 septembre<br />

1791 et réalisée par le décret des 20-25 septembre 1792. L’état civil<br />

devenait ainsi une prérogative de la puissance publique. Les règles<br />

relatives à son organisation et à la tenue des registres sont en conséquence<br />

d’ordre public et les actes de l’état civil des actes authentiques<br />

rédigés par des fonctionnaires publics; ils constituent la seule<br />

preuve légale de l’état des personnes quant aux faits qu’ils ont pour<br />

objet de constater.<br />

Lors de la rédaction du Code civil, les actes de l’état civil avaient pour<br />

but de « conserver et de distinguer les familles » (1). Ils constataient en<br />

effet les faits les plus saillants qui pouvaient affecter le status familiae,<br />

à savoir la naissance, le mariage et le décès. Au fil du temps, un second<br />

objectif va s’adjoindre au premier : les actes de l’état civil vont aussi<br />

avoir pour objet de constater le status civitatis de l’individu (à tout le<br />

moins certains éléments de celui-ci). Ainsi, c’est à partir de la loi du<br />

15 mai 1922 sur la nationalité qu’en Belgique certains modes d’acquisition<br />

volontaire de la nationalité (l’option par exemple) devront être<br />

transcrits dans les registres, mention en étant faite en marge de l’acte de<br />

naissance.<br />

Le titre II du livre premier du Code civil a néanmoins conservé sa structure<br />

initiale. Il se subdivise en six chapitres dont l’intitulé n’a, à une exception<br />

près, pas changé. Par contre, au sein de ces chapitres, de nombreux<br />

articles ont fait l’objet de modifications législatives. Ces changements<br />

peuvent paraître à première vue mineurs parce qu’ils ne<br />

concernent que les instrumenti faisant preuve de faits ou d’actes juridiques<br />

qui affectent l’état, les conséquences de ces faits ou actes étant<br />

quant à elles déterminées par les principes généraux du droit civil de la<br />

famille faisant l’objet d’autres parties du Code (le mariage, le divorce,<br />

la filiation, l’adoption ... ). Ils ne sont toutefois pas insignifiants : si certains<br />

de ces changements sont le résultat de l’évolution des pratiques et<br />

constituent essentiellement des adaptations du Code Napoléon au temps<br />

qui passe et qui a passé, d’autres par contre témoignent des évolutions<br />

majeures du droit de la famille au cours de ces deux derniers siècles.<br />

Evolutions parfois, voire souvent, fondamentalement différentes de celles<br />

du droit français. Car si un même Code nous unissait au départ, l’interprétation<br />

et/ou les modifications de celui-ci ont abouti à un droit de<br />

la famille empreint de similarités dans ses options de base, mais aussi<br />

des profondes différences.<br />

I. — DE LA TENUE DES REGISTRES<br />

ET DE LA PUBLICITÉ DES ACTES<br />

Le premier chapitre du titre II du Code civil, c’est-à-dire les articles 34<br />

à 54, organise la tenue et le contrôle des registres de l’état civil. Les<br />

principes de 1804 n’ont pas été modifiés, si ce n’est incidemment sur<br />

des points mineurs (2) : les prescriptions relatives à la forme des registres,<br />

tenus en double, cotés et paraphés par le président du tribunal de<br />

première instance, leur clôture en fin d’année et le dépôt aux archives<br />

de la commune et au greffe, le contrôle opéré par le ministère public ain-<br />

(1) Rapport du tribun Siméon, séance du 17 ventôse an XI, Locré, édition belge,<br />

t. II, p. 94, n o 1.<br />

(2) Suppression de la mention de la profession dans les actes (art. 34, C. civ.<br />

modifié par la loi du 31 mars 1987), âge des témoins adapté lors de l’abaissement<br />

de l’âge de la majorité (art. 37, C. civ. modifié par la loi du 19 janvier<br />

1990).<br />

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si que la responsabilité des officiers de l’état civil (3) n’ont fait l’objet<br />

d’aucune transformation fondamentale, nonobstant l’informatisation<br />

des services et la création d’un registre national en 1983 (4).<br />

Le principal article de ce chapitre ayant fait l’objet d’une réelle évolution<br />

est l’article 45 qui organise la publicité des actes de l’état civil.<br />

Le Code Napoléon avait organisé un système de délivrance très<br />

ouvert, permettant à toute personne de se faire délivrer par les dépositaires<br />

des registres de l’état civil des extraits de ces registres. On<br />

considérait en effet que ces actes intéressaient la société entière et<br />

qu’il importait donc qu’ils puissent être communiqués à tous ceux<br />

qui le demandaient (5). Une loi du 2 juin 1894 avait modifié le libellé<br />

de l’article 45 mais n’avait pas altéré ce principe. Les « extraits » devaient<br />

être en principe une copie entière et complète de l’acte. L’usage<br />

s’était toutefois introduit dès le XIXe siècle de délivrer à titre<br />

d’extraits des résumés contenant tout ce qui était substantiel à l’acte<br />

(6), ceci afin « d’éviter des froissements pour les familles » notamment<br />

en ce qui concernait la délivrance d’actes de naissance (7). Les<br />

parties avaient le droit d’exiger néanmoins une copie complète de<br />

l’acte et les officiers de l’état civil ne pouvaient refuser de satisfaire<br />

à cette demande.<br />

Ce système fut largement modifié à l’occasion de réformes législatives<br />

concernant l’adoption (loi du 21 mars 1969) et la filiation (loi du<br />

31 mars 1987). Une distinction claire fut introduite entre les extraits et<br />

les copies d’actes, soumis à des règles différentes en matière de<br />

publicité : l’extrait, qui ne mentionne pas la filiation des personnes qu’il<br />

concerne, peut être délivré à toute personne, sans justification d’un intérêt;<br />

la délivrance d’une copie intégrale de l’acte (reprenant les liens de<br />

filiation) est par contre soumise à des règles plus strictes si l’acte date<br />

de moins de cent ans (8). Certaines personnes énumérées à l’article 45,<br />

§1er , alinéa 2 (9), sont en quelque sorte présumées avoir un intérêt légitime<br />

à en obtenir copie sans autorisation quelconque, alors que les<br />

autres devront demander l’autorisation au président du tribunal de première<br />

instance et démontrer qu’elles justifient d’un intérêt familial,<br />

scientifique ou tout autre intérêt légitime.<br />

Le législateur de la fin du XX e siècle a ainsi fait le choix d’un système<br />

de publicité « relative » respectant l’objectif premier de son homologue<br />

de 1804, à savoir le caractère nécessairement public de l’état civil laïcisé,<br />

tout en adaptant celui-ci aux exigences nouvelles du droit au respect<br />

de la vie privée.<br />

II. — DES ACTES DE NAISSANCE,<br />

ET DONC DE LA FILIATION...<br />

Le chapitre II, intitulé aujourd’hui encore « Des actes de<br />

naissances » témoigne tout particulièrement de la distanciation pro-<br />

(3) Pour plus de détails sur ces principes, cf. notam., H. De Page et J.-P. Masson,,<br />

Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, vol. I, 4 e éd., Bruxelles, Bruylant,<br />

1990, pp. 277 et s.<br />

(4) Loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques.<br />

Bien qu’il soit parfois considéré comme un « casier civil » (en ce sens, Wallemacq,<br />

« Le registre national des personnes physique », J.T., 1984, p. 704,<br />

n o 38), ce registre n’est pas un registre de l’état civil mais un système de traitement<br />

centralisé de données d’origine et leurs modifications concernant l’état<br />

civil de chaque personne, à l’exclusion de ce qui concerne la filiation.<br />

(5) Cf. notam., Rép. prat. dr. belge, v o « Actes de l’état civil », t. 1, 1930,<br />

p. 118, n o 271.<br />

(6) Conformément à une circulaire ministérielle du 27 juillet 1841, Rec. just.,<br />

1836-1841, p. 327.<br />

(7) Rép. prat. dr. belge, op. cit., p. 119, n o 282.<br />

(8) Lorsque l’acte date de plus de cent ans, toute personne peut en obtenir<br />

copie, comme pour les extraits (art. 45, § 1 er , al. 2, C. civ., a contrario).<br />

(9) Les autorités publiques, la personne que l’acte concerne, son conjoint ou<br />

son conjoint survivant, son représentant légal, ses ascendants, ses descendants,<br />

ses héritiers, leur notaire ou leur avocat.


gressive entre le droit belge et le droit français évoquée, par la voie<br />

d’un double phénomène générateur d’évolution : d’une part, des interprétations<br />

différentes données par les juridictions des deux pays à<br />

un texte identique et, d’autre part, des modifications législatives en<br />

sens divergents, parfois fondées précisément sur ces différences<br />

d’interprétation.<br />

L’exemple le plus révélateur de ce phénomène concerne l’article 57<br />

du Code civil de 1804 qui définissait le contenu de l’acte de naissance<br />

en précisant qu’il énoncerait notamment « les prénoms, noms,<br />

profession et domicile des père et mère ». En 1853 et 1855, la Cour<br />

de cassation belge (10) a considéré que l’indication du nom de la<br />

mère (mariée ou non) dans l’acte de naissance était obligatoire et a<br />

considéré ainsi que l’intérêt de l’enfant à connaître l’identité de sa<br />

mère avait une prépondérance absolue, y compris par rapport au secret<br />

professionnel des médecins. La Cour de cassation française (11),<br />

par contre, s’était prononcée dix ans plut tôt en faveur de la possibilité<br />

pour les médecins de préserver le secret de l’identité de la mère<br />

naturelle et affirmé ainsi résolument la place qu’il fallait laisser à la<br />

volonté dans l’établissement d’un lien juridique entre un enfant et sa<br />

mère (12). Cette permission jurisprudentielle de garder le secret de<br />

l’accouchement, d’une part, et de l’identité de la mère (et donc du père)<br />

dans l’acte de naissance, d’autre part, fut consacrée légalement et<br />

même étendue à la femme mariée pour culminer (13) dans la loi française<br />

du 8 janvier 1993 (14).<br />

Ainsi, un texte identique du Code civil de 1804 fut le creuset d’une<br />

évolution profondément différente aboutissant aujourd’hui à ce que<br />

l’accouchement anonyme soit une des « institutions » à laquelle le<br />

droit français reste profondément attaché malgré les immenses controverses<br />

et discussions qu’elle continue d’engendrer (15), alors que<br />

le droit belge a toujours jusqu’ici refusé clairement de s’orienter<br />

dans cette voie et continue à s’en tenir au principe Mater semper certa<br />

est (16).<br />

Ceci n’empêche pas les articles 55, 56 et 57 d’avoir été modifiés par la<br />

loi du 30 mars 1984 qui a allongé les délais de déclarations de naissance,<br />

supprimé la présence de témoins et la mention de la profession dans<br />

l’acte, précisé la responsabilité des personnes ayant l’obligation de déclarer<br />

la naissance ou d’en donner avis, imposé aux officiers de l’état<br />

civil de mentionner le nom attribué à l’enfant en application des règles<br />

(10) Cass., 14 nov. 1853, Pas., 1854, I, p. 10; Cass., 10 juill. 1855, Pas., 1855,<br />

I, p. 303.<br />

(11) Cass. fr., 16 sept. 1843, Sirey, I, 915; Cass. fr., 1 er juin 1844, Sirey, 1844,<br />

I, 670.<br />

(12) Sur cette différence d’interprétation et ses conséquences, cf. M.-Th. Meulders-Klein,<br />

« Le secret de la maternité », J.T., 1976, pp. 417-423 et 433-443;<br />

J. Dalcq, « L’enfant de qui? », Droit comparé des personnes et de la famille -<br />

Liber amicorum Marie-Thérèse Meulders-Klein, Bruxelles, Bruylant, 1998,<br />

pp. 130 et s.<br />

(13) Selon les termes de M.-Th. Meulders-Klein, « Réflexions sur les destinées<br />

de la possession d’état d’enfant », Droit des personnes et de la famille - Mélanges<br />

à la mémoire de Danièle Huet-Weiller, Presses universitaires de Strasbourg,<br />

L.G.D.J., 1994, p. 324.<br />

(14) Les lois du 5 juillet 1996 et du 22 janvier 2002 ont néanmoins ouvert des<br />

brèches dans cette « culture du secret » française.<br />

(15) Cf. notam., « L’accès aux origines personnelles », dossier, Actualité juridique<br />

de la famille, n o 3/2003, pp. 86 et s.<br />

(16) Ce principe, au cœur de la condamnation de la Belgique dans l’arrêt<br />

Marckx (Marckx c. Belgique, C.E.D.H., 13 juin 1979, serv. A, n o 31), a été réaffirmé<br />

à l’article 312 du Code civil par la loi belge du 31 mars 1987. La question<br />

de l’opportunité d’introduire ou non l’accouchement anonyme en droit belge a<br />

néanmoins divisé le comité consultatif de bioéthique (avis n’ 4 du 12 janvier<br />

1998 concernant la problématique des accouchements anonymes) et une proposition<br />

de loi visant à le permettre tout en prévoyant des modalités d’accès aux<br />

origines inspirées des récentes modifications législatives françaises en la matière<br />

a été (re)déposée par M. Monfils (proposition de loi modifiant le Code civil,<br />

la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée<br />

le 14 juillet 1994 et la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection<br />

de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel, afin<br />

de permettre l’accouchement anonyme déposée par Philippe Monfils, Doc.<br />

parl., Ch. repr., sess. extraord. 2003, n o 0155/001).<br />

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légales en la matière, et prévu qu’il n’appartenait plus à l’officier de<br />

l’état civil de constater les naissances mais au médecin ou à l’accoucheuse<br />

agréée. On a sur ce dernier point validé ce qui se faisait déjà en<br />

fait, les officiers de l’état civil n’ayant plus aujourd’hui matériellement<br />

le temps de se rendre dans les maternités pour y constater par euxmêmes<br />

les naissances (17)...<br />

Autre témoin de l’évolution différente des droits de la famille belge<br />

et français : l’article 62 du Code civil qui concerne les actes de reconnaissance.<br />

Alors qu’en 1804, on avait pu se borner à indiquer que<br />

« l’acte de reconnaissance d’un enfant sera inscrit sur les registres, à<br />

sa date, et il en sera fait mention en marge de l’acte de naissance s’il<br />

en existe un », la place croissante prise par la reconnaissance comme<br />

mode d’établissement de la paternité hors mariage a induit la nécessité<br />

d’une formulation plus précise de cette disposition légale. Alors<br />

que le droit de la filiation français a maintenu le principe de la<br />

« liberté » de la reconnaissance, la version belge actuelle de<br />

l’article 62 provient de la loi du 31 mars 1987 ayant réformé profondément<br />

le droit de la filiation, notamment en prévoyant désormais<br />

l’exigence du consentement de l’enfant et/ou de la mère pour toute<br />

reconnaissance paternelle (18). Exigence nouvelle, donc mention<br />

nouvelle dans l’acte de reconnaissance...<br />

III. — DES ACTES DE DÉCÈS<br />

ET DES ACTES DE DÉCLARATION<br />

D’ENFANT SANS VIE<br />

Les règles relatives aux actes de l’état civil constatant la fin de la vie ont<br />

beaucoup moins évolué que celles relatives au début de celle-ci. Comme<br />

si la mort restait la mort, là où la vie se transforme...<br />

C’est précisément en un point charnière entre la vie et la mort que se<br />

situe la seule modification importante de cette partie du Code : la loi du<br />

27 avril 1999 a abrogé le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de<br />

rédaction de l’acte par lequel l’officier de l’état civil constatait qu’il lui<br />

avait été présenté un enfant sans vie et inséré dans le Code civil un<br />

article 80bis faisant en quelque sorte de l’acte de déclaration d’enfant<br />

sans vie un acte de l’état civil. Il concerne les enfants « décédés au moment<br />

de la constatation de leur naissance », c’est-à-dire morts-nés. Ces<br />

enfants ne peuvent faire l’objet ni d’un acte de naissance (car ils ne sont<br />

pas nés vivants et viables) ni d’un acte de décès « classique » (car ils<br />

n’ont pas vécu); l’article 80bis du Code civil prévoit qu’un acte spécifique<br />

énoncera les jour, heure et lieu de l’accouchement, le sexe de l’enfant,<br />

identifiera ses père et mère, et permet également (la nouveauté résidant<br />

essentiellement ici) la mention de prénoms si ceux-ci le demandent.<br />

Le législateur a ainsi voulu apporter une solution meilleure aux<br />

aspects humains et psychologiques de la problématique du deuil périnatal.<br />

L’acte de l’état civil se voit ici conférer une fonction inédite et<br />

originale : il ne s’agit plus de fournir une preuve certaine de l’état<br />

d’une personne en constatant un fait ou un acte juridique qui modifie<br />

cet état; il s’agit seulement de constater l’existence (ou plus exactement<br />

la non-inexistence) d’un être qui est né mais qui n’a pas vécu,<br />

et qui, pour cette raison, n’a pas acquis la qualité de personne juridique.<br />

L’enfant mort-né ne se voit pas conférer par cette<br />

« reconnaissance officielle » un statut juridique (un « état »). La<br />

puissance publique entend seulement par là ne pas lui dénier le fait<br />

d’avoir été, ceci dans le but d’aider les parents à faire leur deuil. Il<br />

(17) Pour plus de détails, cf. P. Senaeve, « De wet van 30 maart 1984 inzake de<br />

geboorteaangiften : een kleine wijziging met grote gevolgen », R.W., 1984-<br />

1985, col. 1537-1554.<br />

(18) Article 319 du Code civil belge, largement censuré par différents arrêts de<br />

la Cour d’arbitrage...<br />

2004<br />

251


2004<br />

252<br />

s’agit assurément d’une fonction que n’avaient pas imaginée les rédacteurs<br />

du Code civil...<br />

IV. — DES ACTES DE MARIAGE,<br />

ET DES « ACTES DE DÉCLARATION »<br />

Alors que, comme le mariage lui-même, il avait assez bien résisté aux<br />

assauts du temps, c’est également à la fin du XXe siècle que le chapitre<br />

III de cette partie du Code civil, consacré aux actes de mariage, va être<br />

profondément revu.<br />

Le nouveau millénaire a sonné le glas des publications de mariage<br />

par voie d’affichage « devant la porte de la maison commune ». Un<br />

système entièrement nouveau d’acte de déclaration du désir de se<br />

marier, de constitution et contenu du dossier à déposer, de possible<br />

refus par l’officier de l’état civil de dresser l’acte ou de célébrer le<br />

mariage (et de recours contre ces décisions) a été mis en place par la<br />

loi du 4 mai 1999 (19) qui a totalement modifié les articles 63 et suivants<br />

du Code civil. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce<br />

n’est pas la nécessité de moderniser le système mis en place par le<br />

Code Napoléon qui est à l’origine de cette réforme, mais bien le souci<br />

de lutter contre un phénomène certainement beaucoup moins présent<br />

il y a deux cents ans, et en tout cas moins préoccupant : les mariages<br />

simulés... C’est pour mieux lutter préventivement contre ces<br />

« faux mariages » que les formalités préalables à la célébration du<br />

mariage ont été totalement réorganisées.<br />

Quant aux modifications successives de l’article 76 relatif au contenu<br />

de l’acte de mariage, elles ne sont quant à elles que les suites lo-<br />

(19) Entrée en vigueur le 1 er janvier 2000. Pour plus de détails, cf. J. Sosson,<br />

« Les mariés de l’an 2000 - Les nouvelles dispositions relatives à la simulation<br />

et aux formalités préalables au mariage », J.T., 2000, pp. 649-658.<br />

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giques d’autres modifications législatives de dispositions de fond<br />

dans des matières diverses (20). Il en est de même de la modification<br />

apportée par la loi du 13 février 2003 à l’article 75 relatif au déroulement<br />

de la cérémonie : il appartient maintenant aux mariés de déclarer<br />

solennellement qu’ils se prennent pour « époux » et non plus<br />

pour « mari et femme », puisqu’ils peuvent désormais être de même<br />

sexe...<br />

V. — DE L’AVENIR POSSIBLE...?<br />

Alors même qu’il fait l’objet de sévères et nombreuses critiques depuis<br />

fort longtemps (21), d’une manière générale le système d’état civil mis<br />

en place par les révolutionnaires puis par les rédacteurs du Code civil a<br />

en définitive assez bien résisté à l’épreuve du temps. On peut certes penser<br />

qu’il faudrait des registres centralisés, complets (reprenant tous les<br />

événements susceptibles d’affecter l’état mais aussi la capacité des personnes),<br />

généraliser les mentions marginales, etc. Il est possible qu’une<br />

réforme générale provienne un jour d’un autre législateur, européen par<br />

exemple, s’il s’avérait que la libre circulation des personnes rende nécessaire<br />

une harmonisation des différents systèmes. Mais est-ce indispensable<br />

et surtout possible, alors même que certains Etats (de common<br />

law notamment) ne connaissent ni la notion d’état, ni, a fortiori, la notion<br />

d’état civil...?<br />

Jehanne SOSSON<br />

(20) Modification par les lois du 14 juillet 1976 (régimes matrimoniaux),<br />

31 mars 1987 (filiation), 19 janvier 1990 (majorité civile), 4 mai 1999 (mariage).<br />

(21) Notamment par de nombreux auteurs français tels que Planiol, Colin et<br />

Capitant, Weill, Terre, Marty et Raynaux, cités par H. De Page et J.-P. Masson,<br />

Traité élémentaire de droit civil belge, op. cit., t. I, p. 268, n o 264.


DU DOMICILE<br />

Livre I - Titre III<br />

I. — CONSTAT<br />

Qu’il est loin le temps de la mélodie de Philippe Chatel, « Avec ma maison<br />

sur le dos, comme un escargot ... »!<br />

Depuis la naissance du Code civil, en 1804, le domicile, considéré comme<br />

un attribut de la personnalité, est réglementé au travers des<br />

articles 102 à 111. Dix articles pour le définir, le déterminer et organiser<br />

les modalités de son changement; dix articles qui, somme toute, n’ont<br />

subi que peu de modifications durant ces deux siècles.<br />

Considéré comme une nécessité sociale en ce qu’il situe l’homme dans<br />

l’espace, le domicile est consacré par la loi aussi, et peut-être principalement,<br />

dans l’intérêt des tiers qui doivent pouvoir s’y adresser, avec la<br />

certitude d’atteindre l’individu qu’ils cherchent (1).<br />

II. — LE DOMICILE CIVIL<br />

La notion de domicile civil, encore appelé domicile réel, général ou de<br />

droit commun, s’entend, au sens de l’article 102 du Code, du lieu où une<br />

personne a son principal établissement, c’est-à-dire celui où elle a, à la<br />

fois, sa demeure, le centre de ses affaires, le siège de sa fortune, ses affections<br />

de famille, ses attaches permanentes, bref, le lieu où on la rencontre<br />

et la trouve généralement. L’acception du principal établissement<br />

est large : il dépend d’éléments factuels qui relèvent de l’appréciation<br />

souveraine du juge du fond (2). A côté de cet élément de fait coexiste<br />

un élément intentionnel qui conditionne la notion de domicile : le caractère<br />

réel du domicile s’accompagne de l’intention d’y fixer son principal<br />

établissement. Ce dernier élément apparaît clairement en cas de changement<br />

de domicile, qui ne se produit que « par le fait d’une habitation<br />

réelle dans un autre lieu, joint à l’intention d’y fixer son principal<br />

établissement » (art. 103, C. civ.).<br />

En principe, chaque citoyen choisit librement son domicile et peut le<br />

changer à sa convenance. Toutefois, la loi assigne d’office un domicile<br />

à certaines personnes pour des raisons qui dépendent soit de leur état,<br />

soit de leurs fonctions.<br />

C’est l’article 108, qui vise le domicile de droit tenant à l’état des personnes,<br />

qui a le plus évolué au fil du temps. La loi du 30 avril 1958 a<br />

d’abord supprimé la puissance maritale et l’incapacité de la femme mariée.<br />

Que les plus jeunes n’oublient pas qu’avant cette loi, le mariage entraînait<br />

l’attribution automatique pour la femme du domicile de droit de<br />

son mari : « la femme mariée n’a point d’autre domicile que celui de son<br />

mari », sauf en cas de séparation de corps ou de divorce (art. 108 et 204,<br />

C. Napoléon de 1804)! Le législateur de 1958, confirmé par celui de<br />

1965, a reconnu à chacun des époux le droit d’établir, seul et librement,<br />

son domicile, tandis que le législateur de 1990, confirmé par celui de<br />

1995, a introduit à l’article 108 la notion de résidence commune des<br />

père et mère, en lieu et place de domicile commun. Les époux peuvent<br />

donc avoir des domiciles distincts, notamment lorsqu’ils pratiquent chacun<br />

une profession, tout en exerçant le devoir réciproque de cohabitation<br />

à la résidence conjugale (3).<br />

(1) De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 1 er , 2 e éd., n o 306.<br />

(2) Rép. not., « Le domicile, une notion plurielle » (V. d’Huart), t. I, 1. VII, éd.<br />

2001, n o 20 et réf. cit.<br />

(3) Ibid., n o 11.<br />

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De même, le domicile du mineur non émancipé ne varie plus selon<br />

que l’enfant est légitime ou naturel (4). La loi du 31 mars 1987 sur la<br />

filiation a réalisé un bouleversement fondamental de notre droit civil,<br />

en mettant tous les enfants sur le même pied au regard de leurs parents<br />

et la loi du 13 avril 1995 relative à l’exercice conjoint de l’autorité<br />

parentale consacre le principe en traitant de la même façon les<br />

enfants du mariage et ceux nés hors mariage. Désormais, le mineur<br />

non émancipé a son domicile à la résidence commune de ses père et<br />

mère ou, si ceux-ci ne vivent pas ensemble, à la résidence de l’un<br />

d’eux (5).<br />

En sens inverse, l’article 109 du Code civil, qui vise le domicile de droit<br />

tenant aux fonctions, est resté intact : « les majeurs qui servent ou travaillent<br />

habituellement chez autrui, auront le même domicile que la personne<br />

qu’ils servent ou chez laquelle ils travaillent, lorsqu’ils demeureront<br />

avec elle dans la même maison ». Cette domiciliation légale, qui<br />

correspondait certes aux réalités sociales du début du XIXe siècle, paraît<br />

particulièrement surannée aujourd’hui et fait d’ailleurs l’objet des critiques<br />

de la doctrine moderne (6).<br />

III. — LE DOMICILE, UNE NOTION PLURIELLE<br />

La difficulté de la notion de domicile réside incontestablement dans le<br />

fait qu’elle est plurielle. Même si chaque individu n’a qu’un seul et unique<br />

domicile, celui de son principal établissement, il n’en reste pas<br />

moins que le sens du terme domicile varie selon les matières concernées.<br />

Il en va ainsi des domiciles dits spéciaux, créés en vue de circonstances<br />

particulières et qui ne coïncident pas nécessairement avec le domicile<br />

du Code civil.<br />

Le domicile élu est un domicile fictif, indépendant du domicile général,<br />

qui subsiste entièrement par ailleurs, créé volontairement ou imposé par<br />

la loi, pour l’exécution d’un acte ou d’une série d’actes déterminés. Le<br />

domicile politique, électoral ou d’éligibilité est celui où le citoyen peut<br />

exercer ses droits politiques, c’est-à-dire le domicile réel, le lieu d’habitation<br />

réelle. Le domicile de secours est le lieu où le citoyen a droit à<br />

l’aide sociale, soit le lieu de sa présence effective et habituelle. Le domicile<br />

en droit pénal et en droit constitutionnel s’entend, quant à son inviolabilité,<br />

de toute habitation, même passagère, occupée par une personne<br />

qui y a droit, à ce titre, au respect de son intimité, de sa tranquillité<br />

et plus généralement, de sa vie privée.<br />

Le Code judiciaire a introduit une autre notion du domicile. En effet,<br />

pour l’application du Code de 1967 et de l’ensemble des autres lois de<br />

procédure, sauf dispositions dérogatoires de stricte interprétation<br />

(art. 2, C. jud.), seul le lieu de l’inscription sur les registres de la population<br />

peut être pris en considération pour déterminer le domicile d’une<br />

personne physique établie en Belgique (art. 36, C. jud.). Il est vrai cependant<br />

que l’adresse renseignée pour le domicile est généralement la<br />

même en droit civil et en droit judiciaire, lorsqu’une personne est inscrite<br />

à titre principal au lieu de son principal établissement. Cette solution<br />

est d’ailleurs requise tant par le contenu de l’article 102 du Code<br />

civil (le domicile est au lieu du principal établissement) que par le critère<br />

déterminant l’inscription dans les registres de la population (la résidence<br />

principale). Ainsi, au-delà de la distinction théorique des concepts,<br />

les deux notions se rapprochent : le domicile est le lieu du principal<br />

établissement (art. 102, C. civ.), c’est-à-dire le lieu où la personne a<br />

son habitation réelle (art. 103, C. civ.) et où elle a établi le centre de ses<br />

(4) De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 1 er , 2 e éd., n o 321.<br />

(5) Rép. not., « Le domicile, une notion plurielle », op. cit., n os 22 et s.<br />

(6) De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 1 er , 2 e éd., n o 174;<br />

R.P.D.B., v o « Domicile » (N. Gallus), compl. t. VIII, n o 49.<br />

2004<br />

253


2004<br />

254<br />

activités, de son patrimoine, de ses affections. Mais il n’empêche que,<br />

comme l’article 102 du Code civil n’a pas été abrogé, il en résulte la<br />

possibilité de la coexistence d’un domicile civil (lieu du principal établissement)<br />

et d’un domicile judiciaire (lieu d’inscription sur les registres<br />

de la population) (7).<br />

IV. — APPLICATION RÉCENTE :<br />

LE DOMICILE ET L’ADRESSE DE RÉFÉRENCE<br />

Nombre de personnes en Belgique n’ont pas ou plus de résidence, de<br />

sorte que, d’une part, ces personnes perdent le lien qui les rattachait à<br />

leur administration communale et aux instances sociales et judiciaires<br />

et que, d’autre part, les tiers ne peuvent plus entrer en contact avec elles.<br />

Partant de ce constat, le législateur a introduit un nouveau concept,<br />

l’adresse de référence ou de contact, pour permettre l’inscription des<br />

personnes sans résidence mais aussi pour mettre fin à une pratique<br />

d’inscription dans les communes de personnes sans adresse. Cette pratique<br />

impliquait que la commune concernée tienne un registre spécial<br />

mentionnant l’endroit où la personne pouvait être trouvée, ce qui était<br />

devenu une source de difficultés ou d’abus (8).<br />

La loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux<br />

cartes d’identité, telle que modifiée par la loi du 24 janvier 1997, définit<br />

l’adresse de référence comme « l’adresse d’une personne physique inscrite<br />

au registre de la population au lieu où elle a établi sa résidence<br />

principale et où, avec l’accord de cette dernière, une personne sans résidence<br />

est inscrite ». La loi précise que celui qui accepte l’inscription<br />

d’une personne à titre d’adresse de référence s’engage, sans rétribution<br />

aucune, à lui faire parvenir tout courrier ou pièce administrative qui lui<br />

sont destinés. Enfin, la loi détermine de manière limitative les catégories<br />

de personnes et les conditions auxquelles cette notion est applicable<br />

(en substance, les sans-abri, les personnes séjournant dans une demeure<br />

mobile et celles n’ayant pas de résidence en Belgique en raison de leurs<br />

obligations professionnelles) (9).<br />

Jusqu’il y a peu, doctrine et jurisprudence analysaient généralement<br />

l’adresse de référence en un lieu élu (art. 39, C. jud.) par des personnes<br />

répondant à certaines conditions, chez un tiers ayant accepté un<br />

mandat particulier dont l’objet porte sur la réception et la transmission<br />

de tous documents administratifs ou judiciaires destinés au mandant<br />

(10).<br />

Toutefois, un arrêt de la Cour de cassation du 19 avril 2002 remet<br />

cette thèse en question. La Cour considère, en effet, que l’adresse de<br />

référence vaut inscription sur les registres de la population au sens<br />

de l’article 36 du Code judiciaire et qu’elle ne peut être tenue pour<br />

un domicile élu au sens de l’article 39 de ce Code. La Cour assimile<br />

donc purement et simplement l’adresse de référence au domicile de<br />

l’article 36 du Code judiciaire. Dès lors, une personne inscrite en<br />

adresse de référence a son domicile judiciaire au domicile judiciaire<br />

de la personne qui a accepté cette inscription. Cet arrêt est critiqué<br />

par la doctrine à plusieurs égards (11) et plusieurs questions prati-<br />

(7) A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Faculté de droit de Liège, 1987,<br />

n o 219.<br />

(8) Voy. E. Leroy, « Du domicile, de la résidence et de l’adresse de référence »,<br />

Formation permanente des huissiers de justice, Story-Scientia, 1997, pp. 201<br />

à 261; V. d’Huart, « Le domicile, une notion plurielle », Rép. not., t. I, 1. VII,<br />

Larcier, 2001, n o 14.<br />

(9) Voy. E. Leroy, op. cit.; V. d’Huart, op. cit., n os 14, 50, 64 et 99.<br />

(10) Voy. E. Leroy, op. cit., p. 233; V. d’Huart, op. cit., n os 14, 50 et 64.<br />

(11) B. Beeldens, « La saisie mobilière », in Saisies et astreinte, Formation<br />

permanente C.U.P., vol. 65, oct. 2003, n os 5-7; E. Leroy, « Repenser le<br />

formalisme », R.C.J.B., 2003, p. 315-372; V. d’Huart, « Inconnu à cette<br />

adresse », J.L.M.B., 2003, p. 1000.<br />

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ques se poseront certainement à l’avenir, notamment à propos des<br />

saisies pratiquées à l’adresse de référence. En effet, d’après l’interprétation<br />

de la Cour, une saisie pratiquée à l’adresse de référence du<br />

débiteur saisi est une saisie pratiquée à son domicile. Elle ne tombe<br />

donc pas dans le champ d’application de l’article 1503 du Code judiciaire<br />

qui vise la saisie hors du domicile du débiteur et chez un tiers,<br />

et qui est subordonnée à l’autorisation du juge, précisément dans le<br />

but de protéger le tiers contre toute intrusion non justifiée d’un prétendu<br />

créancier du débiteur saisi (12).<br />

V. — ET L’AVENIR?<br />

La matière du domicile échappera-t-elle à la mouvance législative?<br />

Rien ne prête à le croire. Les nouvelles technologies de l’information et<br />

de la communication auront nécessairement un impact sur les modes<br />

d’introduction de l’instance et les moyens de communication entre les<br />

acteurs du monde judiciaire et, partant, sur l’évolution du sens du domicile.<br />

VI. — LE DOMICILE ÉLECTRONIQUE<br />

L’introduction de moyens modernes de communication doit aboutir à<br />

l’informatisation du procès et déboucher sur une procédure électronique,<br />

au-delà de la simple possibilité de communiquer électroniquement<br />

entre les acteurs de la procédure. Le recours à la signification et à la notification<br />

électroniques appelle l’introduction du domicile électronique.<br />

Les auteurs du projet e-Justice proposent d’ajouter un alinéa 3 à<br />

l’article 36 du Code judiciaire pour définir le domicile électronique<br />

comme l’adresse de courrier électronique à laquelle la personne a accepté<br />

que lui soient adressées les significations et notifications d’actes<br />

de procédure (13). Le domicile électronique serait assimilé au domicile<br />

traditionnel (de l’article 36, C. jud.) et en produirait ainsi les mêmes<br />

effets.<br />

VII. — LA CARTE D’IDENTITÉ ÉLECTRONIQUE<br />

La carte d’identité est le document « valant certificat d’inscription au<br />

registre de la population » et assure un contrôle parfait du domicile<br />

judiciaire (14). La loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la<br />

population et aux cartes d’identité et modifiant la loi du 8 août 1983<br />

organisant un registre national des personnes physiques a réorganisé<br />

la tenue des registres de la population et a conféré une base légale à<br />

la délivrance des cartes d’identité. Chaque commune délivre une carte<br />

d’identité aux Belges et aux étrangers admis ou autorisés à s’établir<br />

dans le royaume (art. 6, § 1 er ). Depuis une loi-programme du<br />

5 juillet 2003 (15), la commune peut déléguer à La Poste s.a. de droit<br />

public la délivrance des cartes d’identité selon les modalités fixées<br />

par le Roi.<br />

(12) B. Beeldens, ibid.<br />

(13) V. Lamberts et L. Guinotte, « Projet e-Justice - Les modes d’introduction<br />

de l’instance et les moyens de communication entre les acteurs du monde judiciaire<br />

- Les significations et notifications d’actes de procédure », Act. dr., 2002-<br />

2, pp. 47 et s., spéc. pp. 60 à 66. Le rapport e-Justice est accessible sur le site<br />

http://www.droit.fundp.ac.be/e-justice/default.htm<br />

(14) A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Faculté de droit de Liège, 1987,<br />

n o 210.<br />

(15) M.B., 7 août 2003.


La loi du 19 juillet 1991 a subi de nombreuses modifications (16) et<br />

vient tout récemment d’être adaptée par la loi du 25 mars 2003 (17) qui<br />

permet de transformer la carte d’identité actuelle en une carte d’identité<br />

électronique. Cette nouvelle carte d’identité électronique s’inscrit dans<br />

le cadre de la politique globale en matière d’e-gouvernement. L’e-gouvernement<br />

ou « l’administration électronique » comprend le développement<br />

d’une infrastructure informatique et la prise d’initiatives en vue de<br />

permettre aux administrations et aux citoyens d’utiliser la technologie<br />

de l’information et de la communication pour des actes administratifs<br />

(18). La carte d’identité électronique conserve ses fonctions classiques<br />

d’identification officielle et d’authentification, mais permet d’exécuter<br />

toutes ces fonctions de manière électronique (pour le document de base<br />

en vue de la réalisation de la carte d’identité électronique, voy. l’A.M.<br />

du 26 mars 2003, M.B., 28 mars 2003).<br />

L’objectif de ce projet est d’utiliser cette carte comme instrument<br />

d’accès et de promouvoir un usage contrôlé de données au travers de réseaux.<br />

Elle doit aussi permettre au citoyen d’accéder à de nombreux services<br />

d’e-gouvernement, comme l’accès au vote électronique (e-voting)<br />

et, en particulier, la consultation locale par e-référendum, la déclaration<br />

d’impôts, le changement d’adresse, l’obtention des fiches d’état civil, la<br />

déclaration d’employé de maison, la déclaration et la gestion des actes<br />

de naissance. En outre, ces services présentent l’avantage de rester disponibles<br />

quels que soient l’heure ou l’endroit où l’offrant et le destinataire<br />

se trouvent.<br />

Chaque porteur de carte disposera d’un code d’identification personnelle<br />

(code PIN) qu’il gardera secret et qui lui permettra d’utiliser sa carte<br />

d’identité comme moyen légal d’authentification et de signature.<br />

Cette carte ne contiendra pas plus de données que celles qui sont reprises<br />

sur la carte actuelle, elle établit uniquement l’identité de la personne.<br />

Les administrations auront un accès limité à des données bien précises,<br />

dans le cadre de règles très strictes, de sorte que le respect de la<br />

vie privée sera protégé, tout en permettant une consultation plus rapide<br />

des données.<br />

Enfin, un arrêté royal du 25 mars 2003 (19) porte des mesures transitoires<br />

relatives aux cartes d’identité électroniques. Il désigne onze communes<br />

pilotes, dans lesquelles le remplacement de toutes les cartes d’identité<br />

par des cartes électroniques se déroulera sur cinq années.<br />

VIII. — VERS UNE POSSIBLE HARMONISATION<br />

DES TERMES?<br />

La perspective d’un Code civil européen devrait encourager les différents<br />

législateurs nationaux à légiférer de façon cohérente. Ainsi,<br />

en est-il du domicile qui, tout en étant un important facteur de rattachement,<br />

est pourtant susceptible d’interprétations diverses en fonction<br />

du type de système étatique auquel appartient le concept. Qui<br />

plus est, on l’a vu, déjà dans notre propre pays, le domicile peut re-<br />

(16) Voy. notam. la loi du 12 décembre 1997 prévoyant l’apposition de certaines<br />

mentions sur la carte d’identité visée à l’article 6, § 1 er , de la loi du<br />

19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d’identité et<br />

modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes<br />

physiques, et réglant l’emploi des langues pour ces mentions, M.B., 24 déc.<br />

1997; A.R. 12 mars 1998 établissant la traduction officielle en langue allemande<br />

de la loi du 12 décembre 1997 prévoyant l’apposition de certaines mentions<br />

sur la carte d’identité visée à l’article 6, § 1 er , de la loi du 19 juillet 1991 relative<br />

aux registres de la population et aux cartes d’identité et modifiant la loi du<br />

8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques, et réglant<br />

l’emploi des langues pour ces mentions, M.B., 4 juin 1998.<br />

(17) M.B., 28 mars 2003.<br />

(18) Rapport au Roi, M.B., 28 mars 2003.<br />

(19) M.B., 28 mars 2003.<br />

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vêtir des sens différents; comment alors utiliser un concept dont le<br />

contenu est si variable?<br />

On observera avec intérêt que la proposition de loi portant le Code de<br />

droit international privé (20), définit les notions de domicile et de résidence<br />

habituelle et retient une définition formelle du concept de domicile.<br />

Selon l’article 4, § 1er , de ce Code, le domicile est le lieu où une<br />

personne physique est inscrite à titre principal, en Belgique, sur les registres<br />

de la population, sur les registres des étrangers ou sur le registre<br />

d’attente (soit le siège statutaire pour une personne morale). Le domicile,<br />

dont la définition ressemble à celle de l’article 36 du Code judiciaire,<br />

n’est retenu que pour les règles de compétence et non pour les règles de<br />

rattachement. Celles-ci font référence au critère de la résidence habituelle<br />

qui, selon l’article 4, § 2, du même Code, est le lieu où une personne<br />

s’est établie à titre principal, même en l’absence de tout enregistrement<br />

et indépendamment d’une autorisation de séjourner ou de s’établir;<br />

ce sont des circonstances de nature personnelle ou professionnelle<br />

qui déterminent ce lieu et qui en révèlent les liens durables ou la volonté<br />

de nouer de tels liens (21) (soit le principal établissement pour une personne<br />

morale).<br />

En cela, le projet suit la tendance observée dans les instruments internationaux<br />

qui retiennent la résidence habituelle pour désigner le droit applicable.<br />

De même, la définition de la résidence s’inspire de celle proposée<br />

par le Conseil de l’Europe (22) et par le droit communautaire<br />

(23).<br />

On remarque que la notion de résidence habituelle est proche de celle<br />

du domicile au sens de l’article 102 du Code civil, si ce n’est que la première<br />

recourt à des éléments objectifs détachés de toute fiction légale et<br />

que l’intention n’y joue pas un rôle déterminant dans tous les cas, puisqu’il<br />

n’est pas nécessaire que la résidence soit de durée indéterminée.<br />

En effet, une concentration des intérêts de la personne, jointe à une certaine<br />

durée ou à une intention d’établissement stable, sont les facteurs<br />

déterminants d’appréciation de la résidence habituelle. La notion de résidence<br />

habituelle est donc une notion plus souple, tout en conservant<br />

un facteur permanent. En revanche, pour les besoins du conflit de loi, il<br />

est exclu de s’attacher à une formalité administrative déterminée, telle<br />

l’inscription dans les registres de la population (C. jud., art. 36), laquelle<br />

pourrait ne pas exister à l’étranger.<br />

Vers une possible harmonisation, disions-nous?<br />

Véronique D’HUART<br />

Avocate, secrétaire général de la C.U.P.<br />

(20) Doc, parl., Sénat, sess. extraord., 7 juill. 2003, 3 - 27/1.<br />

(21) L’article 4, § 2, 1, retient plusieurs indices permettant de concrétiser le<br />

lieu de l’établissement principal.<br />

(22) Résolution (72) du 18 janvier 1972.<br />

(23) Doc. parl., Sénat, sess. extraord., 7 juill. 2003, 3 - 27/1, pp. 28 et s., spéc.<br />

p. 29, note 2.<br />

2004<br />

255


2004<br />

256<br />

L’ABSENCE, DEUX CENTS ANS<br />

APRÈS LE CODE CIVIL<br />

LivreI - TitreIV<br />

Disserter sur l’absence, objet du titre IV du livre premier du Code civil,<br />

deux cents ans après la promulgation de ce dernier, est sans doute chose<br />

assez vaine à une époque où « le développement de l’administration et<br />

des moyens de communication entre Etats, a pour effet que l’incertitude<br />

sur le sort des voyageurs s’est de plus en plus dissipée » (1).<br />

Cela est d’autant plus vrai qu’après deux siècles, en droit belge, l’« absent »<br />

au sens du Code civil, continue d’être une personne dont l’existence est incertaine,<br />

parce qu’elle a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa<br />

résidence, et qu’elle n’a pas donné de ses nouvelles depuis un certain temps.<br />

Depuis 1803, des trente et un articles consacrés à l’absence, trois ont été<br />

abrogés et deux ont été modifiés, l’un par la loi du 14 juillet 1976 relative<br />

aux régimes matrimoniaux et l’autre par la loi du 29 avril 2001 relative<br />

à la tutelle.<br />

Ces adaptations n’ont pas touché à l’essence même du système : elles sont<br />

relatives à des conséquences de l’incertitude de l’existence de l’absent sur<br />

le régime matrimonial légal (art. 124 tel que modifié par art. 2, § 1 er , des<br />

dispositions modificatives annexées à la loi de 1976), à la suppression<br />

pour l’époux présent de la possibilité de demander l’envoi en possession<br />

provisoire des biens de son conjoint absent qui n’avait point laissé de parents<br />

habiles à lui succéder (art. 140 abrogé par art. 1 er de la loi du 14 mai<br />

1981), à l’abrogation du texte selon lequel, en cas de disparition du mari,<br />

la mère avait la surveillance des enfants mineurs issus d’un commun mariage<br />

et exerçait tous les droits du mari, quant à leur éducation et à l’administration<br />

de leurs biens (art. 141 abrogé par art. 16 de la loi du 31 mars<br />

1987 relative à la filiation), à l’organisation de la tutelle par le juge de paix<br />

(et non plus par le conseil de famille) au cas où l’un des conjoints avait<br />

disparu et où l’autre était décédé six mois après cette disparition (art. 142<br />

modifié par art. 3 de la loi du 29 avril 2001), et enfin à l’abrogation du texte<br />

prévoyant que la surveillance des enfants mineurs issus d’un mariage<br />

précédent était déférée par le conseil de famille en cas de disparition de<br />

leur auteur (art. 143 abrogé par art. 18 de la loi du 31 mars 1987 déjà citée).<br />

Au vingt et unième siècle, ce doute pesant sur l’existence de l’absent et<br />

ses effets sur les droits subordonnés à la preuve de sa vie ou de sa mort,<br />

sont devenus inadéquats : l’incertitude quant à l’existence d’un être humain<br />

ne s’accommode guère avec la socialisation sans cesse accrue de notre<br />

droit.<br />

Lorsqu’est en jeu la question de savoir si l’absent ou ses ayants droit<br />

peuvent continuer à bénéficier du droit à des prestations sociales ou<br />

d’assurance décès, une déclaration d’absence qui ne peut intervenir que<br />

cinq ans après la disparition ou les dernières nouvelles (arg. art. 115 et<br />

119, C. civ.), n’implique pas encore que les droits subordonnés au décès<br />

puissent être exercés : en l’état des textes du Code civil, l’envoi en possession<br />

des héritiers présomptifs n’est que provisoire et cela pendant<br />

trente ans ou jusqu’à ce qu’il se soit écoulé cent ans révolus depuis la<br />

naissance de l’absent (art. 129, C. civ.).<br />

Aussi, en faveur de l’Etat, intéressé par la perception des droits de succession,<br />

l’envoi en possession provisoire est-il assimilé par la loi au<br />

décès (art. 3, C. dr. succ.); de même en faveur du conjoint d’un travailleur<br />

indépendant ou salarié, la déclaration d’absence de son époux<br />

vaut preuve de son décès, en vue de l’octroi de la pension de survie (2).<br />

(1) A. Kohl, Rép. not., t. 1, Les personnes, I, « L’absence », Bruxelles, Larcier,<br />

1988, p. 23, n o 1.<br />

(2) Art. 4, § 2, de l’arrêté royal n o 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension<br />

de retraite et de survie des travailleurs indépendants, remplacé par l’art. 209 de<br />

la loi du 25 janvier 1999; art. 16, § 1 er , al. 1 er , de l’arrêté royal n o 50 du<br />

24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs sa-<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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De lege ferenda, le doute prolongé sur l’existence de l’absent est incompatible<br />

avec les exigences de certitude dont doivent être assorties les<br />

prestations à charge de la collectivité et tout ce qui relève du domaine<br />

extrapatrimonial.<br />

Le législateur français s’en est rendu compte : la loi du 28 décembre 1977<br />

distingue deux périodes : celle de la présomption d’absence où le présumé<br />

absent est traité comme vivant, et celle de la déclaration d’absence où le<br />

déclaré absent est traité comme mort (3). Il n’existe plus en droit français<br />

de période d’incertitude quant à l’existence d’un être humain.<br />

Jusqu’à ce jour, le législateur belge n’a pas réformé le régime de l’absence;<br />

un projet de loi avait été déposé au Sénat le 2 août 1923 et y a été<br />

adopté le 5 février 1925 (4), la Chambre ne s’étant jamais prononcée à<br />

son sujet; une proposition de loi fut aussi déposée au Sénat, le 5 mars<br />

1992, par M. E. Cerexhe, mais n’a pas été adoptée (5).<br />

Le régime prévu par ce dernier texte distingue deux périodes :<br />

1. — La présomption d’absence qui commence le jour où l’on est sans<br />

nouvelles de l’absent et se prolonge aussi longtemps que la déclaration<br />

d’absence n’a pas été prononcée; elle peut faire l’objet d’une décision<br />

judiciaire; le présumé absent est considéré comme vivant;<br />

2. — Lorsque dix ans se sont écoulés depuis le jugement ayant constaté<br />

la présomption d’absence, ou vingt ans depuis les dernières nouvelles<br />

reçues de l’absent, peut intervenir un jugement de déclaration d’absence;<br />

ce dernier a les effets d’un décès : les biens de l’absent sont distribués<br />

à ses héritiers légaux ou testamentaires; son mariage est dissous.<br />

Le système est inspiré de la loi française de 1977; en outre, la suite présomption<br />

de vie puis de mort se trouve dans d’autres législations européennes<br />

(6).<br />

Selon la proposition de loi présentée, en constatant la présomption d’absence,<br />

le tribunal peut désigner en qualité d’administrateur provisoire le<br />

conjoint de l’absent, un de ses héritiers ou toute autre personne, même<br />

étrangère à la famille; il peut désigner un notaire dans le cas où un<br />

administrateur provisoire n’a pas été nommé (7).<br />

De façon générale, le texte proposé ne modifie pas la définition de l’absence<br />

et maintient le principe de la protection des intérêts en fonction<br />

de l’écoulement du temps (8).<br />

Pour compléter, il paraîtrait opportun de rapprocher l’absence et la disparition<br />

et d’ainsi favoriser la déclaration de décès d’un disparu (9).<br />

lariés, modifié par l’art. 214 de la loi du 25 janvier 1999; art. 3, § 1 er , de la loi<br />

du 15 mai 1984 portant mesures d’harmonisation dans les régimes de pension,<br />

remplacé par l’art. 15 de l’arrêté royal du 16 juillet 1998.<br />

(3) Au sujet de la loi du 28 décembre 1977, cf. L. Barbier, « Absents et nonprésents<br />

- Réflexions autour de la loi du 28 décembre 1977 », Gaz. Pal., 1978,<br />

2, doc., p. 450; J. Bernard de Saint Afrique, La réforme de l’absence,<br />

éd. Defrénois, 1978; A. Breton, « L’absence selon la loi du 28 décembre 1977<br />

- Variations sur le thème de l’incertitude », D.S., 1978, chron., pp. 241-248;<br />

A. Raison, « L’absence », Journal not. et av., 1978, pp. 717-728 (art. 54247);<br />

1992, pp. I-14 (art. 60511); B. Teyssie, « L’absence - Commentaire de la loi<br />

n o 77-1447 du 28 décembre 1977 », J.C.P., 1979, (éd. not.), 1979, p. 249.<br />

(4) Doc. parl. Sénat, sess. 1922-1923, n o 250 et rapport du comte Goblet d’Alviella<br />

et de M. Vauthier, Doc. parl., Sénat, 1923-1924, n o 106 et sess. 1924-<br />

1925, n o 54. Au sujet de l’adoption de ce projet par le Sénat, cf. Ann. parl. Sénat,<br />

sess. 1924-1925, p. 419.<br />

(5) Doc. parl. Sénat, sess. extr. 1991-1992, n o 230-1.<br />

(6) Cf. loi allemande du 15 janvier 1951 (Verschollenheitsgesetz, publiée au<br />

Bundesgesetzblatt, 1951, I, 63); loi autrichienne du 5 décembre 1950 (Tödeserklärungsgesetz,<br />

publiée au Bundesgesetzblatt, 1951, n o 23) : art. 413 du<br />

Code civil hollandais qui permet aux ayants droit de faire déclarer la présomption<br />

de décès cinq ans après qu’une personne a disparu ou depuis le moment où<br />

l’on a reçu ses dernières nouvelles. Au sujet de l’absence en droit hollandais,<br />

cf. P. Vlaardingerbroek, Het hedendaagse personen- en familierecht, 3 e éd.,<br />

Deventer, Tjeenk Willink, 2002, pp. 407-416.<br />

(7) Au sujet de la proposition de loi Cerexhe, cf. Y. et Y.-H. Leleu, « Réflexions<br />

au sujet d’une proposition de loi relative à l’absence et à la déclaration judiciaire<br />

de décès », Rev. not., 1993, pp. 486-501; rapport de MM. Van Oosterwijck, Bourseau<br />

et Pirson, Trav. com. ét. législ. 1986, pp. 92-159 (dossier n os 4182-4183).<br />

(8) Y. et Y.-H. Leleu, op. cit., p. 488, n o 7.<br />

(9) Cf. note Y.-H. Leleu sous Bruxelles, 14 sept. 1993, R.W., 1994-1995, p. 647.


L’ensemble constitué mettrait fin au régime archaïque de l’absence et<br />

conforterait les techniques suivies par les notaires pour échapper à une<br />

législation peu adéquate (10).<br />

Outre une refonte des dispositions du Code civil, il serait souhaitable<br />

que la matière de l’absence fasse l’objet d’une convention internationale<br />

qui comporterait une uniformisation des règles touchant au droit civil<br />

et au droit international privé (11). Cette évolution serait adéquate eu<br />

égard à ce que « les effets de l’absence ne relèvent pas nécessairement<br />

de la loi personnelle de l’absent » (12) et sont très diversement réglés<br />

par les différents droits nationaux (13).<br />

Une convention internationale devrait déterminer la loi applicable à la déclaration<br />

d’absence, aux mesures préalables à celle-ci et ses effets, outre<br />

des règles de compétence uniformes pour les juridictions nationales.<br />

Un pas pourrait être fait en ce sens avec la « Convention relative à la constatation<br />

de certains décès », élaborée sous les auspices de la Commission<br />

internationale de l’état civil, signée à Athènes, le 14 septembre 1966 : en<br />

vue de la déclaration de décès, serait compétente l’autorité judiciaire ou<br />

administrative du pays dont la personne disparue était ressortissante ou du<br />

pays sur le territoire duquel la disparition est survenue. Les décisions rendues<br />

à ce sujet seraient reconnues dans tous les Etats signataires (14).<br />

Alors qu’en France, pour l’année 1998, le nombre de disparitions (au<br />

sens général, englobant les cas d’absence au sens technique) aurait été<br />

d’environ 2.500 cas par an, dont 80% seraient volontaires (15), et que<br />

rien ne fait présumer que la proportion au chiffre de population serait<br />

différente dans les autres Etats européens, il est devenu nécessaire<br />

d’adapter la législation interne à l’évolution des données relatives à ce<br />

phénomène et d’y consacrer une convention internationale spécifique.<br />

A. KOHL<br />

Professeur associé à la Faculté de droit de Liège<br />

(10) Cf. à ce sujet : J. Demblon, « De la nomination d’un administrateur provisoire<br />

ou d’un gérant judiciaire », Rev. not., 1983, pp. 510-528; Prés. Trib. Civ. Gand,<br />

20 nov. 1984, T. Not., 1986, p. 46; Rec. gén., 1985, n o 23216 et commentaires de<br />

P. Delnoy, in Chroniques de droit à l’usage du notariat, vol. V., p. 24, n o 3.<br />

(11) Au sujet de l’absence en droit international privé, cf. A.P. Sereni, La<br />

dichiarazione di morte presunta dello straniero : competenza giurisdizionale e<br />

legge sostanziale regolatrice - Studi in memoria di Tullio Ascarelli, t. 4, Milan,<br />

Giuffrè, 1969, pp. 2057-2078; von Bar, Internationales privatrecht, t. 2,<br />

Munich, Beck, 1991, pp. 9-15, n o 14-23.<br />

(12) F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, t. 2, 2 e éd., Bruxelles,<br />

Larcier, 1993, p. 306, n o 974.<br />

(13) Cf. toutefois la Convention concernant la déclaration de décès de personnes<br />

disparues, signée à Lake Succes, le 6 avril 1950, ratifiée par la loi belge du<br />

30 juin 1953 (M.B., 22 août 1953, p. 5098) : cette Convention ne concernait<br />

que « les déclarations de décès de personne dont la dernière résidence se trouvait<br />

en Europe, en Asie ou en Afrique et qui ont disparu au cours des années<br />

1939-1945, dans des circonstances qui permettent raisonnablement de supposer<br />

qu’elles sont mortes par suite d’événements de guerre ou de persécutions<br />

raciales, religieuses, politiques ou nationales » (art. I, al. I). Elle instaurait une<br />

collaboration entre tribunaux saisis d’une requête aux fins de déclaration de décès<br />

(art. 9), par le biais du Bureau international des déclarations de décès, institué<br />

dans le cadre de l’Organisation des Nations unies. Cette Convention est<br />

demeurée en vigueur jusqu’au 24 janvier 1972 pour certains Etats ayant ratifié<br />

le protocole du 15 janvier 1967 (Cambodge, Chine, Guatémala, Israël, Italie,<br />

Pakistan). Cf. Multilateral Treaties deposite with the Secretary general, New<br />

York, United Nations, 2003, vol. 2, pp. 77-78.<br />

(14) Cf. texte de cette Convention in Annals of air and space law, 1978, pp. 47-<br />

49. Cette Convention règle la compétence internationale pour les déclarations<br />

de décès en cas de disparition ou de haute vraisemblance de décès (art. 1 er ) ou<br />

lorsque le décès est certain mais ne peut être prouvé (art. 2). Dans les deux cas,<br />

sont internationalement compétents les tribunaux de l’Etat dans lequel le bateau<br />

ou l’avion utilisé est immatriculé, ou de l’Etat dont la personne disparue<br />

ou décédée était ressortissante ou avait son domicile ou sa résidence; en outre,<br />

sont internationalement compétents pour déclarer le décès d’un absent les tribunaux<br />

ou les autorités de l’Etat dans lequel l’absence s’est produite (art. 1 er ).<br />

(15) Ce chiffre a été fourni au cours de l’émission « La cinquième rencontre »<br />

du 22 avril 1999. Un heureux hasard a fait découvrir une étude intitulée « The<br />

rights of the living dead : absent persons in the civil law », de J.-L. Carrière,<br />

publiée in Louisiana Law Review, 1990, t. 50, pp. 901-971, dans laquelle il est<br />

fait état de ce qu’aux Etats-Unis, le nombre de « living dead » (« morts en<br />

vie ») était compris entre 60 et 100.000 (p. 902).<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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LE MARIAGE<br />

Livre I - Titre V<br />

Que l’institution du mariage ait été conçue par les rédacteurs du Code<br />

Napoléon dans un esprit de réaction aux dispositions égalitaires des lois<br />

révolutionnaires et comme une manière de fondement de l’ordre social<br />

et politique nouveau qu’inaugure le consulat à vie et que va conforter<br />

l’Empire, voilà ce dont les travaux préparatoires fournissent des exemples<br />

à foison. Il ne s’agissait pas au demeurant d’une idéologie<br />

« simplement vécue » comme une résurgence de l’Ancien Régime, mais<br />

d’une doctrine politique clairement proférée.<br />

N’était l’intervention personnelle de Bonaparte, on en serait même revenu<br />

d’emblée à une conception étroite de l’indissolubilité du mariage<br />

— que la France remit d’ailleurs à l’honneur après la Restauration et<br />

qu’elle maintint pendant presque tout le XIXe siècle — car la dissolubilité<br />

du mariage est stigmatisée par les légistes consulaires comme le ferment<br />

du désordre politique. Ils expliquent qu’il faut se garder de porter<br />

atteinte au « plus saint des contrats » et d’ouvrir ainsi la voie à la<br />

« polygamie successive » au motif que « les mœurs de la famille finissent<br />

toujours par gouverner l’Etat » et que le divorce risque de susciter<br />

un esprit instable et changeant qui fera que « la licence et l’anarchie<br />

s’introduiront dans l’Etat », car l’homme voudra « changer de lois, de<br />

règlements, de magistrats, comme il change de compagne domestique »<br />

(1).<br />

De là le modèle hiérarchique de la famille et de la société conjugale<br />

placées sous l’autorité exorbitante du mari et père, que le titre V du<br />

Code civil consacré au mariage traduit en normes on ne peut plus<br />

contraignantes, principalement en son chapitre VI qui traite des<br />

droits et devoirs respectifs des époux (art. 212 à 236). De là encore,<br />

témoignant de la prééminence des valeurs familiales, les articles 148<br />

à 160 du Code civil, traitant du consentement et de la consultation<br />

des ascendants, qui figurent au chapitre premier. C’est surtout dans<br />

ces deux corps de textes que s’exprime ce que l’on hésite à appeler<br />

l’air du temps, tant il est vrai que la puissance maritale (2) et le consentement<br />

familial (3) remontent pour partie à la nuit des temps, pour<br />

partie à la laïcisation du mariage. C’est plutôt le degré de systématisation<br />

caractérisée qui apparaît nouveau, mais qui dérive de l’œuvre<br />

de codification elle-même.<br />

* * *<br />

Du chapitre VI, les articles 213 et 214 anciens du Code civil, qu’ânonnèrent<br />

bien des officiers de l’état civil, sont restés dans toutes les<br />

mémoires : « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance<br />

à son mari »; « La femme est obligée d’habiter avec le mari, et de le suivre<br />

partout où il juge à propos de résider... », et si l’article 212 ancien<br />

prévoit, selon une apparente réciprocité, que « les époux se doivent mutuellement<br />

fidélité, secours, assistance », les gens de doctrine précisent<br />

immédiatement que si « aux yeux de la morale, le devoir de fidélité est<br />

égal pour l’un et pour l’autre », aux yeux de la loi, qui ne considère que<br />

les conséquences de la violation du contrat, « l’infidélité de la femme<br />

est plus répréhensible que celle du mari. En effet, le plus grand de tous<br />

les désordres est incontestablement celui qui tend à introduire dans une<br />

(1) Fenet, IX, 518-519; J.-F. Niort, « Droit, idéologie et politique dans le Code<br />

civil de 1804 », R.I.E.J., 1992, n o 29, pp. 85 et s.<br />

(2) La coutume d’Aardenburg du XIV e siècle permet au mari de battre sa femme,<br />

de la taillader, de la fendre de haut en bas et de se chauffer les pieds dans<br />

son sang, sans s’exposer à des poursuites pénales à condition de la recoudre, et<br />

pour autant que sa femme reste en vie (Ph. Godding, Le droit privé dans les<br />

Pays-Bas méridionaux du 12 e au 18 e siècle, Académie royale de Belgique,<br />

1987, n o 125).<br />

(3) Au cours des siècles, on multiplia les édits destinés à combattre, apparemment<br />

sans grand succès, les mariages clandestins des jeunes gens qui se passaient<br />

de ce consentement (Ph. Godding, op. cit., n os 117 et s.).<br />

2004<br />

257


2004<br />

258<br />

famille des enfants qui lui sont étrangers, et à leur faire partager par suite<br />

les droits d’enfants légitimes... » (4).<br />

Tout le chapitre VI n’était pour le surplus qu’une explicitation de<br />

l’incapacité de la femme, et de sa subordination au mari, même lorsqu’elle<br />

était séparée de biens (5). Ce régime ne va d’ailleurs pas sans<br />

évoquer quelquefois Courteline ou Kafka, selon le registre où l’on se<br />

situe. En effet, « la femme ne peut ester en jugement sans l’autorisation<br />

de son mari... » (art. 215 anc., C. civ.) ce qui devait sans doute<br />

heurter l’épouse qui entendait engager un procès contre son mari.<br />

Très libéralement, nos légistes avaient cependant prévu qu’elle pouvait<br />

s’y faire autoriser par justice. Il n’est guère qu’un droit que les<br />

femmes pouvaient alors exercer sans entrave, celui de tester (art. 226<br />

anc., C. civ.).<br />

Quant aux articles 148 à 160 qui figurent, parmi d’autres, au chapitre<br />

premier, traitant « des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter<br />

mariage », ils traduisent essentiellement la cohérence hiérarchique<br />

de la famille au sens large, en édictant les règles qui gouvernent les<br />

consentements parentaux. Non seulement le consentement des père et<br />

mère devait être demandé au-delà de la majorité (avec la prédominance<br />

du père, bien entendu, en cas de dissentiment) et, subsidiairement, celui<br />

des aïeux, mais encore, et sans limite d’âge, les « enfants de famille »<br />

étaient tenus de demander conseil aux mêmes par actes respectueux et<br />

formels.<br />

Même si le formalisme s’atténuait avec l’âge, il ne s’agissait pas d’une<br />

mince affaire. Il y fallait deux notaires (ou un notaire et deux témoins),<br />

et il fallait dresser procès-verbal de la réponse. Quant à l’officier de<br />

l’état civil qui se serait permis de passer outre, il était passible non seulement<br />

d’une amende, mais d’un emprisonnement « dont la durée ne<br />

pourra être moindre de six mois » à défaut de consentement, et « d’un<br />

mois » à défaut d’actes respectueux. Au fil des décennies, l’acte respectueux<br />

s’est perdu, car tout se perd. Sa dernière survivance a été supprimée<br />

par la loi du 15 janvier 1983.<br />

Quant à ceux dont le consentement devait être demandé, leur cercle<br />

s’est progressivement réduit pour ne plus requérir aujourd’hui que le<br />

consentement parental au seul mariage des mineurs. Tour à tour, on a<br />

ainsi vu s’effacer la nécessité de solliciter le consentement d’autres ascendants<br />

que le père et la mère (loi du 16 août 1887), ensuite le consentement<br />

du père et de la mère au-delà de la majorité matrimoniale, concomitamment<br />

ramenée à 21 ans (loi du 30 avril 1896), mais avec le<br />

maintien d’un recours jusqu’aux 25 ans du promis, on a vu ensuite la<br />

suppression de la prépondérance du père (loi du 14 juillet 1953) et<br />

enfin, on a soumis à l’arbitrage du tribunal de la jeunesse le dissentiment<br />

entre les parents (loi du 8 avril 1965).<br />

Le fait qu’il ne subsiste pratiquement rien du chapitre VI originaire, qui<br />

a fait place au « régime primaire » instauré par la loi du 14 juillet 1976,<br />

et qu’il ne reste guère davantage des dispositions coulées dans les<br />

articles 148 à 160, révèle à quel point le caractère familial et hiérarchisé<br />

du mariage s’est effacé pour faire place à un modèle où le couple luimême<br />

est privilégié parce qu’il est censé se construire seul, sur des<br />

bases égalitaires et débarrassées d’interventions perçues comme parasitaires.<br />

* * *<br />

Le premier des huit chapitres qui composent le titre V du Code Napoléon<br />

prévoit explicitement cinq conditions pour pouvoir contracter<br />

mariage :<br />

(4) J.-M. Boileux, Commentaire sur le Code civil, Bruxelles, 1838.<br />

(5) A l’occasion du centenaire du Code civil, Jules Destrée, à la Chambre, dénonça<br />

ce régime patriarcal : « On a pu dire que le Code civil des Français<br />

n’était pas le Code civil des Françaises, car il assurait la domination du père sur<br />

sa fille, du mari sur l’épouse. Je n’ai pas à rappeler ici certaines de ses dispositions<br />

barbares qui semblent, de plus en plus, pour les consciences contemporaines,<br />

de fâcheux anachronismes », J.T., 1904, p. 386.<br />

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1) une condition d’âge (art. 144 et 145);<br />

2) un consentement libre et éclairé (art. 146);<br />

3) l’absence de liens persistants d’un mariage antérieur (art. 147);<br />

4) le consentement des ascendants ou leur consultation (art. 148 à 160);<br />

5) l’inexistence d’empêchements dérivant de la parenté ou de l’alliance<br />

(art. 161 à 164).<br />

D’autres conditions expresses figuraient parmi les effets du divorce.<br />

On ne pouvait se remarier avec celui dont on avait divorcé (art. 295<br />

anc.), ni avec le complice de l’adultère (art. 298 anc.). A cela s’ajoutaient<br />

des empêchements temporaires, l’un constituant à lui seul le<br />

chapitre 8 du mariage — le délai de viduité, destiné à éviter les<br />

« confusions de parts » — (art. 228 anc.), l’autre figurant encore parmi<br />

les effets du divorce, qui interdisait à ceux qui avaient divorcé par<br />

consentement mutuel de contracter un nouveau mariage avant trois<br />

ans.<br />

Hors ces conditions explicites, une autre qualité demeurait inexprimée,<br />

signe qu’elle allait sans dire : il était requis que les conjoints fussent de<br />

sexe différent, ce qui impliquait que la chose existât et fût identifiable.<br />

De toutes ces qualités et conditions, deux seulement (la deuxième et la<br />

troisième) figurent encore dans nos Codes, dans leur formulation originaire.<br />

Le noyau dur s’est réduit à cela : qu’il s’agit d’un contrat librement<br />

consenti (6), d’une part, marqué du sceau de l’exclusivité, d’autre<br />

part.<br />

La condition d’âge, quant à elle, jusqu’il y a peu et conformément à<br />

l’ancien droit, fut toujours affectée d’une connotation sexuée, la nubilité<br />

féminine étant constamment jugée plus précoce. Le Code Napoléon<br />

majora les conditions d’âge en fixant à 18 ans celui où les jeunes<br />

gens pouvaient accéder au mariage et à 15 ans celui où les jeunes<br />

filles pouvaient cesser de rêver. C’était un premier signe que la nubilité<br />

n’était plus seulement perçue comme une donnée technique<br />

mais intégrait dans une certaine mesure une notion de maturité. On<br />

sait qu’aujourd’hui, cet âge est uniformément fixé, comme celui de<br />

la majorité, à 18 ans.<br />

De tout temps, un motif grave permettait de solliciter une dispense<br />

d’âge. A l’origine, il fallait à cette fin s’adresser « au gouvernement »<br />

(Code Napoléon), puis « au Roi » et, aujourd’hui, au tribunal de la jeunesse<br />

(loi du 19 janvier 1990).<br />

Pour ce qui est de l’inceste et de ses succédanés, l’évolution fut mince.<br />

A l’origine, la prohibition visait, outre les ascendants et descendants et<br />

leurs alliés, les frères et sœurs, les beaux-frères et belles-sœurs, l’oncle<br />

et la nièce, la tante et le neveu. La première modification — mais on disputa<br />

de sa régularité et de son caractère obligatoire — se traduisit par<br />

une extension de la prohibition au grand-oncle et à la petite-nièce ainsi<br />

qu’à la grand-tante et au petit-neveu en vertu d’une décision impériale<br />

du 7 mai 1808. Il ne semble pas qu’elle ait jamais trouvé application en<br />

Belgique et, en dépit des adaptations législatives de la matière, elle n’a<br />

jamais été reprise dans le Code.<br />

Quant à la prohibition entre beaux-frères et belles-sœurs, elle fut partiellement<br />

gommée par une loi du 11 février 1920 qui la fit cesser dans<br />

l’hypothèse du décès de l’époux qui était cause de l’empêchement,<br />

avant d’être levée par la loi du 27 mars 2001.<br />

Curieusement, la loi du 13 février 2003, qui a ouvert le mariage aux personnes<br />

de même sexe, a calqué les prohibitions de mariage sur les inter-<br />

(6) Ce n’est pas le lieu d’évoquer ici la spécificité des vices du consentement<br />

en la matière. On relèvera cependant un mouvement doctrinal qui a pris de<br />

l’ampleur au fil des années en faveur de l’admission du dol et de l’erreur portant<br />

sur des qualités substantielles (Rép. not., « Le mariage en droit civil »,<br />

n o 107 et réf. cit.; J.-P. Masson, « L’annulation du mariage - Législation, doctrine,<br />

jurisprudence », in Le droit belge en mutation, actes du quatrième colloque<br />

de l’Association famille et droit, Story-Scientia, 1996, pp. 184 et s., n os 15<br />

et 16).


dits applicables jusque-là au mariage hétérosexuel. Voilà pourquoi, devant<br />

les avances de sa tante, qui ne peuvent être guidées par le bon motif,<br />

la nièce est muette!<br />

* * *<br />

Le chapitre II, après avoir rappelé le caractère solennel du mariage qui<br />

requiert une célébration publique devant l’officier de l’état civil, énonce<br />

les formalités qui doivent précéder le mariage et celles qui doivent le<br />

suivre. Jusqu’il n’y a guère, l’on a vécu ainsi sous le régime de la publication<br />

des bans, seule forme qui fut jugée à l’origine susceptible d’engendrer<br />

les dénonciations d’empêchement au mariage, mais qui se révéla<br />

bientôt ne présenter d’utilité que pour les démarcheurs en tous genres.<br />

D’où la substitution aux bans de simples déclarations d’intention matrimoniale<br />

consignées dans un nouveau registre, et une délimitation plus<br />

stricte de la compétence territoriale pour la célébration des mariages. Et<br />

dès lors aussi un contrôle plus sûr des tentatives de fraude par les officiers<br />

de l’état civil dont les pouvoirs furent récemment accrus et précisés<br />

(loi du 4 mai 1999) (7).<br />

Si, de manière générale, on a toujours admis le mariage de raison,<br />

d’intérêt ou de convenance, encore exigeait-on que l’on voulût le<br />

mariage pour le mariage; qu’en quelque sorte, il fût une fin, même<br />

s’il était aussi un moyen. Dans le langage de la doctrine, l’exigence<br />

se traduisit par la nécessité que l’on eût la volonté de construire une<br />

« communauté de vie durable ». L’expression a depuis lors été reprise<br />

par l’article 146bis nouveau du Code civil, aux termes duquel il<br />

n’y a pas mariage lorsque « l’intention de l’un au moins des époux<br />

n’est manifestement pas la création d’une communauté de vie durable,<br />

mais vise uniquement l’obtention d’un avantage en matière de<br />

séjour, lié au statut d’époux ».<br />

C’est principalement dans ce domaine que le rôle des officiers de<br />

l’état civil, en liaison avec le ministère public, s’est manifesté, en<br />

proportion du souci accru de protection du territoire, bien plus que<br />

de sauvegarde de la famille. On pourrait dire qu’en deux siècles, la<br />

perception du risque « politique » qu’engendrent les accommodements<br />

avec les règles du mariage a changé de nature. Une cause de<br />

nullité jusqu’ici virtuelle est ainsi devenue une cause de nullité dont<br />

le caractère absolu est désormais expressément visé par l’article 184<br />

du Code civil.<br />

* * *<br />

Les moyens de préservation de l’institution matrimoniale ont été prévus<br />

aux chapitres III et IV qui traitent respectivement des oppositions au<br />

mariage et des demandes en nullité. Ils n’ont connu, pour l’essentiel,<br />

que des adaptations corrélatives aux changements législatifs qui affectaient<br />

les autres chapitres du titre V.<br />

Tout au plus peut-on épingler que la loi du 31 mars 1987 a étendu le bénéfice<br />

du mariage putatif, prévu aux articles 201 et 202, à tous les enfants,<br />

même si les deux époux étaient de mauvaise foi.<br />

* * *<br />

Le chapitre V, qui traitait « Des obligations qui naissent du<br />

mariage », est demeuré un corps de règles presque exclusivement<br />

consacrées aux aliments et n’a guère subi de changements fondamentaux.<br />

Peut-être même le plus important est-il celui qui a modifié le<br />

titre lui-même, devenu « Des obligations qui naissent du mariage ou<br />

de la filiation ». C’est que l’on s’est avisé que peu de dispositions<br />

concernaient le mariage en tant que tel. Il n’en reste pas moins que<br />

l’insertion de ces dispositions sous le titre du mariage est révélateur<br />

(7) J. Sosson, « Les mariés de l’an 2000... Les nouvelles dispositions relatives à<br />

la simulation et aux formalités préalables au mariage », J.T., 2000, pp. 646 et s.<br />

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de la conception traditionnelle du mariage en tant qu’il est le lieu privilégié<br />

de la procréation et de la constitution d’un cadre de vie stable<br />

pour l’éducation des enfants. Ce n’était cependant que le quod plerumque<br />

fit, et le couple qui aurait exclu toute progéniture, ou qui<br />

n’eût pas été en mesure de s’en assurer, n’en voyait pas pour autant<br />

son mariage invalidé. Les règles consacrées aux aliments pourraient<br />

dès lors tout aussi bien figurer sous un titre distinct de celui du mariage,<br />

même si l’une ou l’autre disposition règle à cet égard les conséquences<br />

de l’alliance ou, plus récemment, le droit aux aliments du<br />

conjoint survivant (art. 205bis, C. civ.).<br />

* * *<br />

Le changement le plus radical et le plus récent, qui a affecté l’institution<br />

matrimoniale est assurément son ouverture aux personnes de même<br />

sexe. C’est sans doute aussi la modification qui a donné lieu aux affrontements<br />

les plus irréductibles et les plus passionnés. D’aucuns ont<br />

d’ailleurs laissé entendre qu’il y avait là une étape décisive dans la<br />

« désinstitutionnalisation » du mariage et qu’il était symptomatique que<br />

celle-ci intervînt à un moment où l’on évoque d’autres changements à<br />

venir qui videraient censément le mariage de l’essentiel de sa substance<br />

(par l’avènement d’un divorce non judiciaire, ou à tout le moins sans<br />

faute, et partant, par la mise en cause des obligations qui naissent du mariage,<br />

notamment du devoir de fidélité).<br />

D’autres y voient, sur pied d’une dialectique du Même et de l’Autre, une<br />

rupture radicale qui risque de nous faire perdre nos repères fondamentaux,<br />

en quoi ils se trouvent confortés par certains anthropologues et<br />

psychanalystes (8) et évoquent de ce fait un « Malaise dans la<br />

civilisation » (9). La question est posée. Elle se reposera de toute manière<br />

au moment où les questions, distinctes mais liées, de la filiation et<br />

de l’éducation des enfants seront remises à l’ordre du jour.<br />

Quoi qu’il en soit, l’on se trouve peut-être à la croisée des chemins<br />

quant au sort de l’institution matrimoniale : deviendra-t-elle une sorte<br />

d’association à contenu variable, dont les seules règles tant soit<br />

peu contraignantes relèveront du domaine patrimonial, voire<br />

alimentaire? Quand bien même! Paradoxalement, la déperdition du<br />

caractère institutionnel du mariage au profit d’une conception plus<br />

individualiste pourrait aller de pair avec l’affirmation d’autant plus<br />

marquée de sa valeur symbolique et, par-delà la fragilité même qui<br />

affecterait l’institution, l’expression d’autant plus forte d’un engagement<br />

vital.<br />

Ce serait en quelque sorte une victoire « collatérale » de l’anarchie du<br />

vivant sur le Code Napoléon.<br />

Daniel STERCKX<br />

Avocat au barreau de Bruxelles<br />

(8) Voy. les références citées par P. Martens, Théories du droit et pensée juridique<br />

contemporaine, Bruxelles, Larcier, 2003, pp. 266 et s; voy. aussi l’exposé<br />

de M. Francis Martens, psychologue, devant la commission de la justice (Doc.<br />

parl., Sénat, sess. 2002-2003, 2-1173/3).<br />

(9) J.-L. Renchon, « L’avènement du mariage homosexuel dans le Code civil<br />

belge », R.T.D.F., 2003, pp. 439 et s.<br />

2004<br />

259


2004<br />

260<br />

LE DIVORCE<br />

LivreI - TitreVI<br />

« Trop heureux, si bientôt la faveur d’un divorce,<br />

Me soulageait d’un joug qu’on m’imposa par force ».<br />

RACINE, Britannicus, II, 2<br />

Il y a eu tellement de réformes du divorce ces dernières années que le<br />

juriste contemporain peut, sans grand risque de se tromper, émettre<br />

l’avis que cette matière est l’une de celles qui a le plus évolué depuis<br />

l’élaboration du Code civil. Il a raison. Et peut-être encore plus qu’il ne<br />

le croit, si on fait le compte précis des dispositions modifiées ou abrogées.<br />

Le Code civil comportait, en 1804, quatre-vingt-trois dispositions<br />

consacrées au divorce (art. 229 à 305) et à la séparation de corps<br />

(art. 306 à 311). Il en subsiste cinq à n’avoir été ni abrogées ni modifiées!<br />

Des esprits critiques (et il ne saurait y en avoir d’autres parmi les<br />

lecteurs du Journal) nous feront sans doute remarquer que tout ce qui<br />

concerne la procédure est passé dans le Code judiciaire. En effet. Mais,<br />

si nous procédons au même type de comptage, nous constatons que, sur<br />

les dispositions transférées dans le Code judiciaire, il n’y en a que neuf<br />

qui sont inchangées depuis 1804 — ou qui peuvent être considérées<br />

comme telles (en ce sens qu’elles n’ont subi que des modifications purement<br />

formelles).<br />

L’explication est fort simple. En dehors de considérations techniques,<br />

comme le souci de regrouper dans le Code judiciaire les dispositions<br />

concernant la procédure (ce qui, d’ailleurs, ne constitue pas une modification<br />

à proprement parler, si les dispositions sont transférées telles<br />

quelles), c’est évidemment l’évolution sociale qui est à la base de tous<br />

ces changements. Le divorce, quasiment inexistant en 1830 (4 actions<br />

dans toute la Belgique!), est entré dans les mœurs et a pris un développement,<br />

sur les bienfaits duquel les avis sont partagés (1), mais que<br />

l’on ne saurait contester : 20.845 divorces autorisés en 1991,<br />

29.370 prononcés en 2001. Et, nous le verrons, à peu près toutes les interventions<br />

du législateur assouplissent la rigueur de la législation initiale.<br />

Les juristes, « simples ratificateurs, comme il est d’usage » (2),<br />

ont suivi l’évolution sociale. Ils ne s’en cachent d’ailleurs pas : lors<br />

d’une des dernières et des plus importantes réformes, l’augmentation<br />

du nombre des procédures en divorce a été explicitement invoquée<br />

comme constituant une raison de simplifier et d’humaniser la procédure<br />

(3).<br />

(1) Voy. De Page, t. II, 4 e éd., n os 442 et 651, et les références citées. Adde,<br />

dans le sens favorable au divorce : Laurent, t. III, n os 172-173; dans le sens<br />

hostile à l’extension du divorce : J.-L. Stryckmans, « La reconvention, en degré<br />

d’appel, en matière de divorce et de séparation de corps », J.T., 1962,<br />

p. 505.<br />

(2) P. Goubert et D. Roche, Les Français et l’Ancien Régime, 1984, t. I, p. 23.<br />

Henri De Page écrit de même que « le législateur ne crée pas : il organise. Ce<br />

sont les mœurs et les réalités objectives qui créent » (t. I, 3 e éd., 1962, n o 8) et<br />

il place en épigraphe de son ouvrage De l’interprétation des lois la pensée<br />

suivante : « Nous voyons tous les jours la Société refaire la loi. On n’a jamais<br />

vu la loi refaire la Société » (J. Cruet, La vie du droit et l’impuissance des lois).<br />

De même encore, Weill et Terré constatent que, tant en France que dans les<br />

autres pays d’Europe occidentale, l’augmentation du nombre des divorces a<br />

précédé les réformes libéralisant les législations en la matière (Droit civil, Les<br />

personnes - La famille - Les incapacités, 4 e éd., n o 358).<br />

(3) Intervention de M. Wathelet, ministre de la Justice, au cours de l’élaboration<br />

de la loi du 30 juin 1994, compte rendu analytique, Sénat, 8 juin 1994,<br />

p. 838; proposition de loi de MM. Ylieff et consorts, qui est à la base de la loi<br />

du 30 juin 1994, Doc. parl., Ch., 23 juin 1992, n o 545/1, p. 2; rapport de la<br />

commission de la justice du Sénat, Doc. parl., Sénat, 3 juin 1994, n o 898-2,<br />

p. 3; rapport de la commission de la justice de la Chambre, Doc. parl., Ch.,<br />

17 nov. 1993, n o 545/14, p. 45.<br />

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Voyons à présent quelles lois ont modifié le titre consacré au divorce.<br />

Leur liste est impressionnante. On les énumère ci-après (4). dans l’ordre<br />

chronologique.<br />

La première est le Code de procédure civile de 1806, qui règle la procédure<br />

en séparation de corps et modifie ainsi tacitement l’article 307 du<br />

Code civil, lequel se contentait de renvoyer au droit commun de la procédure.<br />

Vient ensuite le Code pénal de 1867, qui abroge tacitement (5)<br />

l’obligation pour le juge ayant admis le divorce pour adultère de la femme,<br />

de condamner celle-ci, sur la réquisition du ministère public, « à la<br />

réclusion dans une maison de correction, pour un temps déterminé, qui<br />

ne pourra être moindre de trois mois, ni excéder deux années »<br />

(art. 298).<br />

Ce n’est pas encore grand-chose. Mais, au XXe siècle, le législateur<br />

s’emballe. Dans la première moitié, nous rencontrons successivement :<br />

— la loi du 11 février 1905, qui modifie la procédure, notamment en<br />

fixant la durée de la suspension du permis de citer à six mois (au lieu de<br />

vingt jours), avec possibilité de la réduire à deux mois;<br />

— la loi du 8 février 1906, qui supprime la prohibition pour les époux<br />

divorcés de se remarier entre eux;<br />

— la loi du 20 mars 1927, qui rend l’article 299 (perte, par l’époux fautif,<br />

des avantages matrimoniaux) applicable à la séparation de corps et<br />

donne au tribunal un pouvoir d’appréciation en matière de demande de<br />

conversion de la séparation de corps en divorce;<br />

— la loi du 16 avril 1935, qui remplace l’interdiction du remariage<br />

avec le complice de l’adultère par un délai de remariage de trois ans;<br />

— la loi du 14 décembre 1935, qui interdit la publication des débats<br />

dans la presse et qui autorise l’introduction de l’action reconventionnelle,<br />

d’une part, par simples conclusions, d’autre part, pour la première<br />

fois devant la cour d’appel;<br />

— l’arrêté royal no 239 du 7 février 1936, qui rend facultatif le ministère<br />

des avoués, donne compétence au président du tribunal de première<br />

instance pour connaître des mesures provisoires et remplace la prononciation<br />

du divorce pour cause déterminée par l’officier de l’état civil par<br />

la transcription de la décision.<br />

— l’arrêté royal no 300 du 30 mars 1936, qui rend applicables à la séparation<br />

de corps diverses dispositions procédurales en matière de divorce<br />

et qui impose à la partie qui frappe d’opposition ou d’appel une<br />

décision ayant autorisé le divorce de dénoncer son recours au greffier<br />

de la juridiction ayant rendu la décision attaquée;<br />

— la loi du 7 avril 1936, qui supprime, lors de la dernière comparution<br />

en divorce par consentement mutuel, la présence, auprès de chaque<br />

époux, de deux amis, « personnes notables dans l’arrondissement »;<br />

— la loi du 15 décembre 1949, qui adapte l’article 235 à la terminologie<br />

actuelle (remplacement de la notion de poursuite criminelle par celle<br />

de poursuite pénale et de celle d’arrêt de la cour de justice criminelle<br />

par celle d’arrêt ou de jugement de la juridiction répressive).<br />

Dans la seconde moitié du siècle, le mouvement s’accélère encore. L’on<br />

adopte ainsi :<br />

— la loi du 21 mai 1951, relative aux mentions devant figurer dans le<br />

dispositif des jugements et à la signification de ceux-ci;<br />

— la loi du 30 juin 1956, qui introduit la possibilité de supprimer ou de<br />

réduire le délai de remariage après divorce pour cause déterminée et qui<br />

supprime le délai de remariage de trois ans imposé après divorce par<br />

consentement mutuel;<br />

(4) En se limitant à celles qui ont modifié le Code civil, puisque tel est l’objet<br />

de notre contribution. On omet donc les lois qui ont modifié uniquement des<br />

dispositions passées dans le Code judiciaire.<br />

(5) Voy. Laurent, t. III, n o 291. La même solution vaut pour l’article 308, qui<br />

contenait, en cas de séparation de corps, une disposition identique à celle de<br />

l’article 298.


— la loi du 14 février 1957, qui introduit les articles 311ter (date à laquelle<br />

la séparation de corps produit ses effets) et 311quater (signification<br />

du jugement autorisant la séparation de corps);<br />

— la loi du 30 avril 1958, qui rend compétent le tribunal du domicile<br />

de la partie défenderesse, à côté de celui de la dernière résidence conjugale,<br />

cette notion remplaçant celle de domicile conjugal;<br />

— la loi du 27 janvier 1960, qui dispose qu’après séparation de corps,<br />

le devoir de secours ne subsiste qu’en faveur de l’époux qui a obtenu la<br />

séparation;<br />

— la loi du 20 juillet 1962, qui supprime, en matière de divorce par<br />

consentement mutuel, la nécessité du consentement des ascendants ainsi<br />

que l’obligation pour les époux de se présenter devant l’officier de<br />

l’état civil pour faire prononcer le divorce, qui introduit la séparation de<br />

corps par consentement mutuel et qui réforme le système de la conversion<br />

de la séparation de corps en divorce;<br />

— la loi du 8 avril 1965, qui modifie la procédure et les effets du divorce<br />

(la garde de l’enfant reste à celui à qui elle a été confiée par le président<br />

statuant dans le cadre des mesures provisoires; à défaut de telle décision,<br />

elle est attribuée à celui qui a obtenu le divorce);<br />

— la loi du 10 octobre 1967, qui abroge toutes les dispositions en matière<br />

de compétence et de procédure et les fait passer dans le Code judiciaire;<br />

— la loi du 1er juillet 1969, modifiant quelques dispositions du Code<br />

civil en matière de procédure, en attendant la mise en vigueur des dispositions<br />

équivalentes figurant dans le Code judiciaire;<br />

— la loi du 20 novembre 1969, qui fixe à 23 ans pour les deux époux<br />

(auparavant, c’était 21 ans pour la femme et 25 ans pour le mari) l’âge<br />

minimum pour pouvoir divorcer par consentement mutuel et qui abroge<br />

l’impossibilité de divorcer par consentement mutuel après vingt ans de<br />

mariage ou lorsque la femme avait plus de 45 ans;<br />

— la loi du 15 mai 1972, qui abroge l’interdiction pour l’époux divorcé<br />

pour cause d’adultère de se remarier avec son complice;<br />

— la loi du l’juillet 1972, qui, en matière de divorce par consentement<br />

mutuel, simplifie la procédure (suppression de l’intervention des notaires<br />

en cours de procédure et réduction du nombre des comparutions) et<br />

abroge la règle prévoyant le transfert de la propriété de la moitié des<br />

biens des époux à leurs enfants;<br />

— la loi du 1er juillet 1974, qui introduit le divorce pour séparation de<br />

fait de plus de dix ans;<br />

— la loi du 28 octobre 1974, qui supprime l’entretien de concubine<br />

comme cause spécifique de divorce et prévoit que chaque époux (et non<br />

plus seulement le mari) peut demander le divorce pour adultère de son<br />

conjoint;<br />

— la loi du 9 juillet 1975, qui modifie le régime de la pension après divorce<br />

pour cause déterminée, principalement en la rendant variable;<br />

— la loi du 14 juillet 1976, relative aux régimes matrimoniaux, qui modifie<br />

diverses dispositions relatives aux effets du divorce et de la séparation<br />

de corps;<br />

— la loi du 2 décembre 1982, qui abaisse à cinq ans la durée de la séparation<br />

de fait après laquelle le divorce peut être demandé pour cette<br />

cause;<br />

— la loi du 31 mars 1987, qui supprime le délai de viduité après divorce<br />

et règle certains effets patrimoniaux du remariage lorsque les époux<br />

divorcés se remarient entre eux;<br />

— la loi du 19 janvier 1990, qui abaisse à vingt ans l’âge minimum requis<br />

pour pouvoir divorcer par consentement mutuel;<br />

— la loi du 13 avril 1995, qui maintient, après divorce, le principe de<br />

l’exercice conjoint de l’autorité sur la personne et de l’administration<br />

des biens des enfants mineurs et qui abroge l’article 303 (lequel donnait<br />

au parent non gardien le droit de surveiller l’exercice de l’autorité pa-<br />

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rentale par le titulaire de la garde et imposait au parent non gardien de<br />

continuer à contribuer aux frais d’entretien et d’éducation des enfants);<br />

— la loi du 20 mai 1997, qui précise, à propos du divorce par consentement<br />

mutuel, que les conditions d’âge minimum des époux et de durée<br />

minimum du mariage doivent être réalisées au moment du dépôt de la<br />

requête;<br />

— la loi du 16 avril 2000, qui ramène à deux ans la durée de la séparation<br />

de fait au terme de laquelle le divorce peut être demandé pour cette<br />

cause.<br />

On voit, par cette énumération, d’une part, combien les réformes ont été<br />

nombreuses, d’autre part, que — abstraction faite de celles que l’on peut<br />

qualifier de techniques, comme le transfert de la procédure du Code<br />

civil au Code judiciaire (6), et de celles qui règlent le sort des époux et<br />

des enfants après divorce — elles vont à peu près toutes dans le sens<br />

d’une libéralisation du divorce. Celle-ci se réalise d’abord par l’assouplissement<br />

des conditions de fond (introduction du divorce pour cause<br />

de séparation de fait, abaissements successifs de la durée requise pour<br />

pouvoir recourir à cette forme de divorce, suppression de la limite maximum<br />

de durée du mariage pour pouvoir divorcer par consentement mutuel,<br />

suppression de la nécessité du consentement des ascendants dans<br />

la même procédure, etc.). Vient ensuite la suppression de conséquences<br />

à caractère dissuasif (délais de remariage, interdiction pour les époux<br />

divorcés de se remarier entre eux, prohibition du remariage avec le complice<br />

de l’adultère, attribution de la moitié des biens des époux aux enfants).<br />

Enfin, la procédure s’est considérablement simplifiée : l’on passe<br />

du parcours du combattant à une promenade judiciaire (dispositions<br />

sur l’introduction de l’action reconventionnelle, suppression de l’intervention<br />

des notaires lors des comparutions en divorce par consentement<br />

mutuel et réduction du nombre de ces comparutions, suppression de la<br />

prononciation du divorce par l’officier de l’état civil — pour ne parler<br />

que des réformes qui ont affecté le Code civil). Seules vont dans l’autre<br />

sens les lois sur l’augmentation du délai pendant lequel le permis de citer<br />

était suspendu (art. 240, disposition passée dans le Code judiciaire,<br />

mais abrogée depuis lors par la loi du 30 juin 1994), sur le relèvement<br />

de 21 ans à 23 ans de l’âge minimum requis dans le chef de la femme<br />

voulant divorcer par consentement mutuel (loi du 20 novembre 1969,<br />

mais cet âge a été abaissé à 20 ans en 1990), sur le pouvoir d’appréciation<br />

donné au juge en matière de conversion de la séparation de corps<br />

en divorce.<br />

Il est temps à présent de dire au lecteur, légitimement impatient, quelles<br />

sont les dispositions inchangées depuis 1804. Il s’agit des articles 231<br />

(possibilité de demander le divorce pour excès, sévices ou injures graves),<br />

233 (notion de divorce par consentement mutuel), 299 (perte des<br />

avantages matrimoniaux par l’époux coupable), 304 (après divorce, les<br />

enfants conservent les avantages qui leur étaient assurés par les lois ou<br />

par les conventions matrimoniales de leurs père et mère) et 311 (la séparation<br />

de corps emporte séparation de biens). Dans les dispositions<br />

passées dans le Code judiciaire, celles qui n’ont pas été modifiées — ou<br />

qui ne l’ont été que de façon purement formelle — sont les articles 235<br />

(art. 1255, C. jud. : suspension de l’action en divorce lorsque des faits<br />

allégués par le demandeur donnent lieu à une poursuite pénale), 272<br />

(art. 1284, C. jud. : extinction de l’action en divorce par la réconciliation<br />

des époux), 273 (art. 1285, C. jud. : possibilité d’agir derechef en<br />

divorce si de nouveaux faits sont survenus depuis la réconciliation), 274<br />

(art. 1286, C. jud. : preuve de la réconciliation), 282 (art. 1290, al. 1er ,<br />

(6) Transfert justifié. L’anomalie consistant à faire régir la procédure par le<br />

Code civil s’explique par des raisons purement historiques et non logiques :<br />

lors de l’élaboration du Code civil, l’on ignorait si le Code de procédure civile<br />

verrait rapidement le jour (il sera achevé en 1806) (Stryckmans, op. cit.,<br />

p. 506). Cela dit, il reste des dispositions de procédure dans le Code civil<br />

(l’art. 232 règle la représentation de l’incapable dans la procédure en divorce<br />

pour cause de séparation de fait), cependant que le Code judiciaire en contient<br />

qui concernent le fond bien plus que la procédure (en matière de conventions<br />

préalables au divorce par consentement mutuel).<br />

2004<br />

261


2004<br />

262<br />

C. jud. : représentations que le juge fait aux époux lors de la première<br />

comparution en divorce par consentement mutuel), 287 (art. 1295, C.<br />

jud. : procès-verbal établi par le juge lors de la dernière comparution en<br />

divorce par consentement mutuel), 288 (art. 1296, C. jud. : ordonnance<br />

du juge référant du tout au tribunal, après la dernière comparution en divorce<br />

par consentement mutuel), 293 (art. 1301, C. jud. : procédure devant<br />

la cour d’appel en matière de divorce par consentement mutuel) et<br />

306 (art. 1305, al. 1 er , C. jud. : possibilité d’agir en séparation de corps<br />

pour les causes pour lesquelles on peut demander le divorce pour cause<br />

déterminée). Rien d’étonnant à ce que ces dispositions aient survécu :<br />

les unes contiennent des règles de fond, qui nous paraissent former un<br />

noyau dur, incompressible, les autres renferment des règles de procédure<br />

qui ne freinent pas l’obtention du divorce et ne vont donc pas à contre-courant<br />

de la tendance générale observée depuis 1804.<br />

Il nous faut maintenant dire un mot des perspectives d’avenir. Les réformes<br />

récentes n’ont pas empêché l’éclosion d’une série de propositions<br />

portant sur d’autres aspects du divorce. Depuis longtemps, d’aucuns défendent<br />

l’idée d’un divorce sans faute, en tout cas d’un divorce dans lequel<br />

la faute ne jouerait pas de rôle lorsque se pose le problème de la<br />

pension alimentaire du conjoint « innocent », « sauf peut-être dans des<br />

cas exceptionnels où le juge pourrait acquérir la conviction inébranlable<br />

qu’un des deux époux porte une responsabilité particulièrement grave<br />

dans l’échec du projet de vie commune » (7). L’idée du divorce sans<br />

faute a d’ailleurs déjà été envisagée par le législateur, au cours des travaux<br />

qui ont abouti à l’adoption de la loi du 30 juin 1994, mais son examen<br />

a été remis à plus tard, les divergences d’opinion sur ce point ayant<br />

fait craindre de retarder considérablement le vote des dispositions de<br />

procédure, sur lesquelles les parlementaires étaient largement d’accord<br />

(8). Lors de l’élaboration de la même loi, l’on a également remis à plus<br />

tard la question du maintien dans notre droit de la séparation de corps,<br />

celle de la preuve par l’aveu dans les procédures en divorce pour cause<br />

déterminée et celle des conventions partielles dans le divorce par consentement<br />

mutuel (9).<br />

L’idée du divorce sans faute est en tout cas dans l’air. Sous la législature<br />

précédente, une réflexion globale sur le divorce a été entreprise par la<br />

Chambre des représentants. Il en est ressorti qu’une majorité des participants<br />

était favorable au divorce sans faute (10). En outre, plusieurs<br />

propositions ont été déposées. L’une d’elles visait à faire de la désunion<br />

irrémédiable des époux la seule cause de divorce (11), une pension alimentaire<br />

pouvant être attribuée à l’un ou l’autre des époux, en fonction<br />

de l’état de nécessité dans lequel il se trouve (12). La même réduction<br />

(7) J.-L. Renchon, « Les séquelles alimentaires du divorce », in Famille, droit<br />

et changement social dans les sociétés contemporaines, 1978, p. 361, n o 47.<br />

L’auteur met notamment en évidence les difficultés financières que rencontre<br />

l’ancien conjoint qui se remarie, tout en continuant à supporter la charge d’une<br />

pension liée à son premier mariage, difficultés qui mettent en péril l’échange<br />

affectif qui doit exister dans la seconde union (p. 363, n o 49). C’est bien vu.<br />

Déjà Molière écrivait : « Rien n’use tant l’ardeur de ce nœud qui nous lie, Que<br />

les fâcheux besoins des choses de la vie » (Les femmes savantes, V, 4). Sur le<br />

divorce sans faute, voy. aussi L. Versluys, « Une cohabitation sans péché, faute<br />

ou amende - L’idée d’un divorce sans faute », Journ. procès, 1993, n o 247,<br />

p. 20.<br />

(8) Voy. notre étude La loi du 30 juin 1994 modifiant l’article 931 du Code judiciaire<br />

et les dispositions relatives aux procédures du divorce, 1994, pp. 39-<br />

41, n os 7-8 et réf. cit.<br />

(9) Voy. notre étude précitée, loc. cit.<br />

(10) Journée d’étude du 8 décembre 2000, qui a pris comme base de ses travaux<br />

un rapport élaboré, à la demande de la Chambre, par les professeurs de droit<br />

des personnes des différentes universités du pays (voy. le résumé rédigé par<br />

G. Béliard, in Div. Act., 2001/02, pp. 2 et s.). Des parlementaires avaient déjà<br />

participé, en mars 2000, à une journée d’étude organisée par les revues Divorce<br />

et Echtscheidingsjournaal (voy. l’exposé d’A.-Ch. Van Gysel et le compte rendu<br />

de S. Brat, in Div. Act., 2000/5, pp. 66 et s.).<br />

(11) En ce sens, voy. G. Baeteman, Overzicht van het personen- en gezinsrecht,<br />

3 e éd., n o 651.<br />

(12) Proposition de M. Coveliers, Mme van der Hooft et M. Hove, Doc. parl.,<br />

Ch., n o 50 684/001, du 30 mai 2000. La pension serait due pendant douze ans,<br />

mais le juge pourrait prolonger cette durée.<br />

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des causes de divorce à la désunion irrémédiable se rencontrait dans une<br />

autre proposition, qui entendait également restreindre l’allocation d’une<br />

pension au cas de l’époux en état de nécessité, celui « qui a subi un dommage<br />

de nature morale et sociale » pouvant toutefois obtenir une<br />

« indemnité compensatoire » (13). Ces propositions et d’autres encore,<br />

dont l’une tendait à réduire à six mois le délai de deux ans nécessaire<br />

pour pouvoir demander le divorce par consentement mutuel (14), ont<br />

fait l’objet d’un avis commun donné par le comité d’avis pour l’émancipation<br />

sociale. Ledit comité a émis le vœu que le divorce sans faute<br />

soit possible, sans que le maintien des autres procédures soit nécessairement<br />

écarté, de façon à ne pas déresponsabiliser celui des conjoints<br />

qui a manifestement causé un dommage à l’autre. En matière de pensions,<br />

la situation de dépendance qui se serait créée pendant le mariage<br />

ne serait pas rompue sans une phase transitoire. Des « mesures<br />

équitables » devraient être prises en faveur de l’ancien conjoint qui n’a<br />

pas eu l’occasion d’exercer une activité rémunérée pendant le mariage<br />

ou qui n’a pas la possibilité de retrouver une profession. Celui qui a subi<br />

un dommage, de nature physique, morale ou sociale, serait indemnisé<br />

(15). Comme quoi il n’est pas évident de se débarrasser totalement de<br />

la faute. On le comprend d’ailleurs très bien. Déresponsabiliser entièrement<br />

l’auteur d’un dommage important est difficilement admissible<br />

(16). C’est bien de là que vient le problème et il ne faut pas chercher<br />

ailleurs l’explication du défaut d’aboutissement des propositions favorables<br />

au divorce sans faute.<br />

Pour clore les initiatives récentes, l’on citera une proposition qui considère<br />

que l’introduction d’un divorce sans faute constitue un objectif<br />

trop ambitieux et qui, tout en maintenant les actuelles formes de divorce,<br />

tend à en ajouter une. Il s’agit du divorce sur déclaration unilatérale :<br />

l’époux qui souhaite divorcer présente à l’autre — et au tribunal — « un<br />

plan contraignant et étayé par des pièces justificatives, plan détaillant<br />

minutieusement les droits des conjoints en ce qui concerne, par exemple,<br />

leur contribution alimentaire, les enfants, la répartition du patrimoine,<br />

le droit à la reprise du logement ». Si la partie défenderesse n’est pas<br />

d’accord sur tout ou partie de ce plan, le tribunal tranche les points en<br />

litige (17) (18).<br />

Faut-il, en matière de perspectives, aller plus loin et envisager, dans le<br />

cadre européen, une loi uniforme sur le divorce ou un chapitre dans un<br />

Code civil unique? L’avantage essentiel consisterait à supprimer de<br />

nombreux problèmes de droit international privé. Cela ne paraît pas à<br />

l’ordre du jour. Et pourtant, l’adoption d’un Code européen serait dans<br />

le droit fil de la pensée de Bonaparte : « Je voulais un système européen,<br />

un code européen, une cour de cassation européenne » (19). Quoi qu’il<br />

advienne, on vous en reparlera dans le numéro qui sera consacré aux<br />

trois cents (ou peut-être aux deux cent cinquante) ans du Code.<br />

Jean-Pol MASSON<br />

(13) Proposition de Mmes Herzet, Cahay-André, MM. Bacquelaine, Maingain<br />

et Seghin, Doc. parl., Ch., n o 50 1497/001, du 9 novembre 2001.<br />

(14) Proposition de MM. Bourgeois et Van Hoorebeke, Doc. parl., Ch.,<br />

n o 50 0619/001, du 2 mai 2000.<br />

(15) Doc. parl., Ch., n o 50 0619/002, du 16 mai 2002.<br />

(16) Et mettre l’entretien du conjoint sans ressources à charge de l’Etat n’est<br />

pas réaliste (G. Hiernaux, « Actualité du divorce pour cause déterminée », Rev.<br />

dr. U.L.B., 2003, p. 8.<br />

(17) Proposition de M. Erdman, M. Vanvelthoven et Mme Haegeman, Doc.<br />

parl., Ch., n o 50 2313/001, du 19 février 2003.<br />

(18) Il y aurait naturellement beaucoup plus à dire sur chacune des idées ainsi<br />

soumises au législateur, mais le cadre limité de cet article ne nous le permet<br />

pas. Nous nous sommes contenté de signaler les initiatives les plus importantes,<br />

qui, globalement, vont dans le même sens.<br />

(19) Propos tenus à Sainte-Hélène, cités par le baron Silvercruys dans son discours<br />

d’installation comme président de la Cour de cassation, Bull., 1930, p. 7.


DEUX SIÈCLES DE DROIT<br />

DE LA FILIATION<br />

LivreI - TitreVII<br />

La filiation a toujours été un mystère, puisqu’elle dérive, dans sa dimension<br />

biologique, de ce moment « éminemment fugace et secret », qu’est<br />

la conception comme se plaisait à le qualifier le regretté bâtonnier De<br />

Gavre.<br />

Que savait-on de la conception et de la gestation humaine, en 1804?<br />

Pas grand-chose, car quand les légistes s’étaient enquis de la chose<br />

auprès des plus savants médecins, ils avaient reçu en réponse une dissertation<br />

où on pouvait lire : « Le terme de la naissance a été traité<br />

par Paul Zacchias d’après les données d’Hippocrate et d’Aristote.<br />

Voici comment il discute cette (...) question : Aristote voyant<br />

qu’Hippocrate avait admis des naissances depuis sept jusqu’à onze<br />

mois, en a conclu que l’homme n’avait point de terme fixe pour la<br />

naissance comme les autres animaux. De là, quelques tribunaux ont<br />

légitimé même une naissance de treize mois. Une foule d’auteurs et<br />

de jurisconsultes ont adopté l’opinion d’Aristote; ils l’ont appuyée<br />

sur la diversités des tempéramens (1), des saisons et des températures;<br />

sur la capacité variée de l’utérus, sur la quantité diverse du sang;<br />

sur la nature tout à la fois multipare et paucipare de l’espèce humaine,<br />

etc. » (2).<br />

Dès lors, le système qui avait été conçu était relativement simple, et tenait<br />

en trente articles assez courts.<br />

Il pourrait se résumer ainsi : hors de la légitimité, c’est-à-dire de la conception<br />

de l’enfant par deux personnes mariées ensemble, point de<br />

salut.<br />

D’où une restriction sévère des causes de désaveu de paternité, et une<br />

extension généreuse des modes de preuve de la légitimité (3), jusques et<br />

y compris la possession d’état (4).<br />

Dans le même temps, le statut de l’enfant naturel était volontairement<br />

défavorisé.<br />

L’enfant naturel « simple », issu de deux célibataires, pouvait rechercher<br />

sa mère en prouvant « qu’il est identiquement le même que l’enfant<br />

dont (la mère) est accouchée » (5), mais la recherche de paternité était<br />

tout simplement interdite, sauf le cas de l’enlèvement (6). L’enfant devait<br />

donc essentiellement espérer en sa reconnaissance volontaire par<br />

ses auteurs, puisque l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance,<br />

pourtant obligatoire (7), ne créait aucun lien de droit entre l’enfant<br />

et la femme désignée comme sa mère par l’acte.<br />

Il devait surtout espérer leur mariage, et la légitimation qui en était la<br />

suite (8) : car « les enfants naturels ne sont point héritiers » (9) mais<br />

seulement successeurs irréguliers, ne recevant qu’une part seulement de<br />

ce qu’ils eussent reçu s’ils avaient été légitimes, et pouvant être limités<br />

(1) ’ Telle était l’orthographe du temps.<br />

(2) Précis présenté par M. Fourcroy, « Sur l’époque de la naissance humaine,<br />

et sur les naissances accélérées et tardives », discussion au Conseil d’Etat en<br />

présence du premier consul, le 14 brumaire an X (5 novembre 1801), Fenet,<br />

t. X, pp. 13 et s.<br />

(3) Ainsi, « Le mari ne pourra, en alléguant son impuissance naturelle, désavouer<br />

l’enfant; il ne pourra le désavouer, même pour cause d’adultère, à moins<br />

que la naissance ne lui ait été cachée » (art. 313).<br />

(4) Article 320 du Code civil.<br />

(5) Article 341.<br />

(6) Article 340.<br />

(7) Article 57.<br />

(8) Articles 331 à 333.<br />

(9) Article 756.<br />

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à la moitié de cette part déjà réduite, par une donation à eux faite par<br />

leurs auteurs de leur vivant (10). Leur famille était d’ailleurs limitée à<br />

leur seuls père et mère, car ils étaient sans lien à l’égard des parents de<br />

leurs auteurs directs (11).<br />

Encore ce statut était-il encore privilégié par rapport à celui des enfants<br />

adultérins et incestueux : pour eux, pas de recherche de maternité ou de<br />

paternité (12), ni même de reconnaissance possible (13).<br />

Sans filiation, ils étaient aussi sans autre droit vis-à-vis de leurs père et<br />

mère, autre que des aliments « réglés, eu égard aux facultés du père ou<br />

de la mère, au nombre et à la qualité des enfants légitimes ».<br />

Et si ces père et mère venaient à mourir, leur sort était scellé par cette<br />

sentence terrible :<br />

« Lorsque le père et la mère de l’enfant adultérin ou incestueux lui<br />

auront fait apprendre un art mécanique, ou lorsque l’un d’eux lui aura<br />

assuré des aliments de son vivant, l’enfant ne pourra élever aucune réclamation<br />

contre leur succession » (14).<br />

* * *<br />

Au bout d’un siècle, cette rigueur est apparue barbare, et le législateur<br />

a commencé à créer des expédients.<br />

La loi du 6 avril 1908, ainsi, a élargi le champ de la recherche de maternité<br />

(15) et de paternité (16), et a créé l’action alimentaire non déclarative<br />

de filiation (17).<br />

Celle-ci constitue un petit bijou d’hypocrisie bourgeoise (18).<br />

Supposons une domestique engrossée par le fils de ses patrons. Naturellement<br />

chassée pour avoir perverti ce pur jeune homme, elle a l’outrecuidance<br />

de lui réclamer ses frais d’accouchement et des aliments pour<br />

l’enfant.<br />

La bonne et le jeune bourgeois sont alors convoqués par le président du<br />

tribunal : la première doit comparaître en personne, le second pourra se<br />

faire représenter pour lui éviter la honte de la comparution.<br />

Si le bourgeois est grand seigneur et qu’il y a accord sur la pension, les<br />

choses en restent là dans le secret du bureau présidentiel.<br />

S’il n’est que gentilhomme, et qu’il admet les relations tout en discutant<br />

le chiffre de la pension, le débat est traité en chambre du conseil, mais<br />

le jugement est public.<br />

Ce n’est que si le géniteur est totalement réticent qu’il devra subir le discrédit<br />

du débat public.<br />

De façon très surprenante, cette institution très « datée » est passée<br />

quasiment sans aucune retouche dans la loi du 31 mars 1987 et fait<br />

toujours partie de notre arsenal juridique (19), où elle connaît un relatif<br />

succès, si l’on en juge par le flux constant de jurisprudence à son<br />

sujet.<br />

(10) Article 761.<br />

(11) Article 756, seconde phrase, sous la réserve de l’article 766, qui faisait<br />

succéder à l’enfant naturel mort sans postérité et dont les père et mère étaient<br />

décédés, partim ses frères et sœurs légitimes, partim ses frères et sœurs naturels.<br />

(12) Article 342.<br />

(13) Article 335.<br />

(14) On à peine à penser que ce texte avait encore force de loi dans notre pays<br />

il y a moins de vingt ans d’ici.<br />

(15) Article 341a.<br />

(16) Article 340a.<br />

(17) Article 340b et 340c (frais de gésine).<br />

(18) Voy., les règles de procédure relatées dans l’article 340 f.<br />

(19) Articles 336 à 341 du Code civil. Cette dernière disposition indique que,<br />

même s’il n’y a pas de lien de filiation, la prohibition de l’inceste est la même<br />

que si elle était établie : on peut difficilement imaginer plus tartuffe.<br />

2004<br />

263


2004<br />

264<br />

De proche en proche, le système avait ainsi lentement tourné à l’usine à<br />

gaz : autour d’un principe fondateur de légitimité qui ne convainquait<br />

plus, mais que l’on n’osait attaquer de front, le législateur avait créé<br />

mille exceptions et autres voies de contournement de la vielle idole toujours<br />

debout.<br />

Ainsi, « l’innovation la plus spectaculaire de la loi du 10 février<br />

1958 a consisté à permettre que dans certaines hypothèses privilégiées<br />

la filiation adultérine d’un enfant soit établie par une reconnaissance<br />

volontaire » (20) : c’est ce que l’on nommait les enfants<br />

« adultérins techniques », termes dont la rencontre paraît, avec le recul,<br />

surprenante.<br />

De même, la loi du 21 mars 1969 avait introduit dans notre droit une<br />

institution nouvelle, la légitimation par adoption (21), dont un des buts<br />

au moins était de ramener au statut idéal d’enfant légitime les enfants<br />

adultérins « non techniques ».<br />

Certes, le plus éminent auteur belge, Henri De Page, défendait encore<br />

le principe de légitimité, en ces termes : « On voit par ce qui précède<br />

que, tant que le droit successoral des enfants naturels subsistera,<br />

le système de l’action alimentaire non déclarative de filiation est le<br />

seul possible. Et lorsqu’on approfondit la question, on s’aperçoit<br />

aisément que toute l’erreur consiste précisément dans le fait d’avoir<br />

reconnu ce droit successoral. Tant qu’une société est strictement monogamique,<br />

l’enfant naturel ne devrait avoir droit qu’à des aliments<br />

(22). Tout autre droit, lui permettant de s’introduire dans la famille<br />

légitime ou de s’assimiler à elle, devrait être rigoureusement proscrit.<br />

Tout le reste n’est que sentimentalisme, et faux humanitarisme.<br />

Malheureusement, une pareille réforme, la seule qui soit vraiment<br />

saine (23) et favorable à l’union régulière, paraît impossible à l’heure<br />

actuelle. Elle heurterait trop d’esprits superficiels. L’opinion publique,<br />

la jurisprudence et même certains juristes favorisent trop, au<br />

nom d’une vague pitié romantique, l’enfant naturel et l’union libre.<br />

Lorsqu’on rapproche cet état d’esprit du fait que les enfants naturels<br />

ont déjà conquis le droit successoral, en concours avec les enfants légitimes,<br />

et de la facilité avec laquelle la jurisprudence admet de nos<br />

jours le divorce, on ne peut s’empêcher de craindre que le crépuscule<br />

de la famille légitime ne descende lentement sur nos sociétés<br />

contemporaines » (24), mais la lance brisée en sa faveur par le dernier<br />

paladin de l’antique ordre social paraissait bien surannée.<br />

* * *<br />

Un tel système ne pouvait subsister, et le coup fatal lui fut donné par le<br />

célèbrissime arrêt Marckx, rendu le 13 juin 1979 par la Cour européenne<br />

des droits de l’homme (25).<br />

Reprenant l’ensemble du régime discriminatoire mis en place par le<br />

droit belge pour un enfant naturel « simple », tel que relaté ci-avant<br />

(26), la Cour en concluait que les articles 8 (protection de la vie familiale),<br />

14 (principe de non-discrimination) de la Convention européenne<br />

des droits de l’homme et 1er du Protocole additionnel à la Convention<br />

(protection des droits patrimoniaux), combinés entre eux, avaient été<br />

violés.<br />

(20) F. Rigaux, Les personnes, t. I, « Les relations familiales », Larcier,<br />

Bruxelles, 1971, n o 2825, p. 687.<br />

(21) Cette dualité de formes d’adoption subsiste actuellement dans notre droit,<br />

sous les noms d’adoption simple et d’adoption plénière.<br />

(22) En italiques dans le texte.<br />

(23) Idem.<br />

(24) H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I er , 3 e éd., Bruylant,<br />

Bruxelles, 1962, n o 1121, p. 1180.<br />

(25) R.T.D.F., 1979, p. 227.<br />

(26) Voy. notam., les points 14 à 17 de l’arrêt.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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La réforme législative, mise en chantier quelques années auparavant<br />

sous le vocable de « projet 305 » (27), se mit alors lentement en marche.<br />

Celle-ci devait aboutir à la loi du 31 mars 1987, laquelle, reversant tout<br />

l’édifice antérieur, contient l’énoncé du principe d’égalité suivant :<br />

« Quel que soit le mode d’établissement de la filiation, les enfants et<br />

leurs descendants ont les mêmes droits et les mêmes obligations à<br />

l’égard des père et mère et de leurs parents et alliés, et les père et mère<br />

ont les mêmes droits et mêmes obligations à l’égard des enfants et de<br />

leur descendance » (28).<br />

Cependant, si les termes de « légitime » de « naturel » et d’« adultérin »<br />

ont effectivement disparu du Code, l’article 334 était loin de dire toute la<br />

vérité.<br />

Tout d’abord, l’égalité proclamée n’existe qu’au niveau des effets de la<br />

filiation, non de son établissement.<br />

Quant à celle-ci, on observe une différence très nette entre la maternité,<br />

désormais placée sous la bannière frappée de l’adage mater semper certa,<br />

et la paternité, dont l’établissement est, en dehors du mariage, soumis<br />

à d’importants aléas.<br />

Pour ne prendre que deux exemples imagés, considérons d’une part un<br />

enfant trouvé, devenu adulte et riche. Voit se présenter à sa porte deux<br />

mendiants, qui sont ses père et mère qui le veulent reconnaître et lui demander<br />

des aliments.<br />

Le fils pourra sans danger claquer la porte au nez de son géniteur (29),<br />

tandis que sa mère triomphera sans obstacle, à tout le moins dans sa volonté<br />

de reconnaître tardivement son enfant (30).<br />

D’autre part, imaginons une mère qui désire élever son enfant en<br />

amazone, mais avec le secours, strictement limité aux finances, du<br />

géniteur.<br />

Il peut, nous l’avons vu, diriger contre lui une action alimentaire non<br />

déclarative de filiation (31), reprise de la loi du 6 avril 1908, et en<br />

même temps, si le défendeur désire alors assumer la totalité de son<br />

rôle paternel, refuser son consentement à la reconnaissance de son<br />

enfant (32).<br />

Mais, même quant aux effets de la filiation, l’article 334 est pris en défaut,<br />

notamment par les dispositions qui le suivent immédiatement, et<br />

qui portent des règles particulières pour l’« enfant conçu pendant le mariage<br />

par l’un des époux et une autre personne que son conjoint », qui<br />

n’est cependant plus « adultérin » (33), tout comme le père du bourgeois<br />

gentilhomme n’était point marchand de drap, mais amateur<br />

d’étoffes, dont il faisait profiter ses amis, pour de l’argent...<br />

Une condamnation de la nouvelle loi par la Cour de Strasbourg était<br />

probable à terme, quand « un jeune et talentueux auteur » (34) signala à<br />

l’attention des juristes belges une piste plus proche et plus aisée : celle<br />

de la Cour d’arbitrage.<br />

(27) Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n o 305.<br />

(28) Article 334 du Code civil.<br />

(29) Article 319, § 2.<br />

(30) Article 313.<br />

(31) Articles 336 et s.<br />

(32) Article 319, § 3.<br />

(33) Voy., la critique de la nouvelle terminologie par M. Hanotiau, « Les effets,<br />

en matière successorale, de la loi du 31 mars 1987 sur la filiation », Rev. dr.<br />

U.L.B., 1990, p. 38, note 3.<br />

(34) Il s’agit de F. Tulkens, « La filiation paternelle hors mariage, éléments de<br />

jurisprudence », Journ. procès, 1990, p. 14, et l’expression, on l’aura deviné,<br />

de J. De Gavre, dans l’article qu’il signe sous le titre « Le principe d’égalité<br />

dans le droit de la filiation : limites, exceptions et contrôle » à la Rev. dr.<br />

U.L.B., 1990, n o 3, p. 15.


En effet, la loi spéciale du 6 janvier 1989 a ouvert à tous les plaideurs<br />

la possibilité de faire poser par la juridiction saisie une question préjudicielle<br />

à cette Cour, portant sur la compatibilité d’une norme légale, tel<br />

un article du Code civil, avec les principes d’égalité des Belges devant<br />

la loi et de non-discrimination, contenus dans les articles 10 et 11 (35)<br />

de la Constitution (36).<br />

Ils ne s’en sont pas privés, et la matière de la filiation est probablement<br />

celle, au sein du droit civil, qui a fait l’objet du plus grand nombre<br />

d’arrêts, dont un nombre important constatait en effet une discrimination<br />

dans notre législation.<br />

A telle enseigne que le droit de la filiation nous est apparu, il y a dix ans<br />

déjà, littéralement décomposé (37) par l’effet de cette jurisprudence.<br />

* * *<br />

Depuis lors, la tendance n’a fait que s’accentuer, et l’arrêt rendu par la<br />

Cour d’arbitrage le 14 mai 2003 (38) représente sans doute un point de<br />

non-retour pour la législation actuelle.<br />

En effet, cette décision contient deux éléments qui n’étaient jamais apparus,<br />

du moins aussi nettement, dans la jurisprudence de la Cour : le<br />

revirement de jurisprudence et l’appel à une réforme législative contrôlée.<br />

Pour ce qui est du revirement, la Cour d’arbitrage, dans la lignée, sans<br />

doute, de toutes le cours suprêmes qui se respectent, le nie superbement.<br />

Il existe pourtant, au moins à deux endroits.<br />

La Cour affirme, d’abord (39), que les arrêts n os 39/90 et 63/92 qu’elle<br />

avait prononcés en 1990 et 1992, n’ont pas décidé que le pouvoir de<br />

contrôle du tribunal sur l’opportunité de la reconnaissance était discriminatoire<br />

en cas de défaut de consentement de la mère.<br />

Selon la Cour, ce qui avait été jugé discriminatoire, c’était le fait que<br />

seule la mère pouvait s’opposer à la reconnaissance, mais non l’enfant<br />

âgé de moins de quinze ans, par lui-même s’il est doué de discernement,<br />

par son représentant s’il ne l’est pas.<br />

Cependant, lorsqu’on relit ces deux arrêts, on constate qu’au travers de<br />

motivations différentes (40), la Cour a bien alors voulu restreindre le<br />

pouvoir d’opposition de la mère et du tribunal, lorsque la réalité biologique<br />

de la paternité n’était pas remise en cause.<br />

Et, réciproquement, on cherche en vain dans ces arrêts la portée que la<br />

Cour veut aujourd’hui leur prêter.<br />

Ensuite, la Cour, après avoir envisagé sa jurisprudence antérieure<br />

dans les arrêts nos 39/90, 63/92 et 36/96, qu’elle cite (41), déclare<br />

discriminatoire le fait que l’enfant de moins de quinze ans ne peut<br />

s’opposer à sa reconnaissance, par lui-même s’il est doué de discernement,<br />

et par son représentant s’il n’est pas doué de discernement<br />

(42).<br />

Ce faisant, la Cour omet de citer son arrêt n o 62/94 du 14 juillet 1994,<br />

par lequel elle jugeait, dans la foulée des arrêts nos 39/90 et 63/92,<br />

discriminatoire le fait que, la mère de l’enfant étant par hypothèse in-<br />

(35) Anciennement, avant la réforme constitutionnelle de 1994, 6 et 6bis.<br />

(36) Le champ du contrôle constitutionnel a été récemment élargi par la loi du<br />

9 mars 2003, M.B., 11 avril 2003.<br />

(37) A.-Ch. Van Gysel, « Le droit belge de la filiation décomposé », note sous<br />

C.A., 14 juill. 1994, J.T., 1995, p. 701.<br />

(38) Arrêt n o 66/2003, numéro de rôle 2433.<br />

(39) Attendu B.7.2.<br />

(40) Voy., sur la motivation de ces arrêts, notre étude : « Le raisonnement de la<br />

Cour d’arbitrage en droit de la filiation : cohérences et argumentations », in<br />

« La Cour d’arbitrage et le droit privé », Rev. dr. U.L.B., 2002, n o 25, p. 129.<br />

(41) Attendu B.2.2.<br />

(42) Attendus B.7.2 et B.8.<br />

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capable de manifester sa volonté, le représentant de l’enfant puisse<br />

agir en annulation de la reconnaissance pour des motifs d’opportunité.<br />

On doit ainsi constater que la Cour ne rencontre pas sa propre jurisprudence,<br />

dans l’arrêt où elle se prononçait déjà — mais dans un sens contraire<br />

à celui que la Cour désire à présent promouvoir — sur le pouvoir<br />

du représentant d’un enfant mineur, de s’opposer à la reconnaissance de<br />

cet enfant.<br />

Certes, aucune règle n’établit le stare decisis à la Cour d’arbitrage.<br />

S’agissant d’une juridiction qui a le pouvoir d’annuler ou de rendre<br />

inefficaces des normes légales, un tel revirement de jurisprudence — et<br />

spécialement un revirement qui n’est pas proclamé comme tel — devrait<br />

pourtant être envisagé avec une particulière gravité, compte tenu<br />

de l’impact négatif très considérable qu’il doit nécessairement avoir sur<br />

la sécurité juridique élémentaire.<br />

Pour ce qui est de la lacune, la Cour proclame (43) « qu’il n’appartient<br />

pas à la Cour de décider la forme que devrait prendre la possibilité de<br />

contrôle, par l’autorité judiciaire, de l’intérêt de l’enfant de moins de<br />

quinze ans ou de l’enfant non doué de discernement à l’occasion de sa<br />

reconnaissance par son père ».<br />

Elle transfère donc la « patate chaude » au législateur.<br />

Mais elle indique immédiatement qu’« Il lui revient, en revanche, de<br />

constater que l’absence de toute possibilité, pour le juge, d’exercer un<br />

contrôle de l’intérêt de l’enfant âgé de moins de quinze ans en cas d’établissement<br />

de la filiation paternelle par reconnaissance, est contraire<br />

aux articles 10 et 11 de la Constitution ».<br />

En d’autres termes, la cour balise d’ores et déjà le contenu de la future<br />

législation belge en matière de filiation.<br />

Qu’il se contente de tenter d’adapter la loi à la jurisprudence de la Cour<br />

d’arbitrage (44), ou qu’il décide de mettre à plat tout le droit de la filiation<br />

et de recréer ex nihilo un nouveau système, il semble en effet que<br />

les jours de la loi du 31 mars 1987 soient comptés.<br />

Le commentateur de l’évolution du droit de la filiation sur les deux<br />

cents ans du Code civil — et ce sera notre remarque finale — ne peut<br />

qu’être saisi de l’accélération des choses : le premier système, celui de<br />

la légitimité, avait régné cent quatre-vingt-trois ans, celui actuellement<br />

en place semble, après dix-sept ans seulement, déjà énervé...<br />

Alain-Charles VAN GYSEL<br />

Chargé de cours à l’U.L.B. - Avocat au barreau de Bruxelles<br />

(43) Attendu B.8.<br />

(44) Voy. en ce sens, la proposition de loi de Th. Giet et K. Lalieux, « modifiant<br />

des dispositions du Code civil relatives à l’établissement de la filiation et aux<br />

effets de celle-ci », déposée le 1 er avril 2003 à la Chambre des représentants,<br />

s.o. 2002-2003, doc. 50, n o 2415/001.<br />

2004<br />

265


2004<br />

266<br />

DE L’ADOPTION<br />

ET DE L’ADOPTION PLÉNIÈRE (1)<br />

Livre I - Titre VIII<br />

I. — L’ÉVOLUTION LÉGISLATIVE DE L’ADOPTION<br />

1. — Le passé<br />

Le Code civil de 1804 ressuscita « avec tiédeur » (2) une vieille institution<br />

de droit romain, tombée en désuétude au Moyen Age : l’adoption,<br />

contrat solennel à but successoral. Une personne âgée d’au moins cinquante<br />

ans et restée sans descendance légitime pouvait en effet adopter<br />

un majeur si elle lui avait prodigué des soins pendant six ans au moins<br />

au cours de sa minorité. L’adopté restait juridiquement dans sa famille<br />

d’origine mais était lié à l’adoptant par un lien de filiation additionnelle.<br />

Cette adoption, considérée par le professeur De Page (3) comme « un<br />

désert », fut rarement pratiquée : il s’en compta environ 1.000 entre<br />

1901 et 1930 (4). Par ailleurs, la tutelle officieuse consistait en une forme<br />

de prise en charge d’un mineur qui pouvait préparer une adoption.<br />

La loi du 22 mars 1940, dans l’espoir notamment de rendre un foyer aux<br />

orphelins de guerre, permet en outre l’adoption des mineurs, avec le<br />

consentement de leurs parents ou du conseil de famille. L’âge minimum<br />

pour adopter fut abaissé à trente-cinq ans. L’adoption doit se fonder sur<br />

de justes motifs et présenter des avantages pour l’adopté, mais elle ne<br />

suppose plus une prise en charge préalable de six ans. Elle transfère à<br />

l’adoptant la puissance paternelle sur l’adopté mineur et peut être révoquée<br />

pour motifs très graves. La tutelle officieuse fut maintenue comme<br />

une possibilité de placement préadoptif probatoire.<br />

La loi du 10 février 1958 favorisa l’adoption de son propre enfant illégitime<br />

et l’adoption de l’enfant du conjoint, en abaissant dans ces hypothèses<br />

l’âge pour adopter de 35 à 21 ans, et en autorisant l’adoption en<br />

présence d’enfants de l’adoptant.<br />

La loi du 21 mars 1969, prolongeant cette faveur législative de l’adoption,<br />

abaissa l’âge des adoptants à 30 ans s’il s’agissait d’époux mariés<br />

depuis cinq ans, et permet dans tous les cas l’adoption en présence d’enfants<br />

de l’adoptant. Le tribunal peut autoriser l’adoption contre le refus<br />

abusif des père et mère d’origine de consentir à l’adoption de leur enfant.<br />

Fut également créée, à côté de l’adoption (5), la légitimation par<br />

adoption d’un mineur par deux époux, laquelle intègre pleinement et irrévocablement<br />

l’enfant dans sa famille adoptive et le coupe totalement<br />

de sa famille d’origine (hormis les empêchements au mariage). L’adoption<br />

ne peut plus être attaquée par voie de nullité. Des règles de droit<br />

international privé spécifiques à l’adoption sont par ailleurs intégrées<br />

dans le Code civil. Et la tutelle officieuse est transférée du titre VIII au<br />

titre X du livre 1 er , consacré à la minorité, la tutelle et l’émancipation,<br />

perdant à cette occasion son caractère de modalité d’un placement préadoptif<br />

pour devenir un « contrat de bienfaisance » relatif à la prise en<br />

charge d’un mineur.<br />

(1) Intitulé qui deviendra « De l’adoption » lorsque la loi du 24 avril 2003 entrera<br />

en vigueur : voy. infra, I. 3. Date de fin de rédaction du présent article :<br />

19 décembre 2003.<br />

(2) J.-P. Masson, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 2, Les personnes,<br />

vol. II, 4 e éd., Bruylant, Bruxelles, 1990, n o 1141. A propos de l’histoire de<br />

l’adoption, voy. aussi R.P.D.B., v o « Filiation adoptive », n os 3-30 et<br />

I. Lammerant, L’adoption et les droits de l’homme en droit comparé, Bruylant,<br />

Bruxelles et L.G.D.J., Paris, 2001 (ci-après cité « I. Lammerant »), n o 1.<br />

(3) T. 1 er , éd. 1933, n o 1246.<br />

(4) Exposé des motifs de la loi du 22 mars 1940, Doc. parl., Chambre, sess.<br />

1934-1935, n o 35.<br />

(5) Qui crée un lien de parenté entre l’adoptant, l’adopté (mineur ou majeur) et<br />

ses éventuels descendants, tout en maintenant les liens dans la famille d’origine.<br />

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2. — Le droit actuel<br />

La réforme de 1987 (6) remplace le concept de légitimation par adoption<br />

par celui d’adoption plénière, mais en conserve le contenu. Elle<br />

permet notamment l’adoption et l’adoption plénière par une seule personne<br />

ou des époux d’au moins 25 ans (18 ans pour l’adoption de l’enfant<br />

du conjoint). Elle impose aux parents d’origine un délai de réflexion<br />

de deux mois à partir de la naissance avant de pouvoir consentir<br />

à l’adoption de leur enfant. Elle créait également, avec la déclaration<br />

d’abandon, la possibilité de déclarer adoptable un enfant placé dont les<br />

parents s’étaient manifestement et volontairement désintéressés depuis<br />

au moins un an (six mois lorsque l’enfant était placé depuis la naissance).<br />

A titre de variante, le « recueil familial » constituait une forme de<br />

délégation de l’autorité parentale à un membre de la famille d’un enfant<br />

en situation d’abandon.<br />

La loi du 7 mai 1999 supprime cependant la déclaration d’abandon et le<br />

recueil familial, en raison de leur caractère « déshonorant » pour les familles<br />

d’origine et « culpabilisant » pour les familles adoptives, ainsi<br />

que de leur relatif insuccès quantitatif (7).<br />

Enfin, les lois des 27 mars et 29 avril 2001 réformant la tutelle, en<br />

créant une procédure judiciaire de constatation de l’impossibilité durable<br />

d’exercer l’autorité parentale en vue de désigner un tuteur, ont alourdi<br />

— sans coordination entre les matières — la procédure d’adoption de<br />

certains enfants dont le ou les parents se trouvent dans cette situation,<br />

le consentement à l’adoption devant en conséquence être donné par le<br />

tuteur.<br />

3. — Le droit de demain<br />

La loi du 24 avril 2003 (8) non encore en vigueur, réforme intégralement<br />

le droit de l’adoption nationale et internationale (9). Elle soumettra<br />

notamment l’adoption de mineurs au respect de l’intérêt supérieur<br />

de l’enfant et des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en<br />

droit international (10). Elle supprimera le caractère contractuel de<br />

l’adoption pour fonder celle-ci sur une décision du tribunal de la jeunesse<br />

(11) et interdira l’adoption de son propre enfant. Elle instaurera,<br />

au titre de condition légale pour adopter un enfant, la vérification<br />

par le tribunal de l’aptitude psycho-sociale des candidats adoptants,<br />

belges et étrangers, sur la base d’une étude sociale; cette vérification<br />

sera précédée par une préparation des futurs parents effectuée par les<br />

Communautés (12). Les cohabitants de sexe différent (mais non de<br />

même sexe) seront autorisés à adopter ensemble s’ils « vivent de fa-<br />

(6) Lois des 26 janvier, 27 avril et 20 mai. Voy. I. Lammerant, « La réforme de<br />

l’adoption en droit interne », J.T., 1987, pp. 509-521.<br />

(7) Voy., les développements de la proposition de loi, Doc. parl., Ch., sess. ord.<br />

1998-1999, n o 2100/1. Pour un commentaire critique de cette évolution, voy.<br />

aussi I. Lammerant, n os 436-437; la procédure de déclaration d’abandon présentait<br />

en effet en principe l’avantage d’éviter la confrontation judiciaire entre<br />

les familles d’origine et adoptive en permettant à un tiers, de préférence un professionnel<br />

de l’aide à l’enfance ou le procureur du Roi, de requérir du tribunal<br />

l’adoptabilité de l’enfant, puis de placer celui-ci en vue de son adoption.<br />

(8) M.B., 16 mai 2003 : http://www.just.fgov.be/index_fr.htm.<br />

(9) Le droit actuel de l’adoption s’étend de l’article 343 à l’article 370 du Code<br />

civil; la loi du 24 avril 2003 y consacre pas moins de 97 articles, compris, par<br />

le jeu des numéros multiples, entre les articles 343 et 368-8 nouveaux du Code<br />

civil. Les dispositions de droit judiciaire, auparavant incluses dans le Code civil,<br />

sont renvoyées aux articles 1231-1 à 1231-56 du Code judiciaire. Et une<br />

partie des dispositions de droit international privé (règles de conflit de lois)<br />

sont également soustraites au Code civil pour rentrer dans le (futur) Code de<br />

droit international privé.<br />

(10) A ce sujet, voy. infra, III.<br />

(11) A propos de l’évolution de l’adoption, dans les pays de droit romaniste, du<br />

contrat à une décision judiciaire, voy. I. Lammerant, n os 211-221.<br />

(12) Cette condition d’agrément des candidats adoptants est introduite dans le<br />

droit de la plupart des pays occidentaux, et correspond aux exigences du droit<br />

international, notamment de la Convention de La Haye de 1993 (voy. infra,<br />

III) : voy. I. Lammerant, n os 162-167.


çon permanente et affective depuis au moins trois ans » (13). Les parents<br />

d’origine seront informés sur l’adoption et sur les conséquences<br />

de leur consentement, par le tribunal devant lequel le consentement<br />

devra être exprimé et par son service social; cette information portera<br />

notamment sur les droits, aides et avantages garantis aux familles,<br />

ainsi que sur les moyens auxquels il est possible de recourir pour résoudre<br />

les problèmes sociaux, financiers, psychologiques ou autres<br />

posés par leur situation. Le père ou la mère d’origine pourra s’opposer<br />

à l’audition, au cours de l’enquête du procureur du Roi, de ses<br />

propres parents, les grands-parents d’origine de l’enfant. Les parents<br />

d’origine pourront en outre, en consentant, renoncer à comparaître<br />

personnellement dans la suite de la procédure et, le cas échéant, à<br />

connaître l’identité des adoptants. En cas de refus abusif de consentement<br />

de la part des parents d’origine, la procédure d’adoption pourra<br />

être introduite par le procureur du Roi en lieu et place de l’adoptant,<br />

mais supposera néanmoins une confrontation judiciaire entre les<br />

familles d’origine et adoptive (14). L’âge du consentement de l’adopté<br />

sera abaissé de 15 à 12 ans. Le tribunal de la jeunesse devra s’assurer<br />

que le choix entre l’adoption simple (15) et l’adoption plénière<br />

correspond aux caractéristiques de l’espèce et à l’intérêt de l’enfant.<br />

Une seconde adoption sera envisageable « pour des motifs très<br />

graves », après l’échec d’une première adoption, simple ou plénière.<br />

La révision d’une adoption, prononcée en Belgique ou à l’étranger,<br />

sera également possible s’il résulte d’indices suffisants qu’elle a été<br />

établie à la suite d’un enlèvement, d’une vente ou d’une traite d’enfant.<br />

Enfin, le Code civil précisera que nul ne peut intervenir comme<br />

intermédiaire dans une adoption sans l’agrément préalable de la<br />

Communauté compétente.<br />

En ce qui concerne les adoptions impliquant le déplacement international<br />

(essentiellement d’un pays d’origine vers la Belgique) d’un<br />

enfant, la loi du 24 avril 2003 organisera de façon très détaillée la<br />

coopération internationale entre les autorités spécialisées des pays<br />

concernés (16). Elle assortit également la reconnaissance des décisions<br />

étrangères de garanties de respect des droits de l’enfant. Cette<br />

loi permettra donc la ratification de la Convention de La Haye de<br />

1993 (17). La loi nouvelle prévoira par ailleurs des garanties semblables<br />

pour les adoptions internationales impliquant des pays membres<br />

ou non de la Convention de La Haye.<br />

Les Communautés doivent cependant encore prendre les mesures décrétales,<br />

réglementaires et administratives, d’application de pans entiers<br />

de la loi du 24 avril 2003, notamment la préparation des candidats<br />

adoptants et la procédure administrative régissant les adoptions<br />

internationales, outre la révision éventuelle de leur réglementation<br />

relative à l’agrément des organismes d’adoption. Un accord de coopération<br />

devrait par ailleurs être conclu entre les autorités fédérales<br />

et les Communautés, sur l’exercice conjoint de leurs compétences.<br />

Pour ces raisons, la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle n’est<br />

pas encore précisée; elle n’est pas attendue avant la moitié de l’année<br />

2004.<br />

(13) Pour une étude critique, en droit comparé, des conditions d’état civil des<br />

adoptants, voy. I. Lammerant, n os 147-157. Pour une justification de la préférence,<br />

dans l’intérêt de l’enfant, pour l’adoption par un couple composé d’un<br />

homme et d’une femme en âge de procréer, voy. Centre international de référence<br />

pour la protection de l’enfant dans l’adoption/Service social international<br />

(http://www.iss-ssi.org/Resource_Centre/resource_centre.html), Guide<br />

éthique : les droits de l’enfant dans l’adoption nationale et internationale -<br />

Fondements éthiques - Orientations pour la pratique, Genève, 1999, http://<br />

www.iss-ssi.org/Resource_Centre/guide_ethique fr.PDF, n o 11.<br />

(14) Depuis la suppression de la déclaration d’abandon : voy. supra, 2, à propos<br />

de la loi du 7 mai 1999.<br />

(15) L’ancienne « adoption » étant désormais appelée adoption simple, comme<br />

dans la plupart des systèmes juridiques européens qui connaissent les deux formes<br />

d’adoption.<br />

(16) En Belgique, il y aura une autorité centrale fédérale, relevant du ministre<br />

de la Justice, et des autorités centrales communautaires relevant des Communautés,<br />

compétentes en matière d’aide à la jeunesse.<br />

(17) Voy. infra, III.<br />

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4. — Tendances de l’évolution historique<br />

Deux siècles de réformes législatives mettent donc en lumière l’évolution<br />

radicale de l’adoption :<br />

— de la défaveur à la faveur du législateur;<br />

— d’une institution successorale au profit des adultes à une filiation<br />

élective proche de la filiation biologique (18) et offerte, essentiellement,<br />

aux enfants (19);<br />

— d’un contrat entre adultes, consacrant largement l’autonomie de la<br />

volonté, à une décision judiciaire non seulement sur la légalité mais<br />

également sur l’opportunité du projet adoptif, dans l’intérêt supérieur de<br />

l’enfant, cette seconde conception légitimant le contrôle du refus, éventuellement<br />

abusif, de consentement des parents d’origine mais également<br />

de l’aptitude des candidats adoptants;<br />

— d’une filiation additionnelle (l’adoption simple) à la possibilité<br />

d’une filiation de substitution (l’adoption plénière) favorisée dans la<br />

pratique actuelle, le choix entre adoption simple et adoption plénière devant<br />

dans le futur être justifié par les requérants et le tribunal (20);<br />

— de l’insuccès quantitatif au succès dans la pratique [II];<br />

— d’un droit national à une internationalisation importante des normes<br />

et des pratiques [III];<br />

— d’un droit fédéral à une compétence partagée avec les Communautés,<br />

l’adoption étant considérée non seulement comme une institution de<br />

filiation mais également comme un mode de protection de l’enfance privée<br />

de famille, nécessitant un travail psycho-social et une intervention<br />

pluridisciplinaire [III].<br />

II. — PRATIQUE DE L’ADOPTION<br />

Dans la pratique actuelle, l’adoption est fréquente (21) et consiste essentiellement<br />

en une adoption plénière de mineurs, soit intrafamiliale<br />

(adoption de l’enfant du conjoint) soit hétérofamiliale et internationale<br />

(22).<br />

L’adoption de son propre enfant, dite de régularisation, a longtemps été<br />

pratiquée mais est devenue sans objet depuis l’égalisation, par la loi du<br />

31 mars 1987, des statuts des enfants nés dans et hors mariage (23).<br />

L’adoption de l’enfant du conjoint est favorisée par le législateur, et<br />

pourrait représenter jusqu’à 50% des adoptions (24). Les tribunaux par<br />

(18) Voy. par ex., la diminution progressive de l’âge requis des adoptants et<br />

l’autorisation d’adopter en présence d’enfants des adoptants. Il convient cependant<br />

de distinguer filiation biologique et adoption, pour reconnaître la spécificité<br />

de l’adoption : les origines de l’enfant adopté sont extérieures à la famille<br />

adoptive : I. Lammerant, n os 746-753.<br />

(19) Pour ce motif et en raison du faible nombre relatif d’adoptions de majeurs<br />

(voy. I. Lammerant, n os 228-229), seule l’adoption de mineurs sera considérée<br />

dans la suite du présent article.<br />

(20) Pour une discussion de l’usage respectif de ces deux institutions, voy.<br />

I. Lammerant, n os 230-254 et 796.<br />

(21) Même si les statistiques relatives aux décisions d’adoption et aux reconnaissances<br />

d’adoptions étrangères sont incomplètes. Pour des statistiques européennes<br />

comparées, voy. I. Lammerant, n os 2, 75-76, 78, 93 et 96.<br />

(22) Pour une étude approfondie et critique de l’évolution de l’adoption hétérofamiliale<br />

(à savoir d’un enfant non préalablement lié aux adoptants par un lien de<br />

parenté ou d’alliance) et intra (ou endo) familiale (adoption de l’enfant du conjoint,<br />

adoption par les grands-parents ou par un autre membre de la famille, ...),<br />

voy. I. Lammerant, ch. 2 et 3 et conclusions générales, n os 768-774 et 797-798.<br />

(23) Pour une étude de l’évolution de l’adoption de son propre enfant, voy.<br />

I. Lammerant, n os 171-174. Sa suppression est prévue par la loi du 24 avril<br />

2003 (voy. supra, I, 3).<br />

(24) Pour des statistiques européennes comparées, voy. I. Lammerant, n o 175.<br />

Voy. aussi I. Lammerant, « L’adoption par le beau-parent au travers des législations<br />

européennes comparées - Examen d’un mode (inattendu?) de recomposition<br />

familiale », in R. Steichen et P. De Neuter (sous la direction de -), Les familles<br />

recomposées et leurs enfants, Bruylant, Bruxelles, 1995, pp. 221-231.<br />

2004<br />

267


2004<br />

268<br />

contre sont partagés sur l’opportunité, dans l’intérêt de l’enfant, de<br />

l’adoption par les grands-parents (25). A propos de ces adoptions intrafamiliales,<br />

il convient en particulier de se demander si la filiation d’origine<br />

de l’enfant est toujours suffisamment respectée, face au désir des<br />

adultes de faire coïncider la prise en charge affective et éducative d’un<br />

enfant et le lien de filiation légale, ainsi qu’au rôle d’enjeu que l’enfant<br />

se voit souvent imposer malgré lui dans les conflits conjugaux ou familiaux.<br />

Certaines de ces situations intrafamiliales bénéficieraient sans<br />

doute plus opportunément d’une délégation de l’autorité parentale, malheureusement<br />

inexistante dans le Code civil belge, contrairement, notamment,<br />

au Code civil français (26).<br />

La diminution du nombre de jeunes enfants abandonnés en Belgique a<br />

par ailleurs suscité le développement de l’adoption hétérofamiliale internationale.<br />

L’adoption hétérofamiliale concerne également de nos<br />

jours, de façon minoritaire, des enfants belges ou étrangers dits « à besoins<br />

spéciaux », c’est-à-dire plus âgés, connaissant des problèmes de<br />

santé ou de handicap, ou vivant en fratrie (27). Selon l’Unicef, à l’échelle<br />

mondiale, « il existe de très sérieux fondements pour soutenir que les<br />

demandes d’adoption semblent excéder le nombre d’enfants adoptables<br />

en ce qui concerne les jeunes enfants en bonne santé, bien qu’il soit nettement<br />

impossible à ce stade d’en estimer la proportion. L’inverse semble<br />

toutefois avéré dans le cas des enfants considérés comme difficiles<br />

à placer (c’est-à-dire à besoins spéciaux), pour lesquels il y a un manque<br />

sérieux de parents adoptifs potentiels » (28). S’ils veulent réaliser leur<br />

projet, les candidats adoptants devront donc de plus en plus orienter leur<br />

demande vers ces enfants actuellement en besoin d’adoption internationale,<br />

tant il est vrai qu’il n’existe pas de droit à l’enfant; ils pourront<br />

pour ce faire bénéficier d’un soutien professionnel [III].<br />

III. — INTERNATIONALISATION DE L’ADOPTION<br />

— La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la<br />

Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant et la Convention<br />

de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière<br />

d’adoption internationale du 29 mai 1993 ont développé les droits de<br />

l’enfant, de la famille d’origine et de la famille adoptive dans l’adoption.<br />

Le primat de l’intérêt supérieur de l’enfant sur les désirs des adultes<br />

est par ailleurs fortement rappelé. Il n’existe pas de droit à l’enfant<br />

ni donc de droit d’adopter (29). L’adoption consiste à donner une famille<br />

à un enfant et non un enfant à une famille.<br />

(25) I. Lammerant, n os 196-198.<br />

(26) A cet égard, soulignons que la tutelle officieuse, apparemment presque<br />

tombée en désuétude, mériterait elle aussi d’être réformée, d’une part pour réglementer<br />

la période de placement préadoptif, en tout cas pour les adoptions<br />

hétérofamiliales, d’autre part pour créer une délégation d’autorité parentale<br />

dans les situations intrafamiliales où un adulte prend en charge un enfant, voire<br />

pour donner un statut à certaines familles d’accueil. Voy. aussi, I. Lammerant,<br />

n os 797-798, 771, 416, 71, 188-189, 199-200, 208, 422.<br />

(27) Voy. I. Lammerant, n os 91-96.<br />

(28) N. Cantwell, « Adoption internationale - Commentaire du nombre d’enfants<br />

adoptables et du nombre de personnes qui cherchent à adopter au niveau<br />

international », Protection internationale de l’enfant - La lettre des juges publiée<br />

par la Conférence de La Haye de droit international privé, t. V, printemps 2003,<br />

pp. 69-73, ftp://ftp.hcch.net/doc/spring2003.pdf et http://www.iss-ssi.org/<br />

Resource_Centre/Tronc_Dl/Cantwell_Intercountry_Adoption_French.pdf. Voy.<br />

dans le même sens, rapport N. About sur la recommandation de l’assemblée parlementaire<br />

du Conseil de l’Europe « Pour un respect des droits de l’enfant dans<br />

l’adoption internationale », doc. 8592, 2 déc. 1999, n o 10.<br />

(29) I. Lammerant, ch. 1 er et n os 778-781; I. Lammerant, « Les instruments internationaux<br />

qui régissent l’adoption », http://www.iss-ssi.org/Resource Centre/Tronc_CI/instrumentsinter.pdf.;<br />

I. Lammerant, « La Convention de La<br />

Haye du 29 mai 1993 : Analyse juridique », http://www.iss-ssi.org/<br />

Resource_Centre/Tronc CI/dhanalysejur.pdf.; I. Lammerant, « Ethique et<br />

adoption internationale », documents du colloque « L’adoption internationale<br />

en droit comparé » organisé à Paris les 25 et 26 avril 2003 par l’Association<br />

Louis Chatin, pp. 35-52.<br />

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Les textes internationaux contribuent également à l’instauration d’une<br />

hiérarchie des solutions de protection familiale permanente (30) d’un<br />

enfant privé de famille, toutes soumises à l’intérêt supérieur de<br />

l’enfant : priorité à la réintégration dans la famille d’origine; à défaut,<br />

adoption nationale; à défaut encore, adoption internationale (principe<br />

de double subsidiarité de l’adoption internationale) (31).<br />

C’est à l’ensemble de ces développements en matière de droits de<br />

l’homme et de l’enfant que la loi du 24 avril 2003 se réfère lorsqu’elle<br />

fonde désormais l’adoption de mineurs non seulement sur l’intérêt supérieur<br />

de l’enfant, mais également sur le respect des droits fondamentaux<br />

qui lui sont reconnus en droit international.<br />

— Par ailleurs, l’adoption, hétérofamiliale principalement, est de plus<br />

en plus conçue non seulement comme une institution de filiation, mais<br />

également comme un mode de protection de l’enfant. Celui-ci doit également<br />

être protégé au cours de la procédure, notamment des trafics<br />

d’enfants et des abus de l’adoption (32).<br />

En conséquence, les conventions internationales fondent la responsabilité<br />

de l’Etat en matière d’adoption ainsi que la coresponsabilité des Etats<br />

d’origine et d’accueil dans l’adoption internationale et leur nécessaire<br />

coopération, par l’intermédiaire d’autorités spécialisées et d’organismes<br />

d’adoption agréés, professionnels et agissant sans but lucratif (33). Conformément,<br />

en particulier, à la Convention de La Haye de 1993, l’adoption<br />

internationale implique en effet, outre une analyse juridique, un travail<br />

interdisciplinaire, d’ordre psycho-socio-médical, avec toutes les parties<br />

intéressées : recherche de la solution familiale permanente la plus<br />

adéquate pour les enfants privés de famille, évaluation de leur adoptabilité<br />

et préparation des enfants adoptables; information, sélection et préparation<br />

des parents adoptifs potentiels; apparentement de chaque enfant avec<br />

la famille adoptive la plus adéquate et suivi du placement en vue d’adoption<br />

(34). Ce travail est déjà prévu par les décrets et arrêtés (en cours de<br />

révision) des Communautés réglementant les organismes d’adoption (35).<br />

Certains aspects en seront également repris dans le Code civil même lorsque<br />

la loi du 24 avril 2003 entrera en vigueur (36).<br />

— Les différences culturelles sont importantes en matière d’adoption,<br />

même entre Etats européens (37). Plutôt que vers des normes uniformes,<br />

le droit international s’oriente donc en la matière vers des conventions<br />

de coopération entre autorités et organismes agréés spécialisés. Une<br />

évolution radicale depuis la conception contractuelle et l’autonomie des<br />

volontés d’adultes consacrées par le Code de 1804. Mais une évolution<br />

légitime dans l’intérêt supérieur des enfants.<br />

Isabelle LAMMERANT<br />

Docteur en droit de l’U.C.L.<br />

(30) Le placement familial et le placement institutionnel étant en principe considérés<br />

comme des solutions temporaires, soumises à une révision périodique.<br />

(31) I. Lammerant, n os 69-71.<br />

(32) Voy. par ex., I. Lammerant, n os 79-89.<br />

(33) I. Lammerant, n os 64-68, 257-261 et 763-767.<br />

(34) Sur toutes ces étapes, voy. notamment le Guide éthique, du Service social<br />

international, supra, note 13 et I. Lammerant, n os 262-265. Sur le caractère interdisciplinaire<br />

du processus d’adoption, voy. aussi I. Lammerant, n os 222-223<br />

et 775-776.<br />

(35) Pour une analyse européenne comparée de la réglementation de ces organismes,<br />

voy. I. Lammerant, n os 266-302.<br />

(36) Notamment l’information des parents d’origine, la préparation des parents<br />

adoptifs et la vérification de leur aptitude, la nécessité d’une autorisation pour<br />

les intermédiaires à l’adoption et la coopération entre autorités spécialisées<br />

dans l’adoption internationale.<br />

(37) Voy. par exemple, à partir des mêmes textes du Code civil de 1804, l’évolution<br />

du droit français vers l’accouchement anonyme et le secret des origines,<br />

alors que le droit belge maintient — avec raison eu égard aux droits de l’enfant<br />

et à l’intérêt bien compris des parents d’origine et adoptifs — la transparence<br />

de l’état civil de l’adopté et la connaissance de ses origines : I. Lammerant,<br />

ch. 8 et n os 791-794 et 809. Voy. aussi la discrétion (mais non le secret des origines)<br />

instaurée à juste titre, dans la loi du 24 avril 2003, par la possibilité<br />

d’anonymat des parents adoptifs à l’égard des parents d’origine pendant la procédure,<br />

supra, I, 3.


DE L’AUTORITÉ PARENTALE<br />

Livre I - Titre IX<br />

1. — Si ce n’est — et encore — quelques concepts et, probablement, la<br />

notion d’un « droit-fonction », que subsiste-t-il aujourd’hui de la<br />

« puissance paternelle » du Code Napoléon?<br />

Ce ne sont pas seulement les règles de droit positif aménageant l’attribution<br />

et l’exercice de l’autorité parentale qui ont été presque intégralement<br />

modifiées, c’est plus fondamentalement toute la conception de<br />

l’éducation d’un enfant qui a été révolutionnée et qui a, par voie de conséquence,<br />

complètement remis en cause la perception juridique de la nature<br />

et des objectifs de l’autorité parentale.<br />

Au risque de trop schématiser le sens de l’évolution qui s’est produite,<br />

en procédant à un découpage de séquences successives qui ne correspondraient<br />

pas à la fluidité et à la complexité du cours de l’histoire, on<br />

synthétisera cependant les modifications intervenues en mettant en<br />

exergue quatre étapes :<br />

— la magistrature du père dans le Code Napoléon;<br />

— le contrôle étatique de l’exercice de la puissance paternelle;<br />

— la promotion de l’égalité entre les parents et de l’égalité entre les enfants;<br />

— l’avènement des droits de l’enfant.<br />

I. — LA MAGISTRATURE DU PÈRE<br />

DANS LE CODE NAPOLÉON<br />

2. — On sait suffisamment que les règles de droit positif élaborées dans<br />

le Livre premier du Code Napoléon ne constituaient que la traduction<br />

d’un « ordre des familles » qui procédait lui-même de la nécessité,<br />

consciemment autant qu’inconsciemment éprouvée dans la mentalité de<br />

l’époque, de préserver un « ordre social » cohérent et stable.<br />

C’est que, quelles qu’avaient déjà pu être les avancées libérales issues<br />

de l’esprit des Lumières et de la Révolution française, l’existence d’un<br />

ordre familial qui s’impose à chacun et au sein duquel chacun tient sa<br />

place et exerce sa fonction était perçue par les auteurs du Code civil<br />

comme le meilleur garant de la sauvegarde de l’ordre social.<br />

L’idée de la nécessaire correspondance entre l’unité de la famille et<br />

l’unité de la société — devenue Etat-nation — est très certainement, au<br />

début du XIX e siècle, le pivot de l’appréhension et de l’organisation des<br />

relations familiales.<br />

« La famille, avait écrit Jean-Jacques Rousseau, est donc si l’on veut, le<br />

premier modèle des sociétés politiques; le chef est l’image du père, le<br />

peuple est l’image des enfants, et tous étant nés égaux et libres, n’aliènent<br />

leur liberté que pour leur utilité » (1).<br />

3. — Au sein de la famille légitime, fondée sur le lien d’alliance par le<br />

mariage et sur le lien de parenté par le sang, c’est, selon les auteurs du<br />

Code civil, la puissance paternelle qui permettra d’y maintenir l’ordre,<br />

afin précisément de lier « plus étroitement entre eux les membres de<br />

toutes ces petites sociétés naturelles dont l’agrégation civile forme la<br />

grande famille » (2).<br />

La puissance paternelle est ainsi « la plus sacrée de toutes les<br />

magistratures ».<br />

(1) J.-J. Rousseau, « Du contrat social », in Œuvres complètes, vol. III, Bibliothèque<br />

de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1964, p. 352.<br />

(2) Présentation au Corps législatif et exposé des motifs du titre IX du Livre<br />

premier du Code civil par M. Real, in P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux<br />

préparatoires du Code civil, t. X, Paris, 1827, pp. 511 et s.<br />

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Elle est une magistrature parce qu’elle s’exerce dans l’intérêt d’autrui,<br />

c’est-à-dire de l’enfant, de la famille et de l’Etat, mais elle s’exerce de<br />

manière magistrale, car le père ne répondra qu’à l’égard de lui-même<br />

des décisions qu’il estimera devoir prendre afin d’assurer la direction de<br />

la famille.<br />

« La puissance paternelle, explique M. Malville, est la providence des<br />

familles, comme le gouvernement est la providence de la société : eh!<br />

quel ressort, quelle tension ne faudrait-il pas dans un gouvernement qui<br />

serait obligé de surveiller tout par lui-même, et qui ne pourrait pas se<br />

reposer sur l’autorité des pères de famille pour suppléer les lois, corriger<br />

les mœurs et préparer l’obéissance? » (3).<br />

4. — Sans doute, à la différence du droit romain, les auteurs du Code<br />

civil choisirent-ils d’attribuer « l’autorité » sur les enfants tant à leur<br />

père qu’à leur mère (art. 372, C. Napoléon), mais, comme « la raison<br />

dicte qu’un tel partage ne saurait subsister sans détruire le pouvoir » et<br />

comme « la nature a résolu la question en donnant à l’homme des<br />

moyens de supériorité et de prééminence qui ne peuvent lui être<br />

contestés » (4), « le père seul exerce cette autorité durant le mariage »<br />

(art. 373, C. Napoléon), et c’est donc aussi le père seul qui, durant le<br />

mariage, aura la « jouissance » (art. 384, C. Napoléon) et sera<br />

l’« administrateur » (art. 389, C. Napoléon) des biens de ses enfants.<br />

Ces dispositions ne sont au demeurant conçues et rédigées que pour les<br />

enfants nés du mariage de leurs parents. C’était la logique du système<br />

qui ne percevait de véritable famille que par et dans le mariage. La puissance<br />

paternelle fut dès lors souvent présentée par la doctrine (5) comme<br />

un effet du mariage, et on s’interrogea dès lors longtemps sur le régime<br />

qui devait ou pouvait être appliqué aux enfants nés hors mariage<br />

(6).<br />

5. — Dans le système de pensée qui inspire le Code Napoléon, la définition<br />

de la puissance paternelle correspond par ailleurs à une vision très<br />

précise de l’enfance et, par voie de conséquence, de la fonction qui doit<br />

être exercée par le père à l’égard de l’enfant.<br />

La puissance paternelle est une fonction, parce qu’elle constitue un<br />

« devoir indispensable et sacré » (7).<br />

6. — Lorsqu’il s’agit de la personne de l’enfant, cette fonction revêt, selon<br />

les auteurs du Code civil, un double aspect :<br />

— une fonction de protection qui consiste à défendre l’enfant,<br />

« assiégé par les maladies et les besoins » (8), et à lui permettre de survivre<br />

face aux dangers de toute sorte qui le menacent;<br />

— une fonction d’éducation qui consiste à « conduire » l’enfant vers<br />

l’âge adulte en le formant, en le dirigeant et en lui inculquant les règles<br />

de la vie morale et sociale.<br />

(3) Intervention de M. Malville lors de la discussion par le Conseil d’Etat du<br />

titre IX du Livre premier du Code civil, in P.-A. Fenet, précité, p. 486.<br />

(4) Discours prononcé par le tribun Albisson devant le Corps législatif, in<br />

P.-A. Fenet, précité, p. 536.<br />

(5) Voy. encore H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, Bruylant,<br />

Bruxelles, 2 e éd., 1939, qui classe l’étude de la puissance paternelle dans<br />

le titre consacré aux effets du mariage, sous un chapitre V, après le chapitre III<br />

consacré à la puissance maritale et le chapitre IV consacré à l’incapacité de la<br />

femme mariée.<br />

(6) La seule disposition du Code Napoléon expressément applicable aux enfants<br />

naturels était celle de l’article 383 qui se limitait à étendre aux enfants naturels<br />

légalement reconnus les dispositions organisant le droit de correction paternelle.<br />

(7) Dès la rédaction du Code civil, la puissance paternelle est déjà perçue comme<br />

un « droit-fonction ». L’expression la plus remarquable de cette conception<br />

se trouve certainement dans le discours prononcé par le tribun Albisson devant<br />

le Corps législatif où celui-ci indique textuellement que « l’autorité des père et<br />

des mère sur leurs enfants n’ayant directement d’autre cause ni d’autre but que<br />

l’intérêt de ceux-ci n’est pas, à proprement parler, un droit mais seulement un<br />

moyen de remplir dans toute son étendue et sans obstacle un devoir indispensable<br />

et sacré » (P.-A. Fenet, précité, p. 536).<br />

(8) Présentation au Corps législatif et exposé des motifs par M. Real, in<br />

P.-A. Fenet, précité, p. 511.<br />

2004<br />

269


2004<br />

270<br />

Cette double fonction correspond, en réalité, aux deux prérogatives juridiques<br />

qui seront traditionnellement présentées dans la doctrine comme<br />

les deux composantes de l’autorité sur la personne de l’enfant : le<br />

droit de garde et le droit d’éducation.<br />

Un enfant, s’il est déjà, au sens juridique, une personne, est donc essentiellement<br />

perçu, au XIX e siècle, comme un être à protéger et à éduquer.<br />

Afin de donner au père les moyens d’exercer effectivement cette fonction,<br />

on sait par ailleurs que le Code Napoléon lui conféra une prérogative<br />

spécifique qui fut par la suite considérée comme exorbitante, mais<br />

qui était cohérente avec une mission de magistrature : le droit de correction<br />

(9).<br />

7. — Lorsqu’il s’agit du patrimoine de l’enfant, la fonction<br />

« administrateur » conférée au père impliquait tout à la fois que le père<br />

gérerait les biens de l’enfant et le représenterait dans tous les actes de la<br />

vie juridique.<br />

Selon l’article 389 du Code Napoléon, le père serait ultérieurement comptable<br />

à l’égard de ses enfants de sa gestion, mais, dans la conception de la<br />

« magistrature domestique » exercée par le père, les auteurs du Code<br />

n’avaient pas songé à soumettre le père, dans le régime de la puissance paternelle,<br />

à un quelconque contrôle préventif de sa gestion, comme ils<br />

l’avaient fait, avec un luxe de détails, dans le régime de la tutelle.<br />

8. — On sait que les auteurs du Code civil n’avaient pas voulu exclure<br />

complètement le divorce. Ils l’avaient par contre enfermé dans des limites<br />

très strictes, et ils l’avaient essentiellement perçu sur le modèle d’un<br />

« divorce-sanction ».<br />

C’est dès lors logiquement qu’ils avaient aussi admis que, dans cette hypothèse<br />

exceptionnelle, le principe de l’exercice exclusif de la puissance<br />

paternelle par le père céderait devant la sanction qui devait frapper<br />

l’époux coupable : les enfants seraient désormais « confiés » à l’époux<br />

qui aurait obtenu le divorce, sous la réserve néanmoins d’une autre décision<br />

qui serait prise pour leur « plus grand avantage » (art. 302, C. Napoléon).<br />

II. — LE CONTRÔLE ÉTATIQUE DE L’EXERCICE<br />

DE LA PUISSANCE PATERNELLE<br />

9. — Alors que, selon les auteurs du Code Napoléon, le « gouvernement<br />

de la société » ne devait point s’immiscer dans l’exercice par le père de<br />

sa « magistrature domestique », les transformations économiques et sociales<br />

qui se produisirent progressivement au long du XIX e siècle finirent<br />

par induire un changement de cette vision des choses.<br />

Ce ne fut pas la nature de la puissance paternelle qui fut modifiée mais<br />

la perception du rôle de l’Etat au regard de l’exercice par les pères de<br />

leur autorité.<br />

C’est au demeurant dans un contexte plus général de « défense sociale »<br />

à l’égard d’un ensemble de risques sociaux provoqués par le vaste mouvement<br />

d’industrialisation et d’urbanisation qu’émergea l’idée d’un<br />

droit et d’un devoir d’intervention de l’Etat dans le champ de la puissance<br />

paternelle.<br />

10. — Même si le Code pénal de 1867 avait déjà expressément prévu de<br />

sanctionner les parents coupables de certaines infractions pénales sur la<br />

personne de leur enfant en les privant des droits de la puissance paternelle,<br />

ce sont les cours et tribunaux qui contribuèrent considérablement<br />

à l’évolution des idées en s’attribuant un pouvoir de contrôle de l’exer-<br />

(9) Le droit de correction, dont la réglementation occupait la partie la plus importante<br />

du titre consacré à la puissance paternelle (art. 375 à 383, C. Napoléon),<br />

était, au sens strict, le droit de faire incarcérer l’enfant dans une maison<br />

d’arrêt.<br />

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cice de la puissance paternelle. Ils justifièrent expressément leur intervention<br />

par la nature juridique de la puissance paternelle telle qu’elle<br />

avait été explicitée dans les travaux préparatoires du Code Napoléon.<br />

Dès lors que la puissance paternelle était une fonction qui avait été établie<br />

par la loi dans l’intérêt de l’enfant, les cours et tribunaux considérèrent<br />

qu’ils étaient légalement autorisés à tempérer, modifier ou restreindre<br />

la puissance paternelle dans les limites requises par cet intérêt<br />

de l’enfant et, notamment, à enlever aux parents les droits de garde et<br />

d’éducation lorsque les circonstances commandaient pareille mesure<br />

(10).<br />

Ce principe général du contrôle judiciaire de l’autorité parentale, qui fut<br />

excellemment théorisé dans une célèbre étude publiée en 1947 par le<br />

professeur Jean Dabin dans les colonnes de ce journal (11), est depuis<br />

lors toujours resté une des caractéristiques du régime juridique de<br />

l’autorité parentale en droit belge.<br />

Compte tenu des législations qui organisèrent parallèlement des mesures<br />

spécifiques de contrôle de l’autorité parentale, on qualifia désormais<br />

ce contrôle judiciaire général de contrôle de « droit commun ».<br />

11. — C’est qu’entre-temps, le législateur avait, comme on le sait, pris<br />

le relais et décidé d’instituer un système légal d’intervention des autorités<br />

étatiques dans l’exercice de la puissance paternelle (12).<br />

12. — Dans son volet civil, la loi du 15 mai 1912 sur la protection de<br />

l’enfance institua, d’une part, un mécanisme de sanction civile des<br />

« parents indignes » (13), en attribuant expressément au tribunal civil la<br />

compétence de prononcer, à la requête du ministère public, la déchéance<br />

de la puissance paternelle, et elle supprima, d’autre part, les dispositions<br />

du Code Napoléon relatives au droit de correction paternelle, en y substituant<br />

un système nouveau qui attribuait au juge des enfants, saisi sur<br />

la plainte des parents ou d’autres éducateurs de l’enfant, la compétence<br />

de prendre lui-même les mesures qui s’imposeraient à l’encontre d’un<br />

mineur de moins de dix-huit ans qui donnerait de « graves sujets de<br />

mécontentement ».<br />

13. — L’étape ultérieure fut franchie avec la loi sur la protection de la<br />

jeunesse du 8 avril 1965 qui étendit considérablement le champ d’intervention<br />

dans l’exercice de l’autorité parentale.<br />

D’une part, la loi organisait la protection dite « sociale », c’est-à-dire<br />

extrajudiciaire, de l’enfance, en instituant par arrondissement judiciaire<br />

un comité de protection de la jeunesse qui mènerait une action préventive<br />

en offrant une aide aux familles en difficulté.<br />

D’autre part, la loi permettait à un « tribunal de la jeunesse » de prendre<br />

des mesures judiciaires de contrôle de l’autorité parentale plus diversifiées<br />

que la déchéance de la puissance paternelle et, notamment, une<br />

mesure d’assistance éducative à l’égard des parents ou une mesure de<br />

garde, de préservation et d’éducation à l’égard des mineurs lorsque « la<br />

santé, la sécurité, la moralité ou les conditions d’éducation d’un mineur<br />

étaient compromises » (art. 30 et art. 36, 2 o , loi 8 avril 1965). Le tribunal<br />

de la jeunesse ne serait lui-même saisi que sur la réquisition du ministère<br />

public (art. 45, loi 8 avril 1965) (14).<br />

(10) Gand, 10 août 1879, Pas., II, 364; Bruxelles, 10 juill. 1889, Pas., 1889, II,<br />

417; Liège, 25 nov. 1891, Pas., 1892, II, 121; Bruxelles, 6 déc. 1893, J.T., 1893,<br />

col. 1441, Pas., 1894, II, 211; Civ. Nivelles, 18 mai 1897, J.T., 1897, col. 778.<br />

(11) J. Dabin, « Le contrôle de la puissance paternelle », J.T., 1947, pp. 17 et 33.<br />

(12) Pour une étude d’ensemble, voy. Fr. Tulkens et Th. Moreau, Droit de la<br />

jeunesse - Aide, assistance, protection, Bruxelles, Larcier, 2000.<br />

(13) Voy., l’intervention au Sénat du ministre de la Justice H. Carton de Wiart qui<br />

fit état de la nécessité « de soustraire l’enfant aux plus pernicieuses influences »<br />

lorsqu’il « est livré à des parents indignes qui ne méritent pas d’exercer cette admirable<br />

mission qui s’appelle la puissance paternelle » (Pasin., 1912, p. 401).<br />

(14) En concentrant entre les mains du ministère public la saisine « au<br />

protectionnel » du tribunal de la jeunesse, la loi du 8 avril 1965 supprimait dès<br />

lors la possibilité pour les parents de saisir eux-mêmes directement le tribunal<br />

de la jeunesse d’une « plainte en correction ». Si la possibilité d’une telle plainte<br />

avait été maintenue (art. 36, 1 o , L. 8 avril 1965), elle devait désormais nécessairement<br />

transiter par l’intermédiaire du ministère public.


14. — L’ultime étape du processus se produisit dans la Belgique fédéralisée,<br />

avec les différentes législations communautaires qui ont encore<br />

davantage élargi les mécanismes d’aide ou d’assistance à la jeunesse et<br />

qui ont par ailleurs, pour une large part, « déjudiciarisé » ces mécanismes<br />

(15).<br />

15. — Outre le contrôle judiciaire sur les prérogatives de garde et d’éducation<br />

de l’enfant susceptible d’être exercé a posteriori à l’égard des parents<br />

défaillants, la doctrine et la jurisprudence adoptèrent également,<br />

dès la fin du XIX e siècle, une solution qui, fondée sur la considération<br />

que le père n’était que l’« administrateur » des biens de l’enfant<br />

(art. 389, C. Napoléon), soumettait le père à un contrôle judiciaire a<br />

priori de la gestion des biens de l’enfant, pour tous les actes qui, dans<br />

le régime de la tutelle, étaient expressément subordonnés à une homologation<br />

par le tribunal de première instance de l’autorisation conférée<br />

au tuteur par le conseil de famille (16).<br />

Cette solution prétorienne ne fut finalement consacrée dans les textes du<br />

Code civil que par la loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions<br />

légales relatives à la filiation (art. 378 nouv., C. civ.), après que la<br />

loi du 8 avril 1965 avait néanmoins déjà institué une possibilité pour le<br />

tribunal de la jeunesse ou pour toute juridiction appelée à statuer sur<br />

l’indemnisation d’un dommage causé à un mineur de fixer les conditions<br />

de placement et d’utilisation des sommes appartenant à l’enfant<br />

(art. 389 nouv., C. civ.).<br />

Ce système fut toutefois radicalement modifié par les récentes lois des<br />

29 avril 2001 et 13 février 2003 qui, outre qu’elles ont réformé complètement<br />

le régime de la tutelle, ont aussi réaménagé les modalités d’exercice<br />

de la composante « administration légale » de l’autorité parentale,<br />

en soumettant le père et la mère à la nécessité d’une autorisation préalable<br />

du juge de paix (art. 378 nouv., C. civ.) pour l’accomplissement<br />

d’un ensemble d’actes de gestion énumérés à l’article 410 du Code civil<br />

et en organisant l’indisponibilité de plein droit des sommes revenant à<br />

un mineur en vertu d’une décision judiciaire ou de la dévolution d’une<br />

succession (art. 379, al. 2 et 776, al. 2 nouv., C. civ.).<br />

La gestion par les parents des biens de leur enfant se trouve dès lors désormais<br />

presque intégralement sous contrôle ou « sous tutelle ».<br />

III. — LA PROMOTION DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ<br />

16. — Le vaste mouvement de promotion des valeurs démocratiques qui<br />

s’étendit, après la Deuxième Guerre mondiale, jusque dans le champ de<br />

la vie privée et familiale, allait induire, à propos de l’exercice de l’autorité<br />

parentale, un ensemble de réformes inspirées par la volonté de faire<br />

prévaloir le principe de l’égalité entre tous les êtres humains sur toutes<br />

les solutions qui avaient antérieurement été justifiées par le souci d’assurer<br />

l’ordre, la direction ou la stabilité de la famille.<br />

En droit belge, cette évolution s’est réalisée de manière progressive à<br />

travers quatre lois successives.<br />

17. — La loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse a<br />

commencé par poser le principe de l’égalité du père et de la mère pour<br />

l’exercice de la puissance paternelle pendant le mariage, en instaurant<br />

un exercice conjoint de l’autorité sur la personne et de l’administration<br />

des biens de l’enfant, mais elle en a considérablement restreint la portée<br />

pratique en prévoyant qu’en cas de dissentiment entre les époux, la volonté<br />

du père prévaudrait, sauf le droit de recours de la mère devant le<br />

tribunal de la jeunesse (art. 373 et 389 nouv., C. civ.).<br />

(15) Pour la Communauté française, les deux législations les plus significatives<br />

sont le décret du 4 mars 1991 relatif à l’aide à la jeunesse et le décret du<br />

16 mars 1998 relatif aux enfants victimes de maltraitance.<br />

(16) Voy. H. De Page, précité, n os 797 et s. et les références de jurisprudence.<br />

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La même loi a par ailleurs aussi modifié le régime de la puissance paternelle<br />

pendant et après le divorce, en attribuant au président du tribunal<br />

pendant la procédure, ou au tribunal de la jeunesse après le divorce,<br />

le pouvoir de confier indistinctement au père ou à la mère<br />

l’« administration de la personne et des biens de l’enfant », en fondant<br />

désormais sa décision sur le seul critère du « plus grand avantage des<br />

enfants » (art. 268 nouv., C. civ. devenu, lors de la promulgation du C.<br />

jud., art. 1280, C. jud. et art. 302 nouv., C. civ.).<br />

18. — La loi du 1er juillet 1974 modifiant les articles 221, 373 et 389 du<br />

Code civil et abrogeant l’article 374 du même Code a, par contre, définitivement<br />

mis fin à la prépondérance dont le père continuait à jouir<br />

dans l’exercice de la puissance paternelle et, dans la foulée, a préféré<br />

substitué au principe de l’exercice conjoint posé par la loi du 8 avril<br />

1965 un principe d’exercice concurrent par chacun des père et mère,<br />

pendant le mariage, des différentes prérogatives parentales, de façon à<br />

permettre concrètement à chacun des époux de poser, à l’égard des tiers,<br />

les actes requis par l’exercice de l’autorité sur la personne de l’enfant<br />

ou l’administration de ses biens.<br />

Toutefois, soucieux de prendre en compte les difficultés qu’une telle solution<br />

engendrerait si les époux cessaient de vivre ensemble, le législateur<br />

décida qu’en cas de séparation de fait des époux, le système de<br />

l’exercice concurrent par chacun des père et mère des prérogatives parentales<br />

serait alors de plein droit remplacé par un système d’exercice<br />

exclusif desdites prérogatives parentales par celui des deux époux qui<br />

avait la « garde matérielle » de l’enfant (art. 373 et 389 nouv., C. civ.).<br />

Dans chacune des deux hypothèses, les nouvelles dispositions législatives<br />

réservaient expressément un droit pour le parent confronté à une initiative<br />

prise par l’autre parent de se pourvoir devant le tribunal de la jeunesse<br />

« dans l’intérêt de l’enfant ». Le critère de « l’intérêt de<br />

l’enfant », expressément affirmé dans le Code civil par la loi du<br />

1er juillet 1974, deviendra ainsi la référence fondamentale de tous les litiges<br />

relatifs à l’exercice de l’autorité parentale.<br />

19. — Quelle que fut l’importance de la réforme qu’elles avaient opérée,<br />

les lois des 8 avril 1965 et 1er juillet 1974 n’avaient pas porté atteinte<br />

à la structure formelle du Code Napoléon.<br />

L’intitulé du titre IX du Code civil n’avait pas été modifié, et le législateur<br />

s’était limité à insérer les nouvelles dispositions législatives dans<br />

les articles tels que numérotés par le Code Napoléon.<br />

Par ailleurs, ces nouvelles dispositions, comme les dispositions du Code<br />

Napoléon, ne prenaient toujours expressément en compte que les époux.<br />

20. — C’est la loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions<br />

légales relatives à la filiation qui, tout en reprenant le contenu des solutions<br />

élaborées par la loi du 1er juillet 1974, modifia la structure<br />

formelle du Code Napoléon et supprima désormais, à propos de l’attribution<br />

et de l’exercice des prérogatives parentales, toute référence<br />

au mariage.<br />

La loi commença par remplacer l’ancien intitulé du titre IX du Code civil<br />

« De la puissance paternelle » par le nouvel intitulé « De l’autorité<br />

parentale » qui correspondait adéquatement aux dispositions nouvelles<br />

procédant des lois des 8 avril 1965 et 1 er juillet 1974.<br />

La loi du 31 mars 1987, dont l’objectif fondamental était d’assurer<br />

l’égalité de traitement de tous les enfants nés dans ou hors mariage, égalisa<br />

dès lors aussi le statut de tous les enfants pour l’exercice de l’autorité<br />

parentale. Celle-ci cessait définitivement d’être perçue comme un<br />

effet du mariage mais devenait irréversiblement un effet de la filiation.<br />

Dès lors, la distinction opérée par la loi du 1er juillet 1974 et maintenue<br />

par la loi du 31 mars 1987 entre le système de l’exercice concurrent de<br />

l’autorité parentale ou, inversement, le système de l’exercice exclusif<br />

de l’autorité parentale, serait fonction de la question de savoir si, qu’ils<br />

soient ou non mariés, les père et mère vivaient ou ne vivaient pas<br />

« ensemble » (art. 374 nouv., C. civ.).<br />

2004<br />

271


2004<br />

272<br />

21. — Si tous les enfants avaient désormais été placés par la loi du<br />

31 mars 1987 sur le même pied, quels qu’aient été les circonstances de<br />

leur naissance et le mode d’établissement de leur filiation, par contre<br />

tous les enfants n’étaient pas soumis au même régime juridique de<br />

l’autorité parentale, selon que leurs parents cohabitaient ou s’étaient séparés.<br />

Le principe d’égalité allait toutefois aussi finir par l’emporter sur la<br />

considération qui avait jusque-là prévalu que « l’unité de l’éducation »<br />

de l’enfant postulait que, lorsque ses père et mère se désunissaient,<br />

l’autorité fut concentrée entre les mains d’un seul des parents. Comme<br />

c’étaient les mères qui, parce qu’elles s’occupaient généralement ellesmêmes<br />

des soins quotidiens de l’enfant, s’en voyaient presque systématiquement<br />

confier la garde et, par voie de conséquence, l’exercice exclusif<br />

de l’autorité parentale, on ne put faire que le constat, avec la multiplication<br />

des situations de divorce, qu’un nombre de plus en plus important<br />

de pères se retrouvaient juridiquement exclus de<br />

l’« administration de la personne et des biens » de leurs enfants.<br />

Pour pallier cette situation d’inégalité, il parut indispensable d’en revenir<br />

à un principe d’autorité parentale conjointe entre le père et la mère<br />

qui subsisterait ou pourrait subsister, même s’ils se séparaient, de façon<br />

à préserver pour l’enfant, autant que possible, un « couple parental » audelà<br />

du « couple conjugal ».<br />

C’est la loi du 13 avril 1995 relative à l’autorité parentale conjointe qui<br />

opéra cette nouvelle réforme et qui, dans un souci pédagogique de transformer<br />

les mentalités, décida, de façon à vrai dire maladroite, de changer<br />

aussi la terminologie utilisée pour qualifier les prérogatives de<br />

l’autorité sur la personne de l’enfant en substituant à la notion de<br />

« garde » la notion d’ « hébergement » de l’enfant.<br />

Depuis lors, les cours et tribunaux ont généralisé la pratique de l’autorité<br />

parentale conjointe et, dans la foulée, acceptent de plus en plus fréquemment<br />

d’organiser, aussi, un régime de garde ou d’hébergement<br />

« alterné » des enfants de parents séparés, qui est présenté comme la solution<br />

la plus « équitable » tant pour chacun des parents que pour les enfants.<br />

C’est dire à quel point le principe d’égalité a pu devenir une des<br />

références fondamentales de l’organisation de l’autorité parentale.<br />

IV. — L’AVÈNEMENT DES DROITS DE L’ENFANT<br />

22. — Le triomphe au cours de la fin du XXe siècle de l’idéologie libérale<br />

et individualiste, jusque dans le champ de la vie privée, affective et<br />

familiale, n’a pas seulement conduit à faire prévaloir le principe d’égalité<br />

entre les êtres humains; il a, plus fondamentalement, fait s’écrouler<br />

l’« ordre des familles » qui avait longtemps structuré l’ensemble des relations<br />

familiales et il a dès lors profondément modifié nos représentations<br />

de l’enfance et de la parentalité.<br />

C’est que le sens de l’existence humaine est de plus en plus devenu,<br />

pour une majorité d’individus, de s’épanouir soi-même et, par voie de<br />

conséquence, de conquérir son « autodétermination » afin de pouvoir<br />

laisser « libre cours » à ses inclinations, ses choix, ses compétences, ses<br />

potentialités...<br />

Ce qui compte désormais, c’est ce qui « me permet d’être moi-même ».<br />

23. — C’est tout le rapport de l’adulte à l’enfant qui va alors se trouver<br />

bouleversé par cette nouvelle perception des choses, car, tout à la fois et<br />

paradoxalement, l’enfant est recherché et investi par ses parents comme<br />

une des manières pour eux de se réaliser et de s’épanouir, et l’enfant est<br />

lui-même regardé ou appréhendé comme une personne à part entière qui<br />

doit pouvoir aussi être laissé libre de se réaliser et de s’épanouir.<br />

Advinrent ainsi, sans qu’on n’ait encore eu le temps de mesurer la portée<br />

et les effets de la revendication de ces nouveaux « droits », tant le<br />

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« droit à l’enfant » que « les droits de l’enfant » qui ont inauguré, pour<br />

d’aucuns, le règne de l’« enfant-roi » (17).<br />

24. — En termes juridiques, ces revendications individualistes se traduisent<br />

aujourd’hui dans des réformes ou des projets de réforme qui tendent<br />

d’une part à libéraliser l’accès à la parentalité et d’autre part à permettre<br />

l’exercice par les enfants de leur propre droit à l’« autodétermination<br />

».<br />

25. — Une conception représentative de la première tendance est celle<br />

qui consiste à considérer que la relation parentale ne viendrait en définitive<br />

que concrétiser un lien de proximité affective entre un adulte et<br />

un enfant, avec la conséquence que toute personne qui vivrait avec l’enfant<br />

et en prendrait effectivement soin devrait pouvoir accéder à l’exercice<br />

de l’autorité parentale.<br />

C’est en ce sens qu’on peut comprendre les récentes propositions de loi<br />

« complétant le Code civil par des dispositions relatives à la parenté<br />

sociale » (18) ou, mieux encore, « autorisant l’exercice d’une autorité<br />

parentale désirée par le partenaire ou le cohabitant du parent » (19).<br />

26. — Un mouvement de réforme significatif de la seconde tendance est<br />

évidemment celui qui confère progressivement aux enfants une autonomie<br />

plus ou moins étendue pour l’exercice d’un certain nombre de leurs<br />

droits, en les soustrayant, par là même, aux prérogatives de l’autorité<br />

parentale.<br />

On pense assurément aux lois des 2 février 1994 et 30 juin 1994 qui, sur<br />

la base de considérations qui paraissent légitimes et appropriées, ont<br />

conféré aux enfants le droit d’exprimer leur propre opinion dans les litiges<br />

relatifs à l’exercice de leur garde et de leur éducation lors de la séparation<br />

de leurs parents (art. 56bis nouv., loi 8 avril 1965 relative à la<br />

protection de la jeunesse et art. 931, C. jud.), avec la conséquence toutefois<br />

que ce sont les enfants qui en viennent à choisir eux-mêmes les<br />

modalités concrètes de leur existence quotidienne, et, parfois, dans des<br />

situations extrêmes, à décider d’exclure un de leurs parents de toute responsabilité<br />

effective dans leur éducation.<br />

La portée de ces législations pourrait être considérablement étendue par<br />

de nouvelles dispositions déjà adoptées au Sénat qui ouvrent l’accès à<br />

la justice aux mineurs (20).<br />

On pense, aussi, à la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient<br />

qui a institué pour les enfants le principe d’une majorité médicale soumise<br />

au pouvoir entièrement discrétionnaire du médecin, dès que celuici<br />

estime le mineur « apte à apprécier raisonnablement ses intérêts »<br />

(art. 12).<br />

27. — Ces évolutions, qui sont venues contredire la conception classique<br />

de l’« éducation » d’un enfant, posent aux sociétés occidentales la<br />

double question de la signification et de la légitimité de l’autorité et du<br />

pouvoir exercés sur les enfants et de la transmission aux enfants par les<br />

générations antérieures du savoir et de la culture, c’est-à-dire, en<br />

d’autres termes, du sens de la « différence des générations ».<br />

Jean-Louis RENCHON<br />

Professeur à la Faculté de droit de l’U.C.L.<br />

Centre de droit de la personne,<br />

de la famille et de son patrimoine<br />

(17) Voy. notam., D. Marcelli, L’enfant, chef de famille - L’autorité de l’infantile,<br />

Albin Michel, 2003.<br />

(18) Proposition de loi déposée le 23 janvier 2002 à la Chambre des représentants,<br />

Doc. parl., n o 1604/001-2001-2002.<br />

(19) Proposition de loi déposée le 7 août 2002 à la Chambre des représentants,<br />

Doc. parl., n o 2004/001-2001-2002.<br />

(20) Projets de loi adoptés le 10 juillet 2002 par le Sénat sous les numéros 2-<br />

256, 2-626 et 2-554 de la session 2001-2002.


DE LA MINORITÉ, DE LA TUTELLE<br />

ET DE L’ÉMANCIPATION<br />

LivreI - TitreX<br />

I. — LA TUTELLE DE 1804 À 2001<br />

1. — Tutelle et autorité parentale<br />

Sous le Code Napoléon, la tutelle s’ouvrait lorsque le mineur avait perdu<br />

son père ou sa mère (1). L’enfant était alors soumis à la « puissance<br />

paternelle » pour sa personne et à la tutelle pour ses biens, mais c’était,<br />

en principe, le survivant des père et mère qui assumait les deux charges<br />

(2), et en ce cas, le contrôle du conseil de famille se limitait au domaine<br />

patrimonial (3).<br />

D’ailleurs on admettait, à cause du laconisme de l’article 389 (4) — seul<br />

texte de la matière — que l’administration légale empruntait certains<br />

traits à la tutelle, et l’article 45 de la loi du 31 mars 1987 sur la filiation<br />

(5) avait, à cet égard, ratifié la solution qui s’était finalement imposée<br />

dans la pratique.<br />

2. — De l’inégalité à l’égalité des sexes<br />

L’article 442 du Code Napoléon portait : « Ne peuvent être tuteurs, ni<br />

membre des conseils de famille : [...] 3 o Les femmes, autres que la mère<br />

et les ascendantes ».<br />

Encore la mère elle-même ne jouissait pas d’une entière confiance. Elle<br />

était tutrice de droit (6), mais l’article 391 permettait au père de lui<br />

nommer un « conseil spécial » sans l’avis — plus exactement l’accord<br />

— duquel elle ne pouvait « faire aucun acte relatif à la tutelle », son<br />

convol pouvait soit la priver de celle-ci, soit la soumettre à la cotutelle<br />

du second mari (7), et le conseil de famille devait nommer un curateur<br />

au ventre si le père décédait pendant la gestation de l’enfant (8).<br />

En vérité, la dernière règle était de longue date en désuétude quand<br />

l’article 52 de la loi du 31 mars 1987 sur la filiation l’a abrogée. Au de-<br />

(1) L’article 390 portait : « Après la dissolution du mariage arrivée par la mort<br />

naturelle ou civile de l’un des époux, la tutelle des enfants mineurs et non<br />

émancipés appartient de plein droit au survivant des père et mère ».<br />

(2) En principe, car, indépendamment des causes d’incapacité, d’exclusion ou<br />

de destitution de la tutelle, l’article 394 portait : « La mère n’est point tenue<br />

d’accepter la tutelle; néanmoins, et en cas qu’elle la refuse, elle devra en remplir<br />

les devoirs jusqu’à ce qu’elle ait fait nommer un tuteur ».<br />

(3) Voy. notam. E. Vieujean, « Examen de jurisprudence », Rev. crit. jur. b.,<br />

1966, p. 222 à 224, n o 49.<br />

(4) L’article 389 disposait : « Le père est, durant le mariage, administrateur des<br />

biens personnels de ses enfants mineurs. Il est comptable, quant à la propriété<br />

et aux revenus, des biens dont il n’a pas la jouissance; et, quant à la propriété<br />

seulement, de ceux des biens dont la loi lui donne l’usufruit ». On a finalement<br />

admis que le père et la mère ont des pouvoirs plus étendus que ceux du tuteur,<br />

qu’ils ne doivent jamais consulter un conseil de famille, que, par conséquent,<br />

ils sont, par exemple, dispensés de solliciter une habilitation pour accepter une<br />

succession ou pour demander le partage, mais qu’ils doivent, en revanche, obtenir<br />

une autorisation de justice dans tous les cas où le tuteur est tenu de faire<br />

homologuer la délibération du conseil de famille, lorsqu’il s’agit, par exemple,<br />

d’aliéner un immeuble (voy., par ex., E. Vieujean, « Examen de<br />

jurisprudence », Rev. crit. jur. b., 1966, pp. 215 et 216, n o 44).<br />

(5) Dans la rédaction de 1987, l’article 378, alinéa 1 er , du Code civil portait :<br />

« Sont subordonnés à l’autorisation du tribunal de première instance les actes<br />

pour lesquels le tuteur doit requérir l’autorisation du conseil de famille et l’homologation<br />

du tribunal de première instance ».<br />

(6) Art. 390, C. Nap.<br />

(7) Art. 395, C. Nap.<br />

(8) Art. 393, C. Nap.<br />

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meurant, cette abrogation parachevait la réforme entamée par des lois<br />

du 30 avril 1958 (9) et du 10 mars 1975 (10) et grâce à laquelle le chapitre<br />

de la tutelle fut expurgé de ce qui y évoquait l’inégalité des sexes.<br />

3. — De l’inégalité à l’égalité des enfants<br />

Le Code Napoléon ne connaissait que la tutelle des enfants légitimes. Il<br />

ignorait celle des enfants naturels, et, comme l’observait Baudry-<br />

Lacantinerie, ce n’était pas le résultat d’un oubli (11). En France, une<br />

loi du 2 juillet 1907 a mis fin aux difficultés qui en résultaient (12). En<br />

Belgique, c’est seulement le 7 mars 1938 que la loi a pourvu à la tutelle<br />

des enfants naturels en modifiant les articles 159, 405 et 409 du Code<br />

civil et en insérant dans celui-ci les articles 57bis, 396bis et 401bis.<br />

Enfin le principe versé dans l’article 334 du Code civil par la loi du<br />

31 mars 1987 sur la filiation a confirmé qu’il ne peut y avoir aucune différence<br />

entre les enfants du mariage et les autres, et les articles 4, 24,<br />

54, 55 et 56 de cette loi ont modifié en conséquence ou abrogé les dispositions<br />

antérieures (13).<br />

4. — Contrôle et garanties<br />

Dans le Code Napoléon, le tuteur est surveillé par le subrogé tuteur, par<br />

le conseil de famille, par le parquet, par le tribunal de première instance,<br />

et les moyens de contrôle sont notamment l’inventaire dressé à l’ouverture<br />

de la tutelle, le budget fixé par le conseil de famille, le compte annuel<br />

que celui-ci peut exiger et le compte définitif à rendre au terme de<br />

la tutelle. Il s’en fallait toutefois que les subrogés tuteur et les conseils<br />

de familles fussent exacts dans leur fonction. On se contentait souvent<br />

d’un inventaire sous seing privé (14), on oubliait volontiers le budget<br />

(15), on se souciait peu de compte annuel, et dans de nombreux cas, le<br />

tuteur s’abstenait même de rendre le compte définitif au pupille.<br />

En revanche, la Cour de cassation aggravait le contrôle préventif en décidant,<br />

par arrêt du 6 mai 1943, que, dans le silence même de la loi, tout<br />

acte qui dépasse l’administration nécessite l’autorisation du conseil de<br />

famille et l’homologation du tribunal de première instance (16), et l’on<br />

sait que cette jurisprudence fut une source de doute et d’embarras.<br />

Quant aux garanties, la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 a soumis<br />

l’hypothèque légale du pupille aux principes de la spécialité et de la publicité,<br />

et ses articles 55 à 61 l’ont en quelque sorte assignée pour mesure<br />

aux pouvoirs du tuteur sur les capitaux mobiliers. Mais ici encore,<br />

la pratique s’est souvent écartée des principes en ce sens que l’on n’a<br />

pas pris d’inscription sur les immeubles du tuteur, soit pour ménager celui-ci,<br />

soit pour épargner des frais au pupille (17).<br />

(9) Loi du 30 avril 1958 sur les droits et devoirs respectifs des époux, dont<br />

l’article 7, § 1 er , abrogeait notamment les articles 395 et 396 du Code civil.<br />

(10) Loi du 10 mars 1975 abrogeant les articles 391, 392, 394, 399 et 400 du<br />

Code civil et modifiant les articles 396bis et 432 du même Code.<br />

(11) G. Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, 10 e éd., t. I er , n o 1173.<br />

(12) A ce sujet, voy. notam. et comp. : C. Demolombe, Cours de Code civil,<br />

Bruxelles, 1852, t. IV (t. VIII de l’éd. française), n os 376 à 389; F. Laurent,<br />

Principes de droit civil, 3 e éd., t. IV, n os 413 à 418.<br />

(13) Les articles 4, 24 et 54 de la loi du 31 mars 1987 ont abrogé les<br />

articles 57bis, 159, 396bis et 401bis du Code civil. Les articles 55 et 56 de cette<br />

loi ont modifié les articles 405 et 409 du Code civil.<br />

(14) Voy. notam., H. Nuytinck, Voogdij over minderjarigen, Anvers, 1983,<br />

pp. 67 et 68.<br />

(15) H. Nuytinck, op. cit., p. 67.<br />

(16) Cass., 6 mai 1943, Pas., 1943, I, 157, où l’arrêt est précédé d’une partie de<br />

l’avis de l’avocat général Janssens de Bisthoven et de Bruxelles, 13 octobre<br />

1941, décision que la cour refuse de casser.<br />

(17) Sur ces questions, voy. notam. et comp. : H. Nuytinck, op. cit., pp. 71 et<br />

72; E. Vieujean, « Examen de jurisprudence », Rev. crit. jur. b., 1977, pp. 526<br />

et 527, n o 29, et 1985, pp. 512 et 513, n o 21.<br />

2004<br />

273


2004<br />

274<br />

II. — LES LOIS DU 29 AVRIL 2001<br />

ET DU 13 FÉVRIER 2003<br />

5. — La réforme du 29 avril 2001<br />

Faute de place, on se bornera à en relever quelques traits saillants.<br />

Quant à la personne du mineur, le Code Napoléon disposait seulement<br />

que le tuteur en prendra soin (18). Rompant avec cette excessive concision,<br />

la loi de 2001 porte expressément, par exemple, que le juge de paix<br />

doit entendre le pupille dès l’âge de douze ou de quinze ans (19), qu’il<br />

peut scinder la tutelle en nommant un tuteur à la personne et un tuteur<br />

aux biens (20), qu’il « peut prendre toutes mesures pour s’enquérir de<br />

la situation familiale et des conditions de vie du mineur » (21) et que le<br />

tuteur lui fera un rapport annuel « sur les mesures qu’il a prises en vue<br />

de l’épanouissement de la personne du mineur » (22).<br />

La tutelle ne s’ouvre plus que si les parents sont l’un et l’autre<br />

« décédés, légalement inconnus ou dans l’impossibilité durable d’exercer<br />

l’autorité parentale » (23). Le survivant des père et mère ne sera<br />

donc plus tuteur, de sorte que le nombre des tutelles a diminué.<br />

Le conseil de famille disparaît. C’est désormais le juge de paix qui assume<br />

la plupart des fonctions qu’exerçait cette assemblée. Pourtant la<br />

loi n’ignore pas la famille. Elle exige, par exemple, qu’avant de nommer<br />

le tuteur, le juge de paix entende ou du moins fasse convoquer les aïeuls,<br />

les frères et sœurs majeurs, les oncles et les tantes du pupille (24) et la<br />

ligne à laquelle n’appartient pas le tuteur peut contribuer au bien de<br />

l’enfant par l’intermédiaire du subrogé tuteur, d’autant que des dispositions<br />

formelles étendent le contrôle de celui-ci à l’éducation (25), voire<br />

à l’« épanouissement » du mineur (26).<br />

Les articles 407 à 410 nouveaux du Code civil contiennent plusieurs<br />

emprunts au régime de l’administration provisoire. Ils modernisent la<br />

gestion tutélaire notamment quant aux garanties (27) et aux valeurs mobilières<br />

(28) et ils la rendent plus sûre en complétant la liste des actes<br />

soumis à autorisation de sorte qu’on puisse la regarder comme limitative<br />

et s’épargner les difficultés que comporte la distinction entre la disposition<br />

et l’administration (29).<br />

Il n’y a plus de tutelle légale, même pour l’interdit judiciaire (30). Sous<br />

réserve de l’article 487quater en cas de minorité prolongée avec substitution<br />

de la tutelle à l’autorité parentale, la nomination du tuteur et du<br />

subrogé tuteur dépend du juge de paix (31), et d’ailleurs nul n’est tenu<br />

d’accepter ces fonctions (32). Aussi bien, ici comme dans l’administra-<br />

(18) Art. 450.<br />

(19) Art. 394 et 407, C. civ.<br />

(20) Art. 395, C. civ.<br />

(21) Art. 412, C. civ.<br />

(22) Art. 420, C. civ.<br />

(23) Art. 389, C. civ.<br />

(24) Art. 394, al. 2, C. civ.<br />

(25) Art. 403, C. civ.<br />

(26) Art. 420, C. civ.<br />

(27) Art. 407, § 1 er , 6 o , C. civ.<br />

(28) Art. 408 et 409, C. civ.<br />

(29) La loi du 29 avril 2001 ne contient aucune disposition spécialement destinée<br />

à changer, par exemple, le sort de l’interdit judiciaire ou du mineur prolongé.<br />

Mais, aujourd’hui comme hier, les articles 487octies et 509 du Code civil<br />

portent l’un que « sauf dérogations prévues au présent chapitre, les dispositions<br />

relatives à la tutelle des mineurs s’appliquent à la tutelle visée à<br />

l’article 487quater » et l’autre que « les lois sur la tutelle des mineurs s’appliqueront<br />

à la tutelle des interdits ». Partant, il faut bien, quoi que l’on ait dit au<br />

Parlement (exposé des motifs du projet de loi, Doc., Chambre, 50 0576/001,<br />

p. 10), que notre loi modifie des traits, même essentiels, de la tutelle des interdits<br />

et des prolongés, et la protutelle a changé pareillement dans la mesure où<br />

l’article 35, alinéa 2, de la loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse<br />

renvoie « à l’administration du tuteur et aux comptes de la tutelle ».<br />

(30) C. civ., art. 394 et 407.<br />

(31) C. civ., art. 392, al. 5, 393 et 402.<br />

(32) C. civ., art. 396, al. 1 er .<br />

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tion provisoire (33), il faut observer que le zèle est rarement le fruit de<br />

la contrainte.<br />

D’ailleurs la modification des articles 389 et suivants du Code civil a<br />

nécessité l’adaptation de certaines règles sur l’émancipation (34), le<br />

mariage (35) et l’adoption du mineur (36). Il a fallu notamment déterminer<br />

qui — ordinairement le tuteur — est chargé des avis que donnait<br />

auparavant le conseil de famille.<br />

6. — La loi du 13 février 2003<br />

sur la protection des biens des mineurs<br />

Contestée par certains dès avant sa promulgation, la loi du 29 avril 2001<br />

est maintenant « corrigée » (37) par une loi du 13 février 2003<br />

« modifiant certaines dispositions du Code civil et du Code judiciaire en<br />

ce qui concerne la protection des biens des mineurs » (38). Soucieux<br />

surtout d’élargir les pouvoirs des père et mère, les auteurs de la seconde<br />

loi ont notamment dispensé de contrôle préalable le tuteur qui acquiesce<br />

à une demande ou à un jugement ou qui se constitue partie civile quand<br />

« l’affaire a été fixée à la requête du ministère public ou à la suite d’une<br />

ordonnance de renvoi ».<br />

III. — L’ÉMANCIPATION<br />

7. — Déclin de l’institution<br />

Aujourd’hui comme en 1804, le mineur est émancipé de plein droit par<br />

le mariage. Hors de là, il faut parler de déclin. Aussi bien, si l’utilité<br />

théorique de l’émancipation volontaire est d’initier le mineur à l’usage<br />

de la liberté, en pratique, on en a surtout usé, grâce aux articles 4 et 5 du<br />

Code de commerce, pour permettre le commerce à des mineurs âgés de<br />

dix-huit ans. Or la loi du 19 janvier 1990 sur l’âge de la majorité a abrogé<br />

ces dispositions, ses auteurs n’ayant pas jugé opportun d’ouvrir le<br />

négoce à des adolescents plus jeunes.<br />

A noter d’ailleurs que la modification des articles 389 et suivants du<br />

Code civil a nécessité l’adaptation de certaines règles sur l’émancipation<br />

(39).<br />

E. VIEUJEAN<br />

(33) E. Vieujean, « Le majeur physiquement ou mentalement inapte à gérer ses<br />

biens », in Protection des malades mentaux et incapacités des majeurs : le droit<br />

belge après les réformes, Story-Scientia, 1996, coll. Famille et droit, pp. 227 à<br />

280, spéc. n o 13, p. 242.<br />

(34) La loi de 2001 transfère au tuteur et au subrogé tuteur le rôle attribué jadis<br />

au conseil de famille par l’article 478 du Code civil (art. 18). Les requêtes régies<br />

par l’article suivant sont adressées au procureur du Roi (art. 19). L’article 483 du<br />

Code civil exige l’autorisation du juge de paix et non plus celle du conseil de famille<br />

(art. 20). L’article 485, alinéa 2, ne porte plus que : « Le procureur du Roi<br />

peut également demander la révocation de l’émancipation » (art. 22).<br />

(35) L’article 145, alinéa 1 er , nouveau du Code civil porte que « la demande est<br />

introduite par requête soit par les père et mère, soit par l’un d’entre eux, soit<br />

par le tuteur, soit par le mineur à défaut de consentement des parents ou du<br />

tuteur »; l’alinéa suivant dispose que « le tribunal statue dans la quinzaine, les<br />

père et mère, le tuteur, le mineur et le futur conjoint convoqués et le procureur<br />

du Roi entendu ».<br />

(36) Il appartient au tuteur et, si c’est lui l’adoptant, au subrogé tuteur de donner<br />

le consentement à l’adoption exigé par l’article 348, §§ 1 er , alinéa 4, ou 2<br />

du Code civil (art. 6), demain par l’article 448-5 nouveau (loi du 24 avril<br />

2003). L’article 7 de la loi de 2001 a supprimé la finale de l’article 349,<br />

alinéa 2, du Code civil. Les articles 8 à 11 de la loi du 29 avril 2001 ont modifié<br />

pareillement les articles 350, 352, § 2, alinéa 3, 361 et 367 du Code civil.<br />

(37) On lui reprochait notamment de restreindre trop les pouvoirs des père et<br />

mère en leur imposant, dans l’article 378 du Code civil, les mêmes limites qu’à<br />

ceux du tuteur.<br />

(38) M.B., 25 mars 2003.<br />

(39) Voy. ci-dessus, note 34.


DE LA MAJORITÉ,<br />

DE L’ADMINISTRATION<br />

PROVISOIRE, DE L’INTERDICTION<br />

ET DU CONSEIL JUDICIAIRE<br />

LivreI - TitreXI<br />

1. — Majorité<br />

L’article 488 du Code Napoléon portait que « la majorité est fixée à<br />

vingt et un ans accomplis ». Résultat de huit propositions de loi (1) et<br />

suite d’une évolution où nombre de pays nous avaient précédés (2), la<br />

loi du 19 janvier 1990 a mis dans l’article 388 du Code civil que « la<br />

majorité est fixée à dix-huit ans accomplis ». Elle a en outre adapté en<br />

conséquence différentes matières, telles la protection de la jeunesse et<br />

la formation du mariage.<br />

2. — Déficiences et infirmités mentales<br />

sous le Code Napoléon<br />

Le Code Napoléon a établi deux régimes, l’interdiction et le conseil judiciaire.<br />

La première convient aux troubles graves, le second aux troubles<br />

bénins, parmi lesquels se range la prodigalité (3).<br />

L’interdit est frappé d’une incapacité générale (4) et mis en tutelle (5),<br />

tandis que le faible d’esprit et le prodigue sont frappés d’une incapacité<br />

spéciale (6) les rendant inaptes à faire valablement certains actes sans<br />

l’assistance d’un conseil qui leur est nommé par le tribunal. Les deux<br />

incapacités sont d’ailleurs prononcées par la justice (7) et trouvent l’une<br />

et l’autre leur sanction dans une nullité relative de droit.<br />

Quoique capacité et internement soient deux questions distinctes, voire<br />

indépendantes l’une de l’autre, le Code Napoléon les réglait simultanément<br />

puisqu’il subordonnait l’internement à l’interdiction : tous les interdits<br />

ne devaient pas être internés, mais eux seuls pouvaient l’être.<br />

L’internement étant subordonné à l’interdiction, et celle-ci à une décision<br />

judiciaire, la liberté semblait efficacement garantie, d’autant que la procédure,<br />

minutieusement réglementée (8), imposait au juge la plus grande<br />

circonspection. Dès le début du XIX e siècle pourtant, on observait que les<br />

demandes d’interdiction étaient rares, les famille négligeant leur devoir<br />

soit pour s’épargner des frais, soit par crainte de révéler des tares (9).<br />

(1) Doc. Ch. des représ., 42 (s.e. 1988), n o 1, 80 (s.e. 1988), n o 1, 192 (s.e.<br />

1988), n o 1, 234 (s.e. 1988), n o 1, 20 (s.e. 1988), n o 1, 225 (s.e. 1988), n o 1, 224<br />

(s.e. 1988), n o 1, 223 (s.e. 1988), n o 1.<br />

(2) Allemagne fédérale (18 ans depuis 1975), Autriche (19 ans depuis 1973), Danemark<br />

(20 ans depuis 1969), Grande-Bretagne (18 ans depuis 1969), Espagne<br />

(18 ans depuis 1978), Italie (18 ans depuis 1975), France (18 ans depuis 1974),<br />

Luxembourg (18 ans depuis 1975), Norvège (18 ans depuis 1979), Pays-Bas<br />

(18 ans depuis 1987). La réforme faisait d’ailleurs l’objet d’une recommandation<br />

du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, du 19 septembre 1972.<br />

(3) Art. 489, 499 et 513. Au cours des travaux préparatoires du Code Napoléon,<br />

c’est l’assimilation de la prodigalité à la faiblesse d’esprit qui retient le plus<br />

l’attention dans les discussions et les discours sur le titre de la majorité, de l’interdiction<br />

et du conseil judiciaire (voy. Locré, Législation civile, criminelle et<br />

commerciale de la France, t. IV, pp. 449 à 489).<br />

(4) Art. 502.<br />

(5) Art. 509.<br />

(6) Art. 499 et 513, C. civ., le premier remplacé aujourd’hui par l’art. 1247,<br />

C. jud.<br />

(7) D’où les noms d’interdiction judiciaire et de mise sous conseil judiciaire.<br />

(8) Art. 492 à 498, C. civ. abrogés par la loi du 10 octobre 1987 contenant le<br />

Code judiciaire et remplacés par art. 1240 et s., C. jud.<br />

(9) Voy. le préambule de l’arrêté du 23 février 1815, révoqué par l’arrêté du<br />

gouvernement provisoire du 9 octobre 1830; adde notam., F. Laurent, Principes<br />

de droit civil, 3 e éd., t. V, n os 380 à 383.<br />

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Comme les municipalités voulaient et devaient néanmoins protéger la population<br />

contre « les insensés et les furieux » (10) dès avant l’intervention<br />

du ministère public (11), voire dans des cas où celui-ci se jugeait désarmé<br />

(12), on eut à déplorer des détentions illégales, cependant que beaucoup<br />

d’infirmes étaient privés de l’aide et des soins auxquels ils avaient droit<br />

(13). Cette situation et la mauvaise organisation des établissements d’aliénés<br />

ont suscité l’intervention du législateur. Telle est l’origine de la loi du<br />

18 juin 1850 sur le régime des aliénés (14), loi qui a subi plusieurs modifications<br />

avant d’être abrogée et remplacée par celle du 18 juillet 1991.<br />

3. — La loi du 18 juin 1850<br />

Au lieu d’améliorer les dispositions du Code civil, le législateur, en<br />

1850, soumet l’internement à des conditions nouvelles qui amenuisent<br />

les garanties de la liberté. L’interdiction n’est pas abolie, mais, comme<br />

la détention n’en dépend plus, elle ne sert plus qu’à rendre l’infirme incapable,<br />

et à cet égard même elle perd une partie de son utilité puisque<br />

la loi du 18 juin 1850 permet que les personnes « retenues dans un établissement<br />

d’aliénés » soient représentées par un administrateur provisoire<br />

et que leurs actes soient « attaqués pour cause de démence » (15).<br />

Il y avait pourtant des différences essentielles entre la situation de ces<br />

personnes et celle de l’interdit. L’administrateur provisoire n’avait pas,<br />

qu’il fût « général », ou « spécial », un pouvoir aussi général que le tuteur<br />

(16). La loi de 1850 ne comprenait rien de semblable à l’article 503<br />

du Code civil (17). Enfin et surtout, les actes de l’infirme n’étaient pas<br />

susceptibles de la même sanction selon qu’il était interdit ou seulement<br />

interné. Fondée sur l’incapacité, la nullité régie par l’article 502 du<br />

Code civil est de droit et doit être prononcée même s’il est prouvé que<br />

l’acte s’est accompli dans un intervalle de lucidité. Cette preuve faisait<br />

au contraire refuser l’annulation demandée en vertu de l’article 34 de la<br />

loi du 18 juin 1850, car celui-ci se rapportait au défaut de consentement<br />

et il établissait, ni plus ni moins, une présomption juris tantum de démence<br />

pendant tout le temps de l’internement (18).<br />

4. — L’internement de défense sociale<br />

La loi du 9 avril 1930 n’attribuait aucune conséquence civile à cet internement.<br />

Celle du 1 er juillet 1964 a soumis l’interné à un régime analogue<br />

à celui de la loi du 18 juin 1850 en ce sens qu’elle a permis la nomination<br />

d’un administrateur provisoire (19) et que, quant à la présomption<br />

de défaut de consentement, son article 30 reproduit maladroitement<br />

la règle de l’article 34 de la loi du 18 juin 1850 sur le régime des aliénés.<br />

(10) Voy. art. 129 de la loi communale du 24 juin 1988, qui reproduit l’art. 95<br />

de l’ancienne loi communale, lui-même repris du décret des 16-24 août 1790.<br />

(11) L’art. 1239, C. jud. permet au procureur du Roi de « provoquer l’interdiction<br />

d’une personne qui n’a ni épouse, ni parents connus ». Mais l’art. 491 du<br />

Code Napoléon, qu’il remplace, disposait : « Dans le cas de fureur, si l’interdiction<br />

n’est provoquée ni par l’époux ni par les parents, elle doit l’être par le<br />

procureur impérial, qui, dans les cas d’imbécillité ou de démence, peut aussi la<br />

provoquer contre un individu qui n’a ni époux, ni épouse, ni parents connus ».<br />

(12) « Fureur » non habituelle, par exemple.<br />

(13) Voy. notam., De Brouckère et Tielemans, Répertoire de l’administration,<br />

v o « Aliénés »; F. Laurent, loc. cit.<br />

(14) En grande partie inspirée de la loi française du 30 juin 1838.<br />

(15) Art. 29 à 33 (administration provisoire) et 34 (action en nullité). Une loi<br />

du 7 avril 1964 a étendu à la séquestration à domicile ce régime, d’abord réservé<br />

aux pensionnaires des établissements d’aliénés.<br />

(16) Il n’était habile à passer que les actes énumérés par la loi, et il s’en fallait<br />

que l’énumération fût complète.<br />

(17) De sorte que les actes antérieurs à l’internement demeuraient sous le droit<br />

commun du consentement et qu’il fallait leur appliquer l’art. 504, C. civ.<br />

(18) Voy. notam. : H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II,<br />

3 e éd., n os 307 et 373; C. Renard et E. Vieujean, « Examen de jurisprudence »,<br />

Rev. crit. jur. b., 1962, p. 162, n o 99, a.<br />

(19) Art. 29 et 30, § 1 er .<br />

2004<br />

275


2004<br />

276<br />

5. — Les arriérés mentaux et la minorité prolongée<br />

Les règles précédentes sont vouées aux malades mentaux, non aux arriérés<br />

mentaux, auxquels elles ne conviennent guère. C’est en 1969 seulement<br />

que le Parlement a été pour la première fois invité à se soucier<br />

d’eux. Le résultat fut la loi du 29 juin 1973 sur la minorité prolongée,<br />

qui a introduit les articles 487bis à 487octies dans le Code civil, dispositions<br />

destinées aux personnes atteintes d’une « arriération mentale<br />

grave ». L’article 487bis définit précisément cet état avant d’énoncer le<br />

principe que le mineur prolongé « est, quant à sa personne et à ses biens,<br />

assimilé à un mineur de moins de quinze ans », c’est-à-dire à un mineur<br />

qui ne peut notamment ni se marier ni bénéficier de l’émancipation.<br />

Ce principe régit les relations de droit civil relatives à la personne et aux<br />

biens du prolongé (20). Frappé d’une incapacité générale, celui-ci est<br />

représenté par ses père et mère, par le survivant d’eux ou par un tuteur<br />

(21), et s’il agissait lui-même, ses actes seraient nuls de droit ou rescindables<br />

comme ceux d’un mineur de moins de quinze ans.<br />

6. — La loi du 18 juillet 1991<br />

sur l’administration provisoire<br />

Lointain aboutissement de travaux maintes fois interrompus (22), les<br />

lois du 26 juin 1990 et du 18 juillet 1991 rénovent complètement, l’une<br />

pour la personne (23), l’autre pour les biens (24), le régime institué en<br />

1850 et amélioré en 1873 (25).<br />

Conformément à la recommandation du Conseil de l’Europe R(83)2 du<br />

22 février 1983 (26), la loi de 1991 dissocie l’incapacité et la détention<br />

pour troubles mentaux. L’administration provisoire n’est plus réservée<br />

aux infirmes mentaux qui sont privés de liberté; d’emblée le gouvernement<br />

a pensé que peut en bénéficier tout majeur qui est, « en raison de<br />

l’altération de ses facultés mentales ou d’une altération durable de sa<br />

condition physique entravant l’expression de sa volonté, hors d’état<br />

d’assumer la gestion de ses biens (27).<br />

Dès lors, la fonction d’administrateur provisoire général (28) disparaît.<br />

Chaque protégé est individuellement pourvu d’un administrateur spécialement<br />

chargé de ses intérêts. De la sorte, il est possible de passer du<br />

vêtement de confection au costume sur mesure, et le ministre de la Justice<br />

a pu recommander qu’il soit permis au juge de « moduler la mesure<br />

de protection et de l’adapter au handicap de l’intéressé » en laissant, par<br />

exemple, à celui-ci « une partie de la gestion de ses biens » (29).<br />

Beaucoup plus net que le système de la présomption de défaut de consentement<br />

imaginé en 1850, l’article 488bis-i du Code civil interdit toute discussion<br />

sur l’aptitude à consentir, mais, comme le législateur a voulu adapter<br />

(20) Sur ces limites, voy. notam. E. Vieujean, « La minorité prolongée », Ann.<br />

droit Liège, 1977, pp. 15 à 71, spéc. n os 6 à 19, pp. 26 à 46.<br />

(21) Que l’article 487quater permettrait, au besoin, de substituer aux parents<br />

de leur vivant.<br />

(22) Notamment par les guerres de 1914 et de 1940. Sur cette longue histoire, voy.<br />

l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la protection de la personne des malades<br />

mentaux, déposé au Sénat le 12 mars 1969 (Doc., 1968-1969, 253, pp. 1 à 3).<br />

(23) Loi du 26 juin 1990 sur la protection de la personne des malades mentaux.<br />

(24) Loi du 18 juillet 1991 sur la protection des biens des personnes totalement<br />

ou partiellement incapables d’en assurer la gestion en raison de leur état physique<br />

ou mental.<br />

(25) Loi du 28 décembre 1873 apportant des modifications à la loi du 18 juin<br />

1850 sur le régime des aliénés, Pasin., 1873, pp. 530 à 548.<br />

(26) Aux termes de laquelle « le placement à lui seul ne peut constituer de plein<br />

droit une cause de restriction de la capacité juridique du patient ».<br />

(27) Art. 1 er du projet de loi du 11 avril 1969 qui est à l’origine de la loi du<br />

18 juillet 1991 (Doc., Sénat, 1968-1969, 297).<br />

(28) « Général » parce que chargé de représenter tous les internés de l’établissement<br />

qui n’ont pas un administrateur « spécial », c’est-à-dire un administrateur<br />

spécialement chargé par le juge de gérer les biens de tel interné.<br />

(29) Amendements présentés par le gouvernement, Doc., Sénat, 1990-1991,<br />

1102-2, p. 3. Quant à l’accomplissement, voy. pp. 9 et 12, les dispositions proposées<br />

par le gouvernement pour l’article 488bis-d, alinéa 1 er , et pour<br />

l’article 488bis-f, du Code civil.<br />

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cette protection à l’état de l’incapable et comme, au lieu de le faire immédiatement,<br />

il a procédé par référence aux pouvoirs de l’administrateur, qu’il<br />

entendait « moduler », aussi selon le cas, il en est résulté que, par décalque,<br />

l’incapacité a pris les contours de la mission confiée à l’administrateur, de<br />

sorte que l’une est générale si l’autre l’est, spéciale si l’autre l’est et qu’un<br />

acte ne peut former l’objet de l’une s’il échappe à l’autre.<br />

La mission de l’administrateur ne peut se rapporter qu’aux biens. Mais<br />

elle a pour objet soit de représenter, soit d’assister le protégé (30), soit —<br />

pourquoi non? — de le représenter dans tels actes et de l’assister dans<br />

d’autres. Elle doit être adaptée au cas particulier de chaque protégé; on reconnaîtra<br />

donc au juge la plus grande liberté pour la définir (31).<br />

Les actes du protégé sont annulables si le juge de paix avait chargé l’administrateur<br />

de les accomplir. C’est de cette façon qu’il faut traduire la<br />

première phrase de l’article 488bis-i. Quant aux actes passés par l’administrateur<br />

provisoire ou par le protégé et l’administrateur provisoire<br />

lorsque ce dernier n’a qu’une mission d’assistance, ils sont valables si<br />

l’on a respecté les formalités habilitantes ou si la loi n’en imposait aucune.<br />

Sinon, ils sont annulables (32).<br />

7. — Loi du 3 mai 2003 modifiant la législation relative<br />

à la protection des biens des personnes totalement<br />

ou partiellement incapables d’en assumer la gestion<br />

en raison de leur état physique ou mental<br />

Née de l’initiative parlementaire (33), cette loi, obligatoire dès le jour de sa<br />

publication au Moniteur belge (34), règle des points de compétence et de<br />

procédure, accroît le rôle de la famille, des proches et de la personne de confiance<br />

dans l’organisation et le fonctionnement de l’administration provisoire,<br />

confirme que l’administrateur peut être chargé soit de représenter, soit<br />

d’assister (35) le protégé, complète la liste des actes pour lesquels il doit être<br />

spécialement habilité par le juge de paix (36) et détermine à quelles conditions<br />

l’incapable pourra passer un contrat de mariage, donner ou léguer ses<br />

biens (37). Cependant elle conserve les principes établis par la loi du<br />

18 juillet 1991 : l’administration provisoire n’a trait qu’aux biens, elle est<br />

vouée à la protection des majeurs inaptes à les gérer pour raison de santé et<br />

elle les rend incapables des actes dont leur administrateur est chargé.<br />

E. VIEUJEAN<br />

(30) Sur ce point discuté, voy. notam., E. Vieujean, « Protection du majeur<br />

physiquement ou mentalement inapte à gérer ses biens », Rev. gén. civ., 1993,<br />

pp. 5 à 35 et 118 à 142, spéc. pp. 10 et 11, n o 7.<br />

(31) Il doit cependant être conscient de la double portée de sa décision. Il ne<br />

s’agit pas seulement de déterminer la mission et les pouvoirs de l’administrateur;<br />

c’est du même coup l’incapacité du protégé qui est définie puisque<br />

l’article 488bis-i lie les deux questions.<br />

(32) Sur tous ces points, voy. notam., E. Vieujean, « Le majeur physiquement<br />

ou mentalement inapte à gérer ses biens », in Protection des malades mentaux<br />

et incapacités des majeurs : le droit belge après les réformes, Diegem, Kluwer<br />

1996, coll. Famille et droit, pp. 227 à 280, spéc. n os 35 à 43, pp. 262 à 269.<br />

(33) Proposition de loi du 29 septembre 1999, déposée par MM. Goutry, Vandeurzen<br />

et Ansoms, Doc., Chambre, sess. extraord. 1999, 107-1.<br />

(34) L’article 383 de la loi-programme du 22 décembre 2003 (M.B., 31 déc.<br />

2003) disposition obligatoire dès sa publication, ajoute à la loi du 3 mai 2003<br />

un article 15 aux termes duquel « la présente loi entre en vigueur le jour de sa<br />

publication au Moniteur belge, à l’exception de l’article 488bis-b, § 2, du Code<br />

civil, remplacé par l’article 2, qui entre en vigueur à la date fixée par le Roi ».<br />

Or la loi du 3 mai 2003 est parue au Moniteur belge le 31 décembre 2003, en<br />

même temps que la loi-programme.<br />

(35) Art. 488bis-f, § 2, al. 2, nouv., C. civ.<br />

(36) Notam., l’art. 488bis-f, § 3, in fine, nouv., C. civ. règle, le cas échéant, la<br />

question du commerce du protégé.<br />

(37) Art. 488bis-h, §§ 2 et 3, C. civ., dispositions non conformes au système de<br />

l’exacte adaptation de l’administration provisoire aux besoins concrets du protégé.<br />

Un commerçant est déprimé mais curable et il ne souffre d’aucun handicap<br />

dans les affaires étrangères à son négoce. Le juge de paix lui nomme un administrateur<br />

qu’il charge seulement du commerce. Peu importe la limite! Le<br />

protégé est devenu incapable de tester, et il lui faudrait la bénédiction du juge<br />

de paix pour se marier en séparation de biens, alors que rien ni personne ne<br />

pourrait l’empêcher de le faire en communauté légale! Bref on a mis deux manches<br />

de confection au « costume sur mesure ».


LA DISTINCTION ENTRE LES BIENS<br />

Livre II - Titre I<br />

1. — Le Code civil de 1804 développe, après le livre premier qui porte<br />

sur les personnes, un livre II qui s’applique aux biens et aux différentes<br />

modifications de la propriété. Ce livre débute par un titre premier relatif<br />

à la distinction entre les biens. Les concepts centraux, au départ desquels<br />

s’articule ce titre, sont les immeubles (chap. I), les meubles<br />

(chap. II), et les « biens dans leur rapport avec ceux qui les possèdent »<br />

(chap. III). Le Code procède ainsi à une distinction entre des catégories<br />

considérées de façon objective — les immeubles d’un côté, et les meubles<br />

de l’autre — puis de façon subjective en fonction de la personne du<br />

sujet de droit concerné, propriétaire du bien en question, les biens appartenant<br />

aux personnes privées, d’une part, et les biens des personnes<br />

de droit public, d’autre part.<br />

Cette architecture du Code civil quant à la distinction entre les biens est<br />

demeurée inchangée depuis 1804. La jurisprudence, étudiée par la doctrine,<br />

a joué un rôle essentiel de comblement des lacunes et d’affinement<br />

des notions et de leurs critères. Cette jurisprudence n’est toutefois<br />

pas à l’abri de critiques sur certains points. Reprenons synthétiquement<br />

les grands axes de la distinction entre les biens et voyons si le droit positif<br />

actuel trouve encore un appui suffisamment solide et précis dans le<br />

Code civil de 1804.<br />

2. — Une distinction centrale, extrinsèque à notre matière mais fondamentalement<br />

éclairante, ne se trouve pas dans le Code civil. Il<br />

s’agit de la distinction entre les personnes et les choses. Il est difficile<br />

de définir la personne humaine. Une thèse n’y suffirait pas tant<br />

la notion et ses enjeux sont importants. Le législateur ne s’y est pas<br />

encore risqué. Contentons-nous de relever que la personne est à la<br />

fois une entité globale — la personne humaine — et comprend un<br />

certain nombre d’éléments corporels et objectifs — la personne en<br />

tant que corps et somme des éléments, organes — permettant le fonctionnement<br />

en principe harmonieux de ce corps et en assurant la viabilité,<br />

ainsi que des éléments extrapatrimoniaux attachés à cette<br />

personne : son nom et les droits liés à la personnalité, etc. La personne<br />

est d’une nature essentiellement extrapatrimoniale (1) et s’oppose<br />

ainsi, en s’en distinguant, à l’ordre des choses, qui sont en principe<br />

dans le domaine de la patrimonialité. Les choses comprennent,<br />

d’autre part, tous les éléments corporels et matériels, en ce compris<br />

les animaux, qui ne sont pas des personnes humaines ou des éléments<br />

de ces personnes, et qui sont appropriés ou non appropriés mais peuvent<br />

faire l’objet d’un droit patrimonial, à la différence des personnes.<br />

Les biens quant à eux désignent les choses qui font effectivement<br />

l’objet d’un droit patrimonial, et les droits eux-mêmes en rapport<br />

avec ces choses (droits réels, énumérés en principe<br />

limitativement par le Code civil). Alors que les choses sont par essence<br />

matérielles, les biens peuvent être soit matériels, soit immatériels,<br />

ou incorporels, lorsqu’ils sont constitutifs de droits (2).<br />

Le Code civil ne s’est pas risqué, en amont de la distinction entre les<br />

biens, à définir les personnes et les choses. La sagesse de celui qui sait<br />

la difficulté de définir de telles notions, dont surtout la notion de personne<br />

humaine, requiert peut-être une forme de prudence allant jusqu’à<br />

l’abstention de donner de telles définitions, du moins au stade ac-<br />

(1) Cf. art. 16-1, alinéa 3, du Code civil français, introduit par la loi du<br />

27 juillet 1994, qui dispose : « Le corps humain, ses éléments et produits ne<br />

peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».<br />

(2) Cette approche des choses et des biens est trop sommaire et devrait être approfondie.<br />

Pour une définition assez convaincante de ces notions, en droit français,<br />

au regard des critères de patrimonialité et d’aptitude à l’appropriation, cf.<br />

F. Paul, Les choses qui sont dans le commerce au sens de l’article 1128 du<br />

Code civil, L.G.D.J., 2002, spéc. n os 80 à 83, pp. 64 et s.<br />

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tuel des choses. Mais les défis bioéthiques sont tels, à notre époque,<br />

qu’il faudra peut-être un jour donner une définition à la personne humaine<br />

(3). Il nous semble toutefois que le droit n’est pas encore mûr<br />

pour ce faire et que le statu quo peut encore être observé, s’il est accompagné<br />

d’une réflexion approfondie des juristes, des scientifiques<br />

et des hommes politiques, tendant à concilier les points de vue mais<br />

attachée au respect des notions fondamentales, réflexion qui est et<br />

sera le prélude nécessaire au travail de véritable définition législative<br />

des notions à venir.<br />

Le Code civil n’a pas même donné de définition générale à la notion de<br />

bien. Ici, la frilosité du Code est moins compréhensible. Elle n’est pas<br />

pour autant condamnable. Notion essentiellement théorique, même si<br />

son importance conceptuelle est grande, elle ne paraît pas devoir nécessairement<br />

recevoir une définition par la loi. La réflexion doctrinale devrait<br />

suffire à l’approfondissement de la notion, les enjeux pratiques se<br />

situant essentiellement en aval lorsqu’il s’agit de distinguer les catégories<br />

de biens, qui peuvent donner lieu à l’application de régimes légaux<br />

spécifiques en fonction des notions retenues.<br />

3. — Quant à la distinction objective entre les biens, le Code commence<br />

par affirmer, à l’article 516, que : « Tous les biens sont meubles ou<br />

immeubles », puis aborde les différentes notions d’immeubles et de<br />

meubles qu’il reconnaît. La distinction cardinale entre les meubles et les<br />

immeubles, qui est censée épuiser la réalité juridique, est une pierre angulaire<br />

du régime des biens. Elle est pleinement pertinente, dans sa correspondance<br />

à la nature des choses et dans son caractère opérationnel,<br />

en pratique, au travers des différentes catégories d’immeubles et de<br />

meubles que le Code reconnaît et organise.<br />

4. — La force lapidaire et la pertinence du pouvoir de définition juridique<br />

se trouvent ensuite dans l’article 517 du Code civil qui énonce qu’il<br />

existe trois catégories d’immeubles : les immeubles par leur nature, par<br />

leur destination et par l’objet auquel il se rapportent.<br />

5. — Les articles 518 à 523 concernent les immeubles par nature.<br />

L’article 518 dispose que : « Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles<br />

par nature ». Les articles 519 à 523 sont des dispositions souvent<br />

anachroniques qui abordent certains types d’immeubles par nature.<br />

On regrettera immédiatement que le Code civil n’ait pas énoncé clairement<br />

le critère de l’immobilisation par nature. Ce critère n’apparaît pas<br />

non plus à l’examen des travaux préparatoires du Code. La jurisprudence<br />

s’est dès lors employée, par la force des choses, à combler cette lacune,<br />

et à définir le mécanisme juridique qui opère l’immobilisation par<br />

nature.<br />

La définition donnée à l’immobilisation par nature n’est hélas pas<br />

pleinement satisfaisante. Le critère général de l’incorporation durable<br />

au sol du bien concerné, qui en fait en principe un immeuble par nature,<br />

est encore caractérisé par une certaine ambiguïté : cette incorporation<br />

durable doit-elle être d’une nature telle qu’il ne doit plus être<br />

possible de séparer le bien en question de sa base immobilière, sans<br />

dommage pour le bien ou pour cette base — et s’il ne peut y avoir séparation<br />

sans dommage, le bien peut être qualifié d’immeuble par nature,<br />

— ou faut-il raisonner plus extensivement et admettre que l’immobilisation<br />

par nature est déjà réalisée, même si une séparation sans<br />

dommage est encore possible? Il semble que la Cour de cassation ait<br />

pris position dans le sens de cette thèse extensive, par un arrêt du<br />

15 septembre 1988 (4), en rappelant d’abord qu’« (...) aux bâtiments,<br />

doivent être assimilés les objets qui s’y unissent ou s’y incorporent<br />

d’une manière durable et habituelle » et en refusant de censurer la dé-<br />

(3) L’une des difficultés majeures est de définir l’état et le moment où la personne<br />

commence, ou est censée commencer à exister, et à avoir des droits.<br />

C’est toute la question, extrêmement délicate, de la définition de la notion et du<br />

statut de l’embryon humain.<br />

(4) Cf. Pas., 1989, I, p. 52.<br />

2004<br />

277


2004<br />

278<br />

cision de fond qui avait admis l’immobilisation par nature eu égard au<br />

simple fait que les biens incorporés et les ouvrages litigieux<br />

« présent(aient) une adhérence pondéreuse et durable avec le sol ».<br />

Cette jurisprudence, trouvant un écho important dans les décisions de<br />

fond, surtout en matière fiscale (5), ne convainc pas. Le critère de<br />

l’immobilisation par incorporation, d’une nature et d’une intensité<br />

telles que le bien ne pourrait plus être séparé sans dommage, serait<br />

beaucoup plus précis et propice à la sécurité juridique. Il serait également<br />

en phase avec le mécanisme de l’accession immobilière, fonctionnant<br />

sur un critère de ce type, ce qui permet de distinguer cette<br />

institution de la théorie des impenses (6).<br />

6. — La notion suivante d’immeuble par destination fait l’objet d’un<br />

processus juridique similaire. A nouveau, le Code civil est avare de<br />

la mise en évidence d’un critère précis, et laisse une grande liberté<br />

au travail doctrinal et jurisprudentiel, qui, cette fois, s’est développé<br />

de façon convaincante. A côté de la notion de bien immeuble par destination<br />

à la suite d’une attache à perpétuelle demeure, qui se trouve<br />

énoncée à l’article 524 in fine, c’est surtout la notion d’immeuble par<br />

destination en raison d’une affectation du bien meuble au bien immeuble,<br />

qui revêt une importance pratique déterminante. Le siège de<br />

ce concept se trouve au début de l’article 524. Celui-ci esquisse la<br />

définition des biens immeubles par destination en indiquant d’abord<br />

que : « Les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le<br />

service de l’exploitation de ce fonds, sont immeuble par<br />

destination ». L’article procède ensuite à une énumération purement<br />

exemplative et quelque peu anachronique, sans arrêter les éléments<br />

constitutifs essentiels et sans déterminer les conditions spécifiques<br />

permettant que se réalise cette fiction juridique de l’immobilisation<br />

par destination du premier type. En cette matière, la jurisprudence de<br />

la Cour de cassation a comblé le vide juridique laissé par le Code, en<br />

dégageant, par un arrêt du 11 septembre 1980, un ensemble de critères<br />

à relever pour que puisse être réalisée l’immobilisation par<br />

destination : 1) « (...) L’immobilisation est réalisée lorsque les objets<br />

mobiliers sont affectés par le propriétaire (7) à l’exploitation du<br />

fonds, étant indifférent que ces objets soient nécessaires ou simplement<br />

utiles à ladite exploitation » (8); 2) doit être également relevé<br />

le lien d’affectation du bien meuble au bien immeuble, qui doit en<br />

principe donner lieu à un aménagement visible du bien immeuble<br />

sous-jacent, de sorte qu’est assurée une forme d’opposabilité aux<br />

tiers de l’immobilisation par destination (9).<br />

7. — Quant à la notion d’immeuble par l’objet auquel il s’applique, se<br />

trouvant à l’article 526 du Code civil, elle renvoie, sans véritable définition,<br />

aux droits réels immobiliers — immeubles incorporels — ainsi,<br />

dit le Code, qu’aux « actions qui tendent à revendiquer un immeuble ».<br />

Cette catégorie assez théorique et générale d’immeubles par l’objet<br />

auquel ils se rapportent, demeure pertinente. Elle ne soulève de question<br />

d’application pratique significative ou problématique, à notre connaissance.<br />

(5) Cf. pour deux décisions récentes, Gand, 16 mars 2000, T.F.R., n o 184, juin<br />

2000, spéc. p. 650. Est davantage pertinent Anvers, 5 janv. 2000, T.F.R.,<br />

n o 228, oct. 2001, spéc. p. 889 et note D. Jaecques et J. Desmet.<br />

(6) Cf. Cass., 23 déc. 1943, Pas., 1944, I, p. 123.<br />

(7) Propriétaire des deux biens, meuble et immeuble : s’impose une condition<br />

d’identité de propriété.<br />

(8) La discussion sur les mots n’est pas purement byzantine et découle de ce<br />

que, à l’article 524, est utilisé le qualificatif « nécessaire », ce qui a amené<br />

d’ailleurs la Cour de cassation de France à privilégier le critère de la nécessité<br />

(cf. note signée J.V. sous l’arrêt visé en note suivante). En l’absence de toute<br />

précision pertinente dans les travaux préparatoires du Code et eu égard au caractère<br />

simplement exemplatif du membre de phrase se trouvant dans l’énumération<br />

concernée, où était utilisé ce qualificatif, la Cour de cassation de Belgique<br />

a quant à elle privilégié, à juste titre, le critère de l’utilité.<br />

(9) Cf. Pas., 1981, I, p. 37, et R.C.J.B., 1981, p. 173, et note J. Hansenne.<br />

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8. — Après les immeubles, il convient de s’arrêter sur les meubles.<br />

Deux catégories en sont reconnues par le Code civil, et une troisième,<br />

en marge de celui-ci, est le fruit du travail doctrinal et jurisprudentiel.<br />

La catégorie de base est évidemment celle des meubles corporels. La<br />

définition donnée par le Code à l’article 528 est remarquable et toujours<br />

pleinement pertinente (10) : « Sont meubles par leur nature, les<br />

corps qui peuvent se transporter d’un lieu à l’autre, soit qu’ils se meuvent<br />

par eux-mêmes, comme les animaux, soit qu’ils ne peuvent changer<br />

de place que par l’effet d’une force étrangère, comme les choses<br />

inanimées ». L’article 529 définit ensuite les meubles par leur objet, à<br />

savoir les meubles incorporels, les actions en justice revêtant un caractère<br />

mobilier et les créances mobilières telles que les actions ou les<br />

obligations des sociétés. Un constat de persistance d’actualité de cette<br />

disposition s’impose aussi, les applications pratiques en étant toutefois<br />

peu nombreuses.<br />

9. — La notion suivante de meuble par anticipation est certainement<br />

plus étrange. Elle est à l’origine, comme l’immobilisation par destination,<br />

d’une fiction juridique, puisque l’on traite juridiquement comme<br />

des meubles, des biens qui devraient encore être naturellement considérés<br />

comme des immeubles en raison de leur attachement au sol et<br />

d’une séparation qui ne sera opérée que dans le futur. L’on anticipe<br />

donc sur la nature mobilière de ces biens, et l’on admet de les traiter<br />

juridiquement comme tels, dès lors que les parties concernées ont manifesté<br />

une volonté certaine de séparer les biens en question de l’immeuble<br />

de base, et de les traiter comme meubles par anticipation. Pour<br />

cette notion également, qui n’est pas définie par le Code civil, le pouvoir<br />

créateur de la jurisprudence a été déterminant. La tendance de la<br />

jurisprudence de la Cour de cassation, décidément brouillée avec le critère<br />

de la séparation objective et réelle des biens, s’est marquée dans<br />

un sens à nouveau — trop — extensif puisque, par un arrêt du 13 mars<br />

1986, la Cour a décidé, répondant à un moyen qui avait plaidé la violation<br />

des notions de bien meuble par anticipation et d’immeuble par<br />

nature, à défaut de constatation d’un accord des parties tendant à séparer<br />

effectivement les biens litigieux de leur base immobilière dans le<br />

futur, que : « (...) la volonté des parties est, en l’espèce, décisive de la<br />

nature mobilière attribuée au (bien) (11); (et que) la notion même de<br />

meuble par anticipation fait prévaloir cette volonté sur la règle prévue<br />

par les articles 520 et 521 du Code civil » (12). Et pourtant, la mobilisation<br />

par anticipation dépend certes, au départ, de la volonté des parties,<br />

mais cette volonté ne devrait pas être « décisive », en dépit de ce<br />

qu’affirme la Cour, et donc la conditio sine qua non et suffisante de la<br />

mobilisation par anticipation. Il conviendrait de lui ajouter la constatation<br />

que les parties ont réellement voulu la séparation des biens concernés<br />

et organisé celle-ci, devant être en principe suivie d’effets, par<br />

une convention correspondant à la réalité et non simulée, pour qu’il y<br />

ait mobilisation par anticipation (13).<br />

10. — Les notions à la base de la classification subjective des biens et<br />

la manière dont elles ont été abordées par le Code civil, aux<br />

articles 537 et suivants du Code civil, étaient franchement obsolètes<br />

et inadéquates presque dès l’origine. Les articles du Code visaient à<br />

distinguer les biens appartenant à des personnes privées de ceux appartenant<br />

à des personnes publiques (cf. art. 537), mais ne contenaient<br />

pas véritablement de régime cohérent pour la partie la plus sensible de<br />

ces biens, à savoir la seconde (cf. art. 538 à 543). Là aussi, l’œuvre de<br />

la doctrine et de la jurisprudence a été essentielle. Au XIX e siècle,<br />

(10) Sans poser de véritable problème d’application.<br />

(11) Du sable se trouvant dans un fonds de terre et vendu séparément du terrain,<br />

à des fins, notamment, d’économie de droits d’enregistrement, dès lors que la<br />

vente pouvait être qualifiée de mobilière.<br />

(12) Cf. J.T., 1988, p. 315. La Cour ajoutait qu’« (...) il importe peu que l’acte<br />

constatant la volonté des parties sur ce point contienne d’autre part une transmission<br />

de la propriété du fonds; (...) Que partant, la cour d’appel n’avait pas à<br />

constater que la transmission des deux éléments que les parties avaient nettement<br />

dissociés, est contenue dans des actes séparés ».<br />

(13) En ce sens, cf. Liège, 3 mai 1999, R.G.D.C., 2000, p. 680.


s’est construite une théorie de la domanialité publique ayant pour conséquence<br />

qu’ont été systématisées les notions de biens du domaine<br />

public d’une part, et de biens du domaine privé de l’Etat et des personnes<br />

de droit public, d’autre part. Ce régime a été une fois de plus<br />

éclairé par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a notamment<br />

dégagé le mécanisme de l’affectation par une décision certaine de<br />

l’autorité compétente, du bien à l’usage de tous, ou de la désaffectation<br />

de celui-ci, le faisant entrer dans le domaine privé (14). Ce régime<br />

n’engendre pas de difficulté particulière et est caractérisé par une opposition<br />

presque manichéenne entre les biens du domaine public,<br />

d’une part, qui sont hors commerce, incessibles, insaisissables, et les<br />

biens du domaine privé, d’autre part, qui réunissent en principe les caractères<br />

contraires. Ici, le régime s’est construit par superposition et<br />

surimpression sur les dispositions du Code, sans difficulté particulière.<br />

Il n’est même pas nécessaire de réécrire celles-ci dès lors, encore<br />

une fois, que les choses sont claires et que le Code a été complété par<br />

les apports jurisprudentiels et doctrinaux qui en ont rectifié les points<br />

obscurs et comblé les lacunes.<br />

11. — En conclusion, quant à la distinction entre les biens, le Code est<br />

loin d’être parfait. Certaines de ses définitions demeurent remarquables,<br />

mais d’autres sont dépassées et des lacunes non négligeables existent.<br />

Faut-il pour autant nécessairement les combler par une intervention législative?<br />

Trois approches nous semblent possibles à cet égard. Soit une<br />

approche maximaliste, qui voudrait retoucher, retravailler, réécrire, et<br />

compléter le Code civil sur bien des aspects. Soit une approche minimaliste,<br />

qui prônerait l’abstention eu égard à l’importance des normes en<br />

jeu, à leur valeur en quelque sorte symbolique, et à la difficulté de développer<br />

un travail légistique et législatif de qualité en notre époque<br />

contemporaine caractérisée par la trop grande rapidité du travail d’élaboration<br />

des normes. Soit une approche intermédiaire qui se bornerait à<br />

vouloir redonner une certaine jeunesse à quelques dispositions<br />

aujourd’hui manifestement dépassées dans la forme, et à abroger les<br />

dispositions tombées en désuétude.<br />

Si l’approche intermédiaire ne doit pas être exclue (15), je demeure partisan,<br />

pour l’instant, de l’approche minimaliste, laquelle se déclare respectueuse<br />

du texte originaire, ayant fait le constat que la jurisprudence<br />

a presque toujours, de façon créative et en phase avec les réalités, comblé<br />

les lacunes existantes, même si cette jurisprudence n’est pas ellemême<br />

à l’abri de toute critique et devrait évoluer sur plusieurs points<br />

d’importance (16). Est-il par ailleurs indispensable de mettre, à toute<br />

force, au goût du jour certaines dispositions anachroniques, avec le risque<br />

d’engendrer d’autres anachronismes, qui se révéleront sans doute<br />

rapidement, de sorte que ces anachronismes futurs devraient être à nouveau<br />

rectifiés à la lumière d’un travail doctrinal et jurisprudentiel qui<br />

demeure essentiel. Mieux vaut donc, peut-être, faire l’économie d’un<br />

travail législatif en grande partie superflu, et rester attaché au texte de<br />

base du Code civil, en étant pleinement conscient de ses quelques imperfections.<br />

Jean-François ROMAIN<br />

Chargé de cours à l’U.L.B.,<br />

Avocat au barreau de Bruxelles<br />

(14) Cf. Cass., 3 mai 1968, Pas., 1968, I, p. 1033; Cass., 1 er oct. 1976, Pas.,<br />

1977, I, p. 133.<br />

(15) Pour peu qu’on ait la certitude d’un travail législatif de qualité, dont toutes<br />

les conditions devraient être réunies préalablement.<br />

(16) Il en est notamment ainsi quant au mécanisme de l’immobilisation par nature.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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DE LA PROPRIÉTÉ<br />

Livre II - Titre II<br />

Dans le Code civil, tel qu’il fut promulgué le 16 pluviôse an XII<br />

(6 février 1804), le titre II dont il nous a été demandé de suivre l’évolution,<br />

ne comportait que deux chapitres. Le premier s’intitulait « Du droit<br />

d’accession sur ce qui est produit par la chose », le second, devenant<br />

aujourd’hui le deuxième, « Du droit d’accession sur ce qui s’unit et s’incorpore<br />

à la chose ».<br />

Depuis la loi du 8 juillet 1924, un chapitre III, « De la copropriété », est<br />

venu s’ajouter aux deux premiers.<br />

En guise de préambule, trois articles entendaient définir le droit de propriété<br />

(art. 544), garantir celui-ci contre l’expropriation (art. 545) et<br />

préciser la notion d’accession (art. 546).<br />

L’article 545 a été abrogé par la loi du 15 décembre 1949 en son<br />

article 29. Il disposait que « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété,<br />

si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste<br />

et préalable indemnité » (1).<br />

Cette abrogation n’est nullement le signe d’un affaiblissement du droit<br />

de propriété, clé de voûte du Code Napoléon; elle traduit le souci d’éviter<br />

les redondances.<br />

En effet, dès l’origine (2), la Constitution de la Belgique apportait au<br />

droit de propriété une protection constitutionnelle dans son article 11,<br />

tout en l’assortissant de garanties supplémentaires.<br />

L’article 11, devenu dans la Constitution du 17 février 1994 l’article 16,<br />

est ainsi libellé : "Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause<br />

d’utilité publique, dans les cas et de la manière établie par la loi et<br />

moyennant une juste et préalable indemnité ».<br />

L’abrogation de l’article 545 ne procède dès lors que d’un souci de toilette<br />

de texte.<br />

Hormis l’ajout du chapitre III, en 1924, modifié substantiellement en<br />

1994, et l’abrogation de l’article 545, rien, dans le titre II consacré à la<br />

propriété, n’a été modifié.<br />

Toutefois, certains articles trouvèrent, dans la jurisprudence et la doctrine,<br />

une valorisation à laquelle, sans doute, le législateur de 1804 n’avait<br />

pas songé.<br />

Nous pensons à l’article 544 qui définit la propriété et qui servit de fondement<br />

à la théorie des troubles de voisinage.<br />

Nous pensons également aux articles 552 et 553 qui permirent à la doctrine<br />

de donner un essor particulier à la propriété des volumes.<br />

Notre commentaire portera assez logiquement sur le régime de la copropriété,<br />

des troubles de voisinage et sur la propriété des volumes.<br />

I. — LE DROIT DE COPROPRIÉTÉ<br />

Une seule disposition réglementait à titre supplétif le droit de copropriété,<br />

sans l’appeler de la sorte. Elle était contenue dans l’article 664<br />

sous le chapitre Il du titre IV consacré aux servitudes établies par la<br />

loi : « Lorsque les différents étages d’une maison appartiennent à divers<br />

propriétaires, si les titres de propriétés ne règlent pas le mode de<br />

(1) J.-A. Rognon, Les cinq Codes expliqués, Bruxelles, Libraire de jurisprudence<br />

de H. Tarlier, 1836, p. 109.<br />

(2) Décret du 7 février 1831.<br />

2004<br />

279


2004<br />

280<br />

réparations et de reconstruction, elles doivent être faites ainsi qu’il<br />

suit :<br />

» — les gros murs et le toit sont à charge de tous les propriétaires, chacun<br />

en proportion de la valeur de l’étage qui lui appartient;<br />

» — le propriétaire de chaque étage fait le plancher sur lequel il marche;<br />

» — le propriétaire du premier étage fait l’escalier qui y conduit;<br />

» — le propriétaire du second étage fait, à partir du premier, l’escalier<br />

qui conduit chez lui et ainsi de suite » (3).<br />

Le Code civil était particulièrement hostile à l’idée d’une propriété collective<br />

(4). Il l’avait traitée « comme un phénomène sporadique, appelé<br />

tout au plus à se maintenir dans les villes où des circonstances spéciales<br />

en avaient provoqué l’apparition » (5).<br />

Laurent considérait, quant à lui, la copropriété des immeubles divisés<br />

par étage comme une curiosité appelée à disparaître. D’après lui, le régime<br />

de la copropriété n’était pas utilisé en Belgique, à défaut d’en trouver<br />

trace dans la jurisprudence. Son usage était limité en France. La copropriété<br />

paraissait contraire aux exigences de la société moderne, fondée<br />

sur des principes individualistes (6).<br />

Les rédacteurs du Code civil avaient conçu le régime de la propriété des<br />

immeubles divisés par étage comme étant « une juxtaposition de propriétés<br />

individuelles donnant naissance à d’étroits rapports de voisinage<br />

et auxquelles s’ajoutait un droit de copropriété portant sur un certain<br />

nombres de choses communes » (7).<br />

La crise du logement à laquelle dut faire face la Belgique après la<br />

guerre 1914-1918 conduisit les promoteurs et les investisseurs à construire<br />

des immeubles à appartements multiples. L’article 664 s’avéra<br />

insuffisant, ce qui justifia la loi du 8 juillet 1924 qui inséra un chapitre<br />

III dans le titre II du livre II intitulé, sans ambages cette fois, « De la<br />

copropriété ».<br />

Cette loi fut qualifiée de novatrice — une fois n’est pas coutume — nos<br />

voisins français ne traiteront à proprement parler de la copropriété que<br />

dans la loi du 28 juin 1938 (8).<br />

Le chapitre III ne comporte, numérotation oblige, qu’un seul article, le<br />

«577bis » qui, lui-même, est subdivisé en onze paragraphes. Les huit<br />

premiers paragraphes traitent de la copropriété fortuite; la copropriété<br />

forcée à titre d’accessoire est régie par les paragraphes 9 à 11.<br />

En France, la loi du 28 juin 1938, bien que beaucoup plus élaborée<br />

que la loi belge du 8 juillet 1924, fut rapidement considérée comme<br />

insuffisante pour faire face à la multiplicité des difficultés résultant de<br />

l’organisation collective de la copropriété. Elle fut abrogée et remplacée<br />

par la loi du 10 juillet 1965, modifiée depuis à de nombreuses reprises<br />

(9).<br />

(3) J.A. Rognon, Les cinq Codes expliqués, Bruxelles, Libraire de jurisprudence<br />

de H. Tarlier, 1836, pp. 129 et 130.<br />

(4) G. Vigneron, « Copropriété », Jurisclasseur, Paris, éd. Techn., 1989, fasc.<br />

60, p. 2.<br />

(5) J. Chevalier, « Commentaires de la loi du 28 juin 1938 », D.P., 1934, p. 73;<br />

Cl. Renard et J. Hansenne, La propriété des choses et des droits réels principaux,<br />

P.U.L., vol. II, 1977, p. 438.<br />

(6) F. Laurent, Principes de droit civil, Bruxelles, Bruylant, 1878, p. 558,<br />

n o 487.<br />

(7) L. Chevalier, ibidem; G. Vigneron, ibidem; M. Planiol et G. Ripert, Traité<br />

pratique de droit civil français, Paris, L.G.D.J., t. III, p. 305.<br />

(8) Loi du 28 juin 1938 tendant à régler le statut de la copropriété des immeubles<br />

divisés par appartements, J.O., 30 juin 1938, D.P., 1939, 4, p. 73.<br />

(9) Loi n o 65-557 du 10 juillet 1965 modifiée par les lois n os 66-1006 du<br />

28 décembre 1996 (J.O.R.F., 29 déc. 1966); 79-2 du 2 janvier 1979 (J.O.R.F.,<br />

3 janv. 1979); 85-1470 du 31 décembre 1985 (J.O.R.F., 1 er janv. 1986); 94-624<br />

du 21 juillet 1994 (J.O.R.F., 24 juill. 1994), 96-987 du 14 novembre 1996<br />

(J.O.R.F., 15 nov. 1996); 96-1107 du 18 décembre 1996 (J.O.R.F., 19 déc.<br />

1996); 2000-916 du 19 septembre 2000 (J.O.R.F., 22 sept. 2000); 2000-1208<br />

du 13 décembre 2000 (J.O.R.F., 14 déc. 2000); 2003-590 du 2 juillet 2003<br />

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En Belgique, il fallut attendre la loi du 30 juin 1994 pour tenter de prévenir<br />

les litiges que suscitaient les conflits entre les copropriétaires concernant<br />

principalement :<br />

— la répartition des charges et leur paiement;<br />

— l’opposabilité du règlement de copropriété;<br />

— la mise en œuvre compliquée et onéreuse d’actions en justice par ou<br />

contre les copropriétaires;<br />

— et, enfin, les problèmes liés à la transmission du lot.<br />

Chargée de suivre l’évolution plus que de décrire le régime juridique actuel,<br />

je renvoie le lecteur à la doctrine relative à la loi du 30 juin 1994<br />

(10).<br />

Bornons-nous à relever la principale innovation, en Belgique, à savoir<br />

l’octroi de la personnalité juridique à l’association des copropriétaires<br />

qui devient ainsi une personne morale. Une personne morale d’un genre<br />

particulier néanmoins — essentiellement instrumentale — ne disposant<br />

pratiquement d’aucun patrimoine.<br />

II. — LA THÉORIE DES TROUBLES DE VOISINAGE<br />

C’est dans l’article 544 du Code civil qui définit le droit de propriété<br />

que la Cour de cassation dans deux arrêts portant la même date du<br />

6 avril 1960 précise le fondement de la théorie des troubles anormaux<br />

de voisinage.<br />

Jusque-là les inconvénients résultant du voisinage ne pouvaient être<br />

sanctionnés que sur pied des articles 1382 et 1383 à la condition bien<br />

entendu d’être fautifs.<br />

(J.O.R.F., 3 juill. 2003); 2003-699 du 30 juillet 2003 (J.O.R.F., 31 juill. 2003);<br />

2003-710 du 1 er août 2003 (J.O.R.F., 2 août 2003).<br />

(10) J. Hendrickx, « Huur en appartemenstsmedeëigendom », in X, Praktijkgids<br />

Huur, Malines, Kluwer, 2002; L. Marcelis, 160 questions et réponses sur<br />

la copropriété, Diegem, Kluwer, 1999; J. Simons, De nieuwe wet betreffende<br />

de medeëigendom : wet van 30 juni 1994 tot wijziging en aanvulling van de bepalingen<br />

van het Burgerlijke Wetboek betreffende de medeëigendom (B.S.,<br />

26 juli 1994) - Relevante uittreksels van de voorbereide werken, Diegem,<br />

Kluwer rechtswetenschappen België, 1995; J. Simons, La nouvelle loi sur la<br />

copropriété, Bruxelles, Kluwer , 1995; R. Timmermans, « De geschillenregeling<br />

in de appartemenstmedeëigendom », dossier « Onroerend goed in de<br />

praktijk », n r 7, Bruxelles, Kluwer, 1997; R. Timmermans, Aandelen in appartemenstseigendom,<br />

Malines, Kluwer, 2002; P. Van de Wiele et<br />

S. Winnykamien, Copropriété et syndic d’immeubles, Bruxelles, De Boeck<br />

Université, 1997; H. Vandenberghe, Zakenrecht. boek III : Medeëigendom, Anvers,<br />

Story-Scientia, 1997. Ouvrages collectifs : Nieuwe wetgeving, een eerste<br />

commentaar, Gent, Mys & Breesch, 1994; Copropriété - La loi du 30 juin 1994<br />

modifiant et complétant es dispositions du Code civil relatives à la copropriété,<br />

actes du colloque organisé le 7 octobre 1994 par le Centre de recherches juridiques,<br />

sous la direction de Nicole Verheyden-Jeanmart, Louvain-la-Neuve,<br />

U.C.L., Faculté de droit, C.R.J., 1994, 432 p.; De gedwongen medeëigendom<br />

van gebouwen of groepen van gebouwen, Gand, Mys & Breesch, 1995; De<br />

nieuwe wet op de appartementsmedeëigendom, referatenbundel, studienamiddag<br />

vrijdag 4 november 1994, K.U.Leuven, onder voorzitterschap van prof. dr.<br />

Hugo Vandenberghe, Leuven, Jura Falconis Libri, 1995; La copropriété forcée<br />

dans les immeubles ou groupes d’immeubles bâtis, acte du colloque organisé à<br />

la Faculté de droit de l’Université de Liège, le 22 septembre 1994, Bruxelles,<br />

La Charte, 1995; La pratique de la copropriété, Bruxelles, Bruylant - Paris,<br />

L.G.D.J., 1996; La pratique de la copropriété, sous la dir. de P. De Page,<br />

Bruxelles, Bruylant, 1996; Appartemenstsmedeëigendom, Kluwer rechtswetenschappen<br />

België, 1996; Het medeëigendomsrecht geactualiseerd, actes de la<br />

Conférence du Jeune barreau de Furnes, Bruges, Die Keure, 1996; Les copropriétés,<br />

vol. VIII, Bruxelles, Bruylant, 1999; La copropriété forcée des immeubles<br />

et groupes d’immeubles bâtis - Cinq ans d’application de la loi du 30 juin<br />

1994 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relative à la copropriété,<br />

actes du colloque organisé le 16 mars 2001 par le Centre de recherches<br />

juridiques, sous la direction de Nicole Verheyden-Jeanmart, Louvain-la-Neuve,<br />

U.C.L., Faculté de droit, C.R.J., 2001, 381 p.; L’immobilier en pratique 2003,<br />

Bruxelles, Kluwer, 2003; Guide de droit immobilier, Bruxelles, Bruylant, 2003.


Selon la Cour de cassation le propriétaire d’un bien qui, par un fait non<br />

fautif, rompt l’équilibre existant entre deux propriétés, en imposant à un<br />

propriétaire voisin un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires<br />

du voisinage, lui doit une juste et adéquate compensation rétablissant<br />

l’égalité rompue (11).<br />

Ainsi, les prérogatives du propriétaire sont sauvegardées.<br />

Toutefois, si l’exercice de ces prérogatives rompt l’équilibre entre les<br />

deux propriétés, il sera dû au voisin victime de cette rupture, une compensation.<br />

Une telle compensation peut être octroyée soit en nature, soit par équivalent.<br />

Toutefois, la juste et adéquate compensation rétablissant l’équilibre<br />

rompu ne peut consister en l’interdiction absolue de ce fait, même si,<br />

l’interdiction absolue est la seule manière de rétablir l’équilibre rompu<br />

(12). Les juridictions de fond ne respectent pas toujours cette réserve.<br />

III. — LA PROPRIÉTÉ DES VOLUMES<br />

C’est au doyen R. Savatier que revient le mérite d’avoir mis en lumière<br />

la notion de propriété immobilière d’un volume qui permet de dissocier<br />

et de juxtaposer la pleine propriété du tréfonds et la pleine propriété du<br />

sol et des volumes situés au-dessus de celui-ci (13).<br />

La notion technique et juridique du volume permet de rencontrer les<br />

réalités immobilières d’aujourd’hui où doivent être juxtaposées, superposées<br />

ou imbriquées des propriétés privées et des propriétés publiques,<br />

des espaces à usage professionnels et d’autres destinés au logement ou<br />

aux loisirs.<br />

Les investisseurs soucieux, à juste titre, d’acquérir un droit en pleine<br />

propriété sur les constructions à ériger, ne trouvent aucun secours dans<br />

les lois du 10 janvier 1824 qui ont réintroduit en droit belge le droit de<br />

superficie et d’emphytéose.<br />

En effet, le législateur a imposé une durée maximale de 50 ans pour le<br />

droit de superficie (art. 4) et de 99 ans pour le droit d’emphytéose<br />

(art. 2).<br />

La solution peut être trouvée dans les articles 552 et 553 du Code civil<br />

(14) qui établissent une présomption — iuris tantum selon une doctrine<br />

(11) R.C.J.B., 1960, p. 257, note Jean Dabin; R.G.A.R., 1960, 6557, note<br />

R.O. Dalcq.<br />

(12) Cass., 14 déc. 1995, J.L.M.B., 1996, p. 966, note P. Henry; Pas., 1996, I. ;<br />

Pour une bibliographie, voy. N. Verheyden-Jeanmart, Ph. Coppens et<br />

C. Mostin, « Examen de jurisprudence (1989 à 1998) - Les biens », Rev. crit.<br />

jur. b., 1 er trim. 2000, pp. 59 à 215 (1 re partie) - 2 e trim. 2000, pp. 291 à 480 (2 e<br />

partie), pp. 308 et 309, n o 105; C. Mostin, Les troubles de voisinage, Kluwer,<br />

1998. J. Kokelenberg, Th. Van Sinaye et H. Vuye, « Overzicht van rechtspraak<br />

- Zakenrecht (1994-2000) », T.P.R., 2001, pp. 837 à 1199.<br />

(13) R. Savatier, « La propriété de l’espace », D., 1965, chron. 213 et « La propriété<br />

des volumes dans l’espace et la technique juridique des grands ensembles<br />

immobiliers », D., 1976, chron., pp. 103 à 110.<br />

(14) L’article 552 dispose que : « La propriété du sol emporte la propriété du<br />

dessus et de dessous.<br />

» Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions<br />

qu’il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre “ Des servitudes et services<br />

fonciers ”.<br />

» Il peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu’il jugera à propos,<br />

et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir, sauf les<br />

modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines, et des lois et<br />

règlements de police ».<br />

L’article 553 dispose que : « Toutes constructions, plantations et ouvrages sur<br />

un terrain ou dans l’intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais<br />

et lui appartenir, si le contraire n’est pas prouvé; sans préjudice de la propriété<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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et une jurisprudence constantes — aux termes de laquelle la propriété<br />

du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.<br />

L’article 553 in fine vise, du reste, explicitement le renversement de la<br />

présomption, au cas où un tiers aurait acquis par prescription la propriété<br />

d’un souterrain sous le bâtiment d’autrui ou d’une autre partie du bâtiment.<br />

Il est, dès lors, possible de dissocier la pleine propriété du tréfonds et la<br />

pleine propriété du sol et des volumes qui le surplombent.<br />

Une telle dissociation trouve un appui tant en législation qu’en doctrine<br />

et en jurisprudence (15).<br />

En droit français également, le découpage de la propriété en divers volumes<br />

est admis depuis longtemps (16).<br />

Les principes contenus dans les articles 552 et 553 du Code civil ne<br />

constituent donc que le quod plerumque fit et doivent céder le pas devant<br />

la preuve contraire, peu importe la forme ou l’importance du bien<br />

dont les parties ont entendu dissocier la propriété de celle du sol (17).<br />

N. VERHEYDEN-JEANMART<br />

qu’un tiers pourrait avoir acquise ou pourrait acquérir par prescription, soit<br />

d’un souterrain sous le bâtiment d’autrui, soit de toute autre partie du<br />

bâtiment ».<br />

(15) Les lois du 21 avril 1810 et du 15 septembre 1919 sur les mines illustrent<br />

à suffisance pareille dissociation. Les arrêts du 4 février 1847 (Pas., 1847, I,<br />

467), du 26 juin 1890 (Pas., 1890, I, 233) et du 28 novembre 1969 (Cass., Pas.,<br />

1970, I, 294) en sont une application. F. Laurent, Principes du droit civil, t. VI,<br />

3 e éd., pp. 323-324, n os 246-247; H. De Page, Traité élémentaire de droit civil<br />

belge, t. V, 2 e éd., p. 846, n o 951.<br />

(16) R. Savatier, « La propriété des volumes dans l’espace et la technique juridique<br />

des grands ensembles immobiliers », D., 1976, chron., 103, n o 6; Enc.<br />

Dalloz, civ., 1987, « Accession », n o 18, n os 33 et s.; R. Savatier, « La propriété<br />

de l’espace », D., 1965, chron., 213.; Cass. civ., 1 er août 1866, D.P., 1866, I,<br />

406 : « le dessous peut être détaché du sol par fractions qui forment à leur tour,<br />

et par elles-mêmes, une chose essentiellement distincte et susceptible d’appropriation<br />

particulière ».; C.E., 15 avril 1857, S., 1858, II, 1434 : à propos de la<br />

construction d’un tunnel; J. Cumenge, « Urbanisation dans l’espace des propriétés<br />

privées et publiques », cité par P. de Besombes-Singla, « Droit de superficie<br />

et construction en volumes », in Pratique et évolution de la copropriété,<br />

73 e congrès des notaires de France, Strasbourg, 1976, p. 597.<br />

(17) R.P.D.B., « Propriété », n o 130. Pour de plus amples développements,<br />

voy. N. Verheyden-Jeanmart et C. Mostin, « Jouissance d’immeuble : bail et<br />

conventions voisines », in Aspects récents du droit des contrats, Bruxelles, éd.<br />

Jeune barreau, 2001, pp. 139 et s.<br />

2004<br />

281


2004<br />

282<br />

USUFRUIT - USAGE - HABITATION<br />

Livre II - Titre III<br />

1. — L’usufruit se définit comme « le droit réel qui consiste à user et<br />

jouir temporairement d’un bien mobilier ou immobilier appartenant à<br />

autrui, à charge d’en conserver la substance et d’en jouir en bon père de<br />

famille » (1).<br />

Les droits d’usage et d’habitation sont des diminutifs de l’usufruit (2).<br />

L’usage est un usufruit limité aux besoins de l’usager et de sa famille<br />

tandis que l’habitation est un droit d’usage portant sur un logement.<br />

Consacrés par le titre III du livre II, aux articles 578 à 636 du Code civil,<br />

les droits réels d’usufruit, d’usage et d’habitation ont été organisés<br />

de concert par le législateur de 1804, les droits et les obligations de<br />

l’usager (art. 625 à 631) et de l’habitant (art. 632 à 636) étant définis,<br />

de manière succincte, par référence à ceux de l’usufruit (3).<br />

2. — L’usufruit naît le plus souvent en vertu de la loi, lors de l’ouverture<br />

d’une succession. Depuis la loi du 14 mai 1981, le conjoint survivant recueille<br />

l’usufruit de toute la succession, ce qui contribue largement à<br />

son utilisation (4).<br />

A l’origine, il est conçu comme un palliatif à certaines lacunes du droit<br />

de la famille et permet d’offrir à la veuve certains moyens d’existence<br />

et notamment de se maintenir dans la maison familiale, sans priver les<br />

enfants de leur héritage. Ainsi, l’usufruit est le plus souvent concédé à<br />

titre gratuit, sa fonction essentielle étant alimentaire, et il est viager.<br />

Forts de cette conception, De Page et Dekkers relèvent que « l’usufruit<br />

est une matière qui soulève relativement peu de conflits, tout d’abord en<br />

raison de son caractère familial, ensuite en raison de la sûreté et de l’ancienneté<br />

des règles qui le gouvernent » (5).<br />

L’usufruit est essentiellement envisagé par le Code civil comme un droit<br />

immobilier. On le sait, celui-ci a privilégié la protection du patrimoine<br />

immobilier au détriment des valeurs mobilières. Même si l’article 581<br />

du Code civil prévoit expressément que l’usufruit peut être établi sur<br />

toutes espèces de biens meubles ou immeubles, de nombreuses dispositions<br />

régissent l’usufruit immobilier. Il en est ainsi des dispositions organisant<br />

la perception des fruits (art. 583 à 586), qu’ils soient naturels<br />

(le produit de la terre) ou civils (les loyers), l’usage du bien lorsqu’il<br />

s’agit de bois (art. 590 à 593), l’exercice des servitudes (art. 597), ou<br />

des dispositions définissant le régime des réparations (art. 605 à 607),<br />

ou de certaines obligations à l’entrée en jouissance (inventaire des immeubles<br />

[art. 600]) ou en cours d’usufruit (la conclusion d’un bail<br />

[art. 595]), l’usurpation du fonds par un tiers (art. 614), ...<br />

A l’heure actuelle, lorsqu’une succession est ouverte, elle comprend<br />

très souvent des valeurs mobilières sur lesquelles un droit d’usufruit est<br />

appelé à s’exercer, sans qu’il soit aisé de déterminer quels sont les droits<br />

et les obligations respectifs du nu-propriétaire et de l’usufruitier (6).<br />

3. — A l’égard des immeubles, des conflits surgissent lorsqu’il s’agit de<br />

les entretenir et d’entreprendre des travaux d’une certaine importance.<br />

Les articles 605 et 606 du Code civil qui définissent le régime des répa-<br />

(1) J. Hansenne, Précis, Les biens, t. II, Collection scientifique de la Faculté de<br />

droit de Liège, 1996, p. 1019, n o 997.<br />

(2) N. Verheyden-Jeanmart, Ph. Coppens, C. Mostin, « Examen de jurisprudence<br />

(1989 à 1990) - Les biens », R.C.J.B., 2000, p. 439, n o 192.<br />

(3) C’est la raison pour laquelle nous privilégions l’examen de l’usufruit.<br />

(4) I. De Poorter, « Geschillenregeling en vruchtgebruik », T.R.V., 2001,<br />

p. 373.<br />

(5) H. De Page et R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI,<br />

Bruxelles, Bruylant, 1942, p. 154, n o 188.<br />

(6) S. Nudelhoc et D. Karadsheh, « Réflexions sur une nouvelle définition de<br />

l’usufruit et ses rapports avec le droit des successions et des libéralités », Rev.<br />

dr. U.L.B., 2003, p. 398; D. De Marez, « Vruchtgebruik op aandelen : geen eenduiding<br />

begrip », Rev. Banque, 2000, p. 421.<br />

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rations, à première vue, de manière claire, ne permettent pas toujours de<br />

déterminer aisément qui doit supporter certains types de réparations.<br />

L’importance de la doctrine et de la jurisprudence sur cette question en<br />

atteste (7).<br />

S’il est certain que l’usufruitier assume les obligations d’entretien et les<br />

grosses réparations occasionnées par un défaut d’entretien qui lui serait<br />

imputable et que le nu-propriétaire supporte les grosses réparations,<br />

énumérées limitativement par le législateur, ces principes ne permettent<br />

pas de tracer la limite entre les réparations d’entretien et les grosses réparations<br />

ni de préciser quels sont les recours.<br />

4. — L’article 606 du Code civil énumère de manière limitative les<br />

grosses réparations que doit supporter le nu-propriétaire. En effet, toutes<br />

celles qui ne sont pas visées par la disposition sont des réparations<br />

d’entretien. La solution semble dès lors acquise. Pourtant, la doctrine et<br />

la jurisprudence ont étendu la notion de grosses réparations à des travaux<br />

qui n’étaient pas visés par cette disposition au motif que le texte<br />

vise uniquement des maisons d’habitation, d’une part, et qu’il est nécessaire<br />

de l’adapter aux évolutions de la technique et aux exigences de<br />

confort et d’efficacité de la vie moderne, d’autre part (8).<br />

Dans son arrêt du 22 janvier 1970 (9), la Cour de cassation confirme<br />

cette analyse dans les termes suivants :<br />

« Attendu que, par la disposition de l’article 606 qui limite les grosses<br />

réparations de l’immeuble d’habitation, à celles des gros murs et des<br />

voûtes, au rétablissement des poutres et des couvertures entières et qualifie<br />

toutes autres réparations comme état d’entretien, le Code civil n’a<br />

voulu laisser à la charge du propriétaire que les gros travaux de rétablissement<br />

et de reconstruction ayant pour objet la solidité générale et la<br />

conservation du bâtiment dans son ensemble, qui revêtent un caractère<br />

de réelle exception dans l’existence même de la propriété et dont les<br />

frais requièrent normalement un prélèvement sur le capital;<br />

» Attendu, certes, qu’en déterminant respectivement les grosses réparations,<br />

l’article 606, emprunté à la coutume de Paris, n’a envisagé que les<br />

bâtiments servant aux usages ordinaires de la vie d’alors; qu’ainsi le législateur<br />

n’a pu prévoir l’incorporation aux immeubles d’habitation<br />

d’agencements nouveaux qui répondent aux exigences de confort et<br />

d’efficacité de la vie moderne;<br />

» Attendu qu’il appartient dès lors au juge d’apprécier si la réfection ou<br />

le remplacement, dans ces immeubles, de semblables dispositifs ou de<br />

certains de leurs éléments peuvent être assimilés aux grosses réparations<br />

dont il est question aux articles 605 et 606, en faisant application de ces<br />

dispositions conformément à leur esprit, sans altérer l’institution de<br />

l’usufruit telle que l’a consacrée le Code civil; qu’il appartient au juge,<br />

en s’entourant, s’il y a lieu, de l’avis d’hommes de l’art, de mettre en<br />

lumière si les réparations revêtent, sinon la nature des travaux expressément<br />

visés à l’article 606, tout au moins le caractère comparable d’exception<br />

et d’importance, ou si, au contraire, ce caractère extraordinaire<br />

ne peut leur être reconnu, les travaux effectués apparaissant comme la<br />

contrepartie, normalement prévisible dans l’état de la technique, de la<br />

jouissance, de la rentabilité accrues conférées au bien par des dispositifs<br />

sujets à usure et à dégradation par le fait même de leur mise en œuvre ».<br />

(7) J. Hansenne, « La nature et le régime des grosses réparations en matière<br />

d’usufruit », note sous Cass., 22 janv. 1970, R.C.J.B., 1971, p. 470;<br />

J. Hansenne, Précis, Les biens, t. II, Collection scientifique de la Faculté de<br />

droit de Liège, 1996, p. 1054, n os 1041 et s. N. Verheyden-Jeanmart et<br />

O. Jauniaux, « L’exercice de l’usufruit du conjoint survivant », in Le statut patrimonial<br />

du conjoint survivant - Vingt ans après la loi du 14 mai 1981, 5 e journée<br />

d’études juridiques Jean Renauld, Louvain-la-Neuve, 2001, p. 8; voy. la jurisprudence<br />

citée par N. Verheyden-Jeanmart, Ph. Coppens, C. Mostin,<br />

« Examen de jurisprudence (1989 à 1990) - Les biens », R.C.J.B., 2000, p. 430,<br />

n os 185 et s.; J. Kokelenberg, Th. Van Sinay, H. Vuye, « Overzicht van rechtspraak<br />

- Zakenrecht (1994-2000), T.P.R., 2001, p. 1058, n o 122.<br />

(8) N Verheyden-Jeanmart et O. Jauniaux, op. cit., p. 10; J. Hansenne, Précis,<br />

Les biens, t. II, éd. Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège 1996,<br />

p. 1058, n o 1045.<br />

(9) Cass., 29 janv. 1970, R.C.J.B., 1971, p. 463.


Les juridictions de fond retiennent régulièrement le critère financier<br />

pour apprécier si les travaux envisagés peuvent être qualifiés de grosses<br />

réparations (10).<br />

5. — Quant au recours, il est unanimement admis que le nu-propriétaire<br />

dispose d’une action contre l’usufruitier pour le contraindre, en cours<br />

d’usufruit, à réaliser les réparations auxquelles il est tenu. En revanche,<br />

est généralement dénié à l’usufruitier tout droit d’action à l’égard du nupropriétaire<br />

pour l’obliger, en cours d’usufruit, à effectuer les grosses<br />

réparations. Cette solution est essentiellement motivée par le fait qu’en<br />

qualité de titulaire de droit réel, le nu-propriétaire ne peut être contraint<br />

à une prestation positive ni à réaliser des travaux qu’il n’est tenu d’effectuer<br />

à l’ouverture de l’usufruit (11).<br />

Peut-on voir dans deux décisions récentes prononcées, dans la même<br />

affaire, par le tribunal de première instance de Nivelles (12) et la cour<br />

d’appel de Bruxelles (13) une ébauche d’une évolution, voire même les<br />

prémisses d’un renversement de jurisprudence? Il est évidemment difficile<br />

de l’affirmer. Ces deux juridictions ont reconnu à l’usufruitier le<br />

droit d’agir contre le nu-propriétaire, en cours d’usufruit, pour le contraindre<br />

à lui rembourser le coût des grosses réparations qu’il avait été<br />

amené à supporter dans un immeuble à appartements soumis au régime<br />

de la copropriété. Le tribunal de première instance de Nivelles estime<br />

qu’il existe une corrélation et une symétrie entre les obligations respectives<br />

de l’usufruitier et du nu-propriétaire. Dès lors, pourquoi reconnaître<br />

au nu-propriétaire un droit d’action et le refuser à l’usufruitier? La<br />

cour d’appel, quant à elle, fonde sa décision d’une part, sur la fonction<br />

alimentaire de l’usufruit, qui ne peut dépendre du bon vouloir du nupropriétaire<br />

et, d’autre part, sur l’obligation imposée au nu-propriétaire<br />

par l’article 599 du Code civil, de ne pas nuire, par son fait ou de quelque<br />

manière que ce soit, aux droits de l’usufruitier. Ainsi, « le nu-propriétaire<br />

ne pourrait se cantonner dans l’inaction devant la détérioration<br />

du bien au détriment des droits de l’usufruitier ».<br />

6. — Le Code civil ne s’est guère préoccupé de l’usufruit portant sur des<br />

valeurs mobilières. S’il précise que l’usufruit peut avoir pour objet des<br />

meubles (art. 581) et notamment une rente viagère (art. 588), ou une<br />

créance, voire même des choses consomptibles (art. 587) — il s’agit<br />

alors d’un quasi-usufruit — (14), le Code civil ne définit pas les droits<br />

et les obligations du nu-propriétaire et de l’usufruitier.<br />

7. — Qui a le droit de prendre part aux assemblées générales? L’usufruitier<br />

ou le nu-propriétaire? Le Code civil n’a pas réglé cette question. Il<br />

est généralement admis que les statuts de la société dont les parts sont<br />

grevées d’un usufruit peuvent attribuer le droit de vote à l’usufruitier ou<br />

au nu-propriétaire, ou prévoir de modaliser l’exercice du droit de vote<br />

selon le type d’assemblée ou l’objet de la décision (15). Lorsque les statuts<br />

sont muets sur cette question, la question reste largement controversée,<br />

comme en témoignent les diverses positions doctrinales. Certains<br />

auteurs préconisent, raisonnant par analogie avec l’article 461 du Code<br />

des sociétés, que la société peut suspendre l’exercice des droits afférents<br />

(10) Liège, 7 mai 1990, R.G.E.N., 1992, p. 251, note; J.T., 1991, p. 342;<br />

J.L.M.B., 1990, p. 210; J.P. Saint-Nicolas, 28 févr. 1994, J.J.P., 1994, p. 365;<br />

R.W., 1994-1995, p. 994.<br />

(11) J. Hansenne, « La nature et le régime des grosses réparations en matière<br />

d’usufruit », note sous Cass., 22 janv. 1970, R.C.J.B., 1971, p. 485; H. De Page<br />

et R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, Bruxelles, Bruylant,<br />

1942, p. 281, n o 348; voy. la jurisprudence citée par A. Beerenboom,<br />

« Chronique de jurisprudence - Droits réels (1967-1972) », J.T., 1974, p. 293,<br />

n o 38; J. Hansenne, « Examen de jurisprudence (1976-1981) - Les biens »,<br />

R.C.J.B., 1984, p. 138, n o 75; J. Hansenne, « Examen de jurisprudence (1982-<br />

1988) - Les biens », R.C.J.B., 1990, pp. 494-501.<br />

(12) Civ. Bruxelles, 5 nov. 1990, J.L.M.B., 1993, p. 1435, note; Pas., 1990, III,<br />

p. 46, note.<br />

(13) Bruxelles, 5 nov. 1994, R.G.D.C., 1996, p. 450, note C. Vervliet.<br />

(14) L’usufruit qui porte sur des actions au porteur n’est pas considéré comme<br />

un quasi-usufruit : même s’il s’agit de choses de genre ou fongibles, elles ne<br />

sont pas consomptibles.<br />

(15) S. Nudelhoc et D. Karadshesh, op. cit., Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 398 et réf.<br />

cit.<br />

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aux parts, jusqu’à ce qu’une seule personne soit désignée comme étant,<br />

à son égard, propriétaire du titre (16). Cette solution est toutefois critiquée<br />

au motif que l’article 461 du Code des sociétés vise l’hypothèse<br />

d’une indivision, alors qu’il n’y a pas d’indivision entre l’usufruit et le<br />

nu-propriétaire (17). D’autres estiment que l’exercice du droit de vote<br />

relève des pouvoirs de l’usufruitier, en vertu de son droit de jouissance<br />

(18). D’autres encore sont d’avis que le droit de vote appartient au nupropriétaire,<br />

en sa qualité de porteur du titre (19), ou encore au motif<br />

que le droit de vote ne relève pas des actes d’administration (20). Enfin,<br />

certains auteurs attribuent le droit de vote à l’usufruitier ou au nu-propriétaire<br />

en fonction de la décision qui doit être prise (21).<br />

8. — Les articles 339 et 641 du Code des sociétés envisagent toutefois,<br />

de manière récente, l’existence d’un démembrement du droit de propriété.<br />

Ils prévoient en effet une procédure de transfert forcé du droit de<br />

vote pour justes motifs et permettent au tribunal d’ordonner que celui<br />

qui exerce le droit de vote à un autre titre que celui de propriétaire, et<br />

notamment l’usufruitier, transfère son droit de vote au titulaire ou aux<br />

autres titulaires de la part ou de l’action (22).<br />

9. — Lorsque l’usufruit a pour objet des parts sociales, l’usufruitier n’a<br />

droit qu’à la jouissance des sommes attribuées aux actions. Ainsi, il est<br />

admis que l’usufruitier a droit aux dividendes, considérés comme des<br />

fruits civils, et il peut les percevoir à proportion de la durée de son droit<br />

(23). En revanche, il n’a aucun droit sur la partie des bénéfices retenus<br />

par la société pour constituer la réserve, destinée à subsister dans la société<br />

(24).<br />

10. — L’évolution de la matière passe nécessairement par une clarification<br />

des droits et obligations de l’usufruitier et du nu-propriétaire. La<br />

doctrine et la jurisprudence y ont déjà contribué, depuis de nombreuses<br />

années, spécialement en matière immobilière. De manière plus récente,<br />

les auteurs s’interrogent sur les nombreuses difficultés que suscitent les<br />

usufruits portant sur des valeurs mobilières, qui se sont multipliés par la<br />

généralisation de l’usufruit du conjoint survivant. Cette réflexion s’accompagne<br />

d’un regard chez nos voisins français, dont les cours et tribunaux<br />

semblent davantage confrontés à ces questions (25). Pareille réflexion<br />

est de bon augure dans un contexte européen.<br />

Corinne MOSTIN<br />

Avocat au barreau de Bruxelles<br />

(16) R. Derine, F. Van Neste, H. Vandenberghe, Beginselen van Belgisch privaatrecht,<br />

II, A, n o 877; J. Van Ryn, Principes, t. I, n o 508.<br />

(17) I. De Poorter, « Geschillenregeling en vruchtgebruik », T.R.V., 2001, p. 376.<br />

(18) P. Baurain, « Modalités de l’usufruit successoral du conjoint sur les participations<br />

sociales », J.T., 1999, pp. 121-129; J. Du Mongh, « Vruchtgebruik op<br />

aandelen - Wie oefent de lidmaatschapsrechten uit? Herieuwdpleidooi door de<br />

vruchtgebruik », Not. Fisc. M., 1999, pp. 211 et s.<br />

(19) L. Weyts, « Vennootschap en erfrecht », Knelpunt van dertig jaar venootschapsrecht<br />

- Zoeken naar oplossingen voor de 21ste eeuw, reeks Rechtspersonen-<br />

en vennootschapsrecht, Kalmhout, Biblo, 1999, 44.<br />

(20) H. De Page et R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI,<br />

Bruxelles, Bruylant, 1942, p. 222.<br />

(21) G. Horsmans, « Les sociétés commerciales - Les différents types et leur<br />

réglementation », Précis de droit commercial, IV, Louvain-la-Neuve, Faculté<br />

de droit U.C.L., 1996, p. 217; Fr. t’Kint, « Les actions et le droit de vote »,<br />

R.P.S., 1989, pp. 249-250.<br />

(22) S. Nudelhoc et D. Karadsheh, op. cit., Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 407; I. De<br />

Poorter, « Geschillenregeling en vruchtgebruik », T.R.V., 2001, p. 373.<br />

(23) Cass., ch. réun., 16 janv. 1964, Pas., 1964, I, p. 520, confirmant Cass.,<br />

9 mars 1961, Pas., 1961, I, p. 745; R.C.J.B., 1961, p. 297, note J. Dabin, « Le<br />

mode d’acquisition par l’usufruitier des dividendes des actions de sociétés »;<br />

M. Hanotiau, « Des droits de l’usufruitier sur les dividendes d’actions de<br />

sociétés », Rev. not. b., 1961, p. 265; J. Hansenne, Précis, Les biens, t. II, Collection<br />

scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1996, p. 1048, n o 1037.<br />

(24) J. Hansenne, Précis, Les biens, t. II, Collection scientifique de la Faculté<br />

de droit de Liège, 1996, p. 1048, n o 1037.<br />

(25) S. Nudelhoc et D. Karadsheh, op. cit., Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 398 et les<br />

références en doctrine et en jurisprudence françaises.<br />

2004<br />

283


2004<br />

284<br />

LES SERVITUDES :<br />

ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ<br />

Livre II - Titre IV<br />

1. — « La servitude, ça n’existe pas! », chanta un jour le professeur Jacques<br />

Hansenne qui, on le sait, déclina le droit des biens sur tous les modes,<br />

de l’analyse doctrinale savante à la parodie musicale. Déjà d’ailleurs, introduisait-il<br />

sa thèse de doctorat en soulignant que, dans l’esprit de certains<br />

juristes, « (...) la servitude serait une institution teinte d’archaïsme,<br />

d’un intérêt contestable et d’une utilité très limitée. (...) » (1); elle est et<br />

reste pourtant, concluait-il, une pièce maîtresse de l’organisation des relations<br />

civiles, fût-ce au prix, parfois, s’agissant notamment d’édifier le régime<br />

de la servitude collective, d’une adaptation du Code civil (2).<br />

Il est vrai, l’on ne parle guère de servitude européenne ou internationale ou<br />

encore de « cyberservitude ». Il est vrai aussi que l’on pourrait presque<br />

compter sur les doigts de la main les modifications législatives en la matière<br />

(3), si du moins l’on nous permet de dédaigner ici — bicentenaire du Code<br />

civil oblige — tout le pan de la servitude d’utilité publique à l’odeur alléchante<br />

pour le pouvoir public rompu à la subtile distinction entre privation<br />

de propriété et simple limitation de celle-ci (4). Même la jurisprudence, de<br />

tous bords, serait moins abondante, toutes proportions gardées.<br />

Seraient-ce donc là les signes indiscutables de la disparition des servitudes<br />

ou de l’inutilité du service foncier? L’inflation législative seraitelle<br />

le gage de l’amélioration du droit? Par ailleurs, outre que jurisprudence<br />

publiée n’est point jurisprudence rendue, ne devrait-on point<br />

s’enorgueillir que, sauf arrêt de principe nécessaire, les plaideurs aient<br />

su raison garder et éviter les recours inutiles, disproportionnés au regard<br />

de l’enjeu du litige et qui, le plus souvent, n’auraient fait qu’exacerber<br />

des relations de voisinage déjà difficiles?<br />

2. — Rappelons-le d’emblée : l’accueil réservé à la servitude balance<br />

continuellement entre crainte d’un retour au servage et mépris scientifique<br />

d’une institution trop ancienne d’une part, attrait des apanages du<br />

droit réel et nécessité toute prosaïque (5), d’autre part. N’en prenons<br />

pour preuve que toute l’ambiguïté d’un texte, l’article 637 (6) — conforté,<br />

si besoin en était encore, par l’article 686 du Code (7) — qui dé-<br />

(1) Voy. J. Hansenne, La servitude collective - Modalité du service foncier individuel<br />

ou concept original?, préface de A. Weill, Collection scientifique de la Faculté<br />

de droit de l’Université de Liège, Faculté de droit, Liège, Martinus Nijhoff,<br />

La Haye, 1969, p. 13. Voy. aussi, parmi tant d’autres, F. Terre et Ph. Simler, Droit<br />

civil - Les biens, Précis Dalloz, Paris, 6 e éd., 2002, n o 866 : « Les servitudes constituent<br />

un maillon indispensable de l’organisation juridique de la propriété foncière,<br />

qu’il s’agisse de la propriété rurale ou de la propriété bâtie ».<br />

(2) Voy. J. Hansenne, op. cit., p. 522.<br />

(3) On notera à cet égard, et de façon générale, la permanence, du moins apparente,<br />

du Code civil en tant qu’instrument législatif, comme si « (...) le législateur belge<br />

sembl(ait) avoir eu scrupule à (en) bouleverser l’ordonnancement originel »,<br />

F. Rigaux, « L’évolution du Code civil depuis 1804 », Anniversaire - Les 25 ans du<br />

recyclage en droit, 1979 - 2003, Centre des facultés universitaires catholiques pour<br />

le recyclage en droit, 9 décembre 2003, Louvain-la-Neuve, pp. 13 et s., spéc. p. 15.<br />

(4) Voy., sur cette problématique, M. Pâques, « Propriété et zonage écologique,<br />

compensation et indemnisation », in Le zonage écologique, sous la direction du<br />

C.E.D.R.E., pp. 239 et s., Bruxelles, Bruylant, 2002.<br />

(5) Voy. notam., pour une analyse des droits réels, de leur structure et de leurs<br />

attributs, J. Hansenne, La servitude collective - Modalité du service foncier individuel<br />

ou concept original?, op. cit., spéc. les « Prolégomènes »; F. Van Neste,<br />

Beginselen van Belgisch privaatrecht - Zakenrecht, Boek I, Goederen - Bezit<br />

en Eigendom, Bruxelles, Story-Scientia, 1990, n os 23 à 34; J. Hansenne, Précis<br />

- Les biens, Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1996, t. I,<br />

n os 20 à 30; voy. aussi, sous l’angle de l’analyse économique du droit,<br />

B. Bouckaert, « Een moderne zingeving voor juridische brocante - De tragedy<br />

of the anti-commons en de erfdienstbaarheden », in Liber amicorum<br />

Y. Merchiers, Brugge, Die Keure, 2001, pp. 949 et s., spéc. n o 15.<br />

(6) Article 637, C. civ. : « Une servitude est une charge imposée sur un héritage<br />

pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ».<br />

(7) Article 686, C. civ. : « Il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés,<br />

ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble,<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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finit un droit, et une obligation, dans le chef de fonds (8). On saluera dès<br />

lors la détermination avec laquelle la jurisprudence, et spécialement celle<br />

de notre Cour de cassation, entend donner un sens à cette disposition<br />

aux allures absconses : selon une formule aujourd’hui traditionnelle (9),<br />

les termes des articles 637 et 686, alinéa 1 er , du Code civil ne peuvent<br />

être pris dans leur sens littéral et le service foncier profite toujours à des<br />

personnes; il y a servitude dès que le service est en rapport direct et immédiat<br />

avec l’usage et l’exploitation d’un fonds, n’eût-il d’autre effet<br />

que d’accroître la commodité de cet usage et de cette exploitation (10).<br />

Du côté passif, cette fois, c’est, derechef, tout l’art du funambule qui<br />

s’est révélé dans l’opération de qualification de telle ou telle clause en<br />

obligation réelle accessoire, seul palliatif à l’interdiction de la prestation<br />

positive.<br />

3. — Illustrons ce mouvement de balancier en épinglant les développements<br />

jurisprudentiels en matière de titre récognitif de la servitude,<br />

d’une part, et de protection possessoire des servitudes de passage,<br />

d’autre part.<br />

En vertu des articles 690 et 691 du Code combinés, seul vaut, comme<br />

mode d’établissement, à l’égard des servitudes discontinues ou non apparentes,<br />

le titre dans le sens de negotium, à l’exclusion partant de la<br />

prescription acquisitive et de la destination du père de famille (11);<br />

l’article 695 admet toutefois que le titre constitutif de la servitude soit<br />

remplacé par un titre récognitif, émané du propriétaire du fonds servant.<br />

Or, notre Cour de cassation a décidé que devait être assimilé au titre récognitif<br />

de la servitude, l’aveu émanant de ce propriétaire pour autant<br />

qu’il implique la volonté de reconnaître l’existence de la servitude (12).<br />

La difficulté surgit en réalité lorsque l’on s’interroge sur le type d’aveu<br />

qui pourrait ainsi être admis pour faire preuve d’une servitude discontinue.<br />

Au regard d’abord des règles de la preuve, l’aveu judiciaire ou<br />

extrajudiciaire écrit doivent sans doute être reçus (13), mais il n’en va<br />

pas forcément de même de l’aveu extrajudiciaire oral ou verbal, voire<br />

tacite. L’article 1355 du Code civil interdit, en effet, l’allégation d’un<br />

aveu extrajudiciaire purement verbal toutes les fois qu’il s’agit d’une<br />

demande dont la preuve testimoniale ne serait point admissible. On<br />

ajoutera toutefois qu’en cas d’aveu extrajudiciaire tacite résultant du<br />

comportement ou encore de l’attitude du propriétaire du fonds servant,<br />

il pourrait s’agir d’un aveu en action, forme particulière d’aveu tacite,<br />

impliquant l’exécution spontanée par le débiteur de la convention ou de<br />

l’obligation, lequel ne tomberait point, selon certains, sous le coup de<br />

l’article 1355 du Code civil et pourrait, en conséquence, être prouvé par<br />

toutes voies de droit (14). Au regard du régime des servitudes ensuite,<br />

c’est le système que l’on ruinerait ainsi et le propriétaire qui, n’ignorant<br />

pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne,<br />

ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et<br />

pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public ».<br />

(8) Voy., pour une explication économique de ces deux dispositions, présentées<br />

comme des remèdes aux tragedies of the private en « the anti-commons »,<br />

B. Bouckaert, « Een moderne zingeving voor juridische brocante - De tragedy<br />

of the anti-commons en de erfdienstbaarheden », op. cit., spéc. n o 18.<br />

(9) Voy., pour un des premiers arrêts belges en la matière, Cass., 16 mai 1952,<br />

Pas., 1953, I, 597; R.T.D.C., 1953, Chronique de droit belge, p. 199, par<br />

C. Renard et P. Graulich.<br />

(10) Voy., récem., Cass., 28 janv. 2000, Rev. not., 2000, p. 226, note de J. Sace;<br />

J.L.M.B., 2000, p. 891; J.T., 2000, p. 464; R.W., 2000-2001, p. 309; Bull., 2000,<br />

p. 239; voy. encore récem., quant à cette notion légale de servitude, Cass.,<br />

21 sept. 2001, Larcier Cass., 2001, p. 297; J.L.M.B., 2002, p. 1045; Res jur.<br />

imm., 2001, p. 150.<br />

(11) Excepté l’hypothèse tout à fait spécifique de l’article 694 C. civ.<br />

(12) Voy. notam., Cass., 1 er mars 1990, Bull., 1990, p. 761; R.W., 1989-1990,<br />

p. 1463; J.T., 1991, p. 145; voy. aussi, Cass., 28 janv. 1999, Larcier Cass.,<br />

1999, p. 47; Bull., 1999, p. 107; J.L.M.B., 2000, p. 885, note de J. Hansenne,<br />

« Titre récognitif et aveu extrajudiciaire » et les nombreuses références citées<br />

par l’auteur; voy. encore, commentant ces deux décisions, J. Kokelenberg,<br />

Th. Van Synay et H. Vuye, « Overzicht van rechtspraak - Zakenrecht (1994-<br />

2000) », T.P.R., 2001, n o 144.<br />

(13) Voy. notam., Cass., 16 janv. 1976, Pas., I, 554.<br />

(14) Voy., entre autres, D. Mougenot, Répertoire notarial, « Droit des obligations<br />

- La preuve », tiré à part, Larcier, Bruxelles, 2002, n os 271 et 286.


pas, contre toute attente, les articles 690 et 691 du Code civil, laisserait<br />

passer son voisin, par souci de bon voisinage et fort de l’impossibilité<br />

dans laquelle serait ce dernier de prescrire la servitude, sera bien mal<br />

pris lorsqu’on lui opposera l’aveu extrajudiciaire tacite résultant de son<br />

comportement passif (15).<br />

Qu’à cela ne tienne! Ce que la loi risquerait de perdre d’un côté, elle le<br />

(re)gagnerait de l’autre : la Cour de cassation n’a-t-elle pas finalement<br />

décidé (16) que puisque la protection possessoire est réservée aux immeubles<br />

et droits immobiliers susceptibles d’être acquis par prescription<br />

(art. 1370, 1o , C. jud.) et que l’article 684 exclut toute prescription<br />

en matière de servitude légale pour cause d’enclave, doit être déclarée<br />

irrecevable l’action possessoire en réintégrande relative à une servitude<br />

légale de passage (17). La Cour s’écarte ainsi résolument de la position<br />

séculaire de son homologue française qui admit très tôt l’action possessoire<br />

relative à une servitude discontinue ou non apparente, et donc non<br />

susceptible de prescription acquisitive, lorsque la servitude est fondée<br />

sur un titre, légal ou conventionnel (18). Et l’on pourrait supposer, ne<br />

nous en déplaise, que notre Cour de cassation fera preuve de la même<br />

sévérité quant à la protection possessoire, non plus d’une servitude légale<br />

d’enclave, mais d’une servitude de passage du fait de l’homme, fûtelle<br />

fondée sur une convention. Ainsi, donc, au rebours de la question<br />

de la preuve des servitudes, c’est une application stricte, cette fois, des<br />

dispositions légales invoquées, soit les articles 1370 du Code judiciaire<br />

et 690 et 691 du Code civil combinés, que l’on défend.<br />

4. — Le domaine de l’extinction des servitudes du fait de l’homme<br />

n’échappe pas davantage au ballet des tentations contraires.<br />

Les premières versions de ce qui allait devenir le, concis, article 710bis du<br />

Code civil laissaient une large place à l’équité du juge, allant de la suppression<br />

totale à la suppression partielle de la servitude, moyennant, le cas<br />

échéant, paiement d’une indemnité. C’est qu’il seyait de conférer aux servitudes,<br />

nécessaires au progrès économique, un caractère évolutif et de<br />

permettre de se débarrasser ainsi de servitudes « (...) complètement surannées,<br />

(...) empêch(a)nt même des travaux de construction rationnels »<br />

(19). Pourtant, dès l’abord opposa-t-on à la Chambre des représentants<br />

qu’« (...) il ne faut pas énerver la sécurité juridique habituelle des droits<br />

réels par un texte à portée trop large » (20) et c’est, finalement, un texte<br />

requérant la perte de toute utilité pour que le juge prononce l’extinction<br />

judiciaire d’une servitude du fait de l’homme qui fut adopté. Mieux encore,<br />

après un court temps de réflexion, la jurisprudence, dont on avait prédit<br />

l’efflorescence (21), entendit prôner de l’article une interprétation très<br />

stricte, soutenue en cela d’ailleurs par la doctrine majoritaire (22). La ser-<br />

(15) Voy., pour une application d’aveu extrajudiciaire, résultant de faits d’exécution,<br />

Cass., 17 janv. 1969, Pas., 1969, I, 452; obs. crit. R.C.J.B., 1971, n o 41,<br />

p. 166; voy. aussi, Cass., 28 janv. 1999, précité.<br />

(16) Voy., sur cette controverse, not. H. Vuye, « Een knoop doorgehakt : geen<br />

bezitsbescherming voor de noodweg - Het arrest van het Hof van Cassatie van<br />

23 februari 1995 », Rec. Cass., 1995, p. 209.<br />

(17) Voy., Cass., 23 févr. 1995, Pas., 1995, I, 203; R.W., 1995-1996, p. 237;<br />

Rec. Cass., 1995, p. 209, note de H. Vuye; voy. aussi, Cass., 1 re ch., 22 mars<br />

2002, J.T., 2002, p. 476; Rev. not., 2002, p. 364, note de J. S.; J.L.M.B., 2003,<br />

p. 11; R.W., 2002, p. 219.<br />

(18) A partir, il est vrai à l’heure actuelle, de textes différents des textes belges;<br />

voy. notam., aux deux extrêmes, Cass. fr., 24 juin 1828, Dalloz, Jurisprudence<br />

générale du Royaume, t. III, v o « Action possessoire », Paris, 1846, n o 744;<br />

Cass. fr., 13 mai 1998, J.C.P., 1999, p. 523, note de H. Perinet-Marquet; Cass.<br />

fr., 10 avril 2002, D.S., 2002, p. 2506, note de N. Reboul-Maupin.<br />

(19) Voy. la proposition de loi insérant un article 710bis dans le Code civil, développements,<br />

Doc. parl., Sén., sess. ord. 1977-1978, n o 314-1; proposition de<br />

loi insérant un article 710bis dans le Code civil, rapport fait au nom de la commission<br />

de la justice par M. Cooreman, Doc. parl., Sén., sess. ord. 1979-1980,<br />

n o 118-2; voy., pour une analyse détaillée de la genèse de l’article 710bis<br />

C. civ., M.-F. Hubert, « A propos de l’article 710bis nouveau du Code civil - La<br />

servitude inutile », J.T., 1983, p. 657.<br />

(20) Projet de loi insérant un article 710bis dans le Code civil, amendement<br />

présenté par M. Van Cauwenberghe et justification, Doc. parl., Ch. repr., sess.<br />

ord. 1979-1980, n o 464-2.<br />

(21) Voy. M.-F. Hubert, op. cit., spécialement n o 15.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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vitude sera maintenue si elle conserve une utilité, si minime fût-elle,<br />

même d’agrément, future ou potentielle (23). Et notre Cour d’approuver<br />

le jugement qui décide que la servitude se justifie par le seul agrément du<br />

fonds dominant sans tenir compte d’un élément d’ordre économique pourvu<br />

que cet agrément soit objectif en ce sens qu’il puisse profiter à tout propriétaire<br />

du fonds dominant par le seul fait de l’exercice du droit de propriété;<br />

la servitude conserve dès lors son utilité lorsqu’elle continue à accroître<br />

la commodité de l’usage ou de l’exploitation du fonds dominant et<br />

à lui conférer ainsi une plus-value (24).<br />

Toujours à propos des modes d’extinction, évoquons encore la fameuse<br />

controverse relative à la charge de la preuve de la prescription extinctive<br />

de la servitude du fait de l’homme par non-usage trentenaire. Si le droit de<br />

propriété ne s’éteint pas par non-usage, il n’en va pas de même des droits<br />

réels démembrés et le législateur a prévu, dans des textes ambigus il est<br />

vrai, que la servitude peut s’éteindre par non-usage trentenaire (art. 703,<br />

704 et 706, C. civ.), le point de départ du délai de prescription variant<br />

d’ailleurs selon qu’il s’agit de servitudes discontinues ou continues<br />

(art. 707, C. civ.). Ceci dit, quant à la question de la charge de la preuve<br />

de ce non-usage, c’est encore la « valse hésitation » entre les partisans de<br />

l’application de la règle selon laquelle, en matière de servitude comme en<br />

toutes matières, il appartient au fonds servant qui invoque l’extinction<br />

d’un droit de le prouver et les tenants du principe de la liberté des fonds<br />

contraignant donc le fonds dominant à prouver que non seulement la servitude<br />

a existé mais qu’il l’a conservée. L’on ne s’étonnera dès lors pas<br />

que, distinguant une fois de plus les servitudes discontinues des servitudes<br />

continues, la Cour de cassation ait finalement décidé que la preuve du<br />

non-usage de la servitude pendant trente ans incombe au propriétaire du<br />

fonds servant s’il s’agit d’une servitude continue, tandis qu’il appartient<br />

au propriétaire du fonds dominant d’établir qu’il a fait usage, il y a moins<br />

de trente ans, d’une servitude discontinue (25). Deux nuances cependant.<br />

Premièrement, la Cour de cassation a énoncé un tempérament à la règle<br />

ci-dessus évoquée en cas d’extinction non totale mais partielle : il incomberait<br />

exceptionnellement au fonds servant d’une servitude conventionnelle<br />

de passage (donc discontinue) d’apporter la preuve du non-usage<br />

partiel (26). Deuxièmement, notre Cour a récemment décidé que le fonds<br />

dominant ayant, en application des principes, apporté la preuve de faits<br />

d’usage d’une servitude conventionnelle de passage depuis moins de trente<br />

ans, il appartient au fonds servant qui oppose que le droit de passage<br />

était déjà éteint par la prescription extinctive de trente ans préalablement<br />

au plus vieux fait prouvé d’interruption au cours des trente ans précédant<br />

l’introduction de la procédure, de prouver ce non-usage trentenaire (27).<br />

On l’aura deviné, l’affaire mériterait certainement de plus longs développements<br />

que ne le permet la présente contribution, notamment sur le prétendu<br />

caractère absolu et automatique de l’extinction des servitudes par<br />

non-usage, confronté au principe selon lequel on peut renoncer à une prescription<br />

acquise, le tout en se rappelant que le titre récognitif d’une servi-<br />

(22) Voy., outre M.-F. Hubert précitée, not. H. Vuye « De nutteloos geworden<br />

privaatrechtelijke erfdienstbaarheid : recente tendensen in België, Frankrijk en<br />

Nederland », R.G.D.C., 1991, p. 323. Voy., pour le constat de la même tendance<br />

stricte en jurisprudence, N. Verheyden-Jeanmart, Ph. Coppens et C. Mostin,<br />

« Examen de jurisprudence (1989-1998) - Les biens », R.C.J.B., 2000, pp. 59 et<br />

s. et pp. 291 et s., spéc. n o 201; J. Kokelenberg, Th. Van Sinay et H. Vuye<br />

« Overzicht van rechtspraak - Zakenrecht, 1994-2000 », T.P.R., 2001, n o 156;<br />

voy. aussi, pour une analyse économique de l’article 710bis C, civ.,<br />

B. Bouckaert, « Een moderne zingeving voor juridische brocante - De tragedy of<br />

the anti-commons en de erfdienstbaarheden », op. cit., n os 16 et s.<br />

(23) Voy., parmi tant d’autres, J.P., Wervik, 30 juin 1998, J.J.P., 1999, p. 251;<br />

Civ. Gand, 5 nov. 1999, A.J.T., 2000-2001, p. 452.<br />

(24) Cass., 1 re ch., 28 janv. 2000, Rev. not., 2000, p. 226, note de J. Sace, « Le<br />

caractère du rapport de servitude »; J.L.M.B., 2000, p. 891; J.T., 2000, p. 464;<br />

R.W., 2000-2001, p. 309; Bull. Cass., 2000, p. 239.<br />

(25) Voy. notam., Cass., 18 nov. 1983, Pas., 1984, I, 305; Arr. Cass., 1983-<br />

1984, p. 325; R.W., 1983-1984, col. 1980.<br />

(26) Voy., pour un commentaire critique de cet arrêt, J. Hansenne, Précis - Les<br />

biens, Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1996, t. II,<br />

n o 1138; N. Verheyden-Jeanmart, Ph. Coppens et C. Mostin, op. cit., n o 202.<br />

(27) Voy., Cass., 30 mai 2003 (C.00.0347.N/1), inédit à ce jour; comp. J.P.<br />

Wervik, 30 juin 1998, J.J.P., 1999, p. 251.<br />

2004<br />

285


2004<br />

286<br />

tude (nouvelle) pourrait résulter du comportement passif du propriétaire<br />

du fonds servant ...<br />

5. — Il ne faudrait pas croire que seules les servitudes du fait de l’homme<br />

aient occupé législateur, auteurs et magistrats; sans examiner même<br />

le vaste pan de la mitoyenneté, dont la qualification au regard du concept<br />

de servitude fait problème, la modification du régime de l’enclave<br />

en 1983 le démontre sans doute. N’a-t-on d’ailleurs pas vu un parlementaire<br />

brandir ladite adaptation légale pour « montrer à suffisance qu’il a<br />

parfois été nécessaire de modifier ce chapitre du Code civil » (28). Il<br />

s’agissait, faut-il le souligner, de la consécration par le législateur de solutions<br />

qu’avaient forgées pas à pas jurisprudence et doctrine et qui<br />

n’ont dès lors guère dérouté le juriste.<br />

Le droit des biens est un vieux droit, mais non un droit vieilli (29) : il<br />

évolue sans cesse et s’adapte en conséquence. Ainsi, toujours à propos<br />

de l’enclave, la jurisprudence poursuit son œuvre et, au départ des mots<br />

« un passage sur le fonds de ses voisins » de l’article 682 du Code civil,<br />

a admis la pose de canalisations souterraines, à titre principal, indépendamment<br />

de tout passage pour cause d’enclave en surface (30). Ainsi<br />

encore, à propos de la servitude légale d’écoulement des eaux naturelles,<br />

la cour d’appel de Liège a-t-elle décidé — récemment encore même<br />

si l’hypothèse n’est pas nouvelle — que devaient être assimilés à<br />

l’écoulement des eaux naturelles non seulement l’écoulement de matériaux<br />

divers charriés par les eaux (sable, limon, gravier,...) (31), mais<br />

aussi l’éboulement de rochers (32). Et que dire de l’œuvre monumentale<br />

entamée il y a plus d’un siècle déjà autour et alentour de la prescription<br />

acquisitive d’une servitude de jour ou de vue du fait de l’homme?<br />

6. — Est-il besoin, pour toutes ces questions et tant d’autres, d’une consécration<br />

législative ou ne faut-il point, au contraire, se méfier de toute<br />

intervention aux effets secondaires imprévus? Doit-on, par exemple, véritablement<br />

regretter que les propositions d’abrogation des articles 35,<br />

alinéa 1 er , et 36 du Code rural — anciennement inscrits aux articles 671<br />

et 672 du Code civil — instituant les distances à respecter pour les plantations<br />

à faire près du fonds voisin soient, jusqu’ici, restées lettres mortes<br />

(33)? Certes, la distance de deux mètres pour les arbres de haute tige<br />

et de 50 centimètres pour ceux de basse tige — à défaut d’usages constants<br />

et reconnus fixant d’autres distances — peut paraître en certains<br />

cas inopportune, aussi bien dans un sens que dans l’autre d’ailleurs.<br />

Mais l’on sait aussi que dans les cas les plus criants d’injustice, la théorie<br />

de l’abus de droit pourra être opposée à celui qui demanderait l’arrachage<br />

d’un arbre planté en deçà de la distance légale et celle des troubles<br />

de voisinage permettra au contraire de faire élaguer un arbre trop<br />

gênant, fût-il planté à bonne distance. Convient-il, pour la cause, de supprimer<br />

tout critère de référence, tout point de repère en la matière et de<br />

livrer aux affres de l’indécision tout propriétaire désirant planter?<br />

Il y aurait tant de choses à dire, mais il nous faut conclure. La servitude<br />

c’est ... « Je t’aime ... moi non plus », une hésitation perpétuelle d’une surprenante<br />

richesse. Mais ne dit-on pas que c’est dans la nuance que l’on obtient<br />

les plus beaux accords, dans les demi-tons les plus belles harmonies?<br />

Pascale LECOCQ<br />

Chargée de cours à la Faculté de droit de l’Université de Liège<br />

(28) Voy. le projet de loi insérant un article 710bis dans le Code civil, rapport<br />

fait au nom de la Commission de la justice par M. Dejardin, Doc. parl., Ch.<br />

repr., sess. ord. 1980-1981, n o 464-3, p. 2.<br />

(29) Voy., Ch. Atias, Droit civil - Les biens, Litec, Paris, 5 e éd., 2000, n o 8.<br />

(30) Voy., Cass., 1 er mars 1996, Pas., 1996, I, 226; R.C.J.B., 1997, p. 476, note<br />

P. Lecocq.<br />

(31) Voy., dans l’hypothèse d’un terril, Civ. Liège, 17 sept. 2002, inédit à l’heure<br />

où nous écrivons ces lignes.<br />

(32) Voy., Liège, 23 juin 2003 (2001/RG/1034), pareillement inédit à notre<br />

connaissance.<br />

(33) Voy. la proposition de loi abrogeant les articles 35, alinéa 1 er , et 36 du<br />

Code rural, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, n o 1066-1; proposition<br />

de loi abrogeant les articles 35, alinéa 1 er , et 36 du Code rural, Doc. parl., Sén.,<br />

sess. ord. 1996-1997, n o 737-1.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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LE DROIT SUCCESSORAL CIVIL<br />

DE 1804 À 2004<br />

Livre III - Titre I<br />

Situé au carrefour du droit du patrimoine et de celui de la famille, le<br />

droit successoral civil d’aujourd’hui est forcément la résultante des<br />

changements considérables qu’ont connus ces matières depuis 200 ans.<br />

1. — 1804. La famille, d’abord. Elle est composée alors des personnes<br />

qu’un lien de sang rattache à un ancêtre commun, lien qui a été créé grâce<br />

au mariage de leurs auteurs.<br />

Paradoxe cependant : le conjoint ne fait pas partie de la famille, malgré<br />

le rôle décisif qu’il joue dans sa constitution. C’est le premier des alliés,<br />

mais un allié seulement.<br />

Il n’a, dès lors, aucun droit successoral, si ce n’est lorsque le défunt ne<br />

laisse aucun parent légitime, auquel cas il recueille tout le patrimoine<br />

héréditaire.<br />

Evidemment, à une époque où le régime de communauté est le plus usité,<br />

le conjoint survivant n’est pas laissé sans rien : il recueille la moitié<br />

du patrimoine commun, voire davantage s’il bénéficie de gains de survie,<br />

lesquels, sauf dans le cas des secondes noces, ne sont pas considérés<br />

comme des donations et échappent ainsi à l’action en réduction éventuelle<br />

des réservataires.<br />

Encore, pour prendre l’exacte mesure de ce droit, convient-il de se souvenir<br />

que la communauté de l’époque n’est composée que de meubles<br />

et d’acquêts — outre éventuellement des apports — ce qui en exclut<br />

l’essentiel du patrimoine familial composé des propres du défunt.<br />

Ce patrimoine est attribué aux seuls parents légitimes de celui-ci et ce,<br />

jusqu’au douzième degré en ligne collatérale.<br />

Si les enfants naturels sont également successeurs — qualifiés cependant<br />

d’« irréguliers » — c’est à condition qu’ils soient issus de personnes<br />

non mariées qui auraient pu se marier entre elles. Mais même alors,<br />

ils ne recueillent qu’une fraction de ce qu’ils auraient eu s’ils avaient été<br />

légitimes.<br />

Les enfants adultérins n’ont droit qu’à une créance; c’est, en outre, à des<br />

conditions qui la rendent totalement illusoire. Quant aux enfants incestueux,<br />

on veut ignorer leur existence.<br />

De quoi est alors fait le patrimoine familial ainsi dévolu? Essentiellement<br />

d’immeubles et plus spécialement de terres. C’est que l’économie<br />

en est encore à son stade primaire dans tous les sens du terme : celui de<br />

l’agriculture, une agriculture de subsistance qui a besoin de beaucoup<br />

de terres pour produire (à peine) ce qui est nécessaire à la vie des hommes<br />

et des animaux.<br />

La fortune — immobilière donc — susceptible de se transmettre par la<br />

voie successorale est concentrée dans les mains de quelques familles.<br />

Acquis par les ancêtres, transmis de génération en génération au sein de<br />

leur descendance, accru par suite de mariages, ce patrimoine doit être<br />

conservé au sein de la famille dont il constitue l’assise du pouvoir économique<br />

et politique.<br />

Aussi bien, même s’il s’est approprié la machine à broyer la propriété<br />

— l’égalité dans les partages — que la Révolution avait mise en marche<br />

dans la nuit du 4 août, ce qui n’a pas peu contribué au morcellement des<br />

patrimoines familiaux, le Code Napoléon, dans son droit successoral,<br />

reste dominé par cet objectif : conserver le patrimoine au sein de la famille<br />

qui a contribué à sa constitution.<br />

2. — 2004. La fortune s’est fortement « démocratisée ». Certes, il y a<br />

encore beaucoup de laissés pour compte; mais, à la différence d’hier, ils


ne constituent plus la majorité des citoyens : nombre d’entre ceux-ci<br />

sont à la tête d’un patrimoine.<br />

Son contenu? Il n’est peut-être pas considérable, mais il est réel : c’est<br />

l’immeuble d’habitation de la famille, les meubles meublants, une voiture,<br />

des « appareils » divers, quelques bijoux, quelques titres et de l’argent<br />

en banque.<br />

L’économie a considérablement changé. L’agriculture a connu la révolution<br />

des engrais et celle des machines. La terre joue dès lors un rôle<br />

nettement moins grand qu’avant. Celle qui est dévolue à la production<br />

agricole s’est rétrécie comme une peau de chagrin. L’immobilier productif<br />

de revenus, ce sont désormais les immeubles affectés à l’économie<br />

secondaire et tertiaire. En général, ceux-ci n’appartiennent pas directement<br />

à des individus mais à des sociétés; les individus possèdent<br />

les titres représentatifs des droits sur ces sociétés.<br />

D’immobilier pour l’essentiel en 1804, le patrimoine des familles est<br />

donc devenu — le logement mis à part — essentiellement mobilier.<br />

Son origine? Sauf exceptions, il ne provient plus que pour une minime<br />

partie de successions. Il a été acquis grâce aux économies réalisées sur<br />

les revenus du travail, travail réalisé de moins en moins souvent dans le<br />

secteur de l’économie primaire, mais dans celui des entreprises industrielles<br />

et des services.<br />

C’est peut-être là d’ailleurs le changement le plus visible : la source<br />

principale de revenus ne tient plus dans l’appropriation de la terre, mais<br />

dans le travail au service de la communauté ou d’entreprises autres<br />

qu’agricoles. C’est, du reste, grâce aux économies faites sur leurs revenus<br />

professionnels sensu lato — constitués non plus par des fruits mais<br />

par de l’argent — que les individus acquièrent un patrimoine. S’estompe<br />

dès lors dans leur esprit l’obligation de le conserver et de le rendre à<br />

la famille, puisque c’est d’eux et non plus d’elle qu’ils le tiennent.<br />

Dès lors aussi, comme l’a très justement observé Pierre Catala, dans un<br />

ouvrage dont nous ne saurions trop recommander la lecture, « les générations<br />

d’aujourd’hui, visant à assurer le bien-être de leur descendance,<br />

se préoccupent plutôt de leur procurer les conditions les plus aptes à valoriser<br />

leur travail futur (études et établissement) que d’amasser pour le<br />

leur transmettre un capital vulnérable à l’érosion accélérée du temps »<br />

(1).<br />

A cela s’ajoute le fait que le décès ne survient généralement plus au moment<br />

où vient de s’achever la constitution d’un capital et où on n’a pas<br />

encore commencé à (devoir) en jouir. La vie s’est considérablement<br />

allongée : aujourd’hui, elle va bien au-delà de la fin de la vie de travail,<br />

c’est-à-dire au-delà du moment où la source principale de revenus se tarit.<br />

Ceux qui ont atteint le crépuscule de leur vie doivent dès lors, avant<br />

de chercher à ne pas décevoir les espérances légitimes de leurs successeurs,<br />

se soucier d’abord de conserver et de faire fructifier le patrimoine<br />

qu’ils ont constitué, afin de toujours pouvoir y puiser ce qui leur sera<br />

nécessaire pour (sur)vivre.<br />

La famille, elle aussi, a fortement évolué. Ce n’est plus la grande<br />

famille : c’est son « noyau » central fait d’un couple et d’enfants.<br />

Le couple, lui, est toujours, dans la grande majorité des cas, formé de<br />

personnes mariées. De plus en plus souvent, elles ont été mariées antérieurement<br />

une, voire deux fois, avec d’autres que le conjoint qu’elles<br />

laisseront à leur décès. De plus en plus fréquemment aussi, il ne s’agit<br />

plus d’un mariage « en bonne et due forme », décidé « pour la vie »<br />

avec la même personne : il s’agit souvent d’une union totalement libre<br />

ou d’une cohabitation légale.<br />

Quant aux enfants, ils sont encore en général issus du mariage, mais<br />

de plus en plus fréquemment d’un mariage antérieur du défunt ou de<br />

son conjoint. Il n’est plus du tout exclu qu’ils soient naturels simples,<br />

comme on disait hier, ou adultérins. Souvent aussi, ce sont des en-<br />

(1) P. Catala, Famille et patrimoine, P.U.F., Doctr. jur., 2000, p. 20, n o 15.<br />

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fants adoptifs. Il n’y a que les enfants incestueux que l’on ignore toujours<br />

(2).<br />

Chronologiquement, ces changements se sont traduits dans le droit successoral,<br />

en premier lieu par un accroissement et un renforcement des<br />

droits successoraux du conjoint survivant non séparé de corps.<br />

Déjà par une loi du 20 novembre 1896, le législateur lui avait conféré<br />

un droit successoral ab intestat en usufruit : d’un quart, d’un demi ou de<br />

la totalité, suivant le degré d’éloignement des parents avec lesquels il<br />

venait en concours.<br />

C’est la toi du 14 mai 1981 qui, sans encore le mettre sur pied d’égalité<br />

avec les parents biologiques, va lui conférer des droits dont ils étaient<br />

seuls à bénéficier jusque-là.<br />

Désormais, le conjoint a vocation à recueillir l’usufruit de toute la succession.<br />

Lorsqu’il vient en concours avec d’autres que des descendants<br />

du défunt et qu’il était marié avec lui sous le régime de la communauté,<br />

il emporte même la propriété des biens communs.<br />

Encore n’est-ce pas l’aspect principal de la réforme : celui-ci tient dans<br />

l’attribution au conjoint d’une réserve héréditaire, en principe de moitié<br />

en usufruit. Plus encore : le conjoint ne peut plus être privé de la jouissance<br />

du noyau dur du patrimoine familial, à savoir les biens<br />

préférentiels : l’immeuble d’habitation principal de la famille et les<br />

meubles meublants qui le garnissent.<br />

A cela s’ajoute que les ascendants n’ont plus d’action en réduction à<br />

son égard : le défunt peut donc donner tout le patrimoine familial à<br />

son conjoint, s’il ne laisse pas de réservataires en ligne directe descendante.<br />

Le conjoint a donc fait son entrée dans la famille. Il a, en effet, acquis<br />

le droit — à savoir la réserve héréditaire — qui était le signe concret de<br />

l’appartenance, non pas d’ailleurs à la grande famille, mais mieux, à la<br />

« colonne vertébrale » de celle-ci : les ascendants et les descendants du<br />

défunt; et, comme on vient de le voir, en l’absence de descendant, le défunt<br />

peut même lui permettre d’évincer de la succession tous les membres<br />

de la famille.<br />

Son intégration dans la famille n’est toutefois pas complète : l’idée de<br />

conservation des biens dans la famille étant toujours prégnante, la réserve<br />

abstraite ou concrète du conjoint n’est qu’en usufruit.<br />

Seconde traduction successorale des changements survenus dans le<br />

droit de la famille en vertu de la loi du 31 mars 1987, tous les enfants<br />

sont, en somme, devenus légitimes; ils ont dès lors tous — à quelques<br />

petites différences près — les mêmes droits successoraux.<br />

3. — Demain. De quoi sera fait le droit successoral?<br />

Il nous paraît que demain, l’idée de conservation des biens dans la famille<br />

devrait davantage encore perdre de sa vigueur. C’est que cette idée<br />

est une suite logique de ce que le patrimoine appartient à la famille, parce<br />

que celle-ci a contribué à sa constitution. Or, à l’avenir, plus encore<br />

qu’aujourd’hui, ce seront les individus qui seront les artisans de leur patrimoine.<br />

Ils se sentiront donc de moins en moins obligés de transmettre<br />

à leur famille ce qui, pour l’essentiel, ne sera plus provenu d’elle.<br />

Dans l’ordre successoral, c’est dès lors au premier chef la réserve héréditaire<br />

qui risque d’être mise en cause : la réserve du conjoint avant<br />

celle des descendants et ascendants.<br />

Significative est à cet égard, la loi du 22 avril 2003 qui permet aux conjoints<br />

notamment de se priver de leur réserve héréditaire, du moins leur<br />

réserve abstraite et non leur réserve concrète portant sur les biens préférentiels.<br />

(2) Voy. toutefois l’arrêt de la Cour d’arbitrage n o 169/2003 du 17 décembre<br />

2003 relatif à l’article 321 du Code civil (M.B., 20 févr. 2004, p. 10284).<br />

2004<br />

287


2004<br />

288<br />

Certes, les conditions posées à la réalisation de ce pacte successoral entre<br />

époux — brevitatis causa : qu’il soit conclu dans le cadre de<br />

« secondes noces » — restreignent fort la portée de la loi. Il n’empêche<br />

qu’elle ébranle les acquis successoraux du conjoint de 1981.<br />

Déjà en 1981, à un moment où l’institution du mariage commençait à<br />

être sérieusement mise à mal, d’aucuns s’interrogeaient sur la raison de<br />

donner une réserve héréditaire au conjoint.<br />

Pourtant, elle se justifiait pleinement d’abord par le fait que, de nos<br />

jours, le conjoint prend une plus grande part dans la constitution du patrimoine<br />

du défunt. La réserve du conjoint est, au surplus, comme<br />

l’exercice posthume du secours que les époux se sont promis (3).<br />

A l’avenir, l’accent devra être mis sur le deuxième fondement. Pourquoi?<br />

Parce que, de plus en plus souvent, pour ne pas devoir faire appel<br />

à leurs proches ou parce qu’ils ne pourront plus le faire, les conjoints<br />

auront besoin de leur patrimoine pour assurer ensemble leur survie<br />

après la fin de leur vie de travail. Et lorsqu’un des deux viendra à mourir,<br />

il sera juste, à notre estime, que le survivant — même s’il est le second,<br />

voire le troisième conjoint du défunt — qui aura rempli son devoir<br />

d’assistance à l’égard de ce dernier au cours de l’ultime période de sa<br />

vie, soit assuré de jouir de conditions de vie identiques à celles que le<br />

défunt lui procurait de son vivant. N’oublions pas, en effet, qu’entre<br />

époux, l’obligation alimentaire est fonction moins des besoins du créancier<br />

que du niveau de vie du débiteur.<br />

Nous pensons donc que loin de conduire à supprimer la réserve du conjoint,<br />

les conditions de vie de demain devraient amener le législateur à<br />

la consolider.<br />

La logique du fondement alimentaire se satisfera toujours d’une réserve<br />

en usufruit seulement, d’autant qu’elle permettra de satisfaire également,<br />

dans la mesure où elle subsistera, l’idée de conservation des biens<br />

dans la famille.<br />

En revanche, il ne se justifiera plus qu’elle ne soit que de la moitié de la<br />

masse de l’article 922 du Code civil, voire de l’usufruit des biens préférentiels.<br />

D’abord, il y a là une discrimination à l’égard d’époux qui ne<br />

possèdent pas de biens préférentiels. Ensuite, la logique du fondement<br />

alimentaire de la réserve du conjoint — lui assurer le niveau de vie qu’il<br />

connaissait du vivant du conjoint prédécédé — conduit logiquement à<br />

étendre la réserve à tout le patrimoine successoral.<br />

Evidemment, ceci réduira à la nue-propriété le droit de disposition du<br />

futur défunt, ce qui pourra s’avérer excessif dans certains cas. Aussi<br />

bien, pour rencontrer l’objection, on pourra peut-être songer à faire<br />

échapper à l’action en réduction du conjoint les donations faites par le<br />

défunt auxquelles le survivant aurait expressément consenti.<br />

Quant aux droits successoraux ab intestat du conjoint, en présence de<br />

descendants du défunt, ils pourront toujours être comme aujourd’hui de<br />

l’usufruit de la totalité du patrimoine.<br />

Sans doute sera-t-il souhaitable, cependant, d’adapter le régime de<br />

l’usufruit. Il convenait peut-être bien dans une économie agricole de<br />

subsistance. Il est, au contraire, inadapté à un système économique semblable<br />

au nôtre, dans lequel il ne faut pas devoir conserver indéfiniment<br />

aux biens leur affectation originelle, mais il faut, au contraire, pouvoir<br />

les échanger contre d’autres biens plus productifs, les aliéner pour réinvestir<br />

leur prix, les conserver tout en modifiant leur affectation, etc.<br />

Les droits successoraux ab intestat du conjoint en concours avec<br />

d’autres que des descendants, devraient, au contraire, à l’avenir, s’étendre<br />

à la totalité des biens en propriété. C’est, en effet, dans cette hypothèse<br />

qu’il ne se justifierait plus que joue l’idée de conservation des<br />

biens dans la famille.<br />

Paul DELNOY<br />

(3) P. Delnoy, « L’usufruit des biens préférentiels et la réserve du conjoint<br />

survivant », in Le statut civil du conjoint survivant, Les journées notariales de<br />

Liège, Fédération royale des notaires de Belgique, 1977, pp. 111-112.<br />

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DES DONATIONS ENTRE VIFS<br />

ET DES TESTAMENTS<br />

Livre III - Titre II<br />

Une grande stabilité, dans les textes, caractérise le livre III, titre II, traitant<br />

Des donations entre vifs et des testaments (1) puisque les<br />

articles 893 à 1099 du Code Napoléon demeurent pratiquement tous<br />

dans le Code de 2004. Par contre, l’œuvre jurisprudentielle fut féconde.<br />

Respectueuse des textes, elle les a adaptés aux évolutions sociologiques<br />

et aux instruments juridiques modernes.<br />

I. — DE CERTAINS TEXTES NOUVEAUX<br />

Pour l’essentiel, ils ont façonné une nouvelle structure des libéralités au sein<br />

de la famille, facilitant celles-ci, surtout, au profit du conjoint et des enfants<br />

du couple, les protégeant aussi mieux de la dispersion du patrimoine.<br />

1. — La loi du 14 juillet 1976 sur les régimes matrimoniaux a élargi,<br />

dans le souci de protection des enfants, les cas où certaines dispositions<br />

du régime conventionnel en communauté de biens sont traitées comme<br />

des libéralités potentielles. L’organisation patrimoniale en faveur du<br />

conjoint, par le biais du contrat de mariage, est donc limitée.<br />

On connaissait déjà, sous le Code Napoléon — article 1527 (2) — la dénaturation<br />

des avantages matrimoniaux en libéralités pour protéger les<br />

enfants d’une union antérieure, leur permettant de reprendre une partie<br />

des avantages consentis à propos des biens communs, par le contrat de<br />

mariage, au conjoint dont ils ne sont pas les descendants.<br />

L’idée fut élargie en 1976, par les articles 1458, alinéa 2 et 1464,<br />

alinéa 2, du Code civil, aux biens propres apportés à la communauté<br />

lorsque la clause d’apport est combinée, en faveur du conjoint de<br />

l’époux apporteur, avec une clause de préciput ou de partage inégal des<br />

biens communs. Les enfants du couple sont donc protégés contre les<br />

effets d’un transfert trop important de biens composant le patrimoine<br />

propre d’un de leurs parents en faveur du conjoint de celui-ci, fût-il leur<br />

propre père ou mère. La combinaison de ces clauses crée, en effet, une<br />

libéralité portant sur la part, dans le bien propre devenu commun, excédant<br />

la moitié de ce que le conjoint recueille, par le jeu du contrat de mariage,<br />

dans le bien apporté à la communauté. Cet excédent (3) est considéré<br />

comme une libéralité imputée sur la part disponible de la masse<br />

successorale du conjoint apporteur prédécédé. Elle est donc sujette à réduction<br />

à la demande de ou des enfants du couple, pour reconstituer partiellement<br />

leur réserve héréditaire (4).<br />

2. — La loi du 14 mai 1981 a profondément modifié la matière des libéralités<br />

en faveur du conjoint survivant. Elle permet de faire de celui-ci<br />

le premier héritier ab intestat dans la famille et certainement celui qui<br />

peut être le plus avantagé entre vifs ou par testament.<br />

L’usufruit successoral portant sur le patrimoine personnel (5) —<br />

article 745bis, § 1 er , alinéa 1 er , du Code civil — ou l’attribution de tout<br />

le patrimoine commun et l’usufruit des biens propres ou personnels (6)<br />

(1) Décrété le 3 mai 1803 et promulgué le 13 du même mois; le Code lui-même<br />

fut promulgué le 30 ventôse an XII (le 21 mars 1804).<br />

(2) Devenu l’article 1465, C. civ. actuellement.<br />

(3) Une moitié en cas de préciput ou d’attribution de toute la communauté au<br />

conjoint non apporteur.<br />

(4) Sur ces mécanismes, Ph. De Page et I. De Stefani, « Les avantages matrimoniaux<br />

- Aspects civils et fiscaux », Rev. not., 2002, pp. 270 et s.<br />

(5) Lorsque le conjoint est en concours avec des descendants, le patrimoine<br />

personnel étant composé tant des biens propres ou personnels du défunt que de<br />

sa part dans les actifs de la communauté.<br />

(6) Lorsque le conjoint survivant est en concours avec des successeurs autres<br />

que les descendants.


— article 745bis, § 1 er , alinéa 2 du Code civil — à titre successoral ab<br />

intestat peuvent, suivant l’article 1094 du Code civil être complétés ou<br />

modifiés par des libéralités au profit du conjoint. Celui-ci cumule désormais<br />

ses droits successoraux ab intestat et les libéralités entre vifs ou<br />

testamentaires dont il est gratifié.<br />

La quotité disponible de droit commun (7) peut, aujourd’hui, lui être attribuée.<br />

Le conjoint survivant peut, en pratique, par une combinaison judicieuse<br />

de la conversion de l’usufruit successoral et de donations ou<br />

legs épuisant le disponible, devenir le maître de la plus grande partie des<br />

avoirs successoraux.<br />

La solidarité patrimoniale familiale exprimée au sein du couple est, clairement,<br />

affirmée, confortant l’image de celui-ci — face au lignage et au<br />

droit du sang — dans la société moderne.<br />

L’arbitrage des intérêts du conjoint et ceux des enfants demeure, cependant,<br />

possible avec souplesse. L’article 1094 du Code civil autorise, en<br />

effet, à limiter ou réduire, par des dispositions testamentaires, les droits<br />

successoraux en usufruit ou en pleine propriété du conjoint (8).<br />

Le devoir de conseil du juriste — notaire ou autre — est devenu, en la<br />

matière, fort important car la loi du 14 mai 1981 offre des possibilités<br />

encore mal exploitées (9), permettant de combiner des droits en usufruit<br />

et en pleine propriété selon les avoirs composant le patrimoine successoral<br />

et de prévoir, aussi, les modalités de la conversion de l’usufruit<br />

successoral légué ou attribué par la loi. Trop rares sont encore les dispositions<br />

testamentaires abordant cette matière — souvent est prévu le<br />

droit ou l’interdiction de conversion — en particulier les formules mathématiques<br />

de la conversion ou la possibilité de conversion partielle,<br />

portant sur l’usufruit de certains des biens seulement (10).<br />

La loi du 14 mai 1981 — dont on retrouve d’ailleurs partiellement la<br />

structure dans la loi française du 3 décembre 2001 sur les droits successoraux<br />

du conjoint survivant (11) — offre donc une grande richesse<br />

d’imagination.<br />

3. — La loi du 2 février 1983 a introduit une nouvelle forme de testament,<br />

le testament à forme internationale que, détrompant son appellation,<br />

tout citoyen belge peut utiliser même si tous les biens se trouvent<br />

en Belgique (art. 1 er de la loi du 2 février 1983).<br />

Une forme simplifiée de testament, qui ne doit pas nécessairement être<br />

rédigé par un notaire ou être manuscrit (12) par le testateur, celui-ci<br />

(7) Dans le Code Napoléon, le disponible en faveur du conjoint en concours<br />

avec des descendants — disponible spécial de l’article 1094 — était d’un quart<br />

en pleine propriété et un quart en usufruit ou une moitié en usufruit.<br />

(8) Sans cependant porter atteinte à la réserve en usufruit définie par<br />

l’article 915bis, §§ 1 er et 2, C. civ., sauf le cas spécifique d’exhérédation testamentaire<br />

prévue par cette disposition (§ 3), que l’on peut déplorer tant est par<br />

trop simple cette faculté d’exhérédation en cas de séparation de plus de six<br />

mois lorsqu’une demande judiciaire de résidence séparée a été faite. Il suffit,<br />

en effet, qu’un testament contenant l’exhérédation existe même si ce testament<br />

est antérieur à la période de séparation : Cass., 22 déc. 1994, Pas., I, 1139.<br />

(9) Spécialement dans la rédaction des testaments ou des institutions contractuelles,<br />

se bornant souvent à léguer au conjoint survivant « l’usufruit que la loi lui<br />

attribue » ou « la quotité disponible en pleine propriété » alors que la loi permet,<br />

au sein du patrimoine, de diversifier les libéralités au conjoint, en lui léguant, par<br />

exemple, le ou les immeubles en usufruit (la réserve héréditaire du conjoint est, en<br />

premier lieu, un usufruit sur le logement principal de la famille et les meubles le<br />

meublant) et, en propriété, tout ou partie des avoirs bancaires (l’usufruit de ceuxci<br />

posant des problèmes pratiques importants, infra) ou d’autres avoirs mobiliers.<br />

(10) Une conversion limitée aux ou à certains biens et effets mobiliers, par<br />

exemple par opposition aux ou à certains immeubles dont l’usufruit ne pourrait<br />

être converti.<br />

(11) L’évolution en faveur du renforcement des droits successoraux et du régime<br />

des libéralités profitant au conjoint survivant est comparable, bien que le<br />

conjoint survivant en France soit moins protégé encore que ne l’est le conjoint<br />

survivant belge.<br />

(12) Le testament peut être dactylographié par le testateur ou un tiers auquel il<br />

a recours. Il peut même, en théorie, se présenter sous la forme d’un support informatique<br />

que le testateur présente au notaire en confirmant qu’il contient bien<br />

son testament (art. 4.1.) car la loi prévoit seulement que le testament à forme<br />

internationale doit être écrit sans préciser quel en est le support.<br />

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pouvant s’exprimer dans la langue de son choix (art. 3.2 et 3.3 de la loi<br />

du 2 février 1983), que la pratique notariale semble dédaigner. Sans<br />

doute, par l’influence anglo-saxonne de conception matérielle du testament<br />

qui peut réduire le rôle interventionniste (13) du notaire de formation<br />

latine dans la confection du testament. Ce rôle n’est cependant pas<br />

impossible puisque le testateur peut y faire appel, même à la suggestion<br />

opportune du notaire.<br />

La modernité de nos instruments de travail et de rédaction, d’une part,<br />

et l’internationalisation de la population à laquelle la loi belge successorale<br />

— ou la règle du locus regit actum — est susceptible de s’appliquer,<br />

d’autre part, incitent à ne plus négliger cette forme de testament.<br />

4. — La loi du 22 avril 2003, organisant le pacte entre époux ayant pour<br />

objet des droits successoraux du conjoint en concours avec les enfants<br />

du conjoint prédécédé. Le contrat de la mariage — article 1388 nouveau<br />

du Code civil — permet d’exclure ce conjoint de la succession, sauf<br />

pour ce qui concerne le droit réservataire en usufruit portant sur le logement<br />

principal de la famille et les meubles le meublant.<br />

Elle est de nature à favoriser les nouvelles unions (14), sans amoindrir (15)<br />

les droits patrimoniaux des enfants issus d’une union maritale ou autre antérieure.<br />

La protection de ces enfants est donc renforcée mais elle suppose<br />

le consentement des époux concernés, n’étant donc pas de droit (16).<br />

II. — UN REMARQUABLE ESPRIT JUDICIAIRE<br />

DE MODERNISATION<br />

5. — L’attachement à la recherche du mobile libéral et à l’identification<br />

de la volonté de gratifier.<br />

En matière de libéralités — donation ou testament — la cause moderne<br />

(17) n’est plus simplement l’intention de gratifier mais est définie par<br />

« celui des mobiles qui a principalement inspiré l’auteur de la libéralité<br />

et l’a conduit à donner ou léguer » (18).<br />

La consécration de la théorie « cause - mobile » a ouvert très largement,<br />

au juge du fond, soucieux d’appréhender la volonté réelle du disposant,<br />

la faculté d’annuler une libéralité pour absence de cause ou<br />

fausse cause. Elle lui permet, aussi, en matière de donation, de dire caduque<br />

celle-ci lorsqu’il est établi, postérieurement à la donation, « que<br />

par l’effet d’un événement indépendant de la volonté du donateur, la<br />

raison déterminante (19) de la donation vient à défaillir ou à disparaître<br />

si d’après les termes mêmes de cette disposition ou de l’interprétation<br />

de la volonté de son auteur, il est impossible de la séparer des circonstances<br />

qui l’ont amenée ou sans lesquelles elle n’aurait pas de raison<br />

(13) Selon l’article 4.1, le testateur n’est pas tenu de donner connaissance du<br />

contenu du testament à forme internationale au notaire instrumentant, qui n’est<br />

donc pas amené à conseiller le testateur. La situation est la même en cas de testament<br />

olographe présenté sous enveloppe fermée au notaire pour simple dépôt<br />

de confiance.<br />

(14) Ou un premier mariage en présence d’enfants issus d’une relation antérieure<br />

à ce mariage.<br />

(15) La loi du 14 mai sur les droits successoraux du conjoint survivant place<br />

sur pied d’égalité tous les conjoints successifs quant à l’ampleur de leurs droits<br />

successoraux, à quelques nuances près (art. 745quinquies, § 2, al. 1 er , concernant<br />

la conversion de l’usufruit en présence de descendants d’un précédent mariage;<br />

art. 745quinquies, § 3, majorant de vingt années le conjoint survivant par<br />

rapport à l’aîné des enfants d’un précédent mariage en cas de conversion de<br />

l’usufruit successoral).<br />

(16) A la différence des articles 1458, al. 2, 1464, al. 2 et 1465, C. civ., supra.<br />

(17) Remarquablement mise en lumière par P. Van Ommeslaghe,<br />

« Observations sur la théorie de la cause dans la jurisprudence et dans la doctrine<br />

moderne », sous Cass., 13 nov. 1969, R.C.J.B., 1970, pp. 326 et s.<br />

(18) Cass., 16 nov. 1989, Pas., 1990, I, 331; la pluralité de mobiles ayant inspiré<br />

le testateur ne permet donc pas d’isoler celui qui serait à l’origine d’une<br />

erreur sur la cause ou le mobile : Mons, 6 e ch., 14 nov. 2003, inédit, R.G.,<br />

n o 2000/R.G./508.<br />

(19) La pluralité de mobiles fait obstacle à la caducité dès lors que la cause déterminante<br />

de la donation ne peut être isolée : Bruxelles, 17 mai 2001, J.T.,<br />

2001, 595.<br />

2004<br />

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2004<br />

290<br />

d’être » (20). Cependant, et non sans une certaine surprise, la disparition<br />

du mobile, en matière testamentaire, n’est une cause de caducité<br />

que si la disparition de la cause est survenue avant le décès du testateur<br />

(21). Au décès, le testament est « parfait », la volonté y exprimée définitive<br />

(22). La sécurité juridique — ne pas remettre en cause un testament<br />

postérieurement au décès — justifie-t-elle la différence de traitement<br />

entre la donation et le testament, dans la recherche de la volonté<br />

réelle du disposant?<br />

Cette recherche et la volonté judiciaire de faire produire à la libéralité<br />

ses effets potius ut valea (23) conduit, autre exemple, le juge à valider<br />

comme testament à forme internationale un testament authentique nul<br />

en la forme (24). Ou, à replacer l’utilisation d’instruments juridiques<br />

modernes de transmission de patrimoine, tels les assurances vie ou les<br />

assurances épargne, dans un contexte de libéralités indirectes ou déguisées<br />

voulues, en réalité, par le souscripteur (25).<br />

Aussi, souligne-t-on, dans le même esprit, l’atténuation judiciaire des<br />

exigences formelles de la signature en matière testamentaire dès lors<br />

que le juge a la conviction que l’écrit est bien celui du testateur (26).<br />

La force de l’autonomie de la volonté libérale se marque également<br />

dans l’interprétation nouvelle de l’article 918 du Code civil, la Cour de<br />

cassation, revenant sur sa jurisprudence du 8 octobre 1992 qui semblait<br />

concerner les donations rapportables ou non (27), confirme que la donation<br />

avec réserve d’usufruit assortie d’une clause prévoyant expressément<br />

le rapport (l’avancement d’hoirie) doit, en raison de cette volonté<br />

exprimée du donateur, être traitée comme une donation rapportable<br />

(28), donc à imputer sur la part réservataire du donataire. Le retour au<br />

droit commun de l’article 843 du Code civil est, par respect de la volonté<br />

du donateur, consacré (29).<br />

(20) Cass., 16 nov. 1989, précitée.<br />

(21) Cass., 21 janv. 2000, J.T., 2000, p. 573 et le commentaire de l’arrêt par P.-<br />

A. Foriers, « La caducité revisitée - A propos de l’arrêt de cassation du 21 janvier<br />

2000 », J.T., 2000, p. 676.<br />

(22) Selon l’arrêt du 21 janvier 2000, « la loi présume que la volonté exprimée<br />

dans un testament a persisté jusqu’au décès du testateur; que cette présomption<br />

implique que la cause de la libéralité testamentaire subsiste jusqu’à ce momentlà<br />

» alors qu’il peut apparaître, postérieurement au décès — et alors que le testateur<br />

ne peut évidemment le savoir, étant décédé — que le mobile déterminant<br />

a disparu. Le testament doit être exécuté alors qu’il ne correspond manifestement<br />

pas à la volonté réelle, la présomption relevée par la Cour de cassation<br />

devant, ratione legis, pouvoir être renversée.<br />

(23) Cass., 9 mars 1989, Pas., 1989, I, 701 : le testament peut être interprété à<br />

l’aide d’éléments extrinsèques.<br />

(24) Anvers, 29 janv. 2001, R.W., 2002-2003, p. 299 et T. Not., 2002, p. 112 et<br />

obs. F.B, C.D.B; Bruxelles, 12 oct. 1993, Rev. not., 1994, p. 121 et note<br />

L. Raucent; N.F.M., 1995, p. 10 et la note de M. Puelinckx-Coene, « Is conversie<br />

van een openbaar testament naar een international testament mogelijk? Naar<br />

een verdere deformalisering van het testament? »; aussi, Civ. Nivelles, 13 févr.<br />

1996, J.T., 1998, p. 867.<br />

(25) Civ. Verviers, 2 sept. 1991, J.L.M.B., 1992, p. 624, mais alors l’objet réel<br />

de la libéralité devrait donc être, dans cette interprétation de la volonté du disposant,<br />

non les primes payées par lui en tant que souscripteur, mais le capital<br />

attribué au bénéficiaire désigné animo donandi : sur la discussion, notam.,<br />

P. Delnoy, in Les Dossiers du Journal des tribunaux, « Les libéralités - Chronique<br />

de jurisprudence : 1988-1997 », n o 22, p. 62; sur la requalification d’une<br />

assurance vie mixte à prime unique en donation indirecte en tant que produit<br />

d’épargne : Liège, 3 févr. 2003, Rev. not., 2003, p. 218.<br />

(26) Cass., 13 juin 1986, Pas., 1986, I, 1269 : une désolennisation du graphisme<br />

de la signature semble consacrée, celle-ci ne devant plus nécessairement<br />

être la signature habituelle du testateur dès lors que le juge constate une certitude<br />

d’appropriation de l’écrit testamentaire par son auteur. La volonté réelle<br />

l’emporte sur la volonté formelle; en ce sens également, Bruxelles, 8 nov. 1999,<br />

A.J.T., 2000-2001, p. 141.<br />

(27) Cass., 8 oct. 1992, Pas., 1992, I, 1127 ayant décidé que les successibles en<br />

ligne directe qui ont consenti à la donation à charge de rente viagère ou avec<br />

réserve d’usufruit ont, de ce fait, renoncé à leur part réservataire sur le bien<br />

donné qui ne peut plus, à leur égard, être inclus dans la masse de calcul de<br />

l’article 922, C. civ.<br />

(28) Cass., 16 mai 2002, Rev. not., 2003, p. 324 et note E. de Wilde d’Estmael.<br />

(29) Les successibles ayant consenti à la donation ne font donc que reconnaître<br />

la réalité de celle-ci dès lors qu’elle est expressément déclarée rapportable. La<br />

portée de la loi du 4 janvier 1960 interprétative de l’article 918, C. civ. s’en<br />

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6. — La confirmation de l’importance juridique et économique des donations<br />

atypiques.<br />

Le virement bancaire constitue l’acte neutre, quant à sa cause, permettant<br />

de réaliser un transfert de créance incorporelle à titre libéral, sous<br />

la forme d’une donation indirecte (30), si l’intention libérale était rapportée,<br />

ce qui peut se faire par toutes voies de droit. L’importance économique<br />

de cette jurisprudence n’échappe pas au praticien, lui permettant<br />

l’économie des retraits manuels d’avoirs en compte pour réaliser un<br />

don manuel qui requiert la tradition matérielle d’un meuble corporel<br />

(31).<br />

Dans le même esprit, le registre des actions nominatives peut remplir la<br />

même fonction. L’inscription du transfert de titres nominatifs peut, si<br />

l’animus donandi est établi, constituer une donation indirecte (32).<br />

Sous l’impulsion de fiscalités attractives, sont apparus de nouveaux instruments<br />

de capitalisation pure, rapidement disqualifiés en libéralités indirectes<br />

ou déguisées, comme certains contrats dit d’assurances vie (33).<br />

III. — UN CONSTAT<br />

Le Code civil des Français, exporté en Belgique, a poursuivi une évolution<br />

parfois en pagaille. L’art d’écrire la loi a, souvent, disparu et les<br />

juges doivent parer aux incohérences des textes mal ou trop vite préparés.<br />

Les effets normatifs des arrêts de nos juridictions suprêmes en sont<br />

la conséquence, consacrant le pouvoir du juge parfois au-delà de la loi.<br />

Le Code des libéralités a vieilli, aussi érodé par l’anarchie des foisonnements<br />

législatifs. Un Code européen des techniques d’organisation et<br />

de transmission de patrimoine n’est pas utopique. Répondant à la définition<br />

de Portalis, il constituera « un corps de règles destiné à diriger et<br />

fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêts » (34) pour les<br />

citoyens de l’Europe, dont la diversité de culture ne fait pas obstacle à<br />

définir, en Euroland, les normes minimales harmonisées de construction<br />

et de transmission des patrimoines familiaux par les instruments des libéralités<br />

et des régimes matrimoniaux.<br />

Et, dans cet esprit, la création des pactes successoraux et, surtout, la modification<br />

du concept de réserve héréditaire, en tout cas de la réserve en<br />

nature, s’imposent absolument pour libérer encore plus efficacement<br />

l’expression de l’intention libérale.<br />

Ph. DE PAGE<br />

trouve donc très clairement amoindrie, donnant enfin satisfaction à ceux que<br />

l’arrêt du 8 octobre 1992 avaient déçu tant, apparemment, était négligée la volonté<br />

réelle du donateur dans l’interprétation faite alors de cette disposition :<br />

sur la discussion, notam., L. Raucent, « Donation avec réserve d’usufruit à un<br />

successible en ligne directe (art. 918, C. civ.) », Rev. not., 1993, p. 234.<br />

(30) Bruxelles, 25 nov. 1991, Pas., 1992, II, 209; Mons, 17 déc. 1996, Rev. not.,<br />

1997, p. 183; Liège, 7 mars 2000, R.G.E.N., 2000, p. 431, n o 25085; Bruxelles,<br />

8 mars 2002, som., J.T., 2004, p. 15 et J.L.M.B., 2003, p. 1211 et note J. Sace.<br />

(31) Le virement bancaire ou l’instruction bancaire équipollente permet le<br />

transfert de valeurs nominatives. La jurisprudence moderne s’inscrit donc parfaitement<br />

dans le sens de la dématérialisation des titres au porteur (voy., notam.,<br />

la loi du 7 avril 1995 et art. 468 à 475, C. dr. succ.).<br />

(32) L. Raucent, « Examen de jurisprudence : les libéralités et les<br />

successions », R.C.J.B., 1980, p. 277; B. Voglet, « s.a., s.p.r.l. et s.c.r.l. - Aspects<br />

théoriques en relation avec les statuts », in Droit des sociétés<br />

commerciales : s.a., s.p.r.l. et s.c.r.l., sous la direction de M. Coipel, Kluwer<br />

2002, pp. 411 et 412 et réf. cit.; contra, semble-t-il, Comm. Furnes, 12 déc.<br />

2001, R.D.C., 2002, p. 750.<br />

(33) Le mouvement de requalification des contrats d’assurance ne comportant,<br />

en réalité, pas d’aléa, fut rapide en France (notam., M. Grimaldi, « L’assurance<br />

vie et le droit des successions », Rép. Defrénois, 2001, p. 3, spéc. n os 4 et 5 à<br />

propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2000) et en Belgique (supra<br />

et, en matière de régimes matrimoniaux, l’arrêt de la Cour d’arbitrage du<br />

26 mai 1999 et les différents commentaires qu’il a suscités notamment par<br />

M. Y.-H. Leleu, in Chronique de droit à l’usage du notariat, vol. XXX, 1999,<br />

p. 338 et M. J.-L. Renchon, in Rev. trim. dr. fam., 2000, 7; aussi, Ph. De Page,<br />

Le régime matrimonial, Bruylant, 2003, n os 7 et 74 et réf. cit.<br />

(34) Portalis, Discours de présentation du Code civil prononcé le 3 frimaire an X.


LES ARTICLES 1101 À 1133<br />

DU CODE CIVIL :<br />

DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES<br />

ET CONDITIONS DE VALIDITÉ<br />

DES CONTRATS<br />

Livre III - Titre III - Chapitres I et II<br />

1. — En dépit de sa paternité napoléonienne, le Code civil reste un<br />

« ancêtre vénéré » (1). Prétendre qu’il demeure véritablement<br />

« vénérable », à l’époque contemporaine, est beaucoup plus douteux.<br />

Nous n’irons pas jusqu’à dire, avec Laurent, que la plupart des auteurs<br />

du Code civil « étaient de médiocres jurisconsultes et des esprits tout<br />

aussi médiocres » (2), observation tout à la fois injuste et présomptueuse.<br />

Mais à moins d’être enivré par l’odeur de parchemin qui se dégage<br />

de nombre de ses dispositions, quiconque enseigne et pratique<br />

aujourd’hui le droit des obligations mesure l’écart qui sépare la réalité<br />

du droit positif et ce texte ancien.<br />

Les dispositions préliminaires du titre III (Des contrats et des obligations<br />

conventionnelles en général) du livre III (Des différentes manières<br />

dont on acquiert la propriété) illustrent ce propos de manière<br />

remarquable, ainsi que d’autres avant nous en ont déjà fait l’observation<br />

(3).<br />

2. — « Le contrat est une convention... » : article 1101. Qui en aurait<br />

douté? L’aspect tautologique de cette disposition a été maintes fois souligné.<br />

Quant à la suite de la définition, en tant qu’elle énonce les différentes<br />

variétés d’obligations (de donner, de faire ou de ne pas faire)<br />

qu’un contrat peut faire naître, elle concerne les obligations comme<br />

telles, et non point le contrat, lequel n’est d’ailleurs pas la seule source<br />

des obligations que le droit civil sanctionne.<br />

D’emblée, la confusion est totale et l’on doit à son ancienneté de n’être<br />

plus qu’une anecdote, la doctrine ayant, de longue date, mis les choses<br />

au point (4).<br />

3. — Des observations de même nature s’imposent à propos de la<br />

classification des contrats, à laquelle le législateur napoléonien s’est<br />

essayé. Un contrat est unilatéral, lorsqu’il n’emporte d’obligations<br />

que pour l’une des parties (art. 1103). Selon l’article 1102, il est « synallagmatique<br />

ou bilatéral, lorsque les contractants s’obligent réciproquement<br />

les uns envers les autres ». Il est « de bienfaisance »,<br />

quand une partie procure à l’autre un avantage gratuit, mais « à titre<br />

onéreux », s’il « assujettit chacune des parties à donner ou à faire<br />

quelque chose ».<br />

Passons sur le fait que, dans la combinaison de ces définitions, le<br />

contrat qui obligerait chacune des parties « à ne pas faire quelque<br />

chose » est oublié. Il ne s’agit que d’une erreur de plume supplémentaire.<br />

L’assimilation des contrats bilatéraux et synallagmatiques est,<br />

par contre, source de confusion, car il peut y avoir des contrats bilatéraux,<br />

qui ne sont pas synallagmatiques et auxquels les règles pro-<br />

(1) Expression que nous empruntons à l’intitulé du colloque organisé par le<br />

Centre d’histoire du droit et de droit comparé de la Faculté de droit de l’U.L.B.,<br />

pour la célébration du bicentenaire du Code civil.<br />

(2) Principes de droit civil, t. XVI, n o 356, cité par P.-A. Foriers, « Variations<br />

sur le thème de la tradition », in Mélanges Perelman, p. 47, note 58.<br />

(3) Voy. notam., R.O. Dalcq, « Quelques réflexions à propos de la rédaction<br />

des articles 1101 à 1167 du Code civil », in Mélanges Marcel Fontaine, p. 111;<br />

comp. Y. Merchiers, « Faut-il recodifier notre droit des contrats? », Liber Memorialis<br />

Fr. Laurent, p. 569.<br />

(4) De Page, t. II, 3 e éd., n o 447.<br />

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pres à ces derniers, par conséquent, ne s’appliqueront pas. Quant à la<br />

distinction entre les contrats de bienfaisance et les contrats à titre<br />

onéreux, elle n’a, comme telle, aucune conséquence pratique, la gratuité,<br />

synonyme d’unilatéralité, ne se confondant d’ailleurs pas avec<br />

la libéralité, au sens spécifique du terme en matière de testaments et<br />

de donations (5).<br />

Oubliée, la distinction entre les contrats consensuels, les contrats réels<br />

et les contrats solennels, pourtant si nombreux à nouveau aujourd’hui,<br />

de même que la distinction entre les contrats intuitu personae et les<br />

autres, dont l’importance en droit contemporain est considérable (6) et<br />

qui n’est indirectement évoquée qu’à l’article 1110, au titre de l’erreur<br />

sur la substance. Ignorés, les contrats collectifs et les contrats d’adhésion.<br />

Nous ne sommes personnellement nullement convaincu qu’une classification<br />

des contrats, dont la dimension réellement normative est nulle<br />

et qui relève du commentaire, se justifie, sauf à sacrifier à un cartésianisme<br />

de pacotille. Mais dans la mesure où le législateur se prête au jeu,<br />

au moins convient-il que le tableau, établi à un moment donné, soit<br />

cohérent, même s’il est, par nature, condamné à évoluer.<br />

4. — On aurait voulu être moins critique à propos des articles 1108 à<br />

1133, concernant les « conditions essentielles pour la validité des<br />

conventions ». Malheureusement, on doit observer que le Code civil<br />

manque un pan entier de la réalité juridique de la formation des contrats,<br />

en traitant exclusivement de leurs conditions de validité d’un point de<br />

vue statique.<br />

Pas un mot de la formation des contrats d’un point de vue dynamique,<br />

rien sur les pourparlers préliminaires, sur les avant-contrats, sur les promesses<br />

de contrat, rien sur l’offre ni sur l’acceptation. C’est donc à la<br />

jurisprudence et à la doctrine qu’il est revenu de construire, à cet égard,<br />

l’appareil normatif nécessaire, confirmant, au passage, leur rôle essentiel<br />

dans la formation du droit, en complément de la loi.<br />

De même, le Code civil n’est d’aucun secours mais, corrélativement,<br />

n’élève aucune entrave au développement de conceptions nouvelles,<br />

dans cette matière particulièrement sensible en pratique. Ainsi en vat-il,<br />

par exemple, de la théorie de la punctatio, plus ouverte à la complexité<br />

qui caractérise, dans la réalité de la vie des affaires, le processus<br />

de formation des contrats, que ne l’est la traditionnelle théorie de l’offre<br />

et de l’acceptation, trop abstraite et trop catégorique pour pouvoir rendre<br />

exactement compte de celle-ci (7).<br />

5. — D’une manière générale, les conditions de validité des contrats, si<br />

l’on s’en tient à elles, sont énoncées par l’article 1108 du Code civil,<br />

avec quelques approximations et qualifications inutiles. Qu’un contrat<br />

requiert « le consentement de celui qui s’oblige », certes mais aussi de<br />

l’autre partie. Le profane qui s’en tiendrait à la lecture de cette disposition<br />

recevrait d’emblée une fausse image de la réalité et aurait peine à<br />

comprendre la différence entre contrat et engagement par déclaration<br />

unilatérale de volonté.<br />

L’objet, énonce le même article, doit être « certain », mais un peu plus<br />

loin on parlera d’objet « déterminé » (art. 1129), alors que chacun sait<br />

aujourd’hui qu’il suffit qu’il soit « déterminable ». Quant à la cause,<br />

tant l’article 1108 que l’article 1131 la présentent comme un attribut nécessaire<br />

de l’obligation, alors que c’est du contrat qu’elle constitue un<br />

élément, « en arrière-plan du consentement » suivant l’heureuse formule<br />

de Carbonnier (8).<br />

(5) Voy. Van Ommelsaghe, « Observations sur la théorie de la cause dans la<br />

doctrine et dans la jurisprudence moderne », R.C.J.B., 1970, p. 328, n os 10 et<br />

16.<br />

(6) Van Ryn et Heenen, t. III, 2 e éd., n o 2.<br />

(7) M. Fontaine, « Offre et acceptation - Approche dépassée du processus de<br />

formation des contrats », Mélanges Van Ommeslaghe, p. 115.<br />

(8) Droit civil, t. 4, 22 e éd., n o 58.<br />

2004<br />

291


2004<br />

292<br />

6. — Plus particulièrement, les dispositions relatives au consentement<br />

(art. 1109 à 1122) hypertrophient la place de la violence parmi les vices<br />

dont le consentement peut être affecté. Pas moins de cinq dispositions<br />

lui sont consacrées, avec un luxe de détails inutiles (art. 1111 à<br />

1115), alors que l’erreur, de loin la plus importante des éventuelles<br />

causes de nullité en pratique, n’a droit qu’à une disposition, qui la définit<br />

d’ailleurs en termes vagues et impropres (art. 1110) et que le dol,<br />

réduit lui aussi à la portion congrue, est confondu avec le seul dol<br />

principal, par l’article 1116, qui termine par l’énoncé superflu d’une<br />

règle de preuve : « le dol ne se présume pas et doit être prouvé ».<br />

Tiens donc!<br />

Ici aussi, c’est à la doctrine et à la jurisprudence qu’il est revenu de fixer<br />

les contours précis des notions d’erreur et de dol, en s’écartant d’ailleurs<br />

de la conception restrictive qu’en offrent, à la lettre, les articles 1110 et<br />

1116. Ainsi sont apparus, en marge du Code, les concepts d’erreur de<br />

fait et d’erreur de droit (9), d’erreur sur la valeur et d’erreur sur le prix<br />

(10), d’erreur sur les motifs en parallèle avec la théorie de la cause (11),<br />

d’erreur inexcusable et de dol incident (12). C’est aussi la jurisprudence<br />

qui a dû définir le rôle de l’erreur inexcusable, d’ailleurs pour le neutraliser,<br />

en cas d’erreur provoquée par un dol (13).<br />

On y ajoutera le développement considérable des obligations précontractuelles,<br />

d’information, de loyauté, voire de conseil, que la jurisprudence<br />

a reconnues, en droit commun d’abord, sur la base des principes<br />

généraux de la responsabilité civile ou de l’abus de droit et du principe<br />

de la bonne foi, et que le législateur a cru devoir spécifier, pour sacrifier<br />

à l’esprit du temps, dans certains domaines relevant du droit de la consommation,<br />

particulièrement aux termes de la loi du 14 juillet 1991 sur<br />

les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur,<br />

ainsi que de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation<br />

(14).<br />

7. — La lésion, considérée comme une annexe à la théorie des vices<br />

de consentement par l’article 1118 du Code civil, « ne vicie les conventions<br />

que dans certains contrats ou à l’égard de certaines<br />

personnes ». En soi, le principe est certain et il est assurément plus<br />

utile que jamais de le rappeler, dans une période de vrais ou faux<br />

bons sentiments, où les individus font de plus en plus fréquemment<br />

l’objet, en droit, d’une classification en catégories, selon notamment<br />

qu’ils sont présumés « dominants », et suspects d’abuser de leur position,<br />

ou « faibles, » et jugés comme tels inaptes à l’exercice de la<br />

liberté contractuelle.<br />

Le droit des obligations, sous le couvert de sa technicité qui peut parfois<br />

en occulter les grandes tendances, connaît ainsi depuis longtemps, en latence<br />

en quelque sorte, un principe de discrimination positive, au profit<br />

de certaines catégories de personnes. Le droit social avait ouvert la voie,<br />

le droit de la consommation l’emprunte à son tour, faisant du consommateur<br />

une sorte d’espèce protégée. Mais, plus généralement, c’est aussi<br />

le principe de la bonne foi, dans ses dimensions normatives nouvelles<br />

qui peuvent conduire à une véritable réadaptation du contrat par le juge,<br />

au nom d’une certaine conception de l’équilibre, la théorie de l’abus de<br />

droit, voire — en opposition plus directe à la règle énoncée par<br />

l’article 1118 — la théorie de la « lésion qualifiée », qui apportent à celui-ci<br />

des démentis plus ou moins cinglants (15).<br />

(9) M. Coipel, note sous Cass., 10 avril 1975, R.C.J.B., 1978, p. 202.<br />

(10) Terré, Simler et Lequette, Droit civil - Les obligations, Dalloz, 2002,<br />

n os 212 et 220.<br />

(11) Van Ommeslaghe, op. cit., p. 353, n o 17.<br />

(12) J. Declerck-Goldfracht, note sous Cass., 6 mai 1971, R.C.J.B., 1972,<br />

p. 250.<br />

(13) Cass., 19 mai 1980, Pas., 1980, I, 1190.<br />

(14) Van Ommeslaghe, « Le consumérisme et le droit des obligations », Mélanges<br />

Heenen, p. 509.<br />

(15) On se souvient que le thème de l’équilibre dans les relations contractuelles,<br />

sous le couvert de ces différentes théories doctrinales et jurisprudentielle,<br />

a été identifié comme tel par le professeur Van Ommeslaghe dans ses leçons à<br />

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A s’en tenir à cette disposition légale, la lésion, dont il y est question<br />

comme d’un concept unique, recouvre en vérité des réalités fort différentes,<br />

ainsi que la doctrine a dû en faire l’observation : rien de commun,<br />

en effet, ou fort peu, entre la lésion objective sanctionnée comme<br />

une présomption de vice de consentement dans certains types d’opérations,<br />

et la lésion des mineurs sanctionnée au titre de la protection des<br />

incapables (16).<br />

8. — La section relative au consentement, comme condition de validité<br />

des contrats, se poursuit par des dispositions sans rapport avec le sujet,<br />

en tant qu’elles concernent, dans des termes d’ailleurs discutables, les<br />

effets des contrats à l’égard des tiers (art. 1119 à 1122).<br />

« On ne peut, en général, s’engager, ni stipuler en son propre nom, que<br />

pour soi-même » (art. 1119). D’autre part, selon l’article 1121 du Code<br />

civil, la stipulation pour autrui devrait rester exceptionnelle. Rien n’est<br />

plus faux, ainsi que le relevait déjà M. le procureur général Leclercq en<br />

1930 : « Pour mettre le Code en accord avec le droit vivant, il faudrait<br />

d’abord effacer l’article 1121 devenu inutile et de plus refaire<br />

l’article 1119, et y inscrire purement et simplement une règle contraire<br />

à celle qui y est énoncée actuellement, et qui serait ainsi conçue : il est<br />

permis d’insérer dans un contrat une stipulation pour autrui » (17). On<br />

ne pourrait mieux dire.<br />

9. — S’agissant de l’objet du contrat et de « sa matière », on sait que les<br />

articles 1126 et suivants du Code civil reposent sur une confusion entre<br />

l’objet du contrat et l’objet des obligations que le contrat engendre et<br />

qu’en définitive, ces dispositions traitent avant tout de l’objet des obligations<br />

contractuelles (18). Sous le bénéfice de cette première observation,<br />

assez académique il est vrai, le contraste entre les textes et la théorie<br />

moderne de l’objet est, lui aussi, très frappant.<br />

Passons l’article 1127 du Code civil, tout à la fois inutile et incomplet,<br />

et l’article 1128 du Code civil qui, en rappelant que les choses hors<br />

commerce ne peuvent pas faire l’objet d’un contrat, ne vise qu’une variété<br />

d’objet illicite. Mais, différence plus significative entre la lettre<br />

des textes et la réalité du droit positif, il faut mais il suffit, contrairement<br />

à ce qu’énonce, en des termes assez archaïques, l’article 1129, que l’objet<br />

des obligations contractuelles soit déterminable au moment de la<br />

conclusion du contrat. Bien plus, selon une fraction de la doctrine belge<br />

au moins, la détermination de l’objet des obligations peut, en vertu du<br />

contrat et moyennant certains garde-fous, être confiée à l’une des parties<br />

(19), hypothèse inconnue du Code civil sauf, et très indirectement,<br />

dans un cas exceptionnel (20).<br />

Sous réserve des pactes sur succession future, « les choses futures peuvent<br />

faire l’objet d’une obligation » (art. 1130). Mais qu’est-ce qu’une<br />

chose future? La doctrine et la jurisprudence ont eu beaucoup de mal à<br />

le déterminer et les solutions acquises restent, par certains côtés, très insatisfaisantes<br />

(21). particulièrement à propos des opérations sur créances<br />

futures, l’exigence liée à la déterminabilité de l’objet a conduit à<br />

l’invalidation de la cession en garantie d’une dette, de toutes créances<br />

dont le cédant sera titulaire à l’échéance de celle-ci (22). Pourtant, dès<br />

la chaire Franqui de l’Université de Gand en 1990. Adde : brevitatis causa, notre<br />

étude : « Tendances générales du droit contemporain des obligations », in<br />

Les obligations contractuelles, 2002, p. 2, n os 2 et s.<br />

(16) De Page, t. I, 3 e éd., n os 70 et 78.<br />

(17) Note sous Cass., 2 mai 1930, Pas., 1930, I, 193. Colin et Capitant, t. II,<br />

n o 336.<br />

(18) P.-A. Foriers, « L’objet », in Les obligations en droit belge et en droit français<br />

- Convergences et divergences, 1994, p. 65.<br />

(19) P.-A. Foriers, op. cit., p. 70, n os 8 et s.<br />

(20) Ancien article 1854 du Code Civil remplacé par l’article 31 du Code des<br />

sociétés.<br />

(21) Conclusions de M. le procureur général Hayoit de Termicourt précédant<br />

Cass., 9 avril 1959, Pas., 1959, I, 793. Note J. Heenen sous l’arrêt précité,<br />

R.C.J.B., 1961, p. 35.<br />

(22) Cass., 9 avril 1959 (précité) et la note J. Heenen (précitée). Adde : Cass.,<br />

28 mars 1974, Pas., 1974, I, 776, à propos d’un gage sur fonds de commerce


la conclusion de pareil contrat, cédant et cessionnaire sont d’accord sur<br />

l’objet de la cession et le critère de détermination de l’objet, le moment<br />

venu, est parfaitement connu des parties : toutes les créances du cédant<br />

le jour de l’échéance de la dette de garantie. On ne peut être plus objectif<br />

et un simple inventaire suffira. La rédaction maladroite de l’article 1129<br />

n’est évidemment pas étrangère à cette restriction byzantine.<br />

10. — Paradoxalement si l’on a égard aux controverses doctrinales dont<br />

elle a fait l’objet, c’est la notion de cause qui paraît la moins mal traitée<br />

par le Code civil. L’article 1131 en traite indistinctement, qu’il s’agisse<br />

de la cause inexistante, de la fausse cause ou de la cause illicite, fournissant<br />

ainsi un appui, au moins littéral, à la thèse de l’unicité de la notion<br />

de cause. La définition de la cause illicite, telle qu’elle découle de<br />

l’article 1133, n’appelle pas de commentaire, pas plus que celle du billet<br />

non causé (art. 1132).<br />

Tout n’est pas dit pour autant et tant la doctrine que la jurisprudence ont<br />

dû, en cette matière également, jouer un indispensable rôle de complément,<br />

notamment pour asseoir la validité des actes abstraits de leur cause<br />

en vertu de la volonté des parties (23), pour fixer certains aspects de<br />

la définition de la cause en relation avec la notion de champ contractuel<br />

(24), ou encore pour déterminer la portée exacte des adages nemo auditur...<br />

et in pari causa... dans les cas d’objet ou de cause illicites (25).<br />

11. — Les observations qui précèdent, limitées aux chapitres I er et II des<br />

dispositions du Code civil relatives aux contrats et aux obligations conventionnelles<br />

en général, n’offrent qu’une illustration de la vieillesse de<br />

notre Code civil et de ses imperfections. A vrai dire, nous croyons qu’en<br />

définitive, le Code Napoléon aura aussi eu pour mérite de contenir des<br />

dispositions suffisamment vagues ou lacunaires pour permettre au droit<br />

pour sûretés de dettes futures. En matière d’hypothèque : M. Grégoire, Les sûretés<br />

- Droit bancaire et financier, 2002/VI, p. 346, n os 60 et s. Comp. la solution,<br />

en apparence opposée, en matière de cautionnement pour toutes sommes<br />

dues ou à devoir, R.P.D.B., compl., t. V, par A. Limpens, n os 45 et s.<br />

(23) Van Ommeslaghe, op. cit., R.C.J.B., 1970, spéc. p. 357, n os 19 et s.<br />

(24) Par arrêt du 12 octobre 2000, R.C.J.B., 2003, p. 74 et la note P. Wéry, la<br />

Cour de cassation a précisé à cet égard qu’il suffit que les mobiles déterminants<br />

d’une partie soient illicites pour que la nullité de la convention se justifie, sans<br />

qu’il soit nécessaire que l’autre partie aient dû même les connaître.<br />

(25) Voy. notam., le célèbre arrêt de la Cour de cassation, 8 déc. 1966, R.C.J.B.,<br />

1967, p. 6 et la note J. Dabin, à propos du caractère facultatif de l’adage in pari<br />

causa... et des critères qui doivent guider le juge du fond dans l’application de<br />

cet adage.<br />

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des obligations d’évoluer et de s’adapter aux nécessités modernes, grâce<br />

à l’activité créatrice de la jurisprudence et de la doctrine.<br />

Aujourd’hui, il n’offre plus, sur de nombreux points, qu’une espèce de<br />

verbo ou de nomenclature, sur la base de laquelle il est possible de situer<br />

les règles et principes du droit positif qui, dans une très large mesure,<br />

sont d’origine jurisprudentielle et doctrinale.<br />

La conséquence qu’il se justifie d’en déduire n’est pas, à notre avis,<br />

qu’une recodification serait souhaitable. Car l’idée même de Code, dans<br />

une matière aussi vivante et complexe que le droit des obligations, est<br />

inappropriée. Sous réserve de quelques interventions de nature technique<br />

nettement circonscrites (26), il serait vain et singulièrement dangereux<br />

d’attendre du législateur qu’il prenne l’initiative en ce domaine.<br />

Quant à une codification européenne, on peut en redouter le caractère<br />

technocratique, outre que la réconciliation d’options fondamentalement<br />

différentes, dans les droits d’inspiration germanique, latine, anglosaxonne<br />

et scandinave, constitue en notre matière un obstacle difficilement<br />

surmontable autrement que par un pur rapport de force.<br />

Que le législateur se garde donc bien de se mêler du droit des obligations<br />

et que le bicentenaire du Code civil ne soit pas autre chose qu’une<br />

occasion de commémoration, un plaisir pour érudits... Tel est, à notre<br />

sens, le meilleur que l’on puisse souhaiter pour l’avenir, en cette matière<br />

particulièrement. La dernière phrase d’un nouveau Code ponctuée, de<br />

nouvelles questions d’interprétation, instantanément, surgiront. Si l’on<br />

devait céder néanmoins à la tentation, encore d’autres modèles mériteraient-ils<br />

au moins de retenir l’attention, tel, en particulier, le nouveau<br />

Code civil néerlandais, beaucoup plus moderne et mieux structuré.<br />

Xavier DIEUX<br />

(26) En matière de preuve, par ex., voy. à cet égard : Van Ommeslaghe, J.T.,<br />

2000, p. 10.<br />

2004<br />

293


2004<br />

294<br />

DE L’EFFET DES OBLIGATIONS<br />

Livre III - Titre III - Chapitre III<br />

1. — Les matières du chapitre III du titre III du livre III du Code civil<br />

font l’objet de plus de deux cents pages de commentaire dans les<br />

tomes II et III du Traité élémentaire de droit civil belge de De Page.<br />

C’est dire que, eu égard aux limites de ce numéro spécial, l’examen de<br />

l’évolution de ces matières depuis 1804 ne pourra porter que sur certaines<br />

questions et ne pourra pas être approfondi.<br />

* * *<br />

2. — Les grands principes du régime contractuel, déposés dans les<br />

articles 1134 et 1135 du Code civil ont, depuis 1804, connu une évolution<br />

à laquelle de nombreux travaux ont été consacrés.<br />

Les dispositions impératives ou d’ordre public limitant l’autonomie de<br />

la volonté ou les effets du principe de la convention-loi se sont multipliées,<br />

essentiellement en vue de pallier les conséquences de l’inégalité<br />

économique des parties contractantes ou comme conséquence de la relativisation<br />

du droit de propriété.<br />

Cette évolution, allant par ailleurs de pair avec un nouvel essor du concept<br />

contractuel (1), se poursuit notamment dans le cadre de la législation<br />

tendant à la protection du consommateur (2).<br />

Il serait matériellement impossible de reprendre une nouvelle fois cette<br />

vaste matière dans le cadre de la présente contribution.<br />

Aussi me limiterai-je à évoquer brièvement, à propos des articles 1134<br />

et 1135 du Code civil, deux questions ponctuelles, au demeurant liées :<br />

la bonne foi et l’abus de droit dans le droit des contrats.<br />

3. — L’idée générale de l’abus de droit n’a sans doute été connue ni de<br />

l’ancien droit ni du droit romain, même s’ils ont envisagé la répression<br />

de l’intention de nuire (3).<br />

Si l’article 1134, alinéa 3, du Code civil énonce que les conventions<br />

doivent être exécutées de bonne foi, le législateur de 1804 n’a sans doute<br />

pas entendu poser par là en principe la prohibition de l’abus de droit.<br />

4. — Ce texte a été longtemps compris comme n’énonçant qu’une règle<br />

interprétative s’adressant au juge.<br />

Cette fonction interprétative faisant largement double emploi avec la règle<br />

déposée dans l’article 1156 du Code civil (4) est aujourd’hui délaissée<br />

au profit d’une fonction complétive (5) et d’une fonction modératrice,<br />

permettant au juge, dans certaines circonstances, d’empêcher le<br />

créancier de faire valoir pleinement ses droits (6).<br />

5. — C’est à cette fonction modératrice de l’exécution de bonne foi que<br />

va se rattacher la théorie de l’abus de droit en matière contractuelle.<br />

(1) Voy. L. Simont, « Tendances et fonctions actuelle du droit des contrats », in<br />

« La renaissance du phénomène contractuel », C.D.V.A., 1971, p. 489 et la référence<br />

aux travaux fondamentaux de Ripert, Savatier, Josseraud, Durand, Duguet<br />

et Morel et, en Belgique, des professeurs De Harven, De Page et Dabin; voy. aussi<br />

« Observations sur l’évolution du droit des contrats », J.T., 1982, pp. 285 et s.<br />

(2) Van Ommeslaghe : « Le consumérisme et le droit des obligations<br />

conventionnelles », in Hommage à Jacques Heenen, pp. 509 et s.; voy. aussi<br />

A. Puttemans, « La vente au consommateur », in De koop/La vente, La Charte,<br />

2002, pp. 221 et s.<br />

(3) Stoffel-Munck, L’abus de droit dans le contrat, n os 17 à 26; Campion, La<br />

théorie de l’abus des droits, n os 5 à 30.<br />

(4) Cf. infra n o 17.<br />

(5) Stijns, J.T., 1996, p. 702, n o 35; outre les exemples cités par cet auteur, voy.<br />

la sentence arbitrale du 23 mars 2001, faisant application du droit belge et relatée<br />

dans un arrêt du Tribunal fédéral suisse du 19 décembre 2001, rejetant un<br />

recours en nullité contre ladite sentence, A.S.A. Bulletin 2002, p. 493.<br />

(6) Stijns, J.T.; 1996, p. 704, n o 36.<br />

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On sait en effet que, depuis quatre arrêts du 19 septembre 1983 (7), la<br />

Cour de cassation fonde l’abus de droit contractuel non plus sur<br />

l’article 1382 du Code civil, mis en exergue par l’arrêt de principe du<br />

10 septembre 1971 (8) mais sur l’article 1134, alinéa 3, de ce Code.<br />

La Cour de cassation a depuis lors confirmé cette jurisprudence par une<br />

série d’arrêts (9).<br />

6. — Parmi ceux-ci, on notera spécialement les arrêts qui, excluant que<br />

la « rechtsverwerking » puisse constituer un principe général de droit<br />

autonome, réservent toutefois l’hypothèse d’un abus de droit (10).<br />

7. — On notera aussi que, selon les espèces, la Cour de cassation a retenu<br />

comme critères de l’abus de droit en matière contractuelle, des critères<br />

antérieurement dégagés pas la jurisprudence dans le cas d’abus fondés<br />

sur l’article 1382 du Code civil (11) : l’exercice du droit sans intérêt raisonnable<br />

et suffisant, notamment lorsque le préjudice causé est sans proportion<br />

avec l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit (12)<br />

ou l’exercice du droit qui excède manifestement les limites de l’exercice<br />

normal de ces droits par une personne prudente et diligente (13).<br />

8. — On observera enfin que la Cour décide que la sanction en cas d’abus<br />

de droit lors de l’exercice de droits contractuels consiste à imposer l’exercice<br />

normal de ces droits ou à réparer le dommage résultant de cet abus, cette<br />

réparation pouvant consister, en cas d’invocation abusive d’une clause contractuelle,<br />

à priver le créancier du droit de se prévaloir de la clause (14).<br />

Un tel mode de réparation ne se distingue pas essentiellement de celui<br />

appliqué par la Cour en matière quasi délictuelle lorsqu’elle considère<br />

que l’appropriation d’une étroite bande de terrain devait être réparée<br />

non en nature, par une démolition abusive, mais par une allocation de<br />

dommages-intérêts proportionnés au préjudice subi (15).<br />

9. — Cette convergence des critères de l’abus de droit et de ses modes<br />

de réparation n’étonnera pas si l’on constate que, avant les arrêts du<br />

19 septembre 1983 des autorités considérables avaient défendu l’idée<br />

que l’abus de droit en matière contractuelle devait être sanctionné par<br />

l’article 1382 du Code civil (16) et que même après ces arrêts, Van Ryn<br />

et Dieux ont maintenu que l’abus de droit précédent d’un manquement<br />

au principe de l’exécution de bonne foi constituait aussi et simultanément<br />

une contravention à l’article 1382 du Code civil (17).<br />

10. — A la vérité, on peut s’interroger sur l’intérêt de la controverse si<br />

l’on se reporte aux origines de l’article 1134, alinéa 3, du Code civil.<br />

(7) Pas., 1984, I, 55; R.C.J.B., 1986, 282 et note Fagnart; R.D.C., 1984, 276 et<br />

note Rauws.<br />

(8) Pas., 1972, I, 28 et la note WG; R.C.J.B., 1976, p. 300 et la note Van Ommeslaghe.<br />

(9) Voy. les références citées par Stijns, J.T., 1996, p. 704, n os 39 et s.; adde :<br />

Cass., 10 févr. 1996, Pas., 1996, I, n o 66; Cass., 14 nov. 1997, Pas., 1997, I,<br />

n o 477; Cass., 13 mars 1998, Pas., 1998, I, n o 1411; Cass., 8 févr. 2001, Pas.,<br />

2001, I, n o 78; Cass., 11 sept. 2003, n o C.2001.470.N.<br />

(10) Cass., 17 mai 1990, Pas., 1990, I, 1061, R.C.J.B., 1990, 595, note<br />

J. Heenen; Ann. dr. Liège, 1990, p. 283, obs. Moreau-Margrève; Cass., 6 déc.<br />

1991, Pas., 1992, I, 226; Cass., 20 févr. 1992, Pas., 1992, I, 549; comp. Cass.,<br />

12 mai 1989, Pas., 1989, I, 959; comp. égalem. Cass., 16 nov. 1990, Pas.,<br />

1991, I, 292; cons. Stijns, J.T., 1996, n o 43, p. 705.<br />

(11) Voy. la note de M. le procureur général Ganshof van der Meersch sous<br />

arrêt 10 sept. 1971, Pas., 1972, I, 28.<br />

(12) Voy. les arrêts cités par Stijns, J.T. 1996, n o 45, p. 707, 2 e col. et notam.,<br />

arrêts 19 sept. 1983 et Cass., 30 janv. 1992, Pas., 1992, I, n o 283.<br />

(13) Cass., 1 er févr. 1996, Pas., 1996, I, n o 66; Cass., 8 févr. 2001, Pas., 2001,<br />

I, n o 78; Cass., 11 sept. 2003, n o C.2001.470.N.<br />

(14) Cass., 8 févr. 2001, Pas., 2001, I, n o 78; Cass., 16 déc. 1982, Pas., 1983,<br />

I, n o 231; voy. Foriers, R.C.J.B., 1994, n o 12, p. 206.<br />

(15) Cass., 10 sept. 1971, Pas., 1972, I, 28 et la note W.G., spéc. pp. 37 et 38,<br />

se référant à la doctrine de Ronse (Schade en schadeloosstelling, n o 291).<br />

(16) Van Ryn, Responsabilité aquilienne et contrat, n o 167; Hayoit de Termicourt,<br />

conclusions avant Cass., 11 avril 1958, R.C.J.B., 1958, p. 153; Dalcq,<br />

t. I, n os 584 à 587; Van Ommeslaghe, R.C.J.B., 1975, n o 4bis, p. 435.<br />

(17) Van Ryn et Dieux, « La bonne foi dans le droit des obligations », J.T., 1991,<br />

289; voy. aussi Dieux, Le respect dû aux anticipations légitimes d’autrui, n o 66.


Stoffel-Munck a en effet démontré, d’une manière tout à fait convaincante<br />

que, pour le législateur de 1804, la bonne foi exigée dans l’exécution<br />

du contrat était de la même nature que celle devant présider sa conclusion,<br />

avec cette conséquence que, préexistante au contrat, elle ne<br />

pouvait en dériver.<br />

Le texte originaire de l’article 1134, alinéa 3 — les conventions<br />

« doivent être contractées et exécutées de bonne foi » — et les conditions<br />

dans lesquelles ce texte a été adopté dans sa forme actuelle sont à<br />

cet égard déterminants (18).<br />

11. — Un tel ancrage de l’article 1134, alinéa 3, dans la responsabilité<br />

quasi délictuelle vient évidemment à l’appui des enseignements précités<br />

de Van Ryn et Xavier Dieux, comme il conforte l’idée, défendue par Van<br />

Ommeslaghe, que la règle déposée dans l’article 1134, alinéa 3, ne serait<br />

qu’une expression d’un principe général du droit, dépassant le domaine<br />

de l’exécution des contrats et concernant toute la matière des<br />

obligations (19).<br />

On peut par ailleurs se demander, avec P.-A. Foriers (20) si la Cour de<br />

cassation n’a pas fondé l’abus de droit en matière contractuelle sur<br />

l’article 1134, alinéa 3, pour ne pas devoir reconnaître une exception<br />

aux conditions du cumul des responsabilités qu’elle avait définies à la<br />

même époque.<br />

12. — Ce sont ces incertitudes qui expliquent que le moyen de cassation<br />

ayant donné lieu à l’arrêt du 19 septembre 1983 visait prudemment tant<br />

les articles 1382 et 1383 du Code civil que l’article 1134, alinéa 3, de ce<br />

Code et le principe général de l’abus des droits.<br />

Il est intéressant de noter que les avocats aux conseils témoignent de la<br />

même prudence en France en visant, soit l’article 1382 si on analyse le<br />

comportement critiqué comme un abus de droit engageant la responsabilité<br />

quasi délictuelle de son auteur, soit les articles 1134, alinéa 3,<br />

1135 et 1147 si on l’analyse comme un manquement contractuel (21).<br />

13. — Quoi qu’il en soit de ces incertitudes, on peut en tout cas constater<br />

que la théorie de l’abus de droit, qui n’existait pas comme telle en<br />

1804, s’est développée depuis jusqu’à être consacrée par un principe général<br />

du droit prohibant aussi bien les abus en matière extracontractuelle<br />

que lors de l’exercice de droits contractuels.<br />

Ce développement s’est accompagné d’une réduction progressive des<br />

droits discrétionnaires, dont l’existence même est mise en cause, spécialement<br />

en matière contractuelle (22).<br />

14. — La circonstance que l’abus de droit en matière contractuelle soit<br />

aujourd’hui fondé sur l’article 1134, alinéa 3, plutôt que sur<br />

l’article 1382 du Code civil paraît s’expliquer par la jurisprudence de la<br />

Cour de cassation sur le cumul de responsabilité.<br />

Cette différence de fondement n’emporte guère de conséquences en pratique<br />

eu égard à la similitude des critères d’abus et des sanctions appliqués<br />

dans un cas comme dans l’autre et à l’origine, historiquement quasi<br />

délictuelle, de l’article 1134, alinéa 3.<br />

* * *<br />

15. — Les limites de cette contribution ne permettent pas de longs commentaires<br />

sur les évolutions qu’ont connues les articles 1146 à 1155 du<br />

Code civil.<br />

Un point doit cependant être souligné.<br />

(18) L’abus dans le contrat, n os 129 à 131.<br />

(19) « L’exécution de bonne foi, principe général de droit? », R.G.D.C., 1987,<br />

101.<br />

(20) R.C.J.B., 1994, pp. 189 et s., spéc. pp. 202 et 203, en ce sens également,<br />

Stijns : « Abus, mais de quel(s) droit(s)? », J.T., 1990, n o 1.3.1. in fine, p. 35 in<br />

fine et 36.<br />

(21) Stoffel-Munck, op. cit., p. 107.<br />

(22) Foriers, R.C.J.B., 1994, n o 17, p. 213; Stijns, J.T., 1990, p. 38, n o 2.3.1;<br />

Van Ommeslaghe, R.C.J.B., 1976, n o 8, p. 321.<br />

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La Cour de cassation répète avec constance qu’en cas d’inexécution<br />

fautive d’une obligation contractuelle, la réparation due par le débiteur<br />

de cette obligation au créancier doit, sous réserve de l’application des<br />

articles 1150 et 1151 du Code civil, être intégrale tant pour la perte subie<br />

que pour le gain dont ce dernier est privé (23).<br />

La Cour réserve ainsi l’exigence, en matière contractuelle, de la prévisibilité<br />

du dommage (art. 1150) et de ce que la perte éprouvée soit une<br />

suite immédiate et directe de la faute (art. 1151).<br />

16. — Si ces exigences se traduisaient en 1804 par une véritable dualité<br />

de régimes, l’évolution de la jurisprudence relative à ces deux textes fait<br />

toutefois apparaître que leur application ne révèle que peu de différences<br />

entre les solutions appliquées en matières aquilienne et contractuelle.<br />

D’une part, en effet, l’exigence de prévisibilité du dommage n’est retenue<br />

que quant au principe de celui-ci.<br />

D’autre part, malgré les termes « suite directe » utilisés par<br />

l’article 1151, la jurisprudence approuvée par la doctrine les interprète<br />

comme visant une suite nécessaire de l’inexécution.<br />

On constate donc, dans la pratique, une très grande similitude entre les<br />

deux régimes de responsabilité (24).<br />

Cette similitude se retrouve encore dans les arrêts qui, comme en matière<br />

quasi délictuelle, admettent que, en cas de manquement contractuel,<br />

le juge peut déterminer le montant du dommage ex aequo et bono lorsqu’aucune<br />

des parties ne produit ou n’est en mesure de produire des éléments<br />

lui permettant d’apprécier exactement celui-ci (25).<br />

* * *<br />

17. — La doctrine et la jurisprudence ont très longtemps considéré que<br />

les règles relatives à l’interprétation des conventions, déposées dans les<br />

articles 1156 à 1164 du Code civil, ne constituaient que des conseils<br />

donnés au juge et non des règles s’imposant à lui (26).<br />

Sous l’impulsion notamment du discours, prononcé le 1 er septembre<br />

1978, par le procureur général Dumon (27), la Cour de cassation a infléchi<br />

cette solution traditionnelle en admettant que certains de ces articles<br />

constituaient, au sens de l’article 608 du Code judiciaire, des lois<br />

dont la violation pouvait être invoquée devant elle (28).<br />

C’est ainsi que la Cour a admis la recevabilité de moyens pris de la violation<br />

des articles 1156 (29), 1157 (30), 1159 et 1160 (31), 1161 (32) et<br />

1162 (33) du Code civil.<br />

La plupart des auteurs en déduisent que la même solution s’imposerait<br />

pour les articles de la section 5 du chapitre III à propos desquels la Cour<br />

de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer (Kruithof,<br />

T.P.R., 1994, 443; Wéry, J.T., 1996, p. 716).<br />

Lucien SIMONT<br />

(23) Voy. récem., Cass., 17 mai 2001, Pas., 2001, I, n o 289 et les conclusions<br />

de M. l’avocat général De Riemaecker.<br />

(24) Van Ommeslaghe, R.C.J.B., 1986, n o 107, pp. 219 et 108, p. 220; Stijns,<br />

J.T., 1996, n o 107, p. 726.<br />

(25) Cass., 20 sept. 2001, n o C.1999.57.N.<br />

(26) Laurent, Principes, t. XVI, n o 500; De Page, II, n o 565; voy. encore, Cass.,<br />

9 oct. 1964, Pas., 1965, I, 132.<br />

(27) « De la motivation des jugements et de la foi due aux actes », n o 26 in fine.<br />

(28) Van Ommeslaghe, R.C.J.B., 1986, pp. 173 et s.; Wéry, J.T., 1996, pp. 716<br />

et 717; Kruithof, T.P.R., 1994, n o 172, pp. 443 et 444; Cornelis, R.C.J.B., 1981,<br />

n o 25, p. 217.<br />

(29) Cass., 24 mars 1988, Pas., 1988, I, n o 466; Cass., 10 janv. 1994, Pas.,<br />

1994, I, n o 9.<br />

(30) Cass., 25 sept. 1981, Pas., 1981, I, p. 158; Cass., 21 sept. 1987, Pas.,<br />

1988, I, n o 89; Cass., 24 nov. 1988, Pas., 1989, I, n o 179.<br />

(31) Cass., 9 déc. 1999, Pas., 1999, n o 672.<br />

(32) Cass., 27 nov. 1986, Pas., 1987, I, n o 194.<br />

(33) Cass., 22 mars 1979, Pas., 1979, I, p. 863; Cass., 7 sept. 1979, Pas., 1980,<br />

I, p. 21; Cass., 17 oct. 1988, Pas., 1989, I, n o 89; Cass., 22 févr. 2002,<br />

n os C.2000.188 et 189 F.<br />

2004<br />

295


2004<br />

296<br />

DES DIVERSES ESPÈCES<br />

D’OBLIGATIONS<br />

Livre III - Titre III - Chapitre IV<br />

Le chapitre IV du titre III du livre III du Code civil n’est sans doute<br />

pas le plus inspirant. Sous le titre fourre-tout « Des diverses espèces<br />

d’obligations », cette partie du Code traite en effet de questions fort<br />

différentes et d’importance variable. Il y est successivement traité<br />

des obligations conditionnelles, à terme, alternatives, solidaires, divisibles<br />

et indivisibles et finalement des obligations avec clauses pénales.<br />

Dans ce bref commentaire, nous évoquerons en premier lieu les évolutions<br />

que ces questions ont connues depuis 1804 (1). La plupart des textes<br />

sont restés dans leur état originaire, et nombre d’entre eux portent la<br />

marque de leur âge. Seule la section relative aux clauses pénales a subi<br />

des modifications, avec la loi du 23 novembre 1998. Une seconde partie<br />

livrera quelques réflexions à portée plus générale sur les matières en<br />

cause, dans la perspective de l’harmonisation du droit au niveau européen.<br />

I. — COMMENTAIRES<br />

SUR LES DIFFÉRENTES SECTIONS<br />

1. — Obligations conditionnelles<br />

Les articles 1168 à 1184 traitent successivement de la condition en général<br />

et de ses diverses espèces, de la condition suspensive et de la condition<br />

résolutoire.<br />

Des dispositions générales, c’est l’article 1174, relatif à la nullité de<br />

la condition potestative, qui a le plus donné lieu à des développements.<br />

La Cour de cassation retient que la nullité ne concerne que la<br />

condition purement potestative, c’est-à-dire celle dont la réalisation<br />

dépend exclusivement de la volonté du débiteur. Une importante jurisprudence<br />

concerne la validité des clauses par lesquelles une partie<br />

se réserve de fixer et de modifier un prix ou un taux d’intérêt. De telles<br />

clauses sont validées à condition que la détermination soit fonction<br />

d’éléments objectifs; la question est liée à celle de la détermination<br />

de l’objet. Il est aussi acquis que la nullité de la condition purement<br />

potestative ne concerne que la condition suspensive, et non la<br />

condition résolutoire.<br />

La conception de la condition suspensive a évolué. La Cour de cassation<br />

considère depuis 1981 que la convention existe déjà pendente conditione,<br />

bien que son exécution soit suspendue; elle peut être source de droits<br />

et d’obligations, passibles de sanctions en cas d’inexécution. La jurisprudence<br />

est également nourrie autour de l’article 1178, qui déclare accomplie<br />

la condition dont la réalisation est empêchée par le fait du débiteur.<br />

Des deux articles que le Code civil consacre à la condition résolutoire,<br />

l’attention s’est portée sur le second. Il est depuis longtemps manifeste<br />

que l’article 1184 n’est pas à sa place. Malgré la fiction légale de la<br />

(1) Dans le cadre de cette très brève présentation qui se limite à évoquer les<br />

points forts sans les développer, nous avons choisi de renoncer à l’habituel appareil<br />

de notes. Les références utiles sont aisément accessibles auprès des sources<br />

bien connues. Cf. notam., la « Chronique de jurisprudence - Les obligations<br />

(1985-1995) » de S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, parue au J.T., 1996,<br />

pp. 734-745 (clauses pénales et résolution pour inexécution) et 1999, pp. 821-<br />

831 (autres matières du chapitre IV), ainsi que W. Van Gerven et<br />

S. Covemaeker, Verbintenissenrecht, 2001, pp. 119-123, 125-130 et 307-337.<br />

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« condition résolutoire tacite », il est évident que la résolution judiciaire<br />

pour inexécution n’est pas une simple « modalité » de l’obligation, mais<br />

l’une des pièces majeures du système des sanctions de l’inexécution<br />

contractuelle.<br />

A ce titre, le régime a connu de très importants développements doctrinaux<br />

(2) et jurisprudentiels au cours des dernières années. D’une<br />

part, le caractère judiciaire de la résolution, peu propice aux solutions<br />

rapides et efficaces, est largement remis en question et les conditions<br />

d’une résolution unilatérale, sous contrôle a posteriori du juge,<br />

se sont affirmées. D’autre part, les analyses se sont considérablement<br />

affinées quant aux effets dans le temps de la résolution. Le<br />

pacte commissoire, aménagement conventionnel de la résolution<br />

pour inexécution, retient également l’attention, notamment quant à<br />

sa licéité et à sa mise en œuvre; dans certains cas, la loi le prohibe ou<br />

le réglemente.<br />

2. — Obligations à terme<br />

Le Code civil consacre quatre articles au terme suspensif (art. 1185-<br />

1188), mais il néglige entièrement le terme extinctif; il est vrai que ce<br />

dernier ne pose guère de problèmes. La matière du terme suspensif est<br />

également très paisible. Malgré l’extrême fréquence du recours à cette<br />

modalité, aucun développement significatif n’est à relever. Le mécanisme<br />

est simple et bien rodé.<br />

3. — Obligations alternatives<br />

Les obligations alternatives font l’objet d’une codification élaborée<br />

aux articles 1189 à 1196 (les différentes hypothèses possibles de perte<br />

de la chose sont notamment traitées dans tous les détails), et la<br />

doctrine veille en outre à établir une distinction avec les obligations<br />

facultatives.<br />

Ici aussi, le calme règne. La raison en est sans doute ici la rareté du recours<br />

au procédé, encore que les obligations alternatives connaissent<br />

des applications nouvelles dans les pratiques financières (cf. les emprunts<br />

avec option de change).<br />

4. — Obligations solidaires<br />

La Cour de cassation a plusieurs fois rappelé qu’en présence d’une<br />

pluralité de débiteurs et/ou de créanciers d’une même obligation, celle-ci<br />

se divise en principe de plein droit. Il n’en va autrement que<br />

dans les cas de solidarité, d’obligations in solidum ou d’indivisibilité.<br />

La solidarité est régie par les articles 1197 à 1199 (solidarité active) et<br />

1200 à 1216 (solidarité passive). C’est de très loin la solidarité passive<br />

qui présente le plus d’importance en pratique, notamment en raison de<br />

la facilité et de la garantie de solvabilité qu’elle apporte au créancier.<br />

Aux sources de la solidarité passive prévues à l’article 1202 (loi, convention),<br />

la jurisprudence a ajouté la solidarité coutumière en matière<br />

commerciale, ainsi que la solidarité entre auteurs d’une faute commune<br />

(et non simplement concurrente). La doctrine a bien structuré les effets<br />

de la solidarité : obligation et contribution à la dette, effets principaux<br />

et effets secondaires. La jurisprudence est souvent appelée à se prononcer<br />

sur ces questions.<br />

Le concept d’obligation in solidum s’est par ailleurs développé : chacun<br />

des débiteurs est également tenu pour le tout, mais sans application des<br />

(2) Cf. principalement S. Stijns, De gerechtelijke en de buitengerechtelijke ontbinding<br />

van overeenkomsten, Anvers, 1994, 702 p.


effets secondaires. Les dettes in solidum sont principalement reconnues<br />

en cas de fautes concurrentes.<br />

5. — Obligations divisibles et indivisibles<br />

Avec les articles 1217 à 1225, le Code revient à une matière quelque<br />

peu vétuste, qui ne donne plus guère lieu à litiges ni à commentaires.<br />

Il est vrai que le régime des obligations indivisibles ressemble très<br />

fort à celui des obligations solidaires, au point de paraître faire double<br />

emploi. L’indivisibilité possède cependant une particularité<br />

intéressante : elle survit au décès du débiteur. Ceci justifie que dans<br />

la pratique de rédaction des clauses, le qualificatif « indivisible »<br />

soit souvent accolé à celui de « solidaire » en vue de bénéficier de<br />

cette caractéristique spécifique.<br />

6. — Obligations avec clauses pénales<br />

Avec le texte relatif à la résolution pour inexécution (art. 1184), les<br />

dispositions gouvernant les clauses pénales (art. 1226 à 1233) ont été<br />

particulièrement mal placées dans la structure du Code. Ce qui est<br />

présenté comme relevant des « différentes espèces d’obligations »<br />

(titre du chapitre) ressortit également au régime de l’inexécution des<br />

obligations contractuelles. Encore naguère, la maladresse était aggravée<br />

du fait que le texte le plus important en matière de clauses pénales<br />

figurait de manière isolée dans un autre chapitre du Code<br />

(art. 1152 ancien).<br />

Sans qu’il soit remédié à cette malencontreuse présentation, le régime<br />

des clauses pénales a été profondément amendé par la loi du<br />

23 novembre 1998, qui a modifié les articles 1226 et 1231 (et abrogé<br />

l’art. 1152). On sait que cette réforme est l’aboutissement de débats qui<br />

ont occupé plus de deux décennies. La Cour de cassation avait décidé<br />

que les clauses pénales ne pouvaient avoir de fonction qu’indemnitaire,<br />

les clauses dites comminatoires étant annulées. La doctrine avait plaidé<br />

pour des solutions moins dichotomiques et la jurisprudence avait connu<br />

des évolutions. La nouvelle loi ouvre essentiellement au juge la possibilité<br />

de réduire les clauses pénales excessives, tout en maintenant la<br />

conception indemnitaire. Les textes, loin d’être parfaits, suscitent divers<br />

problèmes d’interprétation (3).<br />

II. — RÉFLEXIONS DE LEGE FERENDA<br />

La mise en chantier d’une réforme du Code civil belge n’est pas à l’ordre<br />

du jour, mais des débats de grande ampleur sont engagés concernant<br />

l’harmonisation du droit des obligations, et particulièrement du droit<br />

des contrats en Europe et dans le monde. Il n’est pas entièrement utopique<br />

d’envisager quel pourrait être le sort des matières dont il vient<br />

d’être traité dans une codification future.<br />

La maladresse des concepteurs du chapitre IV du titre III du livre III<br />

du Code civil a été soulignée. Le titre est imprécis et le contenu discutable.<br />

Les « différentes espèces d’obligations » dont il y est question couvrent<br />

principalement des matières que la doctrine qualifie à présent de<br />

« modalités » des obligations. Un inventaire des différentes catégories<br />

(3) Cf. notam., C. Delforge, « Entre prudence et audace ... Réflexions sur la récente<br />

modification des dispositions du Code civil relatives à la clause pénale et<br />

aux intérêts moratoires », Rev. not., 1999, pp. 594-620; P. Wéry, « La loi du<br />

23 novembre 1998 modifiant le Code civil en ce qui concerne la clause pénale<br />

et les intérêts moratoires : fin de la crise de la clause pénale ou début de nouvelles<br />

incertitudes? », Rev. gén. dr. civ., 1999, pp. 222-238.<br />

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d’obligations concernerait plutôt des phénomènes tels que les obligations<br />

à exécution successive, ou encore la distinction entre obligations<br />

de moyens et obligations de résultat, qui s’est depuis longtemps imposée<br />

dans notre droit.<br />

On a par ailleurs relevé la localisation inadéquate de deux matières importantes<br />

relevant du droit de l’inexécution des contrats, la résolution<br />

judiciaire et les clauses pénales.<br />

De lege ferenda, les deux modèles les plus élaborés, dont s’inspirera<br />

certainement toute harmonisation à venir, sont les Principes d’Unidroit<br />

applicables aux contrats internationaux et les Principes de<br />

droit européen des contrats élaborés par la commission Lando. Il est<br />

frappant que ni l’une ni l’autre de ces codifications (on sait qu’elles<br />

sont assez analogues) ne traite du terme, de la condition, des obligations<br />

alternatives ou des obligations solidaires et indivisibles. Ces<br />

matières n’ont pas été jugées prioritaires, même pour la deuxième<br />

édition de chacun de ces principes (4). Seule la solidarité pourrait faire<br />

l’objet d’un chapitre dans une éventuelle troisième édition des<br />

Principes d’Unidroit.<br />

Une nouvelle codification ne pourrait donc ici s’inspirer de ces principaux<br />

modèles, mais il en existe d’autres au niveau national, notamment<br />

le N.B.W. néerlandais. Des dispositions sur le terme, la condition et la<br />

solidarité s’imposent de toute évidence. Il nous semble par contre<br />

qu’une réforme pourrait faire l’économie d’un régime spécifique de<br />

l’indivisibilité, susceptible d’être absorbé par celui de la solidarité<br />

(c’est notamment le cas en Allemagne). Les obligations alternatives ne<br />

méritent sans doute pas de retenir beaucoup l’attention.<br />

Par contre, on examinera avec intérêt, dans les Principes d’Unidroit,<br />

une première tentative de codification de la distinction entre obligations<br />

de moyens et de résultat, comportant des critères de distinction (art. 5.4<br />

et 5.5).<br />

Quant aux dispositions sur la résolution pour inexécution et les clauses<br />

pénales, tant les Principes d’Unidroit que les Principes de droit européen<br />

leur réservent une place conforme à leur nature dans les dispositions<br />

relatives à l’inexécution des contrats. De part et d’autre, c’est un<br />

système de résolution par simple déclaration qui est mis en place, conformément<br />

à la solution la plus répandue en droit comparé, et déjà retenue<br />

par la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises;<br />

l’évolution que connaît le droit belge dans le sens d’une reconnaissance<br />

d’une faculté de résolution unilatérale trouverait donc son<br />

aboutissement. De part et autre également, la clause pénale est excessive<br />

est réductible par le juge, mais la conception strictement indemnitaire<br />

n’est pas retenue.<br />

Marcel FONTAINE<br />

Professeur émérite à la Faculté de droit de l’U.C.L.<br />

(4) La nouvelle édition des Principes de droit européen a été publiée en 2003;<br />

celle des Principes d’Unidroit devrait apparaître en 2004.<br />

2004<br />

297


2004<br />

298<br />

DE L’EXTINCTION<br />

DES OBLIGATIONS<br />

Livre III - Titre III - Chapitre V<br />

I. — VUE D’ENSEMBLE<br />

DES CAUSES D’EXTINCTION<br />

Dans un louable souci de pédagogie, les rédacteurs du Code civil inaugurent<br />

le chapitre intitulé « De l’extinction des obligations » par une<br />

énumération des événements qui produisent pareil effet. Aux termes de<br />

l’article 1234, « Les obligations s’éteignent :<br />

» Par le paiement;<br />

» Par la novation;<br />

» Par la remise volontaire;<br />

» Par la compensation;<br />

» Par la confusion;<br />

» Par la perte de la chose;<br />

» Par la nullité ou la rescision;<br />

» Par l’effet de la condition résolutoire, qui a été expliquée au chapitre<br />

précédent;<br />

» Et par la prescription, qui fera l’objet d’un titre particulier ».<br />

L’œuvre du législateur, qui plonge ses racines dans le Traité des obligations<br />

de Pothier (1), n’est pas exempte de reproches.<br />

Ainsi peut-on regretter que ce chapitre figure dans le titre « Des contrats<br />

ou des obligations conventionnelles en général » : ce sont, à vrai dire,<br />

toutes les obligations, quelle qu’en soit la source, qui peuvent s’éteindre<br />

pour l’une de ces raisons.<br />

La liste des causes d’extinction elle-même laisse à désirer. Ainsi la nullité<br />

et la rescision, qui sont des causes de dissolution des contrats, sont-elles<br />

étrangères à la matière : il en va de même de la résolution judiciaire que<br />

l’article 1184 présente, à tort, comme une condition résolutoire tacite (2).<br />

Par ailleurs, la confusion, qui résulte de la réunion des qualités de créancier<br />

et de débiteur de la même dette dans le chef d’une seule personne, est<br />

un obstacle matériel à l’exécution d’une obligation et non, comme le laisse<br />

entendre l’article 1300, un mode d’extinction de celle-ci (3). Quant à la<br />

prescription libératoire, dont traitent les articles 2219 et suivants, elle se<br />

borne à substituer à l’obligation civile, qui était susceptible d’exécution<br />

forcée, une obligation naturelle : comme le précise la Cour de cassation,<br />

« la prescription extinctive (...), n’affecte pas l’existence de la dette, mais<br />

seulement son exigibilité » (4). Enfin, l’énumération de l’article 1234 est<br />

incomplète : ne sont, par exemple, pas mentionnées la dation en paiement<br />

et, pour autant qu’on l’admette, la renonciation unilatérale à la créance.<br />

Cherchant à systématiser la matière (5), la doctrine n’a pas manqué de relever<br />

que la libération du débiteur peut avoir des origines très diverses.<br />

(1) Dupin aîné, Œuvres de R.-J. Pothier contenant les traités du droit français,<br />

t. 1, Bruxelles, J.-P. Jonker, Ode, et Wodon, H. Tarlier, Amsterdam, les frères<br />

Diederichs, 1829, pp. 154 et s.<br />

(2) A propos de cette confusion entre l’extinction de l’obligation et la dissolution<br />

du contrat, voy. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 3,<br />

Bruxelles, Bruylant, 3 e éd., 1967, pp. 385 et s., n o 391; P. Wéry, « La modification,<br />

la cession, la suspension et l’extinction des contrats », livre 31bis du<br />

Guide juridique de l’entreprise, Bruxelles, Kluwer, 2000, p. 32.<br />

(3) Cass., 26 oct. 1962, Pas., 1963, I, p. 259; Cass., 3 sept. 1970, Pas., 1971, I,<br />

p. 3. C’est par inadvertance que l’article 1300 indique que la confusion « éteint<br />

les deux créances » : il n’y a qu’une seule créance en jeu.<br />

(4) Cass., 14 mai 1992, Pas., 1992, I, p. 798.<br />

(5) Les incidences de cette matière, qui est assez peu étudiée par la doctrine,<br />

sont multiples. Il suffit de songer, par exemple, au principe d’opposabilité des<br />

exceptions applicable à la cession de créance, à la stipulation pour autrui, au<br />

payement subrogatoire, à l’action oblique ou aux actions directes.<br />

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Certaines causes d’extinction sont légales, en ce sens qu’elles opèrent<br />

de plein droit : il en va ainsi de la compensation légale. D’autres sont<br />

d’origine volontaire : elles procèdent d’un accord de volonté des parties<br />

(la novation, la remise de dette, la compensation conventionnelle), voire<br />

de la volonté de l’une d’elles (le paiement et, peut-être, la renonciation<br />

unilatérale).<br />

Par ailleurs, certains modes de libération donnent satisfaction au créancier,<br />

que ce soit de manière directe (le paiement) ou indirecte (la compensation,<br />

la dation en paiement ou la novation, par exemple). Il peut<br />

toutefois advenir que le débiteur soit libéré sans que le créancier ait<br />

obtenu la moindre contrepartie (la prescription ou la destruction de la<br />

chose, notamment).<br />

A la suite d’A. Ghozi (6), la doctrine moderne insiste enfin, à juste titre,<br />

sur la nécessité de distinguer l’extinction de l’obligation de sa simple<br />

modification : dans ce second cas de figure, le changement qui affecte<br />

un des éléments de l’obligation n’entraîne pas son anéantissement (7).<br />

II. — LES DISPOSITIONS LÉGALES<br />

Il est remarquable que le corps de règles adoptées en 1804 sur le sujet<br />

n’ait subi, en deux siècles, que très peu de modifications. Tout au plus,<br />

faut-il mentionner le nouvel article 1244, relatif au délai de grâce (8), et<br />

l’article 1295, qui traite de l’opposabilité de l’exception de compensation<br />

légale au cessionnaire de la créance (9). L’ouvrage du législateur<br />

mériterait pourtant d’être remis sur le métier. Il suffit de songer aux<br />

articles 1257 à 1264 qui exposent la procédure, aussi lourde qu’archaïque,<br />

d’offres réelles de paiement suivies de consignation, ou aux<br />

articles 1265 à 1270 relatifs à la cession de biens, qui est tombée en<br />

désuétude avec l’abolition de la contrainte par corps.<br />

L’impression de permanence, voire d’immobilisme, qui se dégage de la<br />

consultation du Code est toutefois trompeuse.<br />

Il faut évidemment avoir égard, en cette matière comme en tant<br />

d’autres, au travail d’interprétation, voire de création, auquel la doctrine<br />

et la jurisprudence se sont livrées. Comment ne pas évoquer ainsi la caducité,<br />

cette nouvelle cause d’extinction des obligations (ou des actes<br />

juridiques?), qui a été mise au jour dans les années quatre-vingt (10)?<br />

Il convient, par ailleurs, de ne pas perdre de vue les nombreuses lois, générales<br />

ou particulières, qui interfèrent, plus ou moins directement, avec<br />

les dispositions du Code. On songe au Code judiciaire qui réglemente<br />

l’octroi des délais de grâce (art. 1333 et s.) et celui des facilités de paiement<br />

en matière de crédit à la consommation (art. 1337bis et s.), la procédure<br />

sommaire d’injonction de payer (art. 1338 et s.), les offres de<br />

paiement et la consignation (art. 1352 et s.) ou encore le règlement collectif<br />

de dettes (art. 1675/2 et s.). La loi du 8 août 1997 sur les faillites<br />

et celle du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, pour ne<br />

citer qu’elles, contiennent aussi plusieurs textes touchant à l’extinction<br />

des obligations, dont l’intérêt pratique est considérable (11).<br />

(6) A. Ghozi, La modification de l’obligation par la volonté des parties, Paris,<br />

L.G.D.J., 1980.<br />

(7) R. Kruithof, « La modification conventionnelle du contrat », R.I.D.C.,<br />

1985, pp. 97 et s.<br />

(8) Modifié par la loi du 10 octobre 1967.<br />

(9) Nous faisons abstraction des modifications, plus nombreuses, qu’ont subies<br />

les dispositions relatives à la nullité ou à la rescision des contrats et à la prescription<br />

libératoire (notam., art. 2262bis), puisqu’à proprement parler, ce ne<br />

sont pas là des causes d’extinction des obligations.<br />

(10) A ce sujet, voy. P.-A. Foriers, La caducité des obligations contractuelles<br />

par disparition d’un élément essentiel à leur formation, Bruxelles, Bruylant,<br />

1998, 218 p. En jurisprudence, voy. notam., Cass., 28 nov. 1980, R.C.J.B.,<br />

1987, p. 70, note P.-A. Foriers; Cass., 21 janv. 2000, J.T., 2000, p. 573, avec la<br />

note de P.A. Foriers (pp. 676 et s.).<br />

(11) Voy. ainsi les articles 16 et suivants de la loi sur les faillites (les actes accomplis<br />

par le failli après le jugement déclaratif ou durant la période suspecte)


Le sujet est, on le voit, fort vaste. Nous nous bornerons à livrer quelques<br />

réflexions sur le paiement, la novation, la remise de dette et la compensation.<br />

III. — LE PAIEMENT<br />

C’est avec un grand luxe de détails (pas moins de 36 articles) que le législateur<br />

réglemente le paiement (art. 1235 à 1270) (12). Il est vrai que<br />

c’est la manière la plus usuelle dont les obligations prennent fin.<br />

Les questions les plus diverses sont résolues par le législateur : les<br />

« parties » à l’opération; l’objet, le lieu, les frais du paiement; l’imputation<br />

des paiements, etc. En revanche, il ne souffle mot du moment où<br />

le paiement est réalisé. La doctrine a dû résoudre ce problème qui revêt,<br />

à l’ère des paiements bancaires et de leur automatisation, un intérêt non<br />

négligeable (13).<br />

Classique est la question de savoir si le paiement constitue un fait juridique,<br />

un acte juridique unilatéral ou une convention (14). Il semble<br />

qu’en droit belge, il doive être considéré comme étant un acte juridique<br />

qui suppose pour sa perfection la seule volonté du solvens, le plus souvent<br />

le débiteur (15).<br />

Le plus remarquable dans cette matière tient, nous semble-t-il, dans le<br />

fait que les rédacteurs du Code distinguent deux types de paiement : le<br />

paiement pur et simple, dont le seul et unique effet est d’éteindre l’obligation,<br />

et le paiement avec subrogation, qui a une nature hybride, puisqu’il<br />

produit tout à la fois un effet extinctif et un effet translatif. D’une<br />

part, le paiement effectué par le tiers solvens permet d’éteindre la dette<br />

du débiteur à l’égard de son créancier; d’autre part, ce paiement réalise<br />

un transfert de la créance du patrimoine du créancier subrogeant, qui a<br />

été désintéressé, dans celui du tiers solvens subrogé (16). Cette particularité<br />

incite une partie de la doctrine à envisager le paiement subrogatoire<br />

parmi les mécanismes de transfert des obligations.<br />

La subrogation peut être conventionnelle : elle résulte d’un accord entre<br />

le créancier primitif et le nouveau créancier subrogé (art. 1250, 1 o ) ou<br />

d’un contrat solennel (l’un des rares contrats formalistes du Code) entre<br />

le débiteur et le créancier subrogé (art. 1250, 2 o ). La subrogation peut<br />

aussi être légale, la substitution d’un tiers payeur dans les droits du<br />

créancier opérant, en ce cas, de plein droit. Des quatre hypothèses énumérées<br />

par l’article 1251, la troisième, qui prévoit la subrogation « au<br />

profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au payement<br />

de la dette, avait intérêt de l’acquitter », revêt sans conteste la plus<br />

grande importance pratique : il suffit de songer au recours que peuvent<br />

exercer la caution et le codébiteur solidaire, après paiement.<br />

Conçue, à l’origine, comme la juste contrepartie d’un acte de bienveillance<br />

envers le tiers solvens, le paiement subrogatoire est devenu<br />

une technique très prisée des praticiens, qui y voient un instrument commode<br />

de transmission des créances (17), concurrençant, dans une certaine<br />

mesure, la cession de créance (art. 1689 et s.). Le législateur mo-<br />

ou les articles 22 et suivants de la loi du 12 juin 1991 relatifs au délai de remboursement<br />

et au remboursement anticipé.<br />

(12) Articles auxquels on pourrait ajouter les dispositions relatives à diverses<br />

courtes prescriptions qui reposent sur une présomption irréfragable de paiement<br />

(voy. art. 2271 et s.).<br />

(13) Voy. notam., sur le sujet X. Thunis, Responsabilité du banquier et automatisation<br />

des paiements, Presses universitaires de Namur, 1996, 362 p.<br />

(14) Sur cette controverse, voy. N. Catala, La nature juridique du paiement,<br />

Paris, L.G.D.J., 1961; P. Van Ommeslaghe, « Le paiement : rapport<br />

introductif », in « Les aspects juridiques du paiement », Rev. dr. U.L.B., 1993,<br />

pp. 12-41.<br />

(15) Sur ce point, voy. S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, « Chronique de jurisprudence<br />

- Les obligations : le régime général de l’obligation (1985-1995) »,<br />

J.T., 1999, p. 835.<br />

(16) P. Van Ommeslaghe, « Le paiement avec subrogation et le droit des<br />

assurances », in Mélanges Philippe Gérard, Bruxelles, Larcier, 2002, pp. 89 et s.<br />

(17) Sur cette évolution, voy., J. Mestre, La subrogation personnelle, Paris,<br />

L.G.D.J., 1979, 761 p.<br />

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derne a, de son côté, multiplié les cas de subrogation légale au profit de<br />

tiers solvens (assureur, organismes mutuellistes, etc.); une partie de la<br />

doctrine préfère y voir des hypothèses de quasi-subrogation légale, au<br />

motif que le tiers, autorisé à se substituer aux droits du créancier, acquitterait<br />

en réalité sa propre dette (18).<br />

IV. — LA NOVATION<br />

Le législateur distingue à l’article 1271 deux grands types de novation :<br />

d’une part, la novation par changement d’objet et, d’autre part, la novation<br />

subjective, que ce soit par changement de débiteur ou par changement<br />

de créancier.<br />

Cette dernière est devenue extrêmement rare en pratique : elle est détrônée<br />

par la cession de créance, qui présente le double avantage de transférer<br />

au cessionnaire les attributs attachés à la créance et de pouvoir se<br />

réaliser sans l’accord du débiteur cédé.<br />

La novation par changement de débiteur est à peine moins rare. Le<br />

créancier refusera, d’ordinaire, de décharger son débiteur, se contentant<br />

d’accepter l’engagement supplémentaire que lui offre une tierce<br />

personne : grâce à cette délégation imparfaite dite aussi non novatoire,<br />

le créancier dispose ainsi de codébiteurs tenus in solidum envers lui.<br />

La novation par changement d’objet est plus fréquente. Il n’est toutefois<br />

pas toujours aisé de la distinguer de la dation en paiement (19).<br />

Comme le relève la doctrine, le législateur aurait pu faire l’économie de<br />

la plupart des dispositions consacrées à la novation. Le principe de la<br />

liberté contractuelle permet, en effet, aux parties de donner le jour à de<br />

telles conventions (20).<br />

V. — LA REMISE DE DETTE<br />

Le Code traite de la remise de dette de manière assez obscure. Ainsi<br />

mêle-t-il aux articles 1282 à 1288 deux questions fort différentes :<br />

d’une part, la remise de dette, qui est une convention extinctive et que<br />

l’article 1285 nomme « décharge conventionnelle »; d’autre part, la remise<br />

volontaire du titre (sous seing privé ou notarié) qui constate la<br />

créance. Les articles 1282 à 1284, relatifs à cette seconde hypothèse,<br />

auraient été bien mieux situés dans le chapitre consacré à la preuve : ces<br />

textes instituent une présomption — irréfragable ou simple, selon les<br />

cas — de libération du débiteur, lorsque celui-ci s’est vu remettre l’instrumentum<br />

constatant la dette.<br />

Le régime juridique de la remise de dette suscite encore des difficultés.<br />

Ainsi la doctrine enseigne-t-elle habituellement que la décharge conventionnelle<br />

revêt nécessairement un caractère gratuit (21). Dans un<br />

arrêt du 15 décembre 2000, la Cour de cassation estime toutefois que<br />

« l’article 1285 du Code civil ne requiert pas que la remise de dette ou<br />

la décharge conventionnelle soit faite à titre gratuit » (22).<br />

Par ailleurs, si la remise de dette suppose, pour sa perfection, l’accord<br />

des parties (23), la question se pose toutefois de savoir si la libération<br />

du débiteur peut résulter de la seule volonté du créancier. Le droit belge<br />

admet-il, en d’autres termes, la renonciation unilatérale à un droit de<br />

créance? La doctrine reste divisée sur ce point (24).<br />

(18) Sur ce point, voy., S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, « Chronique »,<br />

J.T., 1999, pp. 839-840.<br />

(19) H. De Page, Traité, t. 3, 1967, pp. 508 et s.<br />

(20) Idem, p. 566.<br />

(21) Voy. notam., H. De Page, Traité, t. 3, 1967, pp. 659 et 660.<br />

(22) Pas., 2000, I, p. 694.<br />

(23) Sous réserve d’un éventuel plan de règlement judiciaire (art. 1675/12,<br />

§1 er , et 1675/13, C. jud.).<br />

(24) Voy. et comp. H. De Page, Traité, t. 3, 1967, p. 661; P. Van Ommeslaghe,<br />

« Rechtsverwerking en afstand van recht », T.P.R., 1980, pp. 735 et s. et<br />

2004<br />

299


2004<br />

300<br />

Quoi qu’il en soit de cette controverse, cette question diffère de celle de<br />

savoir si un droit peut se perdre par le seul fait que son titulaire adopte<br />

un comportement qui est objectivement inconciliable avec son usage<br />

normal. En vogue durant les années quatre-vingt, la théorie de la rechtsverwerking<br />

a été condamnée par la Cour de cassation au début des années<br />

nonante : pour la Cour, « il n’existe pas de principe général du<br />

droit selon lequel un droit subjectif se trouve éteint ou, en tout cas, ne<br />

peut plus être invoqué lorsque son titulaire a adopté un comportement<br />

objectivement inconciliable avec ce droit, trompant ainsi la confiance<br />

légitime du débiteur et des tiers » (25). La Cour n’interdit toutefois pas<br />

aux juges de sanctionner un tel comportement en se plaçant sur le terrain<br />

de la fonction modératrice de la bonne foi, et donc de l’abus de droit: le<br />

juge peut ainsi réduire le droit à son usage normal ou ordonner la réparation<br />

du dommage causé par l’abus (26).<br />

VI. — LA COMPENSATION<br />

Lorsqu’il existe des dettes réciproques entre deux personnes, celles-ci<br />

s’éteignent « de plein droit, par la seule force de la loi » (art. 1290), à<br />

concurrence du montant de la plus faible d’entre elles, de sorte que seul,<br />

le solde reste dû. Cette compensation ne peut opérer que si les créances<br />

répondent à certaines conditions, telles que la fongibilité, la liquidité ou<br />

encore l’exigibilité (art. 1291 et s.). En outre, « La compensation n’a<br />

pas lieu au préjudice des droits acquis à un tiers », comme le porte l’important<br />

article 1298 (27).<br />

Le tableau est toutefois incomplet. Le législateur n’envisage, en effet,<br />

que la compensation légale. Or, l’on sait que la compensation judiciaire<br />

peut intervenir aussi à la suite d’un accord de volonté entre les parties :<br />

la compensation conventionnelle permet, par exemple, d’éteindre des<br />

obligations qui ne sont pas fongibles ou qui ne sont pas toutes deux liquides<br />

ou exigibles. En outre, la compensation peut être l’œuvre du juge,<br />

lorsqu’il se voit saisi d’une demande reconventionnelle en paiement<br />

qu’il estime fondée (27bis).<br />

La compensation légale n’intéressant pas l’ordre public, il est loisible<br />

aux parties d’y renoncer, même de manière anticipée (28). Quelques<br />

dispositions légales récentes bannissent toutefois de telles clauses contractuelles,<br />

notamment dans les contrats entre professionnels et consommateurs<br />

(29).<br />

Patrick WÉRY<br />

Professeur à l’U.C.L.<br />

L. Cornelis, Verbintenissenrecht, Anvers-Groningen, Intersentia Rechtswetenschappen,<br />

2000, pp. 899 et s.<br />

(25) Cass., 17 mai 1990, R.C.J.B., 1990, p. 595, note J. Heenen, Ann. dr. Lg.,<br />

1990, p. 283, note I. Moreau-Margrève.<br />

(26) Sur les sanctions de l’abus de droit, voy., P. Wéry, « Les sanctions de<br />

l’abus de droit dans la mise en œuvre des clauses relatives à l’inexécution des<br />

obligations contractuelles », in Mélanges Philippe Gérard, op. cit., 2002,<br />

pp. 127 et s.<br />

(27) Sur tout ceci, voy. M.-C. Ernotte, « L’extinction des obligations : la<br />

compensation », in La théorie générale des obligations, vol. XXVII de la<br />

C.U.P., 1998, pp. 279 et s.<br />

(27bis) H. De Page, Traité, t. 3, 1967, pp. 653 et s.<br />

(28) H. De Page, Traité, t. 3, 1967, pp. 620 et s.<br />

(29) Voy. ainsi l’article 32, 14, de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du<br />

commerce et sur l’information et la protection du consommateur et l’article 1 er ,<br />

b, de l’annexe de la loi du 2 août 2002 relative à la publicité trompeuse et à la<br />

publicité comparative, aux clauses abusives et aux contrats à distance en ce qui<br />

concerne les professions libérales.<br />

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DE LA PREUVE DES OBLIGATIONS<br />

ET DE CELLE DE LEUR PAIEMENT<br />

Livre III - Titre III - Chapitre VI<br />

DE LA NOTIFICATION<br />

Livre III - Titre XXI<br />

1. — Pour porter un jugement sur l’œuvre du Code civil en matière de<br />

preuve, notamment dans la perspective de développements futurs ou<br />

d’une harmonisation du droit civil patrimonial sur le plan européen, il<br />

faut, à notre avis, s’interroger sans doute sur les textes initiaux du Code<br />

civil, mais aussi sur les interprétations que ces textes ont suscitées en<br />

doctrine et en jurisprudence, pour considérer ainsi l’œuvre du Code<br />

dans son ensemble.<br />

Comme en d’autres matières, particulièrement concernant le droit des<br />

obligations, un mérite essentiel du Code en ce domaine consiste à avoir<br />

énoncé des règles suffisamment générales pour autoriser les adaptations<br />

imposées par l’évolution de la société et de ses techniques à la faveur de<br />

la construction du droit par la jurisprudence, en requérant, en définitive,<br />

peu de modifications formelles du texte. Ces adaptations ont été également<br />

facilitées par l’utilisation de « concepts ouverts » offrant un terrain<br />

propice aux développements de la jurisprudence dans des directions<br />

que les auteurs du Code n’avaient certes pu imaginer : tel est le cas<br />

de la catégorie générale des présomptions de l’homme en tant que mode<br />

de preuve ou de l’incidence du commencement de preuve par écrit.<br />

L’évolution a été également favorisée par la circonstance que les règles<br />

sur la preuve ne sont pas d’ordre public (1), en sorte que des conventions<br />

particulières permettent de tenir compte de la nécessité de la vie<br />

contemporaine.<br />

2. — Nous relèverons ci-après quelques erreurs de méthodes, pour examiner<br />

rapidement ensuite les grandes options de cette partie du Code civil<br />

et les jauger à l’aune des exigences de l’époque contemporaine, bien<br />

entendu, comme indiqué ci-dessus, en tenant compte des constructions<br />

de la jurisprudence et de la doctrine qui prennent appui sur ce fondement.<br />

Le cadre limité de la présente communication ne nous permettra<br />

pas de donner d’amples justifications à nos prises de positions ni de les<br />

assortir des références qui pourraient les appuyer.<br />

3. — Faut-il revoir l’ensemble de la matière de la preuve en droit civil<br />

patrimonial, comme certains paraissent le préconiser?<br />

A notre avis, on peut répondre à cette question par la négative. Quelques<br />

aménagements ou certaines modernisations, mais en définitive assez limitées,<br />

seraient suffisantes et l’ensemble de l’édifice a remarquablement<br />

résisté à l’épreuve du temps.<br />

4. — Voici quelques erreurs de méthodes qui devraient incontestablement<br />

être corrigées dans l’optique d’une révision du Code civil et de son<br />

utilisation comme source d’inspiration en droit comparé :<br />

— la simulation est traitée à l’article 1321 du Code civil à propos de la<br />

contre-lettre, considérée comme une variété de preuve écrite : il est clair<br />

que la totalité de la théorie de la simulation devrait prendre place dans<br />

la partie générale relative au droit des obligations et que la question de<br />

sa preuve n’est qu’incidente.<br />

(1) A l’exception de quelques règles, comme celles par exemple qui concernent<br />

la force probante des actes authentiques et l’inscription de faux.


— le Code civil traite les présomptions légales et les présomptions de<br />

l’homme comme deux variétés d’une même institution, alors que les<br />

présomptions de l’homme constituent un mode de preuve fondé sur un<br />

raisonnement déductif particulier tandis que les présomptions légales<br />

concernent en réalité l’aménagement de la charge de la preuve.<br />

— la matière de la confirmation ou de la couverture des nullités<br />

(art. 1338 à 1340, C. civ.) ne relève pas du droit de la preuve, mais de<br />

celui des nullités et des vices affectant les conventions.<br />

Plus généralement les principes fondamentaux relatifs à la preuve sont<br />

traités à propos des obligations et de leur paiement, alors que le champ<br />

d’application de ces règles est évidemment plus vaste : d’une part, on<br />

peut y voir le droit commun de la preuve en matière patrimoniale, y<br />

compris le droit commercial, sauf les exceptions que ce dernier y apporte<br />

précisément par rapport à ce droit commun. D’autre part, ces règles<br />

ou à tout le moins certaines d’entre elles, dépassent même ce cadre,<br />

comme par exemple la charge de la preuve définie par l’article 1315 du<br />

Code civil. Dans un plan rationnel de Code civil, les règles fondamentales<br />

sur la preuve devraient faire l’objet d’un chapitre général, soit intéressant<br />

tous les aspects du droit patrimonial, soit même à vocation<br />

plus étendue, sauf bien entendu à prévoir des dérogations et des régimes<br />

particuliers lorsque cela est souhaitable (2).<br />

5. — Relevons quelques aspects vétustes que l’on pourrait dépoussiérer,<br />

voire même supprimer :<br />

— la preuve par tailles (art. 1333) n’intéresse plus grand monde et illustre<br />

le danger de vouloir réglementer trop précisément des institutions<br />

d’importance mineure;<br />

— il en est de même des « registres et papiers domestiques » visés par<br />

l’article 1331.<br />

— l’organisation minutieuse des copies et des « titres récognitifs » est<br />

évidemment dépassée et procède du même travers, dans lequel toute réforme,<br />

même partielle et « moderne », du droit de la preuve devrait se<br />

garder de tomber;<br />

— l’on pourrait sans grand dommage faire l’économie du serment litisdécisoire.<br />

6. — Une première grande option — qu’il convient selon nous d’approuver<br />

— consiste à traiter de la preuve en même temps que du droit<br />

auquel elle se rapporte, tout en laissant au droit judiciaire et à la procédure<br />

le soin d’en organiser les modalités d’administration. Un droit détaché<br />

de sa preuve est en effet bien incomplet, même si la question de<br />

la preuve ne se pose qu’en cas de contestation de ce droit. La répartition<br />

de la matière entre le Code civil et le Code judiciaire peut soulever certaines<br />

difficultés (3), mais celles-ci ne nous paraissent pas de nature à<br />

justifier l’incorporation du droit de la preuve dans la procédure civile ou<br />

le droit judiciaire.<br />

7. — La charge de la preuve nous paraît également parfaitement organisée<br />

par le Code civil, d’une part, à la lumière des principes que consacre<br />

l’article 1315 et, d’autre part, par la technique des présomptions<br />

légales, soit irréfragables, soit juris tantum. Sans doute l’application<br />

pratique de la règle soulève-t-elle parfois des questions d’interprétation<br />

et d’application concrète mais celles-ci sont inévitables et ne pourraient<br />

à notre avis être évitées par d’autres réglementations de la matière, à<br />

peine précisément d’entrer dans des détails qu’il est inutile de résoudre<br />

par une loi (4).<br />

(2) Nous ne revenons pas ici sur l’erreur de méthode consistant à organiser toute<br />

la matière du livre III du Code civil autour de l’idée d’acquisition de la propriété.<br />

(3) Par exemple, la coordination et la conciliation entre l’article 1315 du Code<br />

civil et l’article 870 du Code judiciaire qui traitent tous deux de la répartition<br />

de la charge de la preuve dans des conditions distinctes au moins partiellement<br />

et avec des champs d’application différents pour partie.<br />

(4) Voy. par ex., la controverse classique sur la répartition de la charge de la<br />

preuve en cas de manquement à l’obligation de délivrance en matière de vente.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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Le système a permis à la jurisprudence d’élaborer les règles complémentaires<br />

indispensables : la collaboration des parties à la charge de la<br />

preuve, le rejet de l’adage Nemo tenetur edere contra se, avec la conséquence<br />

que l’organisation de la charge de la preuve se traduit surtout par<br />

une répartition du risque de défaut de preuve.<br />

8. — Une autre option fondamentale du Code civil est la consécration<br />

du principe de la hiérarchie des preuves, caractérisé par la prééminence<br />

de la preuve écrite, introduite dans notre droit par l’ordonnance de Moulins<br />

de 1566. Sur ce point aussi, nous ne pensons pas qu’il conviendrait<br />

de généraliser le système de la preuve libre, ni surtout d’organiser une<br />

sorte de réhabilitation des témoignages selon le modèle anglo-américain.<br />

La prééminence de la preuve écrite est parfaitement entrée dans<br />

nos mœurs, comme le démontre le peu de goût, sinon la méfiance, des<br />

juridictions commerciales et arbitrales envers les témoignages. Son<br />

champ d’application, tel qu’il a été dégagé dans notre pays par la doctrine<br />

et par la jurisprudence — à savoir la vérification de la possibilité<br />

de se préconstituer un écrit et la limitation aux relations entre les parties<br />

à un acte — attribue au principe une portée raisonnable qui correspond<br />

aux pratiques et aux attentes usuelles.<br />

L’heureuse évolution de la jurisprudence consistant à reconnaître à un<br />

échange de lettres missives la valeur d’un écrit sous seing privé, avec<br />

dispense d’application de la formalité des originaux multiples, dès lors<br />

que les conditions de base de ce type d’acte sont remplies, a sérieusement<br />

contribué à la modernisation du système du Code civil.<br />

De plus, les possibilités ouvertes par le Code civil (art. 1347 et 1348)<br />

(5) (6) (7), et la prééminence possible de l’aveu et notamment de l’aveu<br />

résultant de l’exécution par les parties de la convention, permettent au<br />

juge de pallier l’absence ou l’insuffisance de preuve écrite, dans des<br />

conditions raisonnables et tout à fait suffisantes pour éviter d’enserrer<br />

le droit de la preuve dans un corselet trop étouffant.<br />

Tout au plus pourrait-on souhaiter le relèvement du seuil de l’application<br />

de la règle, actuellement fixé à 375 €, pour l’assouplir dans les petites<br />

opérations. La circonstance que le législateur n’en éprouve pas le<br />

besoin, malgré la facilité d’une intervention en ce domaine, peut être<br />

considérée comme un indice qu’il ne s’agit pas d’une grande nécessité.<br />

9. — La prééminence de l’écrit pourrait aller de pair, à notre avis, avec<br />

l’une ou l’autre réforme des règles du Code civil, le plus généralement<br />

d’ailleurs parce que celles-ci ont été interprétées de manière sans doute<br />

trop étroite.<br />

Les règles régissant l’écrit authentique doivent être maintenues dans<br />

toutes leurs nuances, nous semble-t-il. La meilleure preuve réside dans<br />

l’extension du recours à l’acte authentique même dans des lois récentes,<br />

comme en matière de sociétés commerciales, ce qui témoigne de la vitalité<br />

de l’institution au regard des besoins de la vie contemporaine.<br />

Mais la définition de l’écrit sous seing privé pourrait être aménagée, notamment<br />

pour accueillir des formes modernes de preuve sans qu’il soit<br />

besoin de les soumettre à une réglementation distincte qui risque de devenir<br />

très rapidement obsolète à son tour. La notion même d’écrit pourrait<br />

être élargie. Celle de signature l’a été par suite d’une heureuse in-<br />

(5) Possibilité de pallier l’absence d’écrit par des témoignages ou des présomptions<br />

pour autant qu’il existe un commencement de preuve par écrit émanant de<br />

l’autre partie rendant le fait allégué vraisemblable, ce concept étant lui-même<br />

interprété de manière assez souple.<br />

(6) Hypothèses diverses où, en effet, on peut admettre d’écarter l’exigence de<br />

l’écrit.<br />

(7) On sait que notre jurisprudence a fait un large usage des notions d’impossibilité<br />

matérielle et d’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, contrairement<br />

semble-t-il à une jurisprudence française restée assez timide avant la réforme<br />

instaurée par la loi du 12 juillet 1980. Elle a également reconnu qu’il y<br />

a lieu d’écarter la prééminence de la preuve écrite en cas d’usage reconnu de<br />

ne pas établir d’écrit. Ces « soupapes » se sont avérées très utiles pour maintenir<br />

la cohérence du système.<br />

2004<br />

301


2004<br />

302<br />

tervention du législateur qui a complété l’article 1322 du Code civil (loi<br />

du 20 octobre 2000), en tenant compte des différents rôles assignés par<br />

la jurisprudence à la signature (identification de son auteur et adhésion<br />

de celui-ci à l’écrit auquel elle se rapporte). La règle des originaux multiples<br />

pourrait être soit supprimée soit à tout le moins écartée lorsqu’elle<br />

serait impraticable par suite d’une extension du concept d’écrit. La règle<br />

du « bon pour.. » de l’article 1326 – dont la justification n’est d’ailleurs<br />

pas trop claire – pourrait être écartée également (8).<br />

Le système de l’article 1328 du Code civil (inopposabilité aux tiers de<br />

la date d’un acte sous seing privé) est ingénieux et devrait être conservé<br />

mais le champ des moyens par lesquels un écrit peut acquérir une date<br />

certaine devrait être élargi pour tenir compte de méthodes correspondant<br />

aux usages de la vie moderne et pour éviter aussi que la recherche<br />

de la date certaine se traduise automatiquement par des conséquences<br />

fiscales si l’on recourt à l’enregistrement.<br />

10. — La matière des copies et de leur force probante n’est pas réglée<br />

de manière satisfaisante par le Code civil, ni par la doctrine ou la jurisprudence,<br />

notamment au regard des moyens modernes de copie et d’archivage.<br />

Le législateur est intervenu sur ce point de manière ponctuelle<br />

pour faire face à des situations particulières intéressant certains types<br />

d’entreprises notamment par la loi du 17 juin 1991 (9), modifiée sur ce<br />

point le 22 juillet 1991 (10). Dans la même optique le législateur a ajouté<br />

un titre XXI dans le Code civil, ressuscitant un article 2281, qui concernait<br />

autrefois la prescription et avait disparu en 1949, pour permettre<br />

l’utilisation de moyens modernes de communication pour effectuer des<br />

notifications. Une telle disposition pourrait inspirer un texte général<br />

concernant les copies.<br />

11. — La catégorie ouverte des présomptions de l’homme est définie<br />

avec une certaine rigueur par la Cour de cassation en ce qu’elle implique<br />

au départ un fait connu (à l’exclusion d’un élément lui-même conjectural)<br />

et ensuite une déduction que l’on peut raisonnablement en tirer<br />

(sous le contrôle marginal de la Cour) (11). Sous le bénéfice de cette définition<br />

et du contrôle marginal qu’elle autorise, cette catégorie a permis<br />

d’englober un nombre indéterminé de moyens de preuve et d’éviter une<br />

sclérose du système probatoire à l’état des choses au moment de la promulgation<br />

du Code civil. Il autorise ainsi les adaptations aux fluctuations<br />

de la vie économique et sociale sans requérir d’incessantes modifications<br />

législatives génératrices de complications et d’insécurités.<br />

Ce système nous paraît très raisonnable et réalise le rééquilibrage nécessaire<br />

avec les rigueurs de la preuve réglementée.<br />

12. — Faut-il envisager sinon une refonte du droit de la preuve, au<br />

moins une importante addition à cette partie du Code civil, pour tenir<br />

compte notamment des techniques modernes de communication et de<br />

reproduction dont les auteurs du Code civil ne pouvaient évidemment<br />

avoir l’idée (12)?<br />

(8) A noter cependant qu’un formalisme de ce type se retrouve dans des lois<br />

toutes récentes tendant à la protection du consommateur, en sorte que l’on peut<br />

s’interroger sur le caractère réellement désuet de cette disposition, au moins en<br />

matière civile.<br />

(9) Article 196 de la loi du 17 juin 1991 portant organisation du secteur public<br />

du crédit et harmonisation du contrôle et des conditions de fonctionnement des<br />

établissements de crédit.<br />

(10) Adde aussi pour d’autres catégories d’entreprises ou d’institutions :<br />

l’article 103bis de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières<br />

et aux marchés financiers, modifié par l’arrêté royal du 25 mars 2003 (entrée<br />

en vigueur le 1 er janvier 2004).<br />

(11) Pendant un certain temps, la jurisprudence de la Cour a requis que cette<br />

déduction fût « logique »; mais ce critère pour la détermination de son contrôle<br />

marginal a disparu. La Cour vérifie tout ce même si le lien entre le fait connu<br />

et la déduction que le juge en tire ne viole pas la « notion légale » de présomption.<br />

(12) Pour une intéressante analyse de ces moyens nouveaux : M. Fontaine,<br />

« La preuve des actes juridiques et les techniques nouvelles », in La preuve,<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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A notre avis, cela n’est nullement nécessaire et quelques adaptations seraient<br />

suffisantes pour répondre aux besoins, compte tenu aussi de la<br />

possibilité de conclure des conventions sur la preuve permettant de suivre,<br />

avec toute la souplesse nécessaire, les évolutions fluctuantes des<br />

techniques (13), outre les réformes que nous préconisons ci-dessus notamment<br />

à propos du régime des copies.<br />

La méthode pourrait consister à élargir les concepts liés à l’écrit sous<br />

seing privé, à savoir les notions d’écriture (y compris celle de vérification<br />

d’écriture), de support de l’écrit, de langage. Il est vrai que la jurisprudence<br />

s’est montrée dans ce domaine plutôt restrictive et qu’une intervention<br />

du législateur pourrait être opportune (14).<br />

La notion juridique de signature a déjà retenu l’attention du législateur :<br />

il a pu être adapté aux nécessités de la vie moderne en un seul alinéa inséré<br />

à l’article 1322, ce qui confirme, nous semble-t-il, l’efficacité de la<br />

méthode que nous préconisons.<br />

Les modes modernes de communication qui ne revêtent pas les caractères<br />

fondamentaux d’un acte (par exemple à défaut de signature, ou encore<br />

parce qu’ils ne révèlent pas les éléments de la transaction à laquelle<br />

ils se rapportent) devraient, tout comme les lettres missives correspondant<br />

à cette situation, être classés parmi les présomptions, soumis au régime<br />

légal de l’admissibilité de ce type de preuve, et leur force probante<br />

relèverait alors de l’appréciation du juge.<br />

13. — En conclusion, nous pensons que l’on peut saluer l’œuvre réalisée<br />

par les auteurs du Code civil en matière de preuve et que la sagesse<br />

de leur rédaction a permis les adaptations aux nécessités de la vie moderne;<br />

cette œuvre, heureusement complétée par la jurisprudence, pourrait<br />

être aisément mise à jour sans devoir être totalement refondue.<br />

Pierre VAN OMMESLAGHE<br />

Avocat à la Cour de cassation<br />

Professeur émérite à l’U.L.B.<br />

colloque organisé par le Centre de recherches juridiques et le Centre Charles<br />

Van Reepinghen, pour le droit judiciaire de l’Université catholique de Louvain<br />

les 12 et 13 mars 1987. Cf. aussi : Ballon, « Het bewijs en de moderne<br />

technieken », D.A. O.R., 1990, liv. 14, 65, spéc. n o 20. La littérature sur l’application<br />

du droit de la preuve aux moyens nouveaux de communication et<br />

d’information est abondante et nous ne pouvons la citer dans le cadre limité de<br />

cet article.<br />

(13) Par exemple, la forte diminution de l’emploi du télex au profit de techniques<br />

plus modernes et rendant de meilleurs services démontre la rapidité des<br />

évolutions et confirme qu’il n’y a pas lieu de tenter d’enserrer toutes ces techniques<br />

dans des textes de lois détaillés, qui seraient constamment dépassés par<br />

les évolutions techniques, mais au contraire de suivre la sage méthode des<br />

auteurs du Code civil, fondée sur l’énoncé de principes généraux — consacrant<br />

des règles essentielles — pour lesquels l’adaptation sera réalisée par la voie de<br />

l’interprétation.<br />

(14) Voy. par ex., la loi française n° 2000-230 du 13 mars 2000 (J.O., 14 mars<br />

2000, 3948) qui a précisément adapté les dispositions du Code civil en considération<br />

des moyens de communication électroniques, compte tenu de la directive<br />

européenne du 13 décembre 1999 n o 1999/93, J.O.C.E., L 19 janv. 2000,<br />

13/12 à 20, sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques.


LES QUASI-CONTRATS<br />

Livre III - Titre IV - Chapitre I<br />

Diderot conseillait à une jeune actrice : « Méfiez-vous de la chaleur de<br />

votre tête ... et du premier mouvement de votre cœur facile, qui vous<br />

conseillera de bonnes actions indiscrètes ». Quelques années plus tard,<br />

Talleyrand disait plus sobrement : « Il ne faut jamais suivre le premier<br />

mouvement : c’est le bon » (1). Cette parole, d’un personnage ambigu<br />

s’il en fut, traduit toute l’ambiguïté du Code civil lorsqu’il traite des<br />

quasi-contrats, et plus spécialement de la gestion d’affaires. Intervenir<br />

volontairement pour rendre service à autrui sans qu’il vous en ait requis,<br />

c’est bien, mais attention : n’oublions pas qu’avant tout le droit civil<br />

« manifeste de la sympathie pour l’argent et une défiance consécutive<br />

pour l’altruisme » (2), et si l’initiative du gérant n’est pas franchement<br />

découragée, il lui en coûtera néanmoins de se montrer maladroit ou inconstant.<br />

Sur les quatre articles que le Code consacre à la gestion d’affaires,<br />

un seul traite des obligations du maître, et trois de celles du<br />

gérant : « Il doit se charger ... », « Il se soumet ... » (1372), « Il est obligé<br />

... » (1373), « Il est tenu ... » (1374). C’est tout dire. Les auteurs qui<br />

se sont penchés le plus récemment sur le gestion d’affaires n’en ont pas<br />

moins mis l’accent sur l’importance et la nécessité d’une intention<br />

altruiste dans le chef du gérant, allant même jusqu’à suggérer la création<br />

d’une nouvelle source d’obligations — qui ne serait pas pour autant<br />

l’enrichissement sans cause (voy. infra) — à la charge de la personne<br />

qui se serait enrichie par le fait et au détriment d’une autre, mais sans<br />

intention de celle-ci (3). Suggestion qui n’a pas eu de suite, semble-t-il,<br />

mais qui révèle ou confirme le constant ballottage qu’a connu le droit<br />

des quasi-contrats, entre son fondement moral (4) et son aspect objectif,<br />

matérialiste, où l’on vise surtout à rétablir l’équilibre entre les patrimoines,<br />

avec les obligations « à caractère contractuel » qu’implique cette<br />

recherche d’équivalence (5).<br />

La répétition de l’indu n’a pas suscité les mêmes considérations morales,<br />

puisqu’aussi bien le seul fait de recevoir ce qui n’est pas dû engendre<br />

pour l’accipiens l’obligation de rembourser le solvens. La discussion,<br />

ici, a surtout porté sur le rôle de l’erreur du solvens, dont on<br />

a fait une condition légale de la répétition et qui ne joue en réalité<br />

qu’un rôle probatoire. De Page y a consacré d’importants développements<br />

(6).<br />

Gestion d’affaires, paiement indu : je n’ai pas vérifié, mais j’imagine<br />

que peu de chapitres du Code civil sont restés aussi immuables que celui<br />

qui est consacré à ces deux quasi-contrats « spéciaux ». Les onze articles<br />

qu’il comprend n’ont pas été modifiés d’un iota. Est-ce par manque<br />

d’intérêt pour cette catégorie hybride, coincée entre les contrats et<br />

l’article 1382? Ou parce que ces articles ont été jugés satisfaisants et<br />

adaptés aux nécessités actuelles? Ni l’un, ni l’autre, semble-t-il : pendant<br />

ces deux siècles, les quasi-contrats n’ont cessé d’éveiller l’intérêt<br />

de la doctrine, fût-ce pour critiquer le principe même de leur existence<br />

(7) ou le caractère lacunaire de leur réglementation (8). Et la jurispru-<br />

(1) Cité par X. Martin, « Fondements politiques du Code Napoléon »,<br />

R.T.D. civ., 2003, pp. 247 et s., notes 115 et 127.<br />

(2) P. Martens, Théories du droit et pensée juridique contemporaine, Larcier,<br />

2003, p. 117.<br />

(3) Voy., la thèse de R. Bout, La gestion d’affaires en droit français contemporain,<br />

L.G.D.J. 1972.<br />

(4) Que ce soit, pour parler de la gestion d’affaires, dans le chef du gérant ou<br />

dans celui du maître, lequel ferait preuve d’ingratitude en ignorant le service<br />

rendu.<br />

(5) On a comparé à juste titre les obligations du gérant à celles du mandataire.<br />

L’analogie entre le mandat et la gestion d’affaires n’a certainement pas échappé<br />

au législateur de 1804.<br />

(6) Traité, t. III, n os 13 et 14.<br />

(7) Vizioz, Planiol : voy. à ce sujet, Carbonnier, Droit civil, P.U.F. 1957, p. 695;<br />

J. Honorat, « Rôle effectif et rôle concevable des quasi-contrats en droit<br />

actuel », R.T.D.civ., 1969, pp. 65. et s.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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dence n’est pas en reste, on le constate tous les jours (9). Cette pérennité<br />

des articles 1371 à 1381 s’explique mieux par un motif qui leur est extrinsèque<br />

et qui tient au fait que le plus utilisé des quasi-contrats, le plus<br />

discuté aussi, celui dont on a dit qu’il ouvrait la voie à « la plus romantique<br />

des actions », celui-là n’est pas exprimé dans le Code : c’est l’enrichissement<br />

sans cause. La chose y est (10), mais pas le mot. Il n’était<br />

donc pas nécessaire de modifier ce qui existait déjà (11), et le législateur<br />

a laissé la jurisprudence dessiner elle-même les contours de l’action de<br />

in rem verso qu’elle avait créée (caractère déterminant de l’absence de<br />

cause, subsidiarité de l’action). En somme, écrit J. Honorat, « l’absence<br />

complète de réglementation des quasi-contrats, autres que la gestion<br />

d’affaires et le paiement de l’indu, qui caractérise le système du Code<br />

civil, a l’avantage de laisser aux tribunaux toute latitude pour définir le<br />

régime des obligations nouvelles auxquelles ils croiraient devoir attribuer<br />

une telle qualification » (12).<br />

Et l’avenir? Même si on lui a reproché d’être fondée sur une erreur<br />

historique, la notion de quasi-contrat — couronnée par l’enrichissement<br />

sans cause qui, même non codifié, en constitue la théorie générale<br />

— a largement fait ses preuves (13). On peut cependant se demander<br />

si une tendance ne se fait pas jour, qui aboutirait en fait à revenir<br />

à la classification romaine d’avant le Digeste où l’on se bornait à distinguer<br />

les obligations contractuelles au sens large (14) et les obligations<br />

délictuelles qui découlaient d’un fait illicite (15). C’est du moins<br />

la question que je me pose à la lecture du projet de « Code européen<br />

des contrats » récemment élaboré par l’Académie des privatistes<br />

européens (16), où, parmi les définitions, à côté du contrat<br />

« classique », il est prévu que « l’accord se forme aussi à travers des<br />

actes concluants actifs ou omissifs pourvu qu’il soit conforme à une<br />

volonté précédemment exprimée, ou aux usages ou à la bonne foi »<br />

(art. 1 er , al. 2). Mais peut-être un mot d’explication suffira-t-il pour<br />

dissiper les craintes que fait naître cette formulation baroque et un peu<br />

floue?<br />

J’allais oublier de rappeler, avant qu’on en vienne aux quasi-délits, un<br />

article qui n’est guère cité parce qu’il est plus didactique que normatif,<br />

et qui précède le chapitre des quasi-contrats. C’est l’article 1370, qui introduit<br />

le titre IV en énumérant les sources des obligations autres que<br />

contractuelles. Il distingue les engagements « qui résultent de l’autorité<br />

seule de la loi » (17) et ceux « qui naissent d’un fait personnel à celui<br />

qui se trouve obligé » : ces derniers comprennent, d’une part les quasicontrats,<br />

d’autre part les quasi-délits ou, pour reprendre la terminologie<br />

de Carbonnier, d’un côté les faits juridiques profitables, de l’autre les<br />

faits juridiques dommageables, tant il est vrai que, par son fait et en<br />

dehors de toute convention, « l’homme peut procurer un avantage à<br />

(8) A propos de la gestion d’affaires, voy., R. Bout, op. cit., p. 470.<br />

(9) Voy. par ex., toujours à propos de la gestion d’affaires, les développements<br />

relatifs à la réparation du préjudice subi par l’auteur d’un acte de sauvetage,<br />

P. Legros et F. Glansdorff, note sous Civ. Bruxelles, 20 févr. 1970, R.C.J.B.,<br />

1974, pp. 55 et s.; R. Bout, loc. cit.<br />

(10) Notamment par le biais de la répétition de l’indu, qui n’est que la sanction<br />

d’un enrichissement sans cause d’une nature particulière.<br />

(11) Sauf à supprimer tout simplement les deux quasi-contrats spéciaux que<br />

sont la gestion d’affaires et la répétition de l’indu pour ne laisser subsister que<br />

le seul principe général d’enrichissement sans cause, comme ce fut le cas aux<br />

Etats-Unis (J. Honorat, op. cit., p. 655).<br />

(12) Op. cit., p. 661.<br />

(13) « La lointaine erreur commise par les juristes de la fin du VI e siècle débouche<br />

finalement sur un résultat utile. C’en est assez semble-t-il pour la<br />

légitimer » (op. cit., p. 677).<br />

(14) A savoir toutes les obligations dont l’origine était licite, ce qui englobe les<br />

quasi-contrats.<br />

(15) J. Honorat, op. cit., pp. 662 et s.<br />

(16) Appelée aussi « Groupe de Pavie » : voy. Gaz. Pal., 21 févr. 2003, pp. 3 et s.<br />

(17) Parmi lesquels les engagements « entre propriétaires voisins ». Il y avait<br />

aussi les engagements « des tuteurs et des autres administrateurs qui ne peuvent<br />

refuser la fonction qui leur est déférée », mais ce passage a été supprimé par la<br />

loi du 29 avril 2001.<br />

2004<br />

303


2004<br />

304<br />

autrui, de même qu’il peut lui causer un dommage » (18). A l’instar des<br />

articles sur les quasi-contrats qui ne parlent pas de l’enrichissement sans<br />

cause, l’article 1370 ne rend pas compte de l’intégralité des engagements<br />

qui se forment sans convention, ni de la richesse d’une jurisprudence<br />

qui, non sans mal il est vrai, a su en imposer d’autres. Un exemple<br />

topique est évidemment celui de l’engagement par déclaration unilatérale<br />

de volonté, que le Code ignore mais qui n’en est pas moins venu<br />

s’ajouter aux sources d’obligations énumérées par l’article 1370, lequel<br />

ne se proclame d’ailleurs pas limitatif. L. Simont observe à ce propos<br />

que « nombreux sont les principes généraux du droit, tels l’abus de<br />

droit, l’action de in rem verso et le droit de rétention qui ont été dégagés<br />

à partir d’applications particulières sans être énoncés comme tels par le<br />

législateur » (19). L’absence de tels principes dans le Code civil montre<br />

à la fois ses limites et ses infinies potentialités.<br />

François GLANSDORFF<br />

(18) Carbonnier, op. cit., p. 692. L’auteur ouvre d’ailleurs très justement le chapitre<br />

sur les quasi-contrats par le titre : « L’avantage reçu d’autrui comme source<br />

d’obligation ». Voy. aussi P-A. Foriers, « L’utile et l’inutile en droit privé »,<br />

in Mélanges Ph. Gérard, Bruylant, 2002, pp. 41 et s., spéc. p. 61.<br />

(19) « L’engagement unilatéral », in Les obligations en droit français et en<br />

droit belge - Convergences et divergences, Bruylant-Dalloz, 1994, pp. 17 et s.,<br />

spéc. p. 21.<br />

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DES DÉLITS ET QUASI-DÉLITS<br />

Livre III - Titre IV - Chapitre II<br />

1. — Les auteurs du Code civil ne se sont guère attardés sur le droit de<br />

la responsabilité extracontractuelle, n’y consacrant pas davantage que<br />

cinq articles du Code. Admirés pour leur concision, on peut cependant<br />

penser qu’ils n’ont pas pris la mesure des problèmes complexes que cette<br />

matière pouvait susciter.<br />

Aux termes de l’intitulé du chapitre II du titre IV du livre III du Code<br />

civil, on est responsable des délits et quasi-délits que l’on commet.<br />

Par délits ou quasi-délits, on entend en réalité, que l’on est responsable<br />

des fautes que l’on commet.<br />

La faute peut être volontaire, c’est-à-dire intentionnelle dans les cas où<br />

l’on a voulu le dommage ou, au contraire, involontaire lorsque le dommage<br />

n’a pas été voulu.<br />

Ceci n’apparaît pas expressément de la rédaction de l’article 1382 du<br />

Code civil mais se déduit de l’article 1383 qui édicte que chacun est responsable<br />

du dommage causé non seulement par son fait (qu’il faut entendre<br />

comme un acte volontaire) mais aussi par sa négligence ou par son imprudence<br />

(cf. notre Traité de la responsabilité civile, t. I, n os 268 et s.).<br />

2. — La définition de la faute civile est, dans le silence du Code, une<br />

entreprise délicate (voy. à ce sujet X. Thunis, « La faute civile, un concept<br />

polymorphe - Théorie générale de la faute », in Responsabilités -<br />

Traité théorique et pratique, Kluwer, 2001, titre II, dossier 20).<br />

Est constitutive de faute tout manquement, volontaire ou involontaire,<br />

par action ou par omission, à une norme de conduite préexistante.<br />

La notion de norme de conduite préexistante a conduit à faire une distinction<br />

consacrée par la Cour de cassation (Cass., 31 janv. 1944, Pas.,<br />

1944, I, 178; Cass., 10 avril 1970, Pas., 1970, I, 682). Toute violation<br />

d’une norme légale ou réglementaire constitue, en soi, une faute, sauf<br />

cause de justification. En dehors de cette hypothèse, constitue également<br />

une faute le non-respect du devoir général de prudence et de diligence,<br />

suivant le critère normal du bon père de famille placé dans les<br />

mêmes circonstances de lieu, de temps et de profession (voy., Cass.,<br />

15 déc. 1958, R.G.A.R., 1960, n o 6483 et notre note).<br />

3. — S’agissant d’un manquement à l’obligation générale de prudence et<br />

de prévoyance, il convient de tenir compte, pour apprécier la faute, de la<br />

prévisibilité du dommage, en ce sens qu’il faut que l’auteur de la faute ait<br />

pu envisager la possibilité d’un dommage. Certains arrêts de la Cour de<br />

cassation conduisent à penser que ce critère de prévisibilité du dommage<br />

devrait également être pris en compte dans l’appréciation de la faute d’une<br />

personne qui a violé une norme légale ou réglementaire (voy. aussi, Cass.,<br />

22 sept. 1988, R.C.J.B., 1990, et note R.O. Dalcq; sur cette question, voy.<br />

aussi, I. Moreau-Margrève, « Grands arrêts récents en matière de responsabilité<br />

civile », Act. droit, 1998, pp. 425 et s., spéc. n o 5; voy. encore, notre<br />

étude « La prévisibilité du dommage est-elle une condition nécessaire<br />

de la faute? » in Mélanges en l’honneur du professeur Heenen, pp. 83 et<br />

s.). C’est ainsi que, dans un arrêt du 3 octobre 1994, la Cour suprême précise<br />

que « toute transgression matérielle d’une disposition légale ou réglementaire<br />

constitue en soi une faute qui entraîne la responsabilité pénale et<br />

civile de l’auteur, à condition que cette transgression soit commise librement<br />

et consciemment (J.T., 1995, p. 26).<br />

S’il est établi que le dommage présente, en son principe, un caractère prévisible,<br />

l’auteur de la faute est tenu de réparer toutes les conséquences de<br />

celle-ci, même indirectes et même imprévisibles (Cass., 20 nov. 1960,<br />

Pas., 1961, I, 338). Les articles 1382 et 1383 du Code civil ne font pas de<br />

distinction entre le dommage qui est la suite immédiate de la faute ou celui<br />

qui en est la conséquence médiate (Cass., 23 janv. 1993, Pas., I, 81).<br />

4. — Faut-il en matière de responsabilité civile établir une distinction selon<br />

la gravité de la faute? L’ancien droit différenciait la faute lourde, la<br />

faute légère, la faute très légère (cf. Pothier, œuvres éditées par Dupin, t. I,


p. 280). Le droit romain distinguait, dans la Lex Aquilia, la culpa levis et<br />

la culpa levissima. Certains auteurs, comme Lalou (Traité, n o 415) ont<br />

distingué la faute très légère, la faute légère, la faute volontaire non intentionnelle,<br />

la faute inexcusable, la faute intentionnelle, la faute lourde, la<br />

faute grave et le dol. S’il est certain que certaines fautes constituent une<br />

violation de la morale sociale et présentent une connotation morale qui ne<br />

se retrouve pas dans la faute involontaire, commise sans intention de nuire,<br />

ces distinctions ont actuellement disparu en grande partie dans la mesure<br />

où notre droit considère que la gravité de la faute n’exerce d’influence<br />

ni sur l’existence de la responsabilité, ni sur l’étendue de la réparation<br />

(De Page, Traité, t. II, n o 945 et 1022; Mazeaud, t. III, n os 2364 à 2371;<br />

G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, nos 226 et s.). Un arrêt déjà<br />

ancien de notre Cour de cassation (15 mai 1941, Pas., 1941, I, 92) a confirmé<br />

cette solution dans les termes suivants : « Attendu que l’article 1382<br />

du Code civil est général et ne fait pas de distinction; que “ réparer ” un<br />

dommage, c’est rétablir la partie qui l’a subi dans la situation où elle serait<br />

demeurée si le fait illicite dont elle se plaint n’avait pas été commis; qu’un<br />

tel résultat ne peut être atteint que par une réparation qui couvre entièrement<br />

le préjudice dû à ce fait et pour la détermination de laquelle l’importance<br />

de la faute commise apparaît, dès lors, comme un élément sans rapport<br />

avec la question à résoudre ».<br />

Le degré de gravité de la faute commise ressurgit cependant au niveau<br />

de l’appréciation du lien de causalité. Par un arrêt du 6 novembre 2002,<br />

la Cour de cassation, se référant au principe général de droit fraus omnia<br />

corrumpit a en effet estimé que l’auteur d’une infraction intentionnelle<br />

engageant sa responsabilité civile ne pouvait prétendre à une réduction<br />

des réparations dues à la victime de cette infraction en raison des négligences<br />

ou imprudences commises par celle-ci (Cass., 6 nov. 2002, J.T.,<br />

2003, p. 579 et la note de J. Kirkpatrick, ibid., pp. 573 et s.).<br />

5. — Les arrêts par lesquels la Cour de cassation contrôle l’application<br />

par le juge du fond de la notion de faute sont peu nombreux. Si, en principe,<br />

le juge du fond constate souverainement les faits reprochés à<br />

l’auteur du dommage, la Cour de cassation contrôle cependant si ces<br />

faits constituent ou non un acte illicite (cf. mercuriale du procureur général<br />

Dumon, « De l’Etat de droit », J.T., 1979, pp. 473 et s.).<br />

La Cour de cassation contrôle donc « si des faits et circonstances constatées,<br />

le juge du fond a légalement ou non déduit l’existence d’une faute,<br />

d’un vice de la chose, d’un défaut de prévoyance ou de précaution,<br />

d’un dommage et d’une relation causale au sen des règles de droit (ibidem,<br />

J.T., 1979, p. 497, voy. aussi, Cass., 13 juin 1983, Pas., 1983, I,<br />

151 et pour différents exemples, notre examen de jurisprudence (1980-<br />

1986), R.C.J.B., 1987, p. 607).<br />

6. — La Cour de cassation considère que la circonstance que le manquement<br />

au devoir de prudence qui s’impose à tous constitue aussi la violation<br />

d’une obligation contractuelle n’exclut pas que la responsabilité<br />

de l’auteur du dommage puisse être engagée envers les tiers avec lesquels<br />

il n’a pas contracté (Cass., 11 juin 1981, Pas., 1981, I, 1159).<br />

En revanche, après avoir admis la coexistence, entre cocontractants, des<br />

responsabilités contractuelle et extracontractuelle, la Cour de cassation<br />

considère, de façon constante depuis plus de trente ans, que l’article 1382<br />

du Code civil ne peut ouvrir la voie à une action entre cocontractants, à<br />

moins que la faute contractuelle reprochée ne soit constitutive d’une infraction<br />

pénale, ou que les deux conditions, bien connues, du concours des<br />

responsabilités se trouvent réunies, à savoir que la faute constitue également<br />

un manquement à l’obligation générale de prudence qui s’impose à<br />

tous, même en dehors de tout contrat et que le dommage causé soit autre<br />

que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat (voy., Cass., 7 déc.<br />

1973, R.C.J.B., 1976, p. 15 et note Dalcq et Glansdorff; sur l’évolution de<br />

la jurisprudence depuis lors et les difficultés que cette évolution a suscitée;<br />

voy. notam., P. Wéry, « Les rapports entre responsabilité aquilienne et<br />

responsabilité contractuelle, à la lumière de la jurisprudence récente »,<br />

R.G.D.C., 1998, pp. 81 à 108, B. Dubuisson, « Responsabilité contractuelle<br />

et extracontractuelle », in Responsabilités - Traité théorique et pratique,<br />

Kluwer, 2000, livres 3 et 3bis).<br />

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Pour déterminer si la faute reprochée constitue la violation d’une obligation<br />

contractuelle ou d’une obligation qui s’impose à tous et si le dommage<br />

est distinct de celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat, il<br />

s’imposera de rechercher la véritable nature de l’obligation violée et de<br />

déterminer s’il s’agit ou non d’une obligation contractuelle implicite.<br />

Parallèlement, et suivant les mêmes critères, la jurisprudence a dégagé<br />

la théorie de l’immunité civile des préposés et agents d’exécution (cf.<br />

Dalcq et Glansdorff, note sous Cass., 15 sept. 1977, R.C.J.B., 1978,<br />

pp. 423 et s.) et l’a même étendue, plus récemment, aux organes (Cass.,<br />

7 nov. 1997, R.C.J.B., 1999, p. 730 et note V. Simonart).<br />

Cette immunité est de nature à accentuer la responsabilité contractuelle<br />

pour autrui. Si la responsabilité de l’agent d’exécution ne peut être mise<br />

en cause par le cocontractant qui subit le dommage causé par l’inexécution<br />

du contrat, l’autre contractant ne peut pour autant invoquer que la faute<br />

de son agent d’exécution constituerait un cas de force majeure le libérant<br />

de son obligation (Cass., 21 juin 1979, Pas., 1979, I, 226 et obs.).<br />

Cependant, le contractant peut invoquer le caractère imprévisible du<br />

dommage causé si la faute délictuelle de l’agent d’exécution a causé un<br />

dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat<br />

(Cass., 22 oct. 1983, Pas., 1984, I, 182 et obs.; comp., Cass., 29 nov.<br />

1984, Pas., 1985, I, 399 et la note de P.-H. Delvaux, « La responsabilité<br />

contractuelle pour autrui et l’arrêt du 29 novembre 1984 », J.T., 1987,<br />

p. 417).<br />

7. — Malgré l’attachement constant de notre Cour de cassation à la<br />

théorie de l’équivalence des conditions, elle a consacré la théorie, défendue<br />

par H. De Page, de la rupture du lien de causalité par l’interposition<br />

d’une cause juridique propre, qu’elle soit légale, réglementaire ou<br />

contractuelle (Cass., 28 avril 1978, Pas., 1979, p. 261; sur cette question<br />

voy. aussi, S. David-Constant, Propos sur le problème de la causalité<br />

dans la responsabilité délictuelle et quasi délictuelle).<br />

Après avoir atténué la portée de cette théorie par le recours au critère de<br />

l’obligation secondaire ou subsidiaire, elle paraît l’avoir aujourd’hui<br />

abandonnée pour se situer sur le terrain du dommage réparable en énonçant<br />

que l’existence d’une obligation contractuelle, légale ou réglementaire<br />

n’exclut pas qu’il puisse y avoir un dommage au sens de<br />

l’article 1382 du Code civil sauf si, d’après le contenu ou la teneur du<br />

contrat, de la loi ou du règlement, la dépense à effectuer ou la prestation<br />

à fournir doivent rester définitivement à charge de celui qui s’y est engagé<br />

et qui doit l’effectuer ou la fournir en vertu de la loi ou du règlement<br />

(Cass., 19 févr. 2001, R.G.D.C., 2003, p. 182 et la note).<br />

8. — La responsabilité civile reste, en règle, une responsabilité à base<br />

de faute. Faut-il aller plus loin et passer du droit de la responsabilité au<br />

droit de la réparation, comme le souhaitait J.-L. Fagnart dans notre premier<br />

numéro de l’an 2000 (J.T., 2001, p. 11)? Nous ne le pensons pas.<br />

Certes, le souci d’indemnisation des victimes conduit le législateur à accroître<br />

les régimes particuliers de responsabilité objective dans divers<br />

domaines où la responsabilité sans faute se justifie pour mieux assurer<br />

la réparation des dommages. Ce fut notamment, le cas pour les accidents<br />

du travail, les victimes d’actes intentionnels de violence, les victimes<br />

de produits défectueux ou encore les usagers faibles.<br />

Omniprésent, le droit de la responsabilité civile doit s’adapter aux évolutions<br />

technologiques et sociales du monde d’aujourd’hui. Il se trouve<br />

tiraillé entre des exigences multiples. On lui demande tout à la fois, de<br />

prévenir les dommages et de protéger les individus — y compris les générations<br />

futures — de dissuader, de moraliser, voire de sanctionner; on<br />

lui demande surtout de réparer, tant il est jugé inacceptable aujourd’hui<br />

qu’une victime d’un préjudice demeure non indemnisée. Il est confronté<br />

à la difficulté croissante que, de plus en plus, le ou les responsables ne<br />

sont pas toujours identifiables.<br />

Mais nous pensons néanmoins que pour l’essentiel, la faute doit rester<br />

le fondement de la responsabilité civile.<br />

R.O. DALCQ<br />

2004<br />

305


2004<br />

306<br />

LA RÉPARATION DES DOMMAGES<br />

CAUSÉS PAR LES DÉMENTS<br />

Livre III - Titre IVbis<br />

I. — DU CODE CIVIL DE 1804<br />

À LA LOI DU 16 AVRIL 1935<br />

1. — Il semblerait que, sous l’ancien droit, des jurisconsultes admettaient<br />

que les déments répondent sur leurs biens du préjudice qu’ils avaient<br />

causé aux victimes (1). Lors de l’adoption du Code civil en 1804, le législateur<br />

n’a, quant à lui, pas prévu la possibilité de condamner une personne<br />

malade mentale à réparer le dommage qu’elle a causé. Il a mis au<br />

contraire l’accent sur la faute en tant que fondement de la responsabilité<br />

civile, sans toutefois expliciter ce concept (2). Celui-ci supposant la capacité<br />

de discernement, il a été déduit par la suite que les déments ne pouvaient<br />

pas être considérés comme civilement responsables.<br />

2. — Tout au long du XIXe et au début du XXe siècles, une partie de la<br />

jurisprudence et de la doctrine (3) ont tenté de restreindre le champ<br />

d’application de cette impossibilité, parfois dénoncée comme étant une<br />

lacune de la loi (4) au détriment des victimes.<br />

La responsabilité civile pour faute a ainsi été retenue dans le chef d’une<br />

personne qui n’était pas privée de toute raison ou de toute liberté, même<br />

si elle n’avait pas le contrôle de ses actions. Il en était de même lorsque<br />

l’état de démence lui était imputable, ainsi à la suite d’un abus d’alcool<br />

ou de la prise de stupéfiants (5). L’accomplissement de l’acte au cours<br />

d’un intervalle de lucidité impliquait également la responsabilité. Enfin,<br />

la preuve de l’état d’aliénation mentale au moment des faits revenait à<br />

celui qui l’invoquait (6).<br />

3. — Le législateur belge s’est également ému de la situation inconfortable<br />

de la victime d’un dommage causé une personne démen-<br />

(1) P. Jourdain, « Droit à réparation - Responsabilité fondée sur la faute -<br />

Imputabilité », éditions du Juris-Classeur, 1996, p. 5, n o 13; exposé des motifs,<br />

loi du 16 avril 1935 sur la réparation de dommages causés par les déments et<br />

les anormaux, Pasin., 1935, t. I, p. 286 (cité infra, exposé des motifs). La détermination<br />

de l’état de la question sous l’ancien droit mérite toutefois davantage<br />

d’approfondissements et un examen des sources de la pratique. Cette problématique<br />

n’est en effet pas examinée dans les ouvrages du XIX e siècle traitant<br />

de l’ancien droit (voy. ainsi J. Britz, Code de l’ancien droit Belgique ou<br />

Histoire de la jurisprudence et de la législation, suivie de l’exposé du droit civil<br />

des provinces Belgiques, 2 e vol., Bruxelles, A. Van Daele, 1847, p. 823;<br />

E. Defacqz, Ancien droit Belgique ou Précis analytique des lois et coutumes<br />

observées en Belgique avant le Code civil, Bruxelles, Bruylant-Christophe,<br />

(1846). Quant à Pothier, au XVIII e siècle, il semble faire une distinction entre<br />

le dément et l’interdit : d’une part, il souligne que le « fou » qui cause un tort à<br />

quelqu’un n’encourt aucune obligation; d’autre part, il indique plus loin<br />

qu’« un interdit peut être condamné à des amendes pécuniaires pour ses délits<br />

ou quasi-délits, contre l’avis de la glose (...) » (Pothier, Traité des obligations,<br />

selon les règles, tant du for de la conscience que du for extérieur, par M. Bernard,<br />

t. I, Paris, Letellier, 1813, pp. 82 et 83).<br />

(2) Voy. notam., B. De Greuille, « Rapport fait au tribunat dans la séance du<br />

16 pluviôse an XII (6 févr. 1803) », dans Locré, Législation civile, commerciale<br />

et criminelle ou commentaire et complément des Codes français, t. VI, Bruxelles,<br />

Librairie de jurisprudence de H. Tarlier, 1836, pp. 280 et s., n os 9 et s.<br />

(3) Voy. réf. cit. par R. Kruithof, « De buitencontractuele aansprakelijkheid<br />

van en voor geesteszieken », R.G.A.R., 1980, n o 10179/3, n os 7 et s.<br />

(4) F. Laurent, Principes de droit civil, t. XX, Bruxelles, Bruylant-Christophe<br />

& Comp., Paris, A. Durand & Pedone Lauriel, 1876, p. 597, n o 559.<br />

(5) Exposé des motifs, op. cit., p. 287; rapport de la commission de la justice et<br />

de la législation civile et criminelle de la Chambre, Pasin., 1935, t. I, p. 289 (cité<br />

infra rapport Sinzot); J.-M. Boileux, Commentaire sur le Code civil, t. II,<br />

5 e éd., Paris, Joubert, 1843, p. 740.<br />

(6) Rapport de la commission de la justice du Sénat, Pasin., 1935, t. I, pp. 299<br />

et s., (cité infra rapport Orban).<br />

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te (7). S’inspirant de législations étrangères de l’époque (8), il a souhaité<br />

permettre la réparation de ce préjudice sur le patrimoine du dément,<br />

sans toutefois reconnaître le principe de la responsabilité civile<br />

de celui-ci.<br />

C’est ainsi que le législateur a inséré, en 1935 (9), dans le livre III du<br />

Code civil, un titre IVbis intitulé « De la réparation du dommage causé<br />

par les anormaux » et comprenant un article 1386bis. Cette disposition<br />

n’a pas été modifiée depuis<br />

4. — Les fondements juridiques qui ont été avancés pour justifier cette<br />

obligation de réparation ont varié au cours des travaux parlementaires.<br />

Il a d’abord été question, dans le rapport déposé à la Chambre (10),<br />

d’une « responsabilité patrimoniale » et d’une « injustice objective »,<br />

dans la lignée de la théorie du risque développée par Saleilles (11). Le<br />

rapporteur au Sénat n’a, quant à lui, pas suivi cette conception. Tout en<br />

soulignant qu’il convenait de maintenir la faute en tant que fondement<br />

de la responsabilité civile, il a invoqué, à l’appui de l’obligation de réparation<br />

du dément, des notions d’équité et d’ « assistance puisant sa<br />

source dans les exigences de la solidarité sociale » (12). Selon lui, le dément<br />

ne peut être considéré comme civilement responsable (13).<br />

II. — LES CONDITIONS DE L’OBLIGATION<br />

À LA RÉPARATION DU DÉMENT<br />

5. — En vertu de l’article 1386bis du Code civil, lorsqu’une personne<br />

se trouvant dans un état de démence ou dans un état grave de déséquilibre<br />

mental ou de débilité mentale la rendant incapable du contrôle de ses<br />

actions, cause un dommage à autrui, le juge peut la condamner à tout ou<br />

(7) Exposé des motifs, op. cit., p. 287 : « Bien qu’entre la victime du dommage<br />

et le dément, il n’y ait point de rapport de droit, la première a néanmoins subi<br />

un dommage immérité et l’on n’aperçoit pas pourquoi elle doit toujours en subir<br />

seule les conséquences ».<br />

(8) Ainsi les Codes civils allemand, autrichien, espagnol, portugais, russe et le<br />

Code civil fédéral suisse, voy., exposé des motifs, op. cit., pp. 288 et 289.<br />

(9) Loi du 16 avril 1935 sur la réparation de dommages causés par les déments<br />

et anormaux.<br />

(10) Rapport Sinzot, pp. 289, 291 et 292 : « (...) Sans doute, il n’y a pas de peine<br />

sans faute; mais la réparation civile d’un dommage objectivement injuste<br />

s’impose (...) »; « (...) Dès qu’il y a un dommage causé, qu’il soit subjectivement<br />

ou objectivement injuste, l’équité n’exige-t-elle pas qu’il soit réparé? »;<br />

« (...) Si le patrimoine est fait pour la personne pour lui permettre de vivre dans<br />

la société, il serait aussi injuste d’en priver complètement le titulaire qui n’a<br />

commis aucune faute volontaire, que de refuser à la victime d’un dommage<br />

causé injustement par celui-ci toute réparation à charge de ce patrimoine (...) ».<br />

(11) Sur la théorie du risque, voy. e.a. G. Schamps, La mise en danger : un concept<br />

fondateur d’un principe général de responsabilité - Analyse de droit comparé,<br />

Bruxelles, Bruylant, Paris, L.G.D.J., 1998, pp. 605 et s., n os 22 et s.<br />

(12) Rapport Orban, op. cit., pp. 294 et 308 : « (...) L’aliéné ne saurait être responsable<br />

puisqu’il lui manque à la fois l’intelligence qui discerne et la volonté<br />

qui agit. La notion d’assistance n’est, au contraire, suivant l’idée d’équité qui<br />

lui sert de fondement, que le rétablissement d’un équilibre exigé par l’ordre social<br />

et le bien commun ».<br />

(13) Voy., en France, l’article 489-2 du Code civil introduit par la loi n o 68-5 du<br />

3 janvier 1968 relative au statut des incapables majeurs. Selon cette disposition,<br />

« Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble<br />

mental n’en est pas moins obligé à réparation ». Elle implique une réparation<br />

intégrale du dommage et s’applique à toutes les responsabilités prévues aux<br />

articles 1382 et s. du Code civil. Sur cette disposition et l’interprétation qui en est<br />

donnée (obligation de réparation ou au contraire faute objective; imputabilité ou<br />

responsabilité), cons. e.a., P. Jourdain, op. cit., pp. 5 et s.; G. Viney et P. Jourdain,<br />

Traité de droit civil - Les conditions de la responsabilité civile, 2 e éd., Paris,<br />

L.G.D.J., 1998, pp. 524 et s., n os 578 et s.; H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons<br />

de droit civil, t. II, vol. I, Obligations, théorie générale, 9 e éd., Paris, Montchrestien,<br />

1998, pp. 458 et s., n o 449; Ph. Conte, « Responsabilité du fait<br />

personnel », Rép. civ. Dalloz, mai 2002, pp. 31 et s.; voy. aussi sur l’illicéité,<br />

X. Thunis, « Théorie générale de la faute », vol. I, dans Responsabilités - Traité<br />

théorique et pratique, Bruxelles, Kluwer, 2001, pp. 17 à 19; O. Tournafond, « De<br />

la faute à la théorie du risque : l’exemple de la responsabilité des parents du fait<br />

de leurs enfants mineurs », note sous Cass., 10 mai 2001, D., 2001, pp. 2851 à<br />

2861.


partie de la réparation à laquelle elle serait astreinte si elle avait le contrôle<br />

de ses actes. Le magistrat statue selon l’équité, en tenant compte<br />

des circonstances et de la situation des parties.<br />

D’après l’exposé des motifs (14), les obligations contractuelles (15) ou<br />

(quasi) délictuelles sont visées. Le pouvoir d’appréciation du magistrat<br />

est souverain, tant en ce qui concerne le principe de la réparation que le<br />

montant de celle-ci.<br />

Le dommage doit être apprécié selon les règles du droit commun (16)<br />

mais le montant de la réparation est établi en équité. Celle-ci implique<br />

que le juge tienne compte des circonstances dans lesquelles l’acte a été<br />

commis, de la « situation de fortune » de la victime et de l’auteur, de<br />

leurs besoins, « en un mot, de tous les facteurs qu’il est équitable de<br />

retenir » (17).<br />

Le législateur a choisi d’imposer cette obligation de réparation aux personnes<br />

visées par la loi de défense sociale à l’égard des anormaux et des<br />

délinquants d’habitude du 9 avril 1930. Il a d’ailleurs repris les termes<br />

de cette législation (18) réglementant l’internement (19).<br />

Si la situation de la victime a été améliorée — puisqu’elle peut obtenir<br />

la réparation d’un dommage subi par un dément — celle des personnes<br />

qui n’étaient pas totalement privées de raison ou de liberté l’a été également.<br />

En effet, comme indiqué plus avant (20), la jurisprudence les<br />

considérait jusqu’alors comme civilement responsables. Dorénavant, la<br />

réparation pourra n’être que partielle, voire inexistante.<br />

III. — LES APPORTS DE LA DOCTRINE<br />

ET DE LA JURISPRUDENCE DEPUIS 1935<br />

6. — L’application de l’article 1386bis du Code civil a suscité un<br />

certain nombre de questions d’interprétation. La jurisprudence et la<br />

doctrine ont ainsi été amenées, au fil du temps, à expliciter les conditions<br />

de cette disposition légale (21). Ainsi en est-il des circonstances<br />

et de la situation des parties, au regard desquelles le juge doit statuer<br />

en équité.<br />

Certaines juridictions ont ainsi pris en considération la nature et la gravité<br />

de l’acte illicite ou du dommage pour se prononcer en équité. Lors<br />

de l’examen de la situation patrimoniale des parties (22), il est également<br />

tenu compte de la nécessité de laisser au dément des moyens fi-<br />

(14) Exposé des motifs, op. cit., p. 287; rapport Sinzot, op. cit., p. 293.<br />

(15) Voy. sur le sujet, les développements de F. Glansdorff, « La responsabilité<br />

contractuelle des malades mentaux et des autres personnes atteintes d’un trouble<br />

physique ou mental », R.C.J.B., 1987, pp. 234 et s., n os 11 et s.; F. Swennen,<br />

Geestesgestoorden in het Burgerlijk Recht, Antwerpen-Groningen, Intersentia<br />

Rechtswetenschappen, 2000, pp. 430 et s., n os 521 et s.<br />

(16) Ainsi que le souligne la précision « la réparation à laquelle elle serait astreinte<br />

si elle avait le contrôle de ses actes »; exposé des motifs, op. cit., p. 287.<br />

(17) Exposé des motifs, op. cit., p. 287.<br />

(18) Voy. l’article 1 er ; cons. aussi, l’article 29 du titre préliminaire du Code de<br />

procédure pénale, introduit par la loi du 16 avril 1935, selon lequel les dispositions<br />

de ce titre préliminaire sont applicables à l’action publique et à l’action<br />

civile intentée en raison d’un fait qualifié infraction par la loi et commis par une<br />

personne se trouvant en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre<br />

mental ou de débilité mentale la rendant incapable du contrôle de ses actions.<br />

(19) Cette législation a été remplacée par la loi du 1 er juillet 1964, voy. le n o 9.<br />

(20) Voy. le n o 2.<br />

(21) Pour un examen détaillé de la doctrine et de la jurisprudence, cons. e.a.,<br />

F. Swennen, Geestesgestoorden in het Burgerlijk Recht, op. cit., pp. 417 et s.,<br />

n os 510 et s.; R. Kruithof, op. cit., n os 10179 et 10190.<br />

(22) Sur la prise en considération de la situation des ayants droit de l’auteur du<br />

dommage, voy. Anvers, 16 févr. 1998, R.G.D.C., 2000, p. 466; cons. le commentaire<br />

critique de cette décision effectué par F. Swennen, « De logische seconde<br />

- Over het toepassingsgebied van artikel 1386bis van het Burgerlijk Wetboek,<br />

met bijzondere aandacht voor het begrip “ partijen ” », R.G.D.C., 2000,<br />

p. 400, n os 18 et s. Cet auteur considère que seule la situation des parties impliquées<br />

dans les faits doit être prise en considération pour l’application de<br />

l’article 1386bis du Code civil et non la situation patrimoniale propre des<br />

ayants droit lorsqu’ils ne sont que parties au procès.<br />

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nanciers suffisants pour se soigner. Les dettes et les créances éventuelles<br />

des parties sont aussi pertinentes, tout comme les besoins et les allocations<br />

sociales. L’existence ou non d’une assurance l’est également,<br />

sous réserve, dans le premier cas, de la possibilité d’une action récursoire<br />

de l’assureur contre le dément (23). Par ailleurs, selon la Cour de<br />

cassation, l’assureur qui, en vertu de son obligation contractuelle, garantit<br />

la responsabilité de son assuré dans les circonstances visées à<br />

l’article 1386bis du Code civil, ne peut invoquer l’équité prévue à cet<br />

article (24).<br />

Il est également soutenu que la preuve de la démence revient à celui qui<br />

s’en prévaut (25) mais que la victime doit établir un acte objectivement<br />

illicite du dément (26). La faute de la victime ou celle d’un tiers sont<br />

aussi prises en considération.<br />

7. — L’application de l’article 1386bis du Code civil n’est pas subsidiaire<br />

à celle d’autres règles de la responsabilité civile (27). Quant à la<br />

personne qui a été condamnée pour le fait du dément qu’elle avait sous<br />

sa garde, elle peut, le cas échéant, se retourner contre lui. Cette action<br />

sera cependant examinée en équité, en prenant notamment en considération<br />

la nature de la faute du gardien (28). Par ailleurs, le dément pourrait<br />

aussi introduire un recours contre une personne susceptible d’avoir<br />

une part de responsabilité (29). L’obligation du dément doit toutefois<br />

être examinée en fonction de l’article 1386bis du Code civil.<br />

8. — La question s’est encore posée de savoir si les parents peuvent invoquer<br />

à l’égard de la partie lésée le régime de l’article 1386bis du Code<br />

civil lorsqu’ils sont poursuivis sur la base de l’article 1384, alinéa 2, du<br />

Code civil reposant sur une présomption de faute dans la surveillance<br />

ou l’éducation (30). La Cour de cassation y a répondu négativement<br />

(31).<br />

(23) Voy. les décisions citées par R. Kruithof, op. cit., pp. 10179/11 et s.;<br />

R.O. Dalcq et G. Schamps, « Examen de jurisprudence (1987-1993) - La responsabilité<br />

délictuelle ou quasi délictuelle », R.C.J.B., 1995, pp. 636 et 637,<br />

n o 99; T. Papart, « Article 1386bis - Responsabilité des anormaux », dans Droit<br />

de la responsabilité, Formation permanente C.U.P., 1996, p. 198; J.-L. Fagnart,<br />

La responsabilité civile : chronique de jurisprudence, 1985-1995, Les dossiers<br />

du J.T., Bruxelles, Larcier, 1997, p. 49; H. Vandenberghe, M. Van Quickenborne,<br />

L. Wynant et M. Debaene, T.P.R., 2000, pp. 1692 et s.; F. Swennen, Geestesgestoorden<br />

in het Burgerlijk Recht, op. cit., pp. 437 et s., n os 533 et s. et<br />

pp. 447 et s., n os 547 et s. quant à l’évolution en matière d’assurance. Sur le caractère<br />

intentionnel de l’acte lorsque l’auteur est dément et l’implication en ce<br />

qui concerne l’assurance, cons. e.a. Cass., 21 mars 2002, Bull. Ass., 2002,<br />

p. 878; Mons, ch. mis. acc., 15 juin 1999, R.D.P.C., 2000, p. 742; J.-L. Fagnart,<br />

op. cit., p. 49. Sur les déchéances et les exclusions en général, voy. e.a.,<br />

M. Fontaine, « Déchéances, exclusions, définitions du risque et charge de la<br />

preuve en droit des assurances », R.C.J.B., 2003, pp. 20-73, note sous Cass.,<br />

7 juin 2001 et Cass., 18 janv. 2002; cons. aussi Cass., 25 mars 2003, R.W.,<br />

2003-2004, p. 264 et un extrait des conclusions de l’avocat général M. De<br />

Swaef. Selon cette décision, la faute intentionnelle d’une personne ne peut être<br />

soulevée par l’assureur à l’égard de celle qui est civilement responsable de cette<br />

personne et qui a conclu une assurance pour couvrir cette responsabilité.<br />

(24) Cass., 22 sept. 2000, R.G.A.R., 2002, n o 13469; R.W., 2000-2001, p. 1418,<br />

note F. Swennen, « Zijdelingse aantekeningen bij de rechtstreekse vordering -<br />

Het Hof van Cassatie over art. 1386bis B.W. en de verzekering van de<br />

huurdersaansprakelijkheid »; cons. aussi, Liège, 30 mai 2002, Rev. rég. dr., 2002,<br />

p. 370; Pol. Bruges, 13 janv. 2000, R.W., 2000-2001, p. 1140; H. Vandenberghe,<br />

M. Van Quickenborne, L. Wynant et M. Debaene, op. cit., p. 1693.<br />

(25) R. Kruithof, op. cit., p. 10179/8.<br />

(26) Voy. e.a., R.O. Dalcq, Traité de la responsabilité civile - Les causes de responsabilité,<br />

t. I, Bruxelles, Larcier, 1967, p. 739, n o 2330; F. Swennen, Geestesgestoorden<br />

in het Burgerlijk Recht, op. cit., p. 418, n o 51. Voy. les décisions<br />

citées par P. Van Ommeslaghe, « La réforme de la loi de défense sociale et<br />

l’article 1386bis du Code civil », R.D.P.C., 1999, p. 471; L. Cornelis, Principes<br />

du droit belge de la responsabilité extra-contractuelle, Bruxelles, Bruylant,<br />

Antwerpen-Apeldoorn, Maklu, Bruxelles, Ced.Samsom, 1991, p. 29.<br />

(27) Voy. les décisions et les auteurs cités par L. Cornelis, op. cit., p. 30.<br />

(28) Exposé des motifs, op. cit., p. 288; rapport Sinzot, op. cit., p. 293.<br />

(29) R. Kruithof, op. cit., p. 10179/11.<br />

(30) Par ailleurs, il est considéré que l’article 1386bis du Code civil ne s’applique<br />

pas aux mineurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de discernement. Il est<br />

cependant d’application pour les mineurs déments qui auraient pu être inquié-<br />

2004<br />

307


2004<br />

308<br />

Par ailleurs, des discussions existent quant à l’applicabilité de<br />

l’article 1386bis du Code civil lorsque le dément est lui-même poursuivi<br />

en vertu des articles 1384 à 1386 du Code civil. Elle est parfois uniquement<br />

acceptée dans la doctrine (32) lorsqu’il est inquiété en tant que<br />

parent ou instituteur, dont la présomption de faute est réfragable.<br />

D’autres proposent en revanche de l’étendre à l’ensemble de ces articles<br />

(33), afin d’éviter une situation discriminatoire selon la disposition légale<br />

invoquée à charge du dément (34).<br />

IV. — LA PERSONNE<br />

TENUE À LA RÉPARATION EN ÉQUITÉ<br />

9. — La jurisprudence a encore été confrontée à la notion de « personne<br />

se trouvant dans un état de démence, ou dans un état grave de déséquilibre<br />

mental ou de débilité mentale la rendant incapable du contrôle de ses<br />

actions ». Comme indiqué plus avant, l’obligation de réparer le dommage<br />

en équité, au sens de l’article 1386bis du Code civil, s’applique aux mêmes<br />

personnes que celles visées par la loi du 9 avril 1930 (35). Cette législation<br />

a été remplacée depuis par la loi du 1er juillet 1964 (36).<br />

La détermination de la personne visée par l’obligation de réparation en<br />

équité est une question de fait. L’incapacité de la personne de maîtriser<br />

ses actions est particulièrement déterminante (37). Une incapacité totale<br />

n’est cependant pas requise, une atténuation importante du contrôle des<br />

actes ou une altération du comportement étant suffisante (38). L’existence<br />

d’une mesure de collocation ou d’internement (39), par exemple,<br />

n’est pas en soi décisive. Elle peut néanmoins impliquer une présomption<br />

de fait d’incapacité de contrôle (40). Il convient cependant que<br />

celle-ci existe au moment des faits, même si l’état ne doit pas être permanent.<br />

10. — Est discutée la question de savoir si une perte de contrôle des<br />

actes due à un événement imprévisible, telle une affection cardiaque<br />

soudaine ou une crise d’épilepsie, entre dans le champ d’application de<br />

l’article 1386bis du Code civil. Selon la Cour de cassation, une perte<br />

passagère de conscience ne peut être assimilée à un état de démence, un<br />

état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale rendant la personne<br />

incapable du contrôle de ses actes (41). A l’appui d’une telle con-<br />

tés sur la base de l’article 1382 du Code civil s’ils avaient eu la capacité de discernement.<br />

(31) Cass., 18 oct. 1990, J.L.M.B., 1991, p. 758, note D.-M. Philippe,<br />

« Responsabilité du fait des enfants déments » qui considère que cette conception<br />

pourrait aussi être appliquée au commettant (art. 1384, al. 3, C. civ.).<br />

(32) F. Swennen, Geestesgestoorden in het Burgerlijk Recht, op. cit., p. 433,<br />

n o 525.<br />

(33) Voy. e.a., R.O. Dalcq, Traité de la responsabilité civile, op. cit., pp. 738 et<br />

739, n o 2329.<br />

(34) R. Kruithof, op. cit., p. 10179/8 et les auteurs cités.<br />

(35) Voy. aussi, Cass., 24 avril 1980, Pas., I, 1055 et les conclusions du procureur<br />

général Dumon.<br />

(36) Elle s’intitule à l’heure actuelle « loi de défense sociale à l’égard des anormaux,<br />

des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels ».<br />

(37) Voy. les développements de F. Swennen, Geestesgestoorden in het Burgerlijk<br />

Recht, op. cit., pp. 420 et s., n os 513 et s.<br />

(38) Voy. la jurisprudence citée par R.O. Dalcq et G. Schamps, op. cit., p. 636,<br />

n o 99; J.-L. Fagnart, op. cit., pp. 48 et 49; H. Vandenberghe, M. Van Quickenborne,<br />

L. Wynant et M. Debaene, op. cit., p. 1691. Pour un commentaire critique,<br />

voy. F. Swennen, Geestesgestoorden in het Burgerlijk Recht, op. cit.,<br />

p. 427, n o 517.<br />

(39) Sur les mesures applicables à la personne malade mentale, voy. e.a.<br />

P. Senaeve, Compendium van het Personen- en Familierecht, I. Personenrecht,<br />

Leuven/Leusden, Acco, 2003, pp. 236 et s.<br />

(40) L. Cornelis, op. cit., p. 28; F. Swennen, Geestesgestoorden in het Burgerlijk<br />

Recht, op. cit., p. 421, n o 514; H. Vandenberghe, M. Van Quickenborne,<br />

L. Wynant et M. Debaene, op. cit., p. 1691.<br />

(41) Cass., 20 juin 1979, Pas., I, 1217; Cass., 24 avril 1980, Pas., I, 1055 et les<br />

conclusions du procureur général Dumon; Liège, 8 juin 1998, Bull. Ass., 1999,<br />

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ception, il est parfois aussi considéré que l’origine de cet état devrait<br />

être de nature psychopathologique et non physique, eu égard au fait que<br />

l’article 1386bis du Code civil reprend la terminologie de la loi de défense<br />

sociale (42).<br />

Néanmoins, cette distinction entre les causes physique ou psychique de<br />

l’état de démence est dénoncée : la situation de la victime est en effet la<br />

même, que l’acte objectivement illicite ait été commis par un dément ou<br />

par une personne victime d’une crise d’épilepsie, par exemple (43).<br />

Autre est l’hypothèse où c’est par sa faute que l’auteur du dommage<br />

s’est mis dans une situation de perte de contrôle de ses actes (44). Il ne<br />

peut alors invoquer le bénéfice de la réparation en équité lorsqu’il s’est<br />

mis en état d’ivresse ou se trouve sous l’influence de stupéfiants. La responsabilité<br />

est aussi parfois retenue lorsqu’il ne pouvait ignorer qu’il<br />

pouvait avoir un malaise (45).<br />

V. — LA COMMISSION « INTERNEMENT »<br />

11. — Par ailleurs, la terminologie utilisée pour déterminer les personnes<br />

visées à l’article 1386bis du Code civil et dans la loi de défense sociale<br />

est aussi dénoncée dans la mesure où elle ne semble pas adaptée<br />

aux conceptions actuelles de la psychiatrie (46).<br />

En 1996, une commission a été chargée de développer une vision nouvelle<br />

de la loi de défense sociale. Elle a entre autres proposé de supprimer<br />

les termes « démence, déséquilibre mental, débilité mentale » par<br />

l’expression « trouble mental ». En outre, selon elle, l’internement ne<br />

devrait être prononcé que si la capacité de contrôle ou de discernement<br />

du délinquant a été abolie ou gravement altérée (47).<br />

Cette commission a également indiqué la nécessité de supprimer, à<br />

l’article 11 de la loi de défense sociale (48), la référence à l’article<br />

1386bis du Code civil. Il s’agirait de permettre légalement (49) aux juridictions<br />

pénales — de jugement ou d’instruction – qui ont prononcé<br />

une mesure d’internement (50), de statuer aussi sur l’action civile basée<br />

p. 647, obs. A. Pire; comp. Bruxelles, 9 juin 1999, Bull. Ass., 1999, p. 655, obs.<br />

A. Pire.<br />

(42) R. Kruithof, op. cit., p. 10179/7; F. Swennen, Geestesgestoorden in het<br />

Burgerlijk Recht, op. cit., p. 423, n o 516.<br />

(43) P. Van Ommeslaghe, op. cit., p. 472.<br />

(44) Cons. les décisions citées par L. Cornelis, op. cit., p. 31; H. Vandenberghe,<br />

M. Van Quickenborne, L. Wynant et M. Debaene, op. cit., p. 1691.<br />

(45) Voy., à propos du cas fortuit en matière de roulage, la jurisprudence citée<br />

par J.-L. Fagnart, Le Fonds commun de garantie automobile, dans Formation<br />

permanente C.U.P., 2001, pp. 220 et 221; Corr. Charleroi, 27 mars 2001, Bull.<br />

Ass., 2002, p. 393; Civ. Liège, 11 janv. 2002, Bull. Ass., 2002, p. 671; Pol. Liège,<br />

14 févr. 2002, Bull. Ass., 2002, p. 907; Pol. Verviers, 3 juin 2002, Bull. Ass.,<br />

2003, p. 135.<br />

(46) R. Kruithof, op. cit., p. 10179/7; rapport final de la commission internement<br />

pour la révision de la loi de défense sociale du 1 er juillet 1964, établi le<br />

1 er mai 1999 par feu le baron Delva, P. Cosyns et O. Vandemeulebroeke, p. 107<br />

(citée infra, commission internement); sur ce rapport, cons. O. Vandemeulebroeke,<br />

« La loi de défense sociale du 1 er juillet 1964 - Vers une modernisation?<br />

Un renouveau? Une vision nouvelle? », J.T., 2000, pp. 331-334.<br />

(47) Commission internement, op. cit., pp. 107 et 108.<br />

(48) L’article 11, alinéa 2, de la loi de défense sociale prévoit que, lorsque l’internement<br />

est ordonné, les juridictions d’instruction et de jugement saisies de<br />

l’action civile statuent à cet égard, conformément à l’article 1386bis du Code<br />

civil, en même temps que sur l’action publique. Elles statuent également sur les<br />

dépens.<br />

(49) Il semble que cette modification législative régulariserait une pratique qui<br />

existerait déjà en ce sens, voy. les développements de P. Van Ommeslaghe, op.<br />

cit., p. 479; comp. F. Swennen, « Het lot van de burgerlijke rechtsvordering in<br />

het geval van een geestesstoornis van de verdachte of beklaagde », note sous<br />

Cass., 1 er févr. 2000, T. Strafr., 2000, p. 119. Selon cet auteur, le renvoi à<br />

l’article 1386bis du Code civil, dans l’article 11, alinéa 2, de la loi de défense<br />

sociale, n’impliquerait pas que seule cette disposition puisse être appliquée par<br />

le magistrat.<br />

(50) Voy. toutefois Cass., 11 janv. 1983, R.D.P.C., 1983, p. 560 et les conclusions<br />

du procureur général E. Liekendael, alors avocat général, dans l’hypothè-


sur le droit commun (51). La commission a aussi suggéré d’autoriser ces<br />

juridictions à se prononcer sur cette action civile lorsque l’inculpé bénéfice<br />

d’un acquittement en vertu de la cause de justification inscrite à<br />

l’article 71 du Code pénal (52). La Cour de cassation a rendu depuis une<br />

décision où elle considère que, lorsqu’il acquitte le prévenu en vertu de<br />

cette disposition, le juge n’est pas libéré de son obligation de statuer sur<br />

l’action civile régulièrement constituée sur la base de l’article 1386bis<br />

du Code civil (53).<br />

12. — A l’occasion du rapport préparé par la commission, il a été<br />

souligné qu’en cas de changement de la loi de défense sociale dans<br />

le sens précité, il convenait aussi de modifier le libellé de l’article 71<br />

du Code pénal et celui de l’article 1386bis du Code civil afin d’assurer<br />

une certaine cohérence entre ces textes. Il est aussi considéré, à<br />

juste titre, qu’il est souhaitable de continuer à apprécier au moment<br />

des faits la question de l’application de la réparation en équité ou du<br />

régime de droit commun de la responsabilité civile et de laisser l’examen<br />

des conditions de la loi de défense sociale au moment de la comparution<br />

en justice (54).<br />

se où la personne était anormale au moment des faits et l’est encore lors de sa<br />

comparution devant une juridiction pénale. La juridiction d’instruction, qui<br />

rend une décision de non-internement, prononce une décision définitive sur<br />

l’action publique. Elle doit dès lors statuer sur l’action civile dont elle est régulièrement<br />

saisie.<br />

(51) Il se peut en effet que l’inculpé était normal au moment des faits (application<br />

du droit commun de la responsabilité civile) et qu’il soit devenu dément et<br />

présente une dangerosité lors de sa comparution en justice (mesure d’internement).<br />

(52) Selon cette disposition, « il n’y a pas d’infraction, lorsque l’accusé ou le<br />

prévenu était en état de démence au moment des faits, ou lorsqu’il a été contraint<br />

par une force à laquelle il n’a pu résister ».<br />

(53) Cass., 1 er févr. 2000, Bull., n o 84; T. Strafr., 2000, p. 117, note précitée de<br />

F. Swennen qui souligne les implications de cet arrêt, au regard notamment des<br />

propositions de la commission internement.<br />

(54) Voy. les développements de P. Van Ommeslaghe, op. cit., pp. 474 et s. qui<br />

a été consulté par la commission en tant qu’expert. Cet auteur commente le régime<br />

actuel au pénal et au civil ainsi que les solutions envisageables dans les<br />

situations suivantes : l’auteur était anormal au moment des faits et il l’est encore<br />

lors de la comparution devant une juridiction pénale; il n’était pas dément<br />

lors des faits mais il l’est devenu par la suite; il était anormal lors de l’acte et<br />

ne l’est plus au moment de la comparution en justice; cons. aussi, F. Swennen,<br />

« Het lot van de burgerlijke rechtsvordering in het geval van een geestesstoornis<br />

van de verdachte of beklaagde », op. cit., pp. 118 et s.<br />

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VI. — LES PERSPECTIVES DE RÉFORME<br />

13. — Depuis lors, une réforme législative est proposée. Des textes parlementaires<br />

ont été déposés afin de refondre les dispositions relatives à<br />

l’internement (55). Une importante modification est la possibilité offerte<br />

– aux juridictions pénales d’instruction ou de jugement qui « statuent<br />

sur l’action publique en application de la loi » (projetée) sur l’internement<br />

ou de l’article 71 du Code pénal — de se prononcer également sur<br />

l’action civile de manière générale. Il ne serait ainsi plus fait référence<br />

au seul article 1386bis du Code civil (56).<br />

Il est également proposé de remplacer, à l’article 71 du Code pénal,<br />

le terme « dément » par l’expression « trouble mental qui a aboli ou<br />

gravement altéré sa capacité de discernement ou de contrôle de ses<br />

actes » (57). Cette expression serait identique à celle retenue pour<br />

l’examen d’une mesure d’internement et elle serait également insérée<br />

à l’article 1386bis du Code civil (58).<br />

Si réforme législative il y a, il serait toutefois souhaitable de prévoir la<br />

possibilité d’une réparation en équité dans le cas d’un préjudice causé<br />

par une personne majeure dont l’acte est objectivement illicite mais qui<br />

ne se trouve pas dans un état de trouble mental au sens précité. Il peut<br />

être songé à une perte de conscience soudaine et passagère pour une raison<br />

physique. Cette mesure se justifierait en équité...<br />

Geneviève SCHAMPS<br />

Professeur à l’U.C.L.<br />

Professeur invité à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)<br />

(55) Projet de loi du 7 avril 2003 relatif à l’internement des délinquants atteints<br />

d’un trouble mental, Doc. parl. Ch., sess. 2002-2003, n o 2452/001; projet de loi<br />

du 7 avril 2003 modifiant les lois relatives à la libération conditionnelle et modifiant<br />

la loi du 26 juin 1990 relative à la protection de la personne des malades<br />

mentaux, Doc. parl. Ch., sess. 2002-2003, n o 2453/001; proposition de loi relative<br />

à l’internement des délinquants atteints d’un trouble mental, Doc. parl.,<br />

Sén., sess. 2003-2004, 13 nov. 2003, n o 328/1 (citée infra proposition de loi du<br />

13 novembre 2003).<br />

(56) Article 12 de la proposition de loi du 13 novembre 2003, op. cit., pp. 7 et 8.<br />

(57) Art. 51, ibidem, p. 28.<br />

(58) Art. 53, ibidem, p. 29.<br />

2004<br />

309


2004<br />

310<br />

DU DROIT<br />

DES RÉGIMES MATRIMONIAUX<br />

AU DROIT PATRIMONIAL<br />

DU COUPLE<br />

Livre III - Titre V<br />

1. — Le droit des régimes matrimoniaux n’a subi qu’une seule véritable<br />

mutation depuis 1804 : la réforme opérée par la loi du 14 juillet 1976.<br />

Celle-ci avait comme objectif principal d’installer dans les faits l’égalité<br />

entre époux que la loi du 30 avril 1958 avait formellement ouverte.<br />

L’égalité est assurée par le régime primaire, par les règles impératives<br />

de gestion du régime secondaire, et indirectement par le régime des recours<br />

des créanciers qui renforce le crédit du conjoint doté de revenus<br />

inférieurs. Ces règles mûrement réfléchies et guère retouchées ont, une<br />

fois n’est pas coutume, inspiré le Code civil des Français (1).<br />

Les épouses ont été les principales bénéficiaires de ces mesures car,<br />

d’un point de vue statistique, leur pouvoir d’achat risquait le plus souvent<br />

d’être inférieur à celui de leurs maris. C’est malheureusement à<br />

peine moins vrai aujourd’hui (2). La charge symbolique du changement<br />

de perspective est lourde : le nouveau régime matrimonial individualise<br />

les droits des deux membres du couple. Le couple marié n’est plus une<br />

entité juridiquement fusionnelle, administrée par un « seigneur et<br />

maître », mais une association économique autant qu’affective entre<br />

deux personnes égales qui décident de lier un temps leur destin. L’influence<br />

des droits fondamentaux sur le droit familial n’est pas étrangère<br />

à la promotion du nouvel équilibre au sein du couple marié, ni à l’affaiblissement<br />

du statut au profit du vécu. La vie familiale (art. 8,<br />

C.E.D.H.), creuset de l’égalité, est reconnue dans des situations toujours<br />

plus éloignées du mariage balzacien (3).<br />

2. — La seconde préoccupation du législateur de 1976 était l’équité.<br />

Celle-ci moralise les rapports patrimoniaux internes du couple et la répartition<br />

des biens lors du partage.<br />

Outre les transformations des patrimoines revalorisant la propriété mobilière<br />

(4), la réforme de 1976 a dû affronter une donnée moins pertinente<br />

ou niée en 1804 : le divorce. Le législateur a dû concevoir un régime<br />

matrimonial convenant aussi bien aux veufs qu’aux divorcés, ces<br />

derniers étant appelés à (sur)vivre de plus en plus longtemps au moyen<br />

de leurs revenus et de leur part dans le patrimoine édifié ensemble. La<br />

nouvelle communauté légale réduite aux acquêts répond à cet objectif.<br />

En prescrivant le partage égal du patrimoine constitué durant le mariage<br />

sans considération pour la hauteur des contributions respectives, ce régime<br />

opère des réallocations de richesses entre époux. Il se garde toutefois<br />

d’intéresser l’époux à la fortune antérieure ou familiale de son conjoint.<br />

L’équité du régime légal de 1976 est en phase avec la nouvelle égalité<br />

car, à nouveau d’un point de vue statistique, les épouses ont plus ten-<br />

(1) Loi du 23 décembre 1985. Elles vont aussi guider le législateur<br />

néerlandais : G. Stille, « Aspecten van lotsverbondenheid in het Nederlands<br />

huwelijksvermogensrecht », in Actes des journées juridiques Jean Dabin 2002,<br />

Bruxelles, Bruylant, à paraître.<br />

(2) Parmi les multiples études sociologiques consacrées à cette thématique,<br />

voy. notam., J. Commaille, Les stratégies des femmes, Paris, La Découverte,<br />

1993, pp. 17 et s.; C. Gavray, « Femmes et marché de l’emploi », in Familles,<br />

mode d’emploi, Bruxelles, De Boeck-Université, 1999, pp. 172 et s.<br />

(3) Pour une analyse du concept family life : D. Van Grunderbeeck, Personenen<br />

familierecht - Een mensenrechtelijke benadering, Anvers, Intersentia, 2003,<br />

pp. 21 et s.<br />

(4) P. Catala, « La transformation du patrimoine dans le droit civil moderne »,<br />

Rev. trim. dr. civ., 1966, pp. 185 et s.<br />

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dance que leurs maris à créer une disponibilité pour des tâches liées au<br />

mariage mais non productives de revenus (5). Ainsi ce conjoint à qui la<br />

vie commune a imposé des sacrifices en termes de carrière professionnelle<br />

ou d’épanouissement personnel pourra-t-il revendiquer une part<br />

dans des biens acquis grâce aux seuls revenus de l’autre conjoint! Une<br />

manière de justifier cette mesure est que le mariage est aussi une association<br />

renforçant deux partenaires qui affrontent les difficultés de<br />

l’existence, et potentiellement créatrice de richesses. Ces dernières<br />

s’acquièrent au prix d’efforts diversifiés des époux-associés, chacun selon<br />

ses moyens, lesquels ne sont ni nécessairement équivalents ni de<br />

même nature. A peine de verser dans l’association léonine, les partenaires<br />

doivent être également rétribués pour leur contribution au résultat.<br />

L’article 221 du Code civil organise sur ce mode la contribution de chaque<br />

époux « selon ses facultés » aux charges du mariage.<br />

3. — Ces avancées en termes d’égalité et d’équité, nous aimerions en<br />

voir bénéficier tout couple, toute relation stable de deux personnes décidant<br />

de créer une communauté de vie. La construction juridique qui<br />

pourrait abriter ce souhait a été édifiée par deux auteurs néerlandophones,<br />

l’un pour les fondations (6) et l’autre pour la charpente (7). Le matériau<br />

de ce chantier législatif serait un droit des régimes matrimoniaux<br />

mûri par la — quasi — parfaite réforme de 1976. L’on revitaliserait ainsi<br />

par un curieux retour de l’histoire certains effets de la maxime concubitus<br />

facit nuptias. C’est en effet le couple et non le mariage qui provoque<br />

la réflexion sur la gestion égalitaire des intérêts communs et la<br />

répartition équitable des résultats. Libre-unionistes, cohabitants légaux<br />

et époux se rencontrent sur le constat qu’un couple engendre profit ou<br />

perte comme il impose des compromis ou la réorientation d’une vie.<br />

4. — Mais avant de se préoccuper de justice patrimoniale pour tout couple,<br />

il convient de s’assurer que des gens mariés n’échouent pas en deçà<br />

du minimum acceptable en équité. Or les époux ayant adopté le régime<br />

de la séparation de biens pure et simple, celle que nos voisins du Nord<br />

surnomment koude uitsluiting, courent ce risque. En l’absence de correctif<br />

contractuel, la séparation de biens permet au conjoint économiquement<br />

fort d’empêcher l’autre de participer équitablement au patrimoine<br />

constitué durant le mariage, sans qu’il puisse raisonnablement<br />

être soutenu que cette privation procède d’un choix de la « victime ».<br />

La jurisprudence canalise trop imparfaitement cette dérive potentielle.<br />

Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 22 avril 1976 le logement familial<br />

indivis financé par un seul époux... demeure indivis à la dissolution<br />

du régime, de sorte que le conjoint solvens ne peut plus révoquer la<br />

donation d’argent prétendument consentie à l’autre. C’est que le logement<br />

est une charge du mariage et que chaque époux doit y contribuer<br />

selon ses facultés et non selon ses revenus. Certains auteurs ont limité<br />

la portée de cet arrêt au logement familial indivis au nom de l’indépendance<br />

séparatiste (8), mais une jurisprudence récente tend à étendre le<br />

raisonnement de la Cour de cassation à d’autres biens financés principalement<br />

par un seul des époux lorsqu’il est établi que les époux ont eu<br />

l’intention d’inclure l’investissement dans les charges de leur mariage<br />

(9). Ainsi l’article 221, dont la plasticité est contestée par certains (10),<br />

(5) Sur le taux et les formes d’emploi des femmes, voy. notam., C. Gavray,<br />

« Femmes et marché de l’emploi », in Familles, mode d’emploi, précité,<br />

pp. 150 et 160-161.<br />

(6) A. Heyvaert, « Gehuwd? Och ja, inderdaad die wonen samen », in Liber<br />

amicorum Roger Dillemans, Anvers, Kluwer, 1997, pp. 159 et s.<br />

(7) A. Verbeke, « Naar een billijk relatie-vermogensrecht », T.P.R., 2001,<br />

pp. 373 et s.<br />

(8) Voy. notam., J.-L. Renchon, « Les comptes entre époux séparés de biens relatifs<br />

à leurs immeubles indivis et propres », in La liquidation des régimes de<br />

séparation de biens, Liège, éd. du Jeune barreau, 2000, pp. 74 et s.<br />

(9) Voy. à ce sujet : Y.-H. Leleu, « Liquidation des créances et récompenses au<br />

titre d’investissements immobiliers », in Le droit patrimonial de la famille sans<br />

préjugés, H. Casman, Y.-H. Leleu et A. Verbeke (éd.), Bruxelles, Kluwer,<br />

2002, pp. 45 et s.<br />

(10) F. Tainmont, « La portée juridique du devoir de contribution aux charges<br />

du mariage », Rev. trim. dr. fam., 1998, pp. 585-586.


stabilise des transferts de richesses volontaires. Cette disposition du régime<br />

primaire peut en outre forcer des réequilibrages patrimoniaux à la<br />

dissolution du régime lorsque les contributions respectives ont été disproportionnées.<br />

L’épouse médecin qui a réduit ses prestations pour<br />

gérer une famille nombreuse et une organisation quotidienne perturbée<br />

par les contraintes de l’ascension professionnelle de son mari, avant de<br />

passer les premières années de l’âge mûr au chevet de sa belle-mère,<br />

doit pouvoir prétendre, via l’article 221 du Code civil, à une part du patrimoine<br />

constitué par son conjoint qui aimerait maintenant en faire profiter<br />

une nouvelle compagne (11).<br />

Ces remèdes aux iniquités de la séparation de biens pure et simple demeurent<br />

perfectibles en raison de l’imprévisibilité de la jurisprudence et<br />

de leur fondement issu du régime primaire. Comme le législateur ne<br />

peut contraindre des époux à corriger contractuellement leur régime, il<br />

devrait soit introduire un correctif judiciaire en équité suivant l’exemple<br />

de nombreux systèmes étrangers (infra), soit interdire la séparation de<br />

biens pure et simple (12).<br />

5. — Bien plus redoutables sur le plan de l’équité patrimoniale, les<br />

autres statuts de vie commune — le mirage de la cohabitation légale et<br />

le néant de l’union libre — n’assurent pas au partenaire (devenu) économiquement<br />

faible la protection attendue d’un droit moderne et juste.<br />

L’objection tenant au libre choix des partenaires indépendants n’est pas<br />

décisive : les aléas de la vie et leurs répercussions sur les carrières réduisent<br />

parfois l’indépendance, tandis que le choix n’est libre que si<br />

toutes ses conséquences ont été acceptées.<br />

La cohabitation légale est pourvue d’un embryon de régime légal séparatiste<br />

à défaut de convention contraire (art. 1478, C. civ.). L’obligation<br />

de contribuer aux charges du ménage (art. 1477, § 3, C. civ.), équivalent<br />

fonctionnel de l’article 221, n’a pas encore, à notre connaissance, donné<br />

lieu à une jurisprudence similaire à celle évoquée ci-dessus pour la séparation<br />

de biens. D’ailleurs, comme la plupart des effets juridiques de<br />

la cohabitation légale, cette obligation est précarisée par la faculté de la<br />

rompre ad nutum.<br />

En union libre, par contre, la jurisprudence conduit un projet équitable<br />

comme en séparation de biens pure et simple. A défaut d’obligation légale<br />

de contribution aux charges de la vie commune, elle emprunte au<br />

droit commun des obligations les techniques de l’enrichissement sans<br />

cause et de l’obligation naturelle pour stabiliser certains transferts volontaires<br />

de richesses (13). Pour forcer les réallocations patrimoniales à<br />

la rupture, la doctrine envisage un recours à la responsabilité délictuelle<br />

(14). Cette construction, critiquée pour des motifs techniques (15), nous<br />

paraît en phase avec la conception associative du couple. Elle permet de<br />

reconfigurer les patrimoines lorsque l’équité est malmenée par les circonstances<br />

de la rupture, au rang desquelles le juge ne doit pas seulement<br />

compter la faute, mais aussi le fait d’abandonner sans partage un<br />

partenaire (devenu) économiquement dépendant. Les sacrifices imposés<br />

par la vie commune à certains libre-unionistes ne sont ni différents<br />

ni moindres que ceux consentis par certains époux.<br />

(11) Dans le même sens, concernant l’épouse d’un commerçant pilote de rally :<br />

Liège, 25 novembre 2003, inédit, n o 2002/R.G./1262. A propos des prestations<br />

d’assurance vie : Y.-H. Leleu, « L’arrêt de la Cour d’arbitrage du 26 mai 1999<br />

et le régime de la séparation de biens », in La liquidation des régimes de séparation<br />

de biens, précité, pp. 139-140.<br />

(12) En ce sens : A. Verbeke, op. cit., p. 379.<br />

(13) Voy. notam., C. Goux, « Enrichissement sans cause, concubinage et cohabitation<br />

légale conséquences de la loi réglant la cohabitation légale sur l’application<br />

de l’action de in rem verso », R.G.D.C., 2001, p. 4.<br />

(14) N. Jeanmart, Les effets civils de la vie commune hors mariage, Bruxelles,<br />

Larcier, 1986, pp. 226 et s.<br />

(15) A.-Ch. Van Gysel et S. Brat, « La rupture du couple : les recours judiciaires<br />

et les effets alimentaires », in Le couple non marié à la lumière de la cohabitation<br />

légale, J.-L. Renchon et F. Tainmont (éd.), Louvain-la-Neuve/ Bruxelles,<br />

Academia/Bruylant, 1999, pp. 298-300.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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6. — Il faut bien sûr réfléchir à la forme que devrait prendre de lege ferenda<br />

une protection patrimoniale du couple quel que soit son statut. On<br />

peut se représenter un droit impératif de participation à l’accroissement<br />

du patrimoine durant la vie commune, l’existence de celle-ci étant établie<br />

de façon différenciée selon le statut juridique du couple (16).<br />

La nature du correctif semble pouvoir être trouvée dans le modèle de la<br />

participation aux acquêts, un compromis entre la séparation de biens<br />

(gestion indépendante) et la communauté (distribution équitable). Le<br />

droit comparé regorge d’exemples de modèles participatifs et de leurs<br />

contraintes, notamment en matière de gestion et de preuve de la consistance<br />

des patrimoines (17).<br />

Un tel correctif devrait nécessairement présenter un caractère impératif,<br />

mais tempéré par un pouvoir marginal d’appréciation judiciaire. Le<br />

juge devrait s’attacher moins aux causes de la rupture qu’au fondement<br />

de la participation : la contribution directe ou indirecte des deux partenaires<br />

à la constitution du patrimoine conjugal. Il évitera ainsi de récompenser<br />

une présence intéressée.<br />

Enfin, pour assurer la sécurité juridique, la charge de la preuve de la relation<br />

de couple devrait reposer sur celui qui se prévaut du droit de participation,<br />

cette preuve étant facilitée lorsque le couple a adhéré à un<br />

statut. En toute hypothèse, un tel régime doit demeurer interne aux rapports<br />

entre partenaires, sans affecter la situation des créanciers durant la<br />

relation.<br />

Un tel interventionnisme limite-t-il de manière disproportionnée la liberté<br />

individuelle? J’y vois au contraire moins d’entraves que dans la<br />

sévérité croissante de la correction jurisprudentielle de la séparation de<br />

biens pure et simple, celle-ci étant expressément stipulée par contrat. Ne<br />

perdons pas de vue qu’il ne s’agit pas d’enrichir un partenaire au détriment<br />

de l’autre, mais d’éviter le partage léonin des fruits de l’association.<br />

Quant à l’application du principe participatif en cas de relation<br />

éphémère, elle demeure cantonnée aux seuls acquêts.<br />

7. — Chez les plus sceptiques de celles et ceux qui lisent ces lignes, des<br />

doutes peuvent surgir quant à ce qui subsisterait du mariage dans un tel<br />

contexte législatif. Ni plus ni moins, selon nous, que ce qui en est resté<br />

après son ouverture aux personnes de même sexe : pour les nouveaux<br />

bénéficiaires un mariage ayant subi une mutation supplémentaire; pour<br />

ses anciens adeptes un mariage juridiquement intact. Un mariage qui<br />

diffuse le meilleur de ses effets juridiques sur tous les couples, à savoir<br />

l’équité et l’égalité patrimoniale, ne perd rien de sa substance. Abandonne-t-il<br />

une part de son potentiel de différenciation? Assurément,<br />

mais celui-ci vit ses derniers jours dans la cité des droits de l’homme.<br />

Et sur le plan symbolique, le mariage sortira grandi d’avoir inspiré une<br />

protection juridique équitable contre les aléas patrimoniaux de la vie de<br />

couple.<br />

Yves-Henri LELEU<br />

Chargé de cours à l’U.Lg et à l’U.L.B.<br />

(16) En ce sens : A. Verbeke, op. cit., pp. 380 et s.<br />

(17) Ex. patrimoine familial au Québec; equitable distribution en droit angloaméricain,<br />

... Pour une analyse approfondie, A. Verbeke, Goederenverdeling<br />

bij echtscheiding, Anvers, Maklu, 1991, pp. 192 et s.; adde : E. Caparros,<br />

« Evolutions et involutions : les réformes des régimes matrimoniaux au<br />

Québec », in Liber amicorum Roland De Valkeneer, Bruxelles, Bruylant, 2000,<br />

pp. 130 et s.<br />

2004<br />

311


2004<br />

312<br />

LA COHABITATION LÉGALE (*)<br />

Livre III - Titre Vbis<br />

I. — AUX ORIGINES DE LA LOI NOUVELLE<br />

1. — Par la loi du 23 novembre 1998, le législateur belge introduisait<br />

dans le livre III de notre Code civil, consacré aux différentes matières<br />

dont on acquiert la propriété, entre le titre V relatif aux régimes matrimoniaux<br />

et le titre VI qui traite de la vente, un titre Vbis intitulé « De la<br />

cohabitation légale ».<br />

2. — La place choisie pour insérer les dispositions nouvelles, qui instaurent<br />

en réalité, pour deux personnes qui vivent sous le même toit, un<br />

troisième statut — entre le mariage et la cohabitation de fait — est en<br />

elle-même significative du compromis politique dont la loi de 1998 est<br />

issue. Il eût en effet été logique de traiter de la cohabitation légale au<br />

livre premier du Code civil (« Des personnes »), par exemple après le<br />

titre consacré au mariage. Mais c’était, dans le contexte politique de<br />

l’époque, inacceptable aux yeux d’une partie des membres de la commission<br />

de la justice de la Chambre, qui ne voulait à aucun prix d’une<br />

institution qui serait venue concurrencer le mariage. Il fallait ne pas risquer<br />

de porter atteinte à l’institution du mariage et dès lors se contenter<br />

de mettre en place une « protection patrimoniale minimale » pour les<br />

couples qui ne peuvent ou ne veulent pas contracter mariage. Le choix<br />

fut ainsi fait d’insérer les dispositions nouvelles après celles relatives<br />

aux régimes matrimoniaux.<br />

3. — Quelle est l’origine de la loi?<br />

On peut en distinguer deux : d’une part, l’augmentation considérable du<br />

nombre de couples vivant en-dehors des liens du mariage, dont notre<br />

droit civil ne se préoccupait pas, et d’autre part la volonté de la communauté<br />

homosexuelle — qui n’avait pas à l’époque, faut-il le rappeler, accès<br />

au mariage — d’obtenir une forme de reconnaissance légale de<br />

l’union entre deux personnes du même sexe.<br />

C’est ainsi que vit le jour une « proposition de loi concernant le contrat de<br />

vie commune », dite proposition Moureaux, destinée à ce double public.<br />

Cette proposition imposait aux partenaires une obligation d’assistance et<br />

de secours, elle apportait différentes modifications à la législation sur la<br />

sécurité sociale, elle incluait également le droit pour le partenaire survivant<br />

de recueillir l’usufruit de l’immeuble affecté au logement principal<br />

du couple, ainsi que les meubles meublants le garnissant. Par ailleurs, elle<br />

soumettait les litiges relatifs à la rupture du contrat de vie commune à la<br />

compétence du juge de paix. Enfin, elle modifiait le Code de la nationalité<br />

en prévoyant dans certaines conditions le droit à l’établissement sur le territoire<br />

belge pour le partenaire étranger d’un Belge.<br />

On constatera ci-après, en faisant l’analyse de la loi du 23 novembre<br />

1998, dont l’origine parlementaire est l’examen de la proposition Moureaux,<br />

que bien peu des effets qu’elle entendait faire produire au contrat<br />

de vie commune ont été conservés.<br />

II. — LES GRANDS TRAITS<br />

DE LA LOI DU 23 NOVEMBRE 1998<br />

4. — La loi sur la cohabitation légale est courte : elle introduit cinq articles<br />

nouveaux dans le Code civil (1475 à 1479), que l’on peut brièvement<br />

analyser comme suit :<br />

(*) Afin de ne pas alourdir notre texte, nous avons renoncé à mentionner les<br />

différentes sources sur lesquelles il s’appuie. Il serait toutefois injuste de ne pas<br />

citer les contributions de Jean-Louis Renchon, Jehanne Sosson et Nathalie<br />

Dandoy, Fabienne Tainmont, Yves-Henri Leleu, Alain-Charles Van Gysel et<br />

Solange Brat dans l’ouvrage, Le couple non marié à la lumière de la cohabitation<br />

légale, J.-L. Renchon et F. Tainmont (éd.), Academia et Bruylant, 2000.<br />

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1. — L’entrée dans la cohabitation légale<br />

5. — Les conditions d’accès au statut de cohabitant légal sont simples.<br />

Il faut être majeur et capable, n’être ni marié ni (déjà) cohabitant légal,<br />

avoir un domicile commun et avoir déposé ensemble une déclaration<br />

écrite à l’officier de l’état civil de ce domicile.<br />

La cohabitation légale est ouverte à des personnes du même sexe ou de<br />

sexe différent. Le nombre des partenaires est toutefois limité à deux.<br />

Par contre, rien n’impose de réserver la cohabitation légale à deux personnes<br />

qui entretiennent une relation de couple. Le statut nouveau peut<br />

donc être adopté par un parent et son enfant, deux frères et/ou sœurs,<br />

deux amis et, d’une façon générale, toutes personnes qui voudraient<br />

l’adopter. Comme on l’a écrit : « La volonté semble suffire, de sorte que<br />

l’on peut considérer, d’après la formulation du texte légal, qu’il y va<br />

d’un critère suffisant lorsqu’il est jumelé avec le critère de<br />

formalisme ».<br />

2. — La fin de la cohabitation légale<br />

6. — La cohabitation légale prend fin lorsqu’une des parties se marie,<br />

décède, ou lorsque les deux parties ou l’une d’elles remet à l’officier de<br />

l’état civil une déclaration écrite mentionnant la volonté de mettre fin à<br />

la cohabitation légale (art. 1476, § 2).<br />

7. — C’est évidemment la possibilité pour un seul des partenaires de<br />

mettre fin à la cohabitation sans motif, sans délai, sans procédure et en<br />

principe sans dommages et intérêts ni conséquences alimentaires, qui<br />

marque le mieux ce en quoi la cohabitation légale se rapproche davantage,<br />

parmi les deux autres statuts du couple, de l’union libre que du<br />

mariage.<br />

3. — Les effets « personnels » de la cohabitation légale<br />

8. — Ces effets sont décrits à l’article 1477, qui instaure entre les cohabitants,<br />

de manière impérative (l’art. 1478, quatrième alinéa, prend soin<br />

de le préciser) un « régime primaire » directement inspiré de celui qui<br />

est applicable aux époux (art. 212 à 224). Il y va notamment de l’interdiction<br />

faite au cohabitant à peine de nullité de disposer, sans l’accord<br />

de son partenaire, de ses droits sur l’immeuble qui sert au logement<br />

principal des cohabitants, ou sur les meubles meublants qui le garnissent.<br />

La protection du bail implique également que le congé émanant du<br />

bailleur doit être signifié séparément aux deux cohabitants, pour autant<br />

que le bailleur ait eu connaissance de la déclaration de cohabitation légale.<br />

Une démarche aisée s’offre toutefois à celui qui veut disposer du<br />

logement : il lui suffit de déposer une déclaration unilatérale de cessation<br />

de la cohabitation légale, ce qui met automatiquement fin à l’application<br />

de l’article 215. Est ainsi démontré le caractère particulièrement<br />

aléatoire de la mesure de protection du logement instaurée par la loi.<br />

9. — Le paragraphe 3 de l’article 1477 impose aux cohabitants de contribuer<br />

aux charges « de la vie commune » en proportion de leurs facultés.<br />

Il s’agit d’une paraphrase de l’article 221 (qui parle dans les relations<br />

entre époux des charges « du mariage »).<br />

On observera que l’article 1477 ne retranspose pas l’article 221,<br />

alinéas 2 à 6, qui permet au conjoint de l’époux qui manque à son obligation<br />

de contribution aux charges du mariage d’obtenir du juge de paix<br />

une délégation à son profit de sommes revenant à l’époux défaillant.<br />

Une application par analogie de ces dispositions n’est pas permise.<br />

10. — Enfin, le paragraphe 4 de l’article 1477 impose aux cohabitants<br />

une obligation solidaire de s’acquitter des dettes contractées pour les<br />

besoins de la vie commune et des enfants qu’ils éduquent, sauf dette excessive<br />

eu égard aux ressources des cohabitants.


4. — Les biens des cohabitants légaux<br />

11. — L’article 1478 dispose en son premier alinéa que chacun des cohabitants<br />

légaux conserve les biens dont il peut prouver qu’ils lui appartiennent,<br />

les revenus que procurent ces biens et les revenus de son travail.<br />

Mais aussitôt, le deuxième alinéa dispose que les biens dont aucun des<br />

cohabitants légaux ne peut prouver qu’ils lui appartiennent, ainsi que les<br />

revenus que ceux-ci procurent sont réputés être en indivision. Cette présomption<br />

légale d’indivision peut être considérée comme l’apport majeur<br />

de la nouvelle loi en matière patrimoniale. Selon certains, l’introduction<br />

de cette présomption doit être approuvée parce que, en obligeant<br />

les cohabitants à plus de rigueur dans la conservation des preuves<br />

de leur propriété, elle accroîtrait la sécurité juridique.<br />

On peut craindre, au contraire, que la grande majorité des cohabitants<br />

légaux ne songent nullement à se constituer pareille preuve. Ils risquent<br />

dès lors d’être, le jour où la cohabitation légale prendra fin, en butte aux<br />

revendications de leur partenaire ou des héritiers de celui-ci, voire du<br />

fisc (droits de succession), par exemple quant aux avoirs déposés en<br />

banque à leur nom ou au mobilier garnissant un autre immeuble que le<br />

logement commun.<br />

Ils pourraient bien entendu renverser cette présomption légale, notamment<br />

par une présomption inverse contenue dans leurs conventions de<br />

vie commune (mais combien songeront-ils à en établir?).<br />

5. — Les conventions de vie commune<br />

12. — Ayant ainsi réglé, mais de manière supplétive, le régime des biens<br />

des cohabitants, le législateur de 1998 a entendu laisser à ceux-ci une<br />

large liberté dans l’établissement de conventions qui « règlent les modalités<br />

de leur cohabitation légale » (art. 1478, quatrième alinéa). Ces<br />

conventions, qui sont à la déclaration de cohabitation légale ce que le<br />

contrat de mariage est à la célébration du mariage, constituent un complément<br />

conventionnel et facultatif au statut organisé par le législateur.<br />

Sur le plan formel, il suffira de signaler ici que la convention doit être<br />

reçue par notaire, qu’elle peut être conclue avant ou après la déclaration<br />

de cohabitation déposée à l’état civil et qu’elle doit être mentionnée au<br />

registre de la population.<br />

6. — Le règlement judiciaire des conflits entre cohabitants<br />

13. — Aucune juridiction ne se voit attribuer, dans le Code judiciaire,<br />

de compétence particulière pour trancher les litiges liés à la rupture de<br />

la cohabitation entre concubins. Le législateur de 1998, s’inspirant de<br />

l’article 223 du Code civil relatif aux relations entre époux, dispose<br />

dans l’article 1479, alinéa 1 er , que le juge de paix ordonne « les mesures<br />

urgentes et provisoires relatives à l’occupation de la résidence commune,<br />

à la personne et aux biens des cohabitants et des enfants, et aux obligations<br />

légales et contractuelles des deux cohabitants ».<br />

Il a donc donné aux cohabitants légaux — et certains ont considéré que<br />

c’était le seul intérêt véritable de la législation nouvelle — un juge compétent<br />

pour l’ensemble des litiges qui peuvent les opposer.<br />

14. — Mais il faut remarquer immédiatement les limites de la solution<br />

légale : les mesures prises par le juge cessent de produire leurs effets au<br />

jour de la cessation de la cohabitation légale (art. 1479, deuxième alinéa),<br />

de sorte que pour s’y soustraire du jour au lendemain, il suffit au<br />

cohabitant de déposer à l’état civil une déclaration de cessation! Certes,<br />

le troisième alinéa de l’article 1479 permet au juge, après la cessation<br />

de la cohabitation légale, d’ordonner les mesures urgentes et provisoires<br />

justifiées par cette cessation. Mais c’est pour ajouter aussitôt que la<br />

durée de validité de ces mesures ne peut excéder un an.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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III. — BILAN ET PERSPECTIVES D’AVENIR<br />

15. — On l’aura compris à la lecture de cette analyse : le contenu effectif<br />

de la loi est, eu égard à son objectif proclamé (la protection juridique<br />

du couple non marié) particulièrement mince. Pour s’en tenir au droit<br />

civil, on n’y trouve ni véritable protection du logement commun, ni dispositions<br />

relatives à un devoir d’assistance et de secours mutuel, ni dispositions<br />

protégeant le partenaire survivant. Les deux situations les plus<br />

critiques rencontrées par deux personnes qui vivent ensemble sans être<br />

mariées (les conséquences financières de la rupture du couple pour le<br />

partenaire démuni et les difficultés rencontrées par le partenaire survivant)<br />

ne sont même pas abordées. C’est pourquoi un des premiers commentateurs<br />

de la loi a pu qualifier celle-ci de « coquille vide de tout vrai<br />

lien juridique et humain ».<br />

16. — Par ailleurs, l’autre objectif de la loi (non avoué celui-là, pour des<br />

raisons évidentes tenant aux équilibres politiques de l’époque) — à savoir<br />

la reconnaissance sociale de la légitimité du concubinage homosexuel<br />

— est aujourd’hui dépassé, puisque les couples homosexuels ont<br />

accès au mariage depuis la loi du 13 février 2003. On pourrait donc a<br />

priori s’attendre à ce que la cohabitation légale ne reste dans l’histoire<br />

de notre droit civil qu’une curiosité, un objet d’étude, l’exemple d’une<br />

législation-spectacle mal pensée, mal écrite, et n’ayant aucune effectivité<br />

faute, pour ses destinataires, de trouver le moindre intérêt dans le<br />

statut qu’elle crée. La réalité sera sans doute tout autre, en raison de la<br />

décision du législateur fiscal, dans les trois Régions du pays, de supprimer<br />

en matière de taux de droits de succession toute discrimination entre<br />

couples mariés et cohabitants légaux. C’est pourquoi on aperçoit<br />

déjà — mais les seules statistiques disponibles sont encore partielles —<br />

une augmentation sensible du nombre de déclarations de cohabitation<br />

légale.<br />

17. — Que faut-il espérer du législateur civil? Il semble que les initiatives<br />

visant à améliorer la loi vont se multiplier. On parle de créer<br />

un « régime patrimonial » secondaire de type communautaire pour<br />

les cohabitants légaux, voire d’instaurer un régime patrimonial primaire<br />

pour les cohabitants de fait (en attendant sans doute de créer<br />

dans notre droit, à côté du mariage, de la cohabitation légale et de la<br />

cohabitation de fait réglementée, un quatrième statut, qui serait celui<br />

de ceux qui désirent vivre ensemble sans qu’aucune conséquence juridique<br />

ne puisse être attachée à leur choix de vie — ce qui serait<br />

après tout leur droit... ).<br />

Est-il trop tard pour se demander si, au lieu de formaliser ainsi une<br />

série de statuts différents parmi lesquels le citoyen, sinon le juge,<br />

aura beaucoup de difficultés à trouver ses repères, il n’est pas préférable<br />

d’envisager les situations concrètes rencontrées par des couples<br />

qui vivent une relation durable et de créer directement, par exemple<br />

dans le droit des aliments ou celui des successions, des protections<br />

légales dont pourraient se prévaloir ceux qui rempliront le critère objectif<br />

d’une vie commune partagée pendant un certain nombre d’années?<br />

Il est à craindre que cette voie modeste ne soit pas dans l’air<br />

du temps, puisqu’il paraît qu’aujourd’hui, c’est d’image qu’il faut se<br />

préoccuper avant tout, en faisant de son mieux, dans les meilleurs des<br />

cas, pour que le contenu suive.<br />

Jean-François TAYMANS<br />

Chargé de cours à l’U.C.L.<br />

2004<br />

313


2004<br />

314<br />

DE LA VENTE<br />

Livre III - Titre VI<br />

Sous les articles 1582 à 1701, le titre VI intitulé « De la vente » réglemente<br />

le contrat le plus usuel aussi bien dans la vie courante que dans<br />

les échanges commerciaux, place prépondérante qu’il semble désormais<br />

partager avec le contrat d’entreprise, surtout si les prestations de services<br />

y sont incluses.<br />

Une étape importante dans l’évolution de la vente fut la consécration<br />

par le Code de l’effet translatif de propriété du contrat; il s’écartait ainsi<br />

de la conception romaine qui se bornait à l’obligation de délivrance et<br />

de garantie.<br />

Depuis lors, les textes de 1804 ont bien résisté en apparence à l’épreuve<br />

du temps puisqu’ils n’ont pratiquement plus été modifiés malgré le<br />

bouillonnement de la vie des affaires. La permanence du droit de la vente<br />

qui semble en découler est cependant, comme nous le verrons, bien<br />

plus formelle que réelle.<br />

STRUCTURE DU TITRE VI<br />

Le premier chapitre a trait à la définition de la vente, aux éléments spécifiques<br />

de ce contrat et à sa formation.<br />

Le transfert de propriété et le prix constituent les éléments essentiels de<br />

la vente bien que cela ne résulte pas clairement de l’article 1582 qui,<br />

toujours inspiré de la conception romaine, définit la vente comme une<br />

convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose et l’autre à la<br />

payer. Quant à l’article 1583, réplique de l’article 1138, alinéa 1er , plutôt<br />

que de poser nettement le principe du transfert de propriété attaché<br />

à la vente, il en décrit plutôt le mécanisme : la propriété est acquise à<br />

l’acheteur dès l’échange des consentements. Quelques précisions et<br />

quelques nuances sont apportées sur ce point par les articles 1585 et<br />

1586 à propos des choses qui se mesurent, se pèsent ou se comptent et<br />

à propos de la vente en bloc. En ce qui concerne le prix, autre élément<br />

essentiel, le Code envisage uniquement, dans les articles 1591 et 1592,<br />

le problème de sa détermination.<br />

Le premier chapitre distingue certaines modalités dont le contrat de<br />

vente est susceptible (vente ad gustum, vente à l’essai, promesse de vente,<br />

vente avec arrhes). Il s’explique aussi brièvement sur la forme de la<br />

vente (l’art. 1582, al. 2, dispose inutilement que la vente peut être faite<br />

par acte authentique ou sous seing privé) et sur les frais qui sont normalement<br />

à charge de l’acheteur (art. 1593).<br />

Dans les chapitres II et III relatifs à la validité du contrat, le Code édicte,<br />

avec pour toile de fond les textes des obligations, quelques règles spéciales<br />

en matière de vente, à propos de la capacité (chap. II : Qui peut<br />

acheter ou vendre) et de la chose, objet de la vente (chap. III : Des<br />

choses qui peuvent être vendues).<br />

Le Code traite ensuite plus longuement, dans les chapitres IV et V, des<br />

obligations qui naissent du contrat pour le vendeur (délivrance, garantie<br />

d’éviction et des vices cachés) et pour l’acheteur (prise de livraison et<br />

paiement du prix). Il est à noter que l’obligation de délivrer une chose<br />

conforme n’est pas consacrée expressément.<br />

Ces cinq chapitres forment le régime organique de la vente (1) mais le<br />

contrat relève avant tout de la liberté contractuelle, les textes étant pour<br />

la plupart supplétifs.<br />

(1) Il s’agit du droit commun de la vente qui s’applique à toutes ventes, les ventes<br />

de biens meubles ou immeubles, les ventes entre particuliers comme celles<br />

qui relèvent de la vie des affaires ou qui présentent un caractère mixte, celles-<br />

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Le Code s’attache ensuite à quelques formes spéciales de vente, comme<br />

la vente à réméré qui n’est qu’une vente sous condition résolutoire et<br />

qu’il réglemente avec force détails (chap. VI, sect. I), la vente d’immeubles<br />

pour laquelle il ne construit pas de statut spécial, se contentant<br />

de prévoir des règles en matière de lésion (chap. VI, sect. II) et la licitation<br />

qui vise la vente aux enchères de biens indivis (chap. VII).<br />

Le titre VI se termine avec la réglementation du « transport des créances<br />

et autres droits incorporels (chap. VIII). Le Code traite à cet endroit<br />

de la cession de créances qui prend souvent la forme d’une vente mais<br />

qui constitue une institution générique dont la réglementation aurait<br />

mieux trouvé sa place dans la théorie générale des obligations.<br />

EVOLUTION AU COURS<br />

DES DEUX SIÈCLES ÉCOULÉS<br />

1804...2004. Entre ces deux dates, malgré l’immutabilité des textes du<br />

Code (2), le droit de la vente a bien changé. Sous l’influence de divers<br />

impératifs, l’œuvre originaire a été complétée et modifiée et l’évolution<br />

a eu lieu aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du Code civil.<br />

A. — En marge du Code, les réglementations spéciales, les pratiques et<br />

les usages se sont multipliés (3).<br />

Toute une série de législations particulières ont ainsi vu le jour pour<br />

compléter le code ou l’amender. Ces lois spéciales sont marquées tantôt<br />

du sceau de l’interventionnisme étatique dans la vie économique, tantôt<br />

de l’internationalisation des affaires ou découlent de l’émergence du<br />

« consumérisme ».<br />

Citons, pour illustrer le premier aspect, les lois qui, relevant essentiellement<br />

de la police du commerce, réglementent la vente de nombreuses<br />

denrées alimentaires ou d’autres produits particuliers. Les diverses dispositions<br />

en matière de réglementation des prix en offrent un autre<br />

exemple.<br />

Dans le domaine de la concurrence, il faut tenir compte des textes qui<br />

tant au niveau européen qu’au niveau du droit interne (L. 5 août 1991<br />

sur la protection de la concurrence économique) influencent, même si<br />

ce n’est pas spécifiquement, le régime de la vente.<br />

Citons encore la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et<br />

sur l’information et la protection du consommateur dans laquelle le législateur<br />

vise non seulement en ordre principal à protéger le consommateur<br />

mais aussi à assurer une concurrence honnête entre commerçants;<br />

c’est ainsi qu’il interdit et sanctionne les actes contraires aux usages<br />

honnêtes du commerce, qu’il réglemente les ventes à perte et toute une<br />

série d’autres ventes, comme les ventes avec offres conjointes, les ventes<br />

en chaîne, etc. où souvent les deux objectifs visés se conjuguent.<br />

Dans cette perspective, citons encore les dispositions plus récentes qui<br />

réglementent le « commerce électronique », le législateur se souciant de<br />

la protection du consommateur mais aussi de l’essor des ventes en ligne<br />

en interdisant toute entrave à leur développement.<br />

L’évolution dans d’autres branches du droit, comme l’urbanisme et<br />

l’aménagement du territoire par exemple, peuvent aussi avoir des effets<br />

ci étant cependant réglementées en partie à l’heure actuelle par la loi sur les<br />

pratiques du commerce, l’information et la protection du consommateur.<br />

(2) Outre la réforme des règles relatives à la cession de créance (art. 1690 et<br />

1691), les modifications apportées sont extrêmement limitées (art. 1595 et<br />

1676) ou visent parfois exclusivement à assurer un toilettage du texte<br />

(art. 1688).<br />

(3) En matière d’usages, citons la réfaction et la faculté de remplacement,<br />

celle-ci ayant largement débordé du cadre de la vente commerciale pour inspirer<br />

la jurisprudence dans bien d’autres contrats.


sur le régime de la vente (à propos notamment du bien vendu) et empiéter<br />

sur la liberté des parties au contrat.<br />

En introduisant dans notre droit, par une loi du 4 septembre 1996, la<br />

Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, le législateur<br />

fait preuve de son souci de prendre en compte le caractère international<br />

des relations commerciales, ce qu’il avait déjà fait auparavant,<br />

avec quelques autres pays seulement, en adoptant la Convention<br />

de La Haye portant loi uniforme sur la vente internationale d’objets mobiliers<br />

corporels.<br />

Le contrat de vente, comme bien d’autres d’ailleurs, échappe de plus en<br />

plus à l’emprise du Code civil. A cet égard, l’évolution s’est accélérée<br />

avec l’apparition des textes issus du droit de la consommation : il s’agit<br />

de protéger celle des parties qui, dans la relation contractuelle, est dans<br />

une position de faiblesse, c’est à dire le « consommateur » face au<br />

« professionnel ». En matière de vente, relèvent de ce courant la loi<br />

Breyne du 9 juillet 1971 réglementant la construction et la vente d’habitations<br />

à construire ou en voie de construction, la loi du 12 juin 1991<br />

sur le crédit à la consommation dans sa partie relative à la vente à tempérament<br />

qui avait déjà retenu d’ailleurs l’attention du législateur dans<br />

une loi plus ancienne et surtout la loi du 14 juillet 1991, déjà évoquée,<br />

et qui régit les contrats portant sur la fourniture de biens et de services<br />

et conclus, pour faire bref, entre un professionnel et un consommateur,<br />

c’est-à-dire pour l’essentiel celui qui agit à des fins excluant tout caractère<br />

professionnel. Cette dernière loi est importante dans la pratique, notamment<br />

en raison de son champ d’application particulièrement large,<br />

puisqu’elle régit toutes les ventes qui se situent à la fin de la chaîne de<br />

distribution. L’influence du droit de la consommation reste cependant<br />

faible sur le droit spécifique de la vente car ce sont les principes directeurs<br />

du droit commun des obligations qui sont ébranlés par ces législations<br />

consuméristes plus que les dispositions propres à la vente.<br />

B. — Le droit de la vente a aussi évolué de l’intérieur. Les règles découlant<br />

de textes restés intacts se sont ainsi vu modifier sous l’action du<br />

pouvoir judiciaire, influencé par la doctrine. La garantie des vices cachés<br />

offre un exemple frappant d’une telle évolution.<br />

La jurisprudence, en effet, a progressivement mis à charge du vendeur<br />

professionnel une présomption de connaissance du vice dont est atteint<br />

le bien vendu. Il s’agit d’un corollaire de l’obligation incombant à ce<br />

vendeur de vérifier la chose au moment de la conclusion du contrat.<br />

Le vendeur professionnel est considéré comme ayant connu les vices affectant<br />

le bien. Dès lors, il est tenu d’indemniser l’acheteur du préjudice<br />

qu’il a subi, par l’allocation de dommages et intérêts, sans que ce dernier<br />

ait à apporter la preuve requise par l’article 1645. De plus, la présomption<br />

emporte également la nullité des clauses restrictives de garantie,<br />

en vertu de l’article 1643, lequel n’admet la validité des clauses de<br />

ce type que lorsque le vendeur est de bonne foi.<br />

Cependant, cette présomption de connaissance du vice est réfragable.<br />

Le vendeur professionnel peut y faire obstacle s’il parvient à apporter la<br />

délicate preuve du caractère absolument indécelable du vice.<br />

PERSPECTIVES À COURT TERME<br />

La matière des vices cachés dans la vente va être modifiée incessamment<br />

puisque la Belgique doit transposer à très bref délai la Directive<br />

européenne sur la garantie des biens de consommation (4). L’objectif de<br />

ce texte est d’établir un socle minimal, commun à tous les Etats membres,<br />

de droits dont un consommateur peut se prévaloir à l’égard d’un<br />

(4) Directive 1999/44/C.E. du Parlement européen et du Conseil sur certains<br />

aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (J.O.C.E.,<br />

L 171, 7 juill. 1999, p. 12).<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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vendeur « professionnel » en cas de défaut de conformité d’un bien dont<br />

il fait l’acquisition. En effet, la directive opère la fusion de la garantie<br />

des vices cachés et de l’obligation de délivrance, déjà amorcée dans notre<br />

droit par l’adoption de la Convention de Vienne sur la vente internationale<br />

de marchandises. Dans le prolongement de l’ adaptation du droit<br />

national au droit européen, une lacune déjà soulignée à propos de l’obligation<br />

de délivrance sera probablement comblée dans le droit commun<br />

de la vente puisque le projet de loi qui avait été déposé pour transposer<br />

la directive prévoyait d’ajouter à l’actuel article 1604 l’obligation pour<br />

le vendeur de délivrer une chose conforme. D’autres innovations par<br />

rapport aux textes actuels apparaissent encore. Ainsi, par exemple, le<br />

consommateur, soit la personne physique agissant en dehors de toute activité<br />

professionnelle, pourra en vertu de cette nouvelle garantie qui lui<br />

est accordée, exiger en principe la réparation ou le remplacement du<br />

bien et, à défaut seulement, la résolution de la vente ou une réduction de<br />

prix. En outre, pour que la garantie puisse être mise en œuvre, la directive<br />

exige que les défauts visés apparaissent dans les deux ans de la délivrance<br />

du bien alors que la jurisprudence actuelle fait fréquemment<br />

courir le bref délai de l’article 1648 du Code civil à dater de la découverte<br />

du vice, ce qui peut être plus favorable au consommateur dans certains<br />

cas.<br />

Sous la précédente législature, un projet de loi visant à transposer en<br />

droit belge le droit européen par une adjonction dans le titre VI sur la<br />

vente avait été déposé (5). Il rendait applicable, aux ventes de biens de<br />

consommation, le nouveau régime de garantie, tout en excluant pour<br />

ceux-ci la garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du<br />

Code civil. Ce projet n’a cependant pas pu être adopté avant la dissolution<br />

des Chambres, notamment en raison de l’impossibilité qu’il consacrait<br />

pour le consommateur d’invoquer la garantie des vices cachés lorsque<br />

le régime de la directive lui fournissait une protection moindre.<br />

A l’heure de la rédaction de la présente contribution, la procédure législative<br />

est de nouveau au point mort. Deux voies sont envisageables pour<br />

assurer la transposition de la directive du 25 mai 1999. L’une de ces<br />

voies consiste à profiter de celle-ci pour revoir de manière globale les<br />

garanties incombant à tout vendeur. La deuxième constitue la voie minimaliste,<br />

puisqu’elle ne suppose l’application des principes nouveaux<br />

que dans les seules hypothèses visées par le texte européen, à savoir les<br />

ventes, par un professionnel, de meubles corporels à un consommateur.<br />

Il est vraisemblable que cette solution, retenue dans le cadre du projet<br />

de loi du 19 février 2003, le sera également lors de la transposition à<br />

venir, ne fût-ce qu’en raison du retard pris par la Belgique dans l’adaptation<br />

de son droit national. Il en résultera un regrettable fractionnement<br />

du droit de la vente, au sein même du titre VI, en fonction de la qualité<br />

des cocontractants.<br />

EVOLUTION À PLUS LONG TERME :<br />

L’HARMONISATION EUROPÉENNE<br />

La perspective d’un véritable Code européen des obligations et des contrats<br />

semble prématurée à l’heure actuelle. Le programme d’action de la<br />

Commission européenne qui vient d’être adopté (6), après le processus<br />

de consultation lancé par celle-ci, privilégie dans un premier temps des<br />

options moins ambitieuses. Il met l’accent plutôt sur la nécessité d’améliorer<br />

l’acquis communautaire, de poursuivre les interventions sectorielles<br />

spécifiques (dont la vente en tant que telle risque de ne pas faire<br />

partie) et enfin d’établir une cadre commun de référence (7), dont on<br />

(5) Projet de loi n o 50/2319 du 19 février 2003 complétant les dispositions du<br />

Code civil relatives à la vente en vue de protéger les consommateurs, Doc.<br />

parl., Ch. représ., 2002-2003, s.o., 6.554.<br />

(6) J.O., C, n o C 063, 15 mars 2003.<br />

(7) Y. Lahlou, « L’avenir du droit européen des contrats ; le programme d’action<br />

de la Commission européenne », R.D.A.I., 2003, pp. 479 et s.; n os 89 et s.<br />

du plan d’action.<br />

2004<br />

315


2004<br />

316<br />

peut s’attendre en revanche qu’il traite de contrats transfrontières comme<br />

la vente notamment (8). Ce cadre se cantonnerait à des principes<br />

communs et à une terminologie commune dans le domaine du droit des<br />

contrats qui pourraient inspirer les législateurs, les arbitres et les juges<br />

et pourraient éventuellement servir de base un jour au codificateur européen<br />

(9). Toute réflexion vers une harmonisation générale n’est cependant<br />

pas abandonnée puisque, au-delà du cadre commun, le plan d’action<br />

se propose d’engager une réflexion plus vaste sur l’opportunité<br />

d’un instrument optionnel non sectoriel, un Code optionnel en quelque<br />

sorte (10).<br />

Des initiatives d’ordre privé ont déjà donné lieu à cet égard à des résultats<br />

remarquables. On doit citer les Principes Unidroit et les Principes<br />

de droit européen des contrats (P.D.E.C.). Cette œuvre d’une ampleur<br />

considérable s’est attachée à formuler des règles générales à l’ensemble<br />

des contrats. Bien que ces principes s’appliquent à la majorité des questions<br />

qui se posent dans les contrats particuliers, c’est le « Groupe<br />

d’études sur un Code civil européen » (11), dirigé par le professeur<br />

von Bar et composé de professeurs de tous les Etats membres de<br />

l’Union, qui poursuit l’œuvre de la commission Lando et l’étend vers<br />

d’autres matières (12). Sont ainsi visés la propriété des meubles, la responsabilité<br />

non contractuelle et les contrats particuliers. Des groupes de<br />

travail ont été constitués (permanent working teams) et le groupe<br />

d’Amsterdam, Tilburg et Utrecht s’est vu confié la matière des contrats,<br />

la vente relevant plus particulièrement de l’Université d’Utrecht. Les<br />

travaux sont très avancés et des textes auraient même déjà été élaborés<br />

(13).<br />

Le projet du groupe von Bar se focalise à l’heure actuelle sur l’élaboration<br />

d’un « droit fondamental européen patrimonial » qui intégrera les<br />

principes de droit européen des contrats de la commission Lando (14).<br />

Ces travaux déboucheront-ils sur un « Restatement » à l’européenne,<br />

comme certains le suggèrent ou seront-ils utilisés sous une forme ou<br />

sous une autre dans le cadre du plan d’action européen ? Même si celuici<br />

ne renvoie pas expressément aux règles déjà formulées par ces groupes<br />

de travail, un des objectifs du plan est bien de « combiner et de coordonner<br />

les recherches en cours afin de les inscrire dans un cadre commun<br />

selon plusieurs approches générales » (15).<br />

Michèle VANWIJCK-ALEXANDRE<br />

(8) N o 63 et note 41 du plan d’action.<br />

(9) P. Malaurie, « Le Code civil européen des obligations et des contrats »,<br />

J.C.P., 2002, doctr., p. 282.<br />

(10) Plan d’action, n o 92.<br />

(11) Pour l’organisation de ce groupe d’études et les objectifs poursuivis, voy.<br />

C. von Bar, « Le groupe d’études sur un Code civil européen », Rev. intern. dr.<br />

comp., 2001, pp. 127 à 139.<br />

(12) C. von Bar, art. cit., p. 135.<br />

(13) Il sera fait état de l’avancement de ces travaux très prochainement dans la<br />

Revue européenne de droit privé.<br />

(14) Le « groupe d’études « propose de ne considérer les mesures dans le<br />

champ du droit des contrats que dans le cadre d’un large ensemble systématisé<br />

de droit patrimonial européen.<br />

(15) N o 66 du plan d’action.<br />

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DE L’ÉCHANGE<br />

Livre III - Titre VII<br />

Le titre VII est consacré à l’échange, autre type de convention translative<br />

de propriété à titre onéreux. L’échange, qui consiste dans le troc<br />

d’une chose contre une autre, a historiquement précédé la vente. Il constituait<br />

la seule forme de circulation des biens dans les sociétés primitives<br />

avant que la monnaie n’intervienne peu à peu comme équivalent<br />

universel et que n’apparaisse la notion de prix, un des éléments spécifiques<br />

de la vente. Celle-ci est devenue depuis l’instrument normal du<br />

commerce.<br />

Si l’échange se distingue de la vente parce que l’aliénation du bien se<br />

fait contre une autre chose et non contre une somme d’argent, il peut cependant<br />

s’accompagner du paiement d’une soulte, ce qui en principe<br />

n’en altère pas la nature .<br />

Le titre VII ne contient que quelques dispositions qui sont d’ailleurs en<br />

général la réplique des règles de la vente, à une exception près cependant,<br />

à propos de la lésion, qui n’est pas prise en considération dans<br />

l’échange (art. 1706).<br />

On comprend que les rédacteurs du Code civil n’aient pas réglementé<br />

plus avant un contrat qui à l’époque n’était déjà plus d’application courante.<br />

Les deux contrats étant étroitement apparentés, ils ont préféré<br />

s’inspirer directement du droit de la vente (art. 1703 à 1705) ou renvoyer<br />

en bloc à celui-ci (art. 1707).<br />

La vente, certes, a supplanté l’échange. Celui-ci a néanmoins connu un<br />

certain regain d’intérêt dans l’évolution du commerce international,<br />

sous la forme d’échanges compensés, souvent pour remédier à des problèmes<br />

de pénurie en devises. On peut donner des exemples surprenant<br />

de cette évolution. Une société, pour installer des alternateurs électriques<br />

dans un pays d’Amérique centrale n’a-t-elle pas été obligée d’acquérir<br />

en échange une masse importante de crevettes en provenance de<br />

ce pays (1)!<br />

La vie des affaires constituant un terrain fertile pour les nouveaux montages<br />

juridiques, ces formes de troc moderne se sont diversifiées en<br />

même temps qu’elle se complexifiaient (2). La transaction parallèle est<br />

sans doute le type le plus répandu de ces accords de compensation (3)<br />

mais l’échange y apparaît en définitive comme une opération d’achat et<br />

de contre-achat.<br />

Michèle VANWIJCK-ALEXANDRE<br />

(1) L. Dabin, présentation du XXXIX e séminaire de la Commission droit et vie<br />

des affaires, in Le régime juridique des échanges compensés dans les relations<br />

économiques internationales, Story-Scientia, 1987, p. XI.<br />

(2) L. Van Hoof, « Analyse descriptive des principaux types d’accords de compensation<br />

- Du troc à la coopération », in Le régime juridique des échanges<br />

compensés dans les relations économiques internationales, Story-Scientia,<br />

1987, pp. 15-43.<br />

(3) L. Van Hoof, art. cit., pp. 22 et s. et 40.


LE LOUAGE DE CHOSES<br />

Livre III - Titre VIII - Chapitre II<br />

Bonaparte, alors premier consul, proclame au nom du peuple français,<br />

loi de la République, le décret concernant le livre III du Code civil,<br />

titre VIII, traitant du contrat de louage. Ce décret avait été rendu le<br />

16 ventôse an XII de la République (7 mars 1804) par le corps législatif<br />

conformément à la proposition faite par le gouvernement le 9 du même<br />

mois (1). Ce texte est repris au livre III, titre VIII du Code civil (2).<br />

Nous tenterons de marquer les points saillants de l’évolution en matière<br />

de louage de choses au cours des deux cents ans qui nous séparent de<br />

cette promulgation en terminant par quelques considérations générales.<br />

Un petit rappel du passé tout d’abord. Les textes du Code civil ne sont<br />

pas le fruit de l’inventivité des auteurs de celui-ci. Ils se fondent sur une<br />

longue tradition ancestrale, remontant au droit romain. Pas de révolution<br />

en la matière, malgré la toute récente Révolution française. Nous<br />

avons sous les yeux un exemplaire de la seconde édition d’un traité rédigé<br />

par Adrian Moetjens et adressé « A Monseigneur Hubrecht Rosenboom,<br />

président du suprême conseil de Hollande, curateur de l’illustre<br />

Université de Hollande à Leyden, commissaire politique aux synodes<br />

provinciaux » traitant des « Lois civiles dans leur ordre naturel » (t. I)<br />

datant de 1695 (3), soit antérieur de plus de cent ans au Code civil. Tous<br />

les principes généraux du louage de choses s’y trouvent déjà. La similitude<br />

des principes avec ceux du Code civil, plus de cent ans plus tard,<br />

est frappante.<br />

En est-il de même pour les deux cents ans qui ont suivi la promulgation<br />

du Code civil? Les restrictions du nombre de pages imposées, à juste titre,<br />

par les initiateurs de ce numéro spécial, ne nous permettent par un<br />

exposé exhaustif mais nous force à des choix et à ne retenir que les évolutions<br />

les plus saillantes. En ce qui concerne le louage de choses, elles<br />

se situent principalement au niveau législatif. C’est pourquoi, sans vouloir<br />

méconnaître ni minimiser le rôle de la jurisprudence ou de la doctrine<br />

en cette matière, celui-ci nous paraît tout à fait accessoire par rapport<br />

à l’évolution législative. C’est au législateur que nous devons les<br />

modifications fondamentales de notre droit du bail.<br />

Le Code civil de 1804 ne contenait que 71 dispositions concernant le<br />

louage de choses, divisées en trois sections : six dispositions d’ordre général,<br />

trente-huit dispositions concernant les règles communes aux baux<br />

des maisons et des biens ruraux (sect. I), dix dispositions particulières<br />

aux baux à loyer (sect. II) et seize dispositions particulières aux baux à<br />

ferme (sect. III). Textes à portée générale, concis, d’une clarté limpide<br />

et compréhensibles dès la première lecture, renvoyant ici ou là à des<br />

coutumes locales et laissant la place aux conventions particulières et à<br />

la créativité des juges pour combler les lacunes par l’application des<br />

règles générales du droit des obligations en général et des contrats en<br />

particulier.<br />

Aujourd’hui le titre III du Code civil traitant du contrat de louage est divisé<br />

en quatre sections. Une première (51 articles) traite des dispositions<br />

générales en matière de bail et regroupe les sections 1 (concernant<br />

les règles communes aux baux des maisons et des biens ruraux) et 2<br />

(traitant des règles particulières aux baux à loyer) du Code de 1804.<br />

C’est la seule partie où subsiste bon nombre des dispositions figurant<br />

(1) Bulletin des lois de la République, n o 3650.<br />

(2) La première disposition mentionne qu’il y a deux sortes de contrats de<br />

louage : celui des choses et celui d’ouvrage. Seul le premier retient notre attention<br />

ici mais il est étonnant que, deux cents ans plus tard, malgré l’évolution<br />

des mœurs et des mentalités concernant ce que l’on appelait à l’époque le<br />

« louage » d’ouvrage, cette disposition figure toujours inchangée. Probablement<br />

parce qu’il s’agit d’un texte sans portée pratique qui n’a donc jamais fait<br />

l’objet de discussion ou révision ultérieure.<br />

déjà dans le Code de 1804. Ces articles sont, en grande majorité, toujours<br />

de droit supplétif et hormis les dispositions modifiées récemment<br />

(4) le texte en est toujours aussi concis, limpide et compréhensible pour<br />

le commun des mortels. Trois autres sections traitent aujourd’hui des<br />

règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur<br />

(sect. II) (12 articles), aux baux commerciaux (sect. IIbis) (sic)<br />

(36 articles) et aux baux à ferme (sect. III) (57 articles).<br />

Lorsque l’on porte un regard sur l’évolution de notre droit du bail depuis<br />

que le Code Napoléon en a fixé les principes de base, il est remarquable<br />

de constater combien celui-ci a subi l’influence des idées politiques<br />

et sociales et de l’évolution sociologique dont il est le reflet.<br />

Le Code civil de 1804 était organisé de manière systématique. Droits et<br />

obligations des parties y étaient réglés de manière classique. Ces règles<br />

n’étaient en soi pas plus particulièrement favorables aux bailleurs<br />

qu’aux preneurs. C’est leur caractère supplétif qui, dans la pratique, les<br />

rendaient moins favorables aux preneurs, les bailleurs se trouvant très<br />

généralement en position de force lors de la négociation du contrat.<br />

La société libérale du XIXe siècle était, tout comme celle des siècles<br />

précédents, favorable aux bailleurs et se préoccupait peu ou pas du tout<br />

de la protection du preneur. C’est ce qui explique que pendant plus d’un<br />

siècle les dispositions du Code Napoléon soient restées inchangées.<br />

L’évolution des idées politico-sociales ne se feront sentir en matière de<br />

bail qu’à partir du second quart du vingtième siècle. Le droit de libre<br />

disposition et d’usage du propriétaire sera tout au long des trois derniers<br />

quarts de ce siècle de plus en plus sacrifié au profit de la protection du<br />

droit d’usage conféré au preneur. Cette évolution se fera par l’introduction<br />

de textes législatifs à caractère impératif visant essentiellement la<br />

protection du preneur.<br />

C’est un euphémisme de dire qu’ils n’ont ni la limpidité, ni la concision<br />

des textes du Code civil. Destinés à protéger le contractant le plus faible,<br />

celui-ci a besoin des lumières d’un juriste éclairé pour les comprendre.<br />

Ils ne posent plus des principes, mais réglementent. Fruits de négociations<br />

ardues entre défenseurs des intérêts divergents des bailleurs et<br />

preneurs, ils n’échappent pas au détaillisme, ni même parfois à l’ambiguïté.<br />

Le poids de l’agriculture dans l’économie du XIXe siècle et du début du<br />

XXe siècle explique probablement que les premiers à bénéficier de la<br />

protection du législateur sont les agriculteurs, par les lois du 7 mars et<br />

du 7 mai 1929. Cette protection s’est sans cesse accrue par des lois subséquentes<br />

(7 juill. 1951, 25 nov. 1969, 23 nov. 1978, 7 nov. 1988).<br />

Les règles concernant le bail à ferme en vigueur aujourd’hui n’ont plus<br />

rien de commun avec celles qui figuraient à la section III du Code de<br />

1804. Mis à part quelque protection du preneur en cas de perte des fruits<br />

non encore récoltés, celles-ci mettaient surtout l’accent sur les obligations<br />

du preneur vis-à-vis du bailleur. Situation inversée à l’extrême<br />

aujourd’hui où le preneur d’un bien rural est protégé à l’extrême dans<br />

l’optique d’une protection de l’exploitation agricole : longue durée de<br />

bail, limitation des fermages (par une loi particulière), liberté totale de<br />

mode d’exploitation des terres, modes de preuves favorables au preneur,<br />

droit de préemption en cas de vente, etc.<br />

C’est peu de temps après les premières lois en matière de bail à ferme<br />

que le législateur se pencha pour la première fois sur la protection du<br />

bail comme élément essentiel du fonds de commerce lorsqu’il s’agit<br />

d’un commerce de détail dont la situation en un lieu particulier est<br />

essentielle au maintien de la clientèle du preneur. Ici aussi l’évolution<br />

au travers des lois des 30 mai 1931, 30 avril 1951 et 29 juin 1955 s’est<br />

faite dans le sens d’une protection sans cesse accrue du preneur, bien<br />

que celle-ci soit beaucoup plus limitée que celle du preneur d’un bien<br />

rural.<br />

(3) Paris, Coignard, Imprimeur et libraire ordinaire du Roy. (4) Voy. par ex., art. 1717, 1728bis et 1728quater.<br />

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2004<br />

317


2004<br />

318<br />

Il faudra attendre la dernière décennie du XXe siècle pour que le législateur<br />

accorde une protection cohérente au bail de résidence principale<br />

du preneur par la loi du 20 février 1991, modifiée par celle du 13 avril<br />

1997.<br />

La protection du bail de résidence principale s’inscrit dans le courant<br />

d’idées d’une reconnaissance du droit au logement. La Déclaration universelle<br />

des droits de l’homme (5) disposait déjà que « toute personne a<br />

droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et<br />

ceux de sa famille, notamment pour le logement » (6). Une résolution<br />

du Parlement européen du 16 juin 1987 demande « que le droit à l’habitat<br />

soit garanti par des textes législatifs, que les membres le reconnaissent<br />

comme un droit fondamental, et qu’il n’y a pas d’expulsion sans relogement<br />

de la personne ou de la famille concernée ». Enfin, l’article 23<br />

de la Constitution belge coordonnée le 17 février 1994 énumère, parmi<br />

les droits fondamentaux, le droit de chacun « de mener une vie conforme<br />

à la dignité humaine. A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à<br />

l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes,<br />

les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les<br />

conditions de leur exercice. Ces droits comprennent notamment ... « le<br />

droit à un logement décent ». Cependant si le droit du bail touche de<br />

près le droit au logement, il faut se garder d’assimiler l’un à l’autre. Le<br />

législateur est conscient que ce n’est pas uniquement au travers du droit<br />

du bail que l’on peut mener une politique du logement garantissant ce<br />

droit au logement décent (7).<br />

Le droit du bail ne concerne en effet que les rapports de droit privé entre<br />

propriétaire-bailleur et preneur.<br />

Le bailleur confère au preneur un droit de jouissance et d’usage à titre<br />

temporaire. Il lui confère donc le droit de jouir de sa propriété pendant<br />

une période donnée et limite en conséquence le droit de jouissance du<br />

propriétaire sur cette propriété. Or la Constitution garanti que nul ne<br />

peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans le<br />

cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable<br />

indemnité (Constit., art. 16), tandis qu’aucune peine de confiscation des<br />

biens ne peut être établie (Constit., art. 17). Pas question donc que la<br />

protection du droit de bail ne dégénère en une privation de la propriété.<br />

Le droit du bail, doit donc respecter tant le droit de propriété du bailleur<br />

qu’assurer la protection au preneur. Le législateur doit donc trouver un<br />

juste équilibre entre le respect de l’un et l’autre de ces droits.<br />

Réglementer le droit du bail, c’est tenter de concilier le droit d’usage du<br />

preneur avec le droit de propriété : exercice difficile, politiquement très<br />

délicat, car trop souvent fortement chargé émotionnellement, et où dé-<br />

(5) Approuvée et proclamée par l’assemblée des Nations unies le 10 décembre<br />

1948 (art. 25, résolution 217 (III) A.<br />

(6) Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,<br />

adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, dispose<br />

que « les Etats, parties au présent pacte, reconnaissent le droit de toute<br />

personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris<br />

une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration<br />

constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront les mesures<br />

appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à<br />

cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement<br />

consentie » (art. 11.1). La Charte sociale européenne, signée à Turin le<br />

18 octobre 1961, dispose qu’en vue d’assurer l’exercice effectif du droit des<br />

travailleurs immigrants et de leur famille à la protection et à l’assistance sur le<br />

territoire de toute autre partie contractante, les parties contractantes s’engagent<br />

(...) à garantir à ces travailleurs se trouvant légalement sur leur territoire, pour<br />

autant que ces matières sont régies par la législation ou la réglementation ou<br />

sont soumises au contrôle des autorités administratives, un traitement non<br />

moins favorable qu’à leurs nationaux en ce qui concerne les matières<br />

suivantes : ... c) le logement (art. 19.4, partie II).<br />

(7) Projet de loi visant à renforcer la protection du logement familial; exposé<br />

introductif du vice-premier ministre et ministre de la Justice et des Classes<br />

moyennes; rapport fait au nom de la commission de la justice de la Chambre<br />

par MM. Maeyeur et Herman, Doc. parl., Chambre, sess. 1990-1991, n o 1357/<br />

10, p. 3.<br />

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fenseurs des uns et des autres s’affrontent dans les débats publics rarement<br />

sereins et objectifs.<br />

Il est de notoriété publique que les aspirations des uns et des autres sont<br />

bien souvent opposées. Les bailleurs — qu’ils soient investisseurs occasionnels<br />

ou professionnels — désirent obtenir le meilleur rendement<br />

du capital investi, ce qui implique l’obtention d’un loyer le plus élevé<br />

possible. Les preneurs, par contre, désirent obtenir la jouissance du bien<br />

à moindre frais, ce qui implique le payement du loyer le plus bas et l’imposition<br />

au bailleur de la charge d’entretien la plus large possible.<br />

Quant à la durée du bail qui concerne directement la garantie du droit<br />

d’usage dans le temps pour le preneur et la limitation corrélative de<br />

l’exercice du droit de propriété par le bailleur, l’attitude des deux parties<br />

est ambiguë. Le preneur désire obtenir la jouissance du bien loué aussi<br />

longtemps qu’il lui convient, ce qui implique la garantie d’une durée<br />

minimale du bail mais, d’autre part, il désire pouvoir quitter le bien dès<br />

qu’il ne désire plus en faire usage, ce qui implique beaucoup de souplesse<br />

dans la possibilité de résiliation unilatérale et/ou de cession du bail.<br />

Quant au bailleur, il désire lui aussi que le bail ne soit pas de trop courte<br />

durée, car tout changement de locataire implique des pertes de temps et<br />

des frais. D’autre part, une durée trop longue signifie l’impossibilité<br />

d’augmentation du loyer (mis à part l’indexation). La conclusion d’un<br />

nouveau bail permet — en particulier en cas de forte demande — d’augmenter<br />

le loyer.<br />

Il s’agit donc toujours de concilier l’eau et le feu. Trouver un juste équilibre<br />

entre droits du propriétaire-bailleur et du preneur en fonction de la<br />

protection visée : continuité de l’exploitation agricole, valeur du fonds<br />

de commerce de détail en contact avec le public, protection du logement<br />

principal. Dans les trois cas de baux où le législateur est intervenu de<br />

manière impérative, la réglementation, bien que s’attaquant aux mêmes<br />

aspects du droit du bail, est différente. Les solutions imposées résultent<br />

de la particularité propre à chacun de ces contrats, mais aussi et peutêtre<br />

plus encore, du poids des groupes de pressions défendant les intérêts<br />

des preneurs en cause. Il est clair aujourd’hui que le preneur d’un<br />

bien rural profite d’une protection maximale avec pour corrolaire une<br />

limitation maximale des droits du propriétaire-bailleur. La protection du<br />

commerçant-détaillant est la moins forte.<br />

Que reste-t-il des dispositions du Code de 1804? Celles qui sont toujours<br />

en vigueur aujourd’hui se retrouvent dans la première section du<br />

Code actuel contenant les dispositions générales relatives aux baux des<br />

biens immeubles. Ces textes, toujours de caractère supplétif, s’appliquent<br />

aujourd’hui aux baux non réglementés de manière impérative.<br />

Somme toute peu de baux : ceux de locaux industriels, de commerce de<br />

gros ou semi-gros ou de détail lorsque la situation du commerce n’est<br />

pas un élément essentiel de la valeur du fonds de commerce, et aussi<br />

ceux de résidence secondaire. Ces dispositions s’appliquent également<br />

aux rapports bailleur - locataire assujettis à un régime impératif, dans<br />

tous les cas où le législateur n’y a pas dérogé par des dispositions impératives<br />

particulières.<br />

C’est dire que le domaine d’application des dispositions datant de 1804<br />

s’est réduit en 2004 à une peau de chagrin.<br />

Y. MERCHIERS<br />

Professeur émérite


LOUAGE D’OUVRAGE<br />

Livre III - Titre VIII - Chapitre III<br />

DÉPÔT<br />

Livre III - Titre XI<br />

MANDAT<br />

Livre III - Titre XIII<br />

1. — « Louage d’ouvrage », « mandat », « dépôt », voici des catégories<br />

classiques, soumises à des dispositions légales propres, qui paraissent avoir<br />

traversé sans heurt les deux cents ans qui les séparent de leur adoption.<br />

Et pourtant, tout observateur objectif doit se rendre à l’évidence : ces<br />

trois « contrats de service », pour reprendre une expression qui est<br />

aujourd’hui consacrée (1), sont dans la tourmente. Dans la tourmente<br />

générale, d’abord, que connaissent tous les contrats traditionnels, écartelés<br />

qu’ils sont entre le Code civil, le droit de la consommation, les lois<br />

particulières et les dispositions issues du droit européen ou de conventions<br />

internationales. Dans une tourmente qui leur est propre, ensuite, et<br />

qui puise sa source dans la conjonction d’une certaine indigence des<br />

textes, d’un bouleversement des concepts traditionnels induit subrepticement<br />

par les auteurs du Code civil et d’un facteur économique majeur.<br />

Nous vivons à cet égard dans une société où le secteur des services a pris<br />

une place essentielle et où la variété de ces services dépasse de loin les<br />

opérations auxquelles les auteurs du Code civil ont pu penser (l’entreprise<br />

immobilière, le dépôt, le transport, le façonnage et peut-être les<br />

professions libérales, l’intermédiation commerciale et la gestion de propriétés,<br />

...). Les prestations de services d’ordre intellectuel occupent<br />

ainsi aujourd’hui une place considérable et envahissent les domaines les<br />

plus divers; que l’on pense aux contrats de consultance en informatique,<br />

en organisation, en gestion des ressources humaines, etc.<br />

2. — Cette tourmente avec les déchirements et les incertitudes qu’elle a<br />

entraînés ne doit toutefois pas occulter un phénomène de reconstruction<br />

du droit des contrats de services autour de quelques principes communs<br />

et vraisemblablement de deux pôles : d’une part, le droit de l’entreprise<br />

de construction et des entreprises mobilières et, d’autre part, le droit des<br />

entreprises « non constructives » (2) où l’élément intellectuel domine.<br />

3. — C’est à ces deux phénomènes que je consacrerai ces quelques<br />

lignes qui n’ont nullement l’ambition d’être exhaustives.<br />

I. — LA TOURMENTE<br />

1. — L’éclatement du louage d’ouvrage<br />

4. — Conformément à la tradition (3), les auteurs du Code civil avaient<br />

conçu le louage d’ouvrage comme une sorte de contrat de services de<br />

droit commun (4), par opposition aux services d’ami que constituaient<br />

le mandat et le dépôt.<br />

(1) Fr. Glansdorff, « Les contrats de service : notion et qualification », Les contrats<br />

de service, Bruxelles, Jeune barreau de Bruxelles, 1994, n os 2 et s., pp. 2<br />

et s. et réf.<br />

(2) L’expression est empruntée à Fr. Glansdorff, « Actualité des contrats de<br />

service », Aspects récents du droit des contrats, Bruxelles, Jeune barreau de<br />

Bruxelles, 2001, n o 1, p. 65.<br />

(3) Voy. ci-après n o 6.<br />

(4) Comp. en droit positif : W. Goossens, Aanneming van werk : het gemeenrechtelijk<br />

dienstcontract, Brugge, Die Keure, 2003.<br />

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Le louage d’ouvrage regroupait ainsi le contrat de travail, le contrat de<br />

transport et les entreprises immobilières et mobilières. Si en deux cents<br />

ans les textes n’ont guère changé et si le chapitre du louage d’ouvrage<br />

conserve une section 1 re relative au « louage des domestiques et<br />

ouvriers » et une section 2 relative aux « voituriers par terre et par<br />

eau », la première a été, de fait, absorbée par le droit social et la seconde,<br />

par le droit des transports, donc par le droit commercial.<br />

5. — Mais il y a plus. Les interventions législatives extérieures ont conduit<br />

dans le domaine du louage d’ouvrage — comme d’ailleurs, dans une certaine<br />

mesure, du mandat et du dépôt — à une parcellisation de la matière.<br />

La loi du 14 juillet 1991 relative aux pratiques du commerce a ainsi conduit<br />

à l’émergence d’un droit des contrats de services au consommateur.<br />

Le phénomène a été complété par la loi du 3 avril 1997 relative aux<br />

clauses abusives dans les contrats conclus avec leurs clients par les titulaires<br />

de professions libérales (5).<br />

D’une certaine manière, en matière d’entreprises de construction, la loi<br />

Breyne témoigne du même phénomène.<br />

La multiplication des réglementations professionnelles conduit tout<br />

autant à la création de particularismes, que l’on pense à la responsabilité<br />

des architectes, aux agents immobiliers, aux gestionnaires de fortune, aux<br />

experts-comptables, aux réviseurs d’entreprises pour ne citer qu’eux.<br />

L’indigence des textes du Code civil relatifs au louage d’ouvrage, n’a<br />

pu que favoriser son éclatement. On ne doit pas rappeler à cet égard que<br />

les treize articles relatifs aux devis et marchés sont essentiellement tournés<br />

vers l’entreprise immobilière, se bornent à évoquer le façonnage et<br />

ignorent les prestations de service d’ordre intellectuel (6).<br />

2. — Le bouleversement des concepts traditionnels<br />

6. — L’incertitude due à la parcellisation de la matière et encouragée par<br />

l’indigence des textes ne doit pas cacher une seconde difficulté née de<br />

l’admission par le Code civil du mandat et, peut-être, car le point reste<br />

discuté (7), du dépôt salariés.<br />

On se souviendra en effet que dans l’ancien droit français, le mandat et<br />

le dépôt constituaient des contrats essentiellement gratuits qui dégénéraient<br />

en louage d’ouvrage si une rémunération était promise. Seule une<br />

exception était faite au profit des professions libérales : les avocats et<br />

les médecins étaient des mandataires car, en vertu d’une fiction, leurs<br />

honoraires ne constituaient pas un salaire mais le tribut spontané de la<br />

reconnaissance du client (8).<br />

Par ailleurs dans le système de l’ancien droit, le mandat ne portait pas nécessairement<br />

sur des actes juridiques, il pouvait porter sur des actes matériels.<br />

Sous cet angle, il ressemblait au mandat de l’article 394 du Code<br />

suisse des obligations, qui dispose que « le mandat est un contrat par lequel<br />

le mandataire s’oblige dans les termes de la convention, à gérer l’affaire<br />

dont il est chargé ou à rendre les services qu’il a promis ». Ceci explique<br />

qu’avant 1804, le médecin pût être un mandataire. Une mission de<br />

courtage à titre gratuit pouvait, de même, faire l’objet d’un mandat.<br />

(5) Sur l’incidence du droit de la consommation sur les contrats de service, voy.<br />

Fr. Glansdorff, op. cit., Aspects récents du droit des contrats, n o 17, pp. 86 et s.<br />

(6) Cons. notam., Fr. Glansdorff, op. cit., Les contrats de service; A. Benabent,<br />

Les contrats spéciaux, Paris, Montchrestien, 1993, p. 251; Fr. Collart Dutilleul et<br />

Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 6 e éd., Paris, Dalloz, 2002,<br />

n os 625 et s.<br />

(7) Sur ce que le dépôt demeurerait un contrat essentiellement gratuit comme<br />

l’indique l’article 1917, C. civ. par opposition à l’article 1928, 2 o , C. civ., voy.<br />

notam., F. Laurent, Principes de droit civil, t. XXVII, n o 77; A. Colin et<br />

H. Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, 10 e éd. par L. Julliot de<br />

la Morandière, t. II, n o 1232; comp. G. Baudry-Lacantinerie et A. Wahl, Traité<br />

théorique et pratique de droit civil, t. XXIII, n os 1168 et s.<br />

(8) Cons. Pothier, Traité des contrats de bienfaisance, t. II, Traité du contrat de<br />

mandat, Paris, Orléans, 1775, n o 23, Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel,<br />

2 e éd., Paris, J.B. Coignard, 1685, t. I, première partie, liv. I, t. I, tit. XV,<br />

sect. I, n o IX, p. 254.<br />

2004<br />

319


2004<br />

320<br />

A la veille du Code civil, le louage d’ouvrage constituait donc le contrat<br />

de service de droit commun, ce qui ne signifiait toutefois pas que ce<br />

contrat fût soumis à des règles uniformes.<br />

La division du chapitre du Code civil relatif à ce contrat en trois sections<br />

(contrat de travail, de transport et d’entreprise) fait écho à des distinctions<br />

traditionnelles. Les intermédiaires commerciaux, qu’ils fussent<br />

commissionnaires ou courtiers, étaient, quant à eux, soumis par analogie<br />

aux règles du mandat qui s’appliquaient ainsi aux prestations de service<br />

d’ordre intellectuel (9).<br />

7. — Si l’admission, en 1804, d’un dépôt salarié ne devait guère poser de<br />

difficulté en raison de la particularité de l’objet de ce type de convention,<br />

il n’en allait pas de même pour le mandat. Aussi, au cours du XIX e siècle,<br />

s’est développée l’idée que si le mandataire s’engageait à « faire quelque<br />

chose » pour le mandant, ce « quelque chose » ne pouvait être qu’un acte<br />

juridique (10). Le Code civil envisage en effet essentiellement le mandat<br />

« représentatif » (le mandat, ou procuration, « par lequel une personne<br />

donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en<br />

son nom »). Or, suivant une affirmation apparue à la même époque, la représentation<br />

ne se concevrait que pour les actes juridiques et non pour les<br />

faits juridiques, ni a fortiori pour les faits matériels (11).<br />

Cette affirmation est cependant loin de se vérifier en droit positif (12).<br />

Elle est écartée en matière de représentation organique (le fait de l’organe<br />

s’identifie à celui de la personne morale) (13). Elle est sérieusement<br />

battue en brèche par la Cour de cassation en matière de représentation<br />

contractuelle (la faute quasi délictuelle du mandataire engage en<br />

effet le mandant lorsqu’elle est indissociable de l’accomplissement de<br />

l’acte juridique qui forme l’objet du mandat) (14).<br />

Un arrêt de la Cour de cassation du 16 février 2001 semble même admettre<br />

une représentation totalement parfaite du mandant par le mandataire<br />

en cas de culpa in contrahendo. Il énonce, en effet, que « lorsqu’un<br />

organe d’une société ou un mandataire agissant dans le cadre de son<br />

mandat commet une faute ne constituant pas un délit au cours de négociations<br />

donnant lieu à la conclusion d’un contrat, cette faute engage<br />

non pas la responsabilité de l’administrateur ou du mandataire, mais<br />

celle de la société ou de son mandant » (15) (16).<br />

On sait par ailleurs que notre droit connaît des mandats sans représentation,<br />

comme la commission (17). Or, il va de soi que, pour ceux-ci, la<br />

(9) Voy. Domat, op. cit., t. I, première partie, liv. I, tit. XV et s.<br />

(10) Pour une analyse de ce phénomène, L. Simont, « Exposé introductif », Les<br />

intermédiaires commerciaux, Bruxelles, Jeune barreau, 1990, n o 7, p. 10 et réf.<br />

(11) Sur cette formule, voy. notam., L. Josserand, Cours de droit civil positif français,<br />

t. II, 2 e éd., n o 1400; L. Cornelis, Algemene theorie van de verbintenis, Anvers-Groningen,<br />

Interscientia, 2000, n o 29 et Principes du droit belge de la responsabilité<br />

civile - L’acte illicite, Bruxelles, Bruylant, Anvers, Apeldoorn, Maklu<br />

et Bruxelles, Ced-Samsom, 1991, n o 252; Ph. Petel, v o « Représentation », précité,<br />

Encycl. Dalloz, Rép. dr. civ., 2 e éd., n os 5 à 17; M. Storck, Le mécanisme de la<br />

représentation dans les actes juridiques, Paris, L.G.D.J., 1982, n o 259; comp.<br />

H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, 3 e éd., n os 31 à 33 et t. V,<br />

2 e éd., n os 355, 361 et 452, comp. t. II, 3 e éd., n o 243; cons. M. Grégoire et M. von<br />

Kuegelgen, « Le mandat - Aspects controversés », in Les contrats spéciaux,<br />

C.U.P., vol. XXXIV, nov. 1999, n os 2 et s., pp. 161 et s.<br />

(12) Voy. notam., P.-A. Foriers, « Aspects de la représentation en matière<br />

contractuelle », Les obligations contractuelles, Bruxelles, Jeune barreau de<br />

Bruxelles, 2000, n os 36 et s., pp. 264 et s.<br />

(13) J. Van Ryn, Principes de droit commercial, t. I, 1 re éd., n os 369 et s.;<br />

L. Cornelis, Principes du droit belge de la responsabilité (précité), n os 262 et s.<br />

(14) Cass., 22 avril 1985, Pas., 1985, I, n o 496, p. 1021; Cass., 21 sept. 1987,<br />

Pas., 1988, I, n o 39, p. 77 (qui vise le cas de la ratification de l’engagement pris<br />

par un porte-fort).<br />

(15) Les soulignés sont du soussigné.<br />

(16) Pas., 2001, I, n o 94, p. 301; R.D.C. 2002, p. 698, note C. Geys; comp.<br />

Cass., 11 sept. 2001, P.99.1742.N. à propos d’un délit; sur l’arrêt du 16 février<br />

2001, cons. P.-A. Foriers, « Les obligations de l’entrepreneur : les sanctions de<br />

l’inexécution », in Contrat d’entreprise et droit de la construction, C.U.P., mai<br />

2003, vol. 63, n o 5, pp. 12 et s.<br />

(17) Voy. en France sur ce point, Fr. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit.,<br />

n os 660 et s.; M.L. Izorche, « A propos du mandat sans représentation », D.,<br />

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représentation ne saurait constituer un argument justifiant que le mandat<br />

ne puisse porter que sur des actes juridiques.<br />

Aussi ferme que soit la jurisprudence des Cours de cassation de France<br />

et de Belgique sur la définition du mandat (18), elle ne s’impose donc<br />

pas avec la force de l’évidence. Et on comprend dès lors que les juges<br />

du fond, en présence de contrats de prestation de services d’ordre intellectuel,<br />

hésitent entre le mandat et l’entreprise.<br />

8. — Cela étant, l’indigence du Code civil en matière d’entreprise a permis<br />

aux solutions anciennes de survivre au travers des usages. Qu’on le<br />

veuille ou non, le droit du mandat est omniprésent dans le contrat qui lie<br />

l’avocat à son client, il influence en outre clairement le droit du courtage.<br />

La force d’attraction du mandat sur ce dernier est telle que<br />

MM. Collart Dutilleul et Delebecque en traitent, dans la dernière édition<br />

de leur précis, parmi les mandats particuliers (19).<br />

Il est vrai que les avocats comme les courtiers sont par ailleurs souvent les<br />

« mandataires » de leurs clients, que la relation entre parties présente un caractère<br />

intuitu personae marqué et que les règles propres au contrat de mandat<br />

offrent au client une protection plus large que celles de l’entreprise, notamment<br />

en termes de résiliation de la convention et de révision de la rémunération<br />

convenue. Le juge aura donc une tendance naturelle à se tourner<br />

vers le mandat, quitte à procéder artificiellement à une requalification.<br />

On peut toutefois se demander, plus simplement, si les règles du mandat ne<br />

sont pas mieux adaptées que celles du contrat d’entreprise aux contrats de<br />

prestations de service d’ordre essentiellement intellectuel en dehors du domaine<br />

de la construction et de l’entreprise mobilière. Ce ne serait donc pas<br />

par hasard si le droit suisse fait du mandat une sorte de contrat de services<br />

résiduaire (20), ce qui finalement ne serait pas fondamentalement différent<br />

de la pratique de l’ancien droit où les règles du mandat dépassaient de loin<br />

le mandat au sens strict du terme (le mandat essentiellement gratuit).<br />

Ce qui a été qualifié d’« hypertrophie du concept de mandat » (21) ne<br />

traduit-il dès lors pas un premier essai de réorganisation des contrats de<br />

service autour de certains principes communs qui transcendent les qualifications<br />

classiques (22)? On peut le penser.<br />

II. — VERS UNE RÉORGANISATION<br />

DU DROIT DES CONTRATS DE SERVICES<br />

1. — Le droit commun des contrats de services<br />

9. — Un point paraît certain : les contrats de service obéissent à un certain<br />

nombre de règles communes, les unes découlant de principes paraissant<br />

constituer un droit commun propre à ce type de contrat, les<br />

autres découlant du droit commun des obligations contractuelles.<br />

1999, chron., p. 369; Cl. Witz, La fiducie en droit privé français, Paris, Economica,<br />

1981, n os 236 et s.; en Belgique : B. Tilleman, Le mandat, Diegem, Kluwer,<br />

1999, n os 1 à 11; L. Simont, « Exposé introductif », Les intermédiaires commerciaux,<br />

Bruxelles, Jeune barreau, 1990, n os 9 et s., pp. 11 et s.; P.-A. Foriers, « Le<br />

droit commun des intermédiaires commerciaux : courtiers, commissaires,<br />

agents », Les intermédiaires commerciaux, n os 5 et 6, pp. 32 et 33; comp.<br />

P. Wéry, « Le mandat », Rép. not., 2000, n os 1 et 11.<br />

(18) Cass., 29 avril 1988, Pas., 1988, I, n o 528, p. 1032, spéc. 1035; Cass.,<br />

25 mars 1993, Pas., 1993, I, n o 160, p. 328; Cass. fr. civ., 16 juill. 1998, J.C.P.,<br />

éd. E, 1998, 1666, Bull. civ., I, n o 244; cons. Ph. le Tourneau, « Le mandat »,<br />

Rép. dr. civil, Dalloz, 2000, n o 72.<br />

(19) Fr. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., n os 668 et s. Ces auteurs<br />

ne contestent cependant pas que le mandat doit porter sur un acte juridique (op.<br />

cit., n o 639) et que le courtier ne conclut en principe aucune opération au nom<br />

ou pour le compte de son donneur d’ordre.<br />

(20) Suivant l’article 394 C.O. « les règles du mandat s’appliquent aux travaux<br />

qui ne sont pas soumis aux dispositions légales régissant d’autres contrats ».<br />

(21) P. Wéry, « Le mandat », Rép. not., 2000, n o 173, p. 219.<br />

(22) Comp. dans un sens analogue, Fr. Glansdorff, op. cit., Aspects récents du<br />

droit des contrats, n o 5, p. 71.


10. — Au titre des règles relevant du droit commun des obligations contractuelles,<br />

on relèvera notamment l’obligation du prestataire de service<br />

de bien exécuter sa mission conformément aux spécifications contractuelles,<br />

aux usages ou règles de l’art et aux bonnes pratiques professionnelles<br />

qui sont, le cas échéant, induites par la déontologie du secteur<br />

d’activité (23). On peut encore citer son devoir d’information et de conseil<br />

qui ne s’arrête pas à la phase précontractuelle mais se poursuit le<br />

plus souvent au cours de l’exécution du contrat. On ajoutera que le prestataire<br />

de service peut avoir recours à des agents d’exécution, des soustraitants,<br />

dont il répond (24) et que sa responsabilité s’apprécie comme<br />

dans tout contrat, du moins s’il est rémunéré (25).<br />

De son côté, le client sera, en vertu de l’article 1134, alinéa 3, du Code civil,<br />

obligé de collaborer à l’exécution du contrat et donc dans une certaine mesure,<br />

de faciliter l’exécution de ce dernier. Il devra évidemment verser la rémunération<br />

convenue et si celle-ci ne couvre pas les frais exposés dans le cadre<br />

de sa mission, rembourser ceux-ci au prestataire de service (26).<br />

11. — Au-delà de ces applications pures et simples du droit commun,<br />

on observera certaines particularités, mais qui ne s’écartent pas à proprement<br />

parler des principes.<br />

Nombre de contrats de service présentent un certain caractère intuitu<br />

personae. On ne saurait s’en étonner. A la différence de la vente ou du<br />

bail qui portent, en principe, sur une chose existante que l’on peut apprécier,<br />

le contrat de prestation de services porte sur une prestation à accomplir<br />

dans le futur. Les qualités personnelles du prestataire de service<br />

constituent donc normalement un gage de bonne exécution.<br />

Mais on ne saurait en faire une règle générale, loin de là. En effet, tout<br />

d’abord, on gardera à l’esprit que les contrats intuitu personae ne constituent<br />

pas un bloc monolithique. Il y a, au contraire, des degrés dans<br />

l’intuitus personae (ou l’intuitus firmae) (27). Ensuite, et surtout, nombre<br />

de contrats de service ne présentent pas ce caractère (28).<br />

On assiste d’ailleurs à une véritable « réification » de la prestation de services<br />

par le droit de la consommation qui parle de « vente de services »<br />

(29), expression qui avait séduit le doyen Savatier (30). Expression sans<br />

doute discutable sur le plan juridique mais qui traduit bien la réalité économique<br />

spécialement lorsqu’il s’agit de services standards.<br />

Ce ne sont en réalité que les contrats qui portent sur des prestations de<br />

services d’ordre intellectuel et relativement complexes, ou, qui impli-<br />

(23) En tant que telles, les règles déontologiques ne créent pas directement<br />

d’obligations contractuelles. Elles contribuent cependant indirectement à déterminer<br />

le comportement du bon professionnel diligent et prudent et, sous cet angle,<br />

un manquement déontologique peut, dans certaines circonstances, constituer<br />

une faute contractuelle ou, d’ailleurs, quasi délictuelle. Comp. Fr. Glansdorff, op.<br />

cit., Aspects récents du droit des contrats, n o 14, pp. 83 et 84.<br />

(24) Voy. récem., Cass., 27 févr. 2003, C.2001.457.F.; Cass., 5 oct. 1990, Pas.,<br />

1991, I, n o 57, p. 115; on sait que l’article 1994, alinéa 1 er , déroge à ce principe<br />

en matière de substitution de mandataire lorsque celle-ci est autorisée. La solution<br />

s’explique cependant par le mécanisme de la représentation (voy. P. Van<br />

Ommeslaghe, « L’exécution des contrats de service par autrui », Les contrats<br />

de service, n o 8, pp. 250 et s. et réf ).<br />

(25) On sait que la responsabilité du dépositaire et du mandataire à titre gratuit<br />

s’apprécie moins rigoureusement que s’ils sont rémunérés (art. 1927, 1928 et<br />

1992, C. civ.).<br />

(26) Cons. P.-A. Foriers, op. cit., Les contrats de service, pp. 169 et s.<br />

(27) Cons. P. Van Ommeslaghe, « Les principes généraux relatifs à la fusion et<br />

à la scission selon les directives et selon la loi nouvelle », Les fusions et scissions<br />

internes de sociétés, en droit commercial et en droit social, Bruxelles,<br />

Jeune barreau, 1993, n o 28, p. 43 et H. Laga, « Enige bedenkingen omtrent fusie<br />

en de overgang van intuitu personae-overeenkomsten », Liber amicorum<br />

Jan Ronse, Bruxelles, Story-Scientia, 1986, pp. 237 et s.<br />

(28) A mon sens, le contrat d’entreprise de construction ne présente pas de caractère<br />

intuitu personae en dépit de l’article 1795, C. civ. Il ne prend d’ailleurs<br />

pas fin par la faillite de l’entrepreneur; cons. dans un sens analogue,<br />

W. Goossens, op. cit., n o 1208 et s.; P.-A. Foriers, op. cit., Les intermédiaires<br />

commerciaux, n os 122 et s., pp. 115 et s.<br />

(29) Art. 1 er de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur<br />

l’information et la protection du consommateur.<br />

(30) « La vente de services », D, 1971, chron., 223, n o 687.<br />

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quent une confidence ou une collaboration étroite entre parties qui présentent<br />

un caractère véritablement intuitu personae. Il en est ainsi des<br />

contrats passés avec les avocats, les médecins, les consultants, les<br />

agents commerciaux, etc. Et, bien sûr, du mandat qui se voit attribuer<br />

par la loi un caractère intuitu personae marqué, même si dans les faits<br />

tel n’est pas toujours le cas.<br />

Autre caractéristique des contrats de services à titre onéreux, c’est que<br />

si le prix en constitue un élément essentiel, celui-ci ne doit pas, comme<br />

en matière de vente, être déterminé ou déterminable en fonction d’éléments<br />

objectifs extérieurs aux parties. Il peut être laissé à la discrétion<br />

du prestataire de service, soit en vertu de la convention expresse ou implicite<br />

des parties, soit en vertu de l’usage (31). Le mécanisme de la<br />

« partijbeslissing » joue ici un rôle considérable, mais il s’agit là, à mon<br />

sens, d’un principe qui touche au droit commun (32).<br />

12. — Plus original, en revanche, est le droit de résiliation unilatérale du<br />

client du prestataire de service qui se retrouve tant en matière d’entreprise<br />

(art. 1794, C. civ.), que de dépôt (art. 1944, C. civ.) et de mandat<br />

(art. 2004, C. civ.). Celui-ci s’explique par le fait qu’en règle, seul le client<br />

a un intérêt à l’exécution en nature du contrat, le prestataire n’ayant — en<br />

cas de contrat à titre onéreux — qu’un intérêt financier. Il s’ensuit que le<br />

droit de résiliation est écarté lorsque, par exception, le prestataire a un intérêt<br />

à l’exécution du contrat indépendant de la seule perception de sa rémunération.<br />

Tel est le cas du mandat d’intérêt commun (33).<br />

Le principe voudrait, conformément à l’article 1794 du Code civil, que<br />

le prestataire de services soit indemnisé non seulement de ce qu’il a fait<br />

mais aussi de son manque à gagner. Or, comme le verra, sur ce point,<br />

l’unité des contrats de services se fissure : le principe ne vaut pas en matière<br />

de mandat en raison vraisemblablement de la gratuité qui marque<br />

traditionnellement celui-ci.<br />

2. — Le mandat en concours avec l’entreprise :<br />

vers l’émergence d’un droit commun<br />

des prestations de services d’ordre intellectuel?<br />

13. — Le droit du mandat offre des singularités.<br />

La plus marquante est sans doute la réductibilité judiciaire du salaire du<br />

mandataire.<br />

Ce principe n’est en rien original lorsqu’il s’applique à la rémunération<br />

unilatéralement fixée par le mandataire. Il est en effet constant que lorsqu’un<br />

prestataire de service (entrepreneur ou mandataire) fixe unilatéralement<br />

sa rémunération, il doit le faire de bonne foi en sorte que les cours et<br />

tribunaux puissent exercer un contrôle marginal sur le montant fixé.<br />

On sait cependant qu’en matière de mandat, la jurisprudence va plus<br />

loin. La Cour de cassation admet que le juge puisse tempérer le salaire<br />

convenu du mandataire (34). Et ceci, non en vertu de la théorie générale<br />

de la lésion qualifiée, mais de la gratuité naturelle du mandat et d’un<br />

(31) Voy. notam., W. Goossens, op. cit., n os 357 et s.; P. Wéry, op. cit., Rép.<br />

not., n o 169. Comp. B. Tilleman, op. cit., n o 203; cons. Cass., 10 oct. 2003,<br />

C.02.0486.F à propos d’un contrat d’architecture.<br />

(32) P.-A. Foriers, « L’objet », in Les obligations en droit français et en droit<br />

belge - Convergences et divergences, Bruxelles, Bruylant, Paris, Dalloz, 1994,<br />

n os 9 et s., pp. 70 et s. et réf. et « L’objet et la cause », Les obligations contractuelles,<br />

Bruxelles, Jeune barreau, 1984, pp. 129 et s.; M.-E. Storme, « De bepaling<br />

van het voorwerp van een verbintenis bij partijbeslissing », T.P.R., 1988,<br />

pp. 1259 et s.; P. Van Ommeslaghe, « Examen de jurisprudence (1974-1982) -<br />

Les obligations », R.C.J.B., 1986, n o 30, p. 85.<br />

(33) Cass., 28 juin 1993, Pas., 1993, I, n o 310, p. 628; R.W., 1993-1994,<br />

p. 1425, note A. Van Oevelen; cons. P. Wéry, op. cit., Rép. not., 2000, n os 254<br />

et s.; B. Tilleman, op. cit., n os 550 à 555; L. Simont et P.-A. Foriers, « Examen<br />

de jurisprudence (1981-1991) - Les contrats spéciaux », R.C.J.B., 2001, n o 291,<br />

p. 551 et réf.<br />

(34) Cass., 17 janv. 1851, Pas., 1851, I, 314; Cass., 28 nov. 1889, Pas., 1890,<br />

I, 27; Cass., 6 juin 1980, Pas., 1980, I, 832 et les concl. de M. le procureur général<br />

Charles, alors premier avocat général; Cass., 14 oct. 2002, C.2000.227.N.<br />

2004<br />

321


2004<br />

322<br />

principe traditionnel antérieur au Code civil. Cette dernière justification<br />

est étrange si l’on se rappelle que dans l’ancien droit, le mandat était essentiellement<br />

gratuit. Les anciens parlements français s’autorisaient<br />

toutefois à réduire le salaire de certains agents d’affaires (35) notamment<br />

en matière immobilière — lesquels n’étaient pas des mandataires<br />

proprement dits puisqu’ils étaient rémunérés (36). Et chose frappante,<br />

c’est surtout dans le domaine du courtage que la jurisprudence fait application<br />

de ces principes, quitte à passer par une disqualification artificielle<br />

du contrat en mandat. Van Ryn et Heenen décrivaient parfaitement<br />

le phénomène en y voyant une caractéristique du courtage (37).<br />

Fr. Glansdorff a récemment montré (38) que la jurisprudence avait tendance<br />

à étendre ce contrôle non seulement aux honoraires convenus<br />

avec un avocat (39)(ce qui est conforme à une certaine tradition et, sinon<br />

à la lettre, du moins à l’esprit de l’article 459 du Code judiciaire),<br />

mais encore à la rémunération d’un expert-comptable (40) ou d’un généalogiste<br />

(41), ce qui n’est pas véritablement choquant si l’on garde à<br />

l’esprit la jurisprudence antérieure au Code civil. Sans aller jusqu’à souhaiter,<br />

comme Fr. Glansdorff, l’extension de ce principe à tous les contrats<br />

de services — en ce compris la construction ou le façonnage (42)<br />

— il me semble que cette jurisprudence témoigne en tout cas de la reconstruction<br />

de principes communs à tous les contrats portant sur des<br />

prestations de services d’ordre intellectuel et participant à l’idée du<br />

« mandat » au sens premier du terme.<br />

14. — Le même phénomène peut être observé à propos des conséquences<br />

de la résiliation unilatérale de certains contrats de services qui constituent<br />

des entreprises suivant les critères du droit positif, comme par exemple, le<br />

courtage. Fr. Glansdorff observait à cet égard au terme d’un examen<br />

fouillé de la doctrine et de la jurisprudence que l’indemnisation du manque<br />

à gagner est « inapplicable à la plupart des professions qui fournissent<br />

des services intellectuels » (43). C’est donc le droit du mandat qui, une<br />

fois encore, investit les contrats relatifs à ce type de services.<br />

Si l’on ajoute que la plupart de ces contrats présentent un caractère intuitu<br />

personae plus ou moins marqué, on conçoit d’autant plus l’attraction sur<br />

ceux-ci du droit du mandat, contrat intuitu personae par excellence.<br />

On constate par conséquent l’émergence, au-delà des clivages du droit<br />

positif de corps de règles communes à deux types de contrats de<br />

services : les devis et marchés traditionnels du Code civil, d’une part,<br />

et, les contrats de prestations de services d’ordre intellectuel, d’autre<br />

part.<br />

15. — Que conclure au terme de ces quelques observations si ce n’est<br />

qu’au-delà de textes qui paraissent immuables, le domaine des contrats de<br />

services est en réalité depuis deux cents ans en pleine transformation?<br />

Cette transformation n’est pas achevée. On peut voir poindre certaines<br />

tendances. Un point est cependant évident : cette véritable reconstruction<br />

du droit des contrats de services fait fi des catégories classiques.<br />

P.-A. FORIERS<br />

Avocat<br />

Professeur ordinaire à l’U.L.B.<br />

(35) Voy. récem., P. Wéry, op. cit., Rép. not., n o 173 et réf.<br />

(36) Et ne le sont pas davantage aujourd’hui, l’objet essentiel de leur mission<br />

ne portant pas sur des actes juridiques.<br />

(37) J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, 2 e éd.,<br />

n o 162.<br />

(38) Fr. Glansdorff, op. cit., Aspects récents du droit des contrats, n os 4 et s.,<br />

pp. 69 et s.<br />

(39) Comm. Bruxelles, 6 mars 2001, inédit cité par Fr. Glansdorff, op. cit.,<br />

Aspects récents du droit des contrats, n o 6, p. 72.<br />

(40) A. Benabent, op. cit., n o 666, p. 351 et n o 568, p. 298.<br />

(41) R.T.D. civ., 1998, p. 901.<br />

(42) La théorie de la lésion qualifiée suffirait, à mon sens, à sauvegarder les intérêts<br />

du maître de l’ouvrage.<br />

(43) Op. cit., Aspects récents du droit des contrats, n o 11, p. 77.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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DU PRÊT<br />

Livre III - Titre X<br />

I. — INTRODUCTION<br />

Lorsque la Belgique devint indépendante, le Code civil des Français,<br />

voté près de trente ans plus tôt, était en vigueur sur son territoire. Les<br />

constituants décidèrent de le conserver, à tout le moins provisoirement<br />

(1). Le provisoire dure encore. On le sait, des pans entiers de ce Code<br />

ont été modifiés. Approche-t-on pour autant du « jour où le texte même<br />

du Code sera menacé de disparaître sous les modifications et additions<br />

successives » (2)? Nous nous livrons à l’exercice à propos du contrat de<br />

prêt.<br />

II. — DES RÈGLES STABLES ET GÉNÉRALES<br />

1. — Les textes<br />

Le titre X du livre III du Code civil est consacré au contrat de prêt. Promulgué<br />

le 19 mars 1804, il n’a subi que peu de remaniements. Deux des<br />

quarante et un articles originaires ont été modifiés (art. 1904 et 1907).<br />

Deux nouveaux articles ont été ajoutés (art. 1907bis et 1907ter).<br />

La première modification a été apportée à l’article 1904 par une loi du<br />

1 er mai 1913 (3). Le point de départ des intérêts dus par l’emprunteur<br />

est fixé, depuis lors, au jour de la sommation et non plus de la demande<br />

en justice. On retrouve pareille modification à l’article 1153. Les autres<br />

changements, tous introduits dans le chapitre consacré au prêt à intérêt,<br />

concernent le taux de l’intérêt (art. 1907), l’indemnité de remploi<br />

(art. 1907bis) et la lésion qualifiée (art. 1907ter). La version actuelle de<br />

l’article 1907 date de 1934 (4). C’est également en 1934 que fut inséré<br />

l’article 1907bis (5). L’article 1907ter a, quant à lui, été inséré par un<br />

arrêté royal de pouvoirs spéciaux de 1935 (6).<br />

2. — Une physionomie générale inaltérée<br />

Du constat que la partie du Code civil relative au prêt n’a subi que très<br />

peu de changements, à l’affirmation que la physionomie générale de ce<br />

contrat n’a pas subi les outrages du temps, il n’y a a priori qu’un pas.<br />

Rappelons, si besoin en est, que le prêt est ce contrat par lequel une chose<br />

est temporairement mise à la disposition d’autrui pour que celui-ci<br />

s’en serve. Selon que l’emprunteur est tenu d’exécuter son obligation de<br />

restitution in individuo ou in specie, le prêt sera qualifié de prêt à usage<br />

(ou commodat) ou de prêt de consommation (ou simple prêt).<br />

Mise à disposition d’une chose, usage et restitution sont les trois éléments<br />

essentiels du contrat de prêt. Sans qu’y soit adjointe la gratuité,<br />

ils ne permettraient toutefois pas toujours de distinguer le prêt du bail.<br />

La gratuité caractérise le prêt. Elle le fait cependant à des degrés divers :<br />

(1) Hanssens, « Le Code civil en Belgique », in Le Code civil 1804-1904 - Livre<br />

du centenaire, La société d’études législatives (éd.), t. 2, Paris, Arthur<br />

Rousseau, 1904, spéc. pp. 681 et 682.<br />

(2) A. Esmein, « L’originalité du Code civil », in Le Code civil 1804-1904 - Livre<br />

du centenaire, La société d’études législatives (éd.), t. 2, Paris, Arthur<br />

Rousseau, 1904, p. 21.<br />

(3) Art. 7 de la loi du 1 er mai 1913 sur le crédit des petits commerçants et artisans<br />

et sur les intérêts moratoires, M.B., 2 et 3 mai 1913.<br />

(4) Art. 1 er de la loi du 27 juill. 1934, M.B., 29 juill. 1934.<br />

(5) Art. 2 de la loi du 27 juill. 1934, M.B., 29 juill. 1934.<br />

(6) Art. 3 de l’A.R. n o 148 du 18 mars 1935, M.B., 20 mars 1935.


le prêt à usage est essentiellement gratuit (7) alors que le prêt de consommation<br />

ne l’est que naturellement. Autrement dit, elle est une exigence<br />

dans le premier cas, mais pas dans le second. Le prêt de consommation<br />

peut être rémunéré, sans risque de confusion cette fois avec le<br />

bail qui ne peut porter que sur des choses non consomptibles.<br />

3. — Une hésitation toutefois persistante :<br />

le sort du prêt à usage intéressé<br />

A suivre les travaux préparatoires du Code civil, qui se réfèrent notamment<br />

à R.-J. Pothier, le prêt à usage est un contrat de bienfaisance (8).<br />

Le désintéressement du prêteur serait absolu (9). Conclu moyennant le<br />

paiement d’un prix, il est disqualifié en louage de chose. L’idée de gratuité,<br />

inhérente au prêt à usage, est si bien acquise, que la doctrine<br />

actuelle, essentiellement française, marque une hésitation lorsque la<br />

mise à disposition, apparemment gratuite, a lieu dans le cadre de relations<br />

d’affaires. Serait-il, en effet, raisonnable, dans l’esprit du Code civil,<br />

de qualifier de prêt la mise à disposition non rémunérée de cuves à<br />

des pompistes par des sociétés pétrolières, celle de chariots à des clients<br />

par des commerçants, ou encore celle de pompes à bière à des cafetiers<br />

par des brasseurs (10)? Faut-il accepter ou rejeter l’idée de prêt dans<br />

pareilles hypothèses? Et dans le premier cas, faut-il voir une évolution<br />

dans la conception du prêt? Des nuances au désintéressement n’étaientelles<br />

pas déjà admises par les anciens?<br />

Au cours du siècle dernier, deux courants ont vu le jour. Certains conçoivent<br />

la gratuité dans un sens large. Parce que le prêt serait un contrat<br />

de bienfaisance participant de l’idée de service d’ami, il serait incompatible<br />

avec une opération d’affaire, par nature intéressée. Dans cette<br />

optique, la mise à disposition d’un bien par un commerçant ne serait jamais<br />

que l’accessoire d’un contrat principal (la vente de carburant, de<br />

marchandises ou de bière par exemple) ou constituerait, éventuellement,<br />

un contrat innomé (11). Il ne serait en tout cas pas question de<br />

prêt. D’autres conçoivent la gratuité dans un sens plus étroit, le fait que<br />

la mise à disposition émane d’un professionnel n’étant alors pas exclusive<br />

de l’idée de prêt (12). On observe toutefois que, dans ce dernier<br />

courant, une frange retient la qualification de prêt tout en admettant une<br />

certaine souplesse dans l’application des règles (13). Faut-il donner la<br />

préférence à un courant sur l’autre? Si la qualification de prêt est retenue,<br />

faut-il y voir un prêt dénaturé?<br />

(7) Art. 1876, C. civ.<br />

(8) « Exposé de motifs fait par M. Galli », in Locré, La législation civile, commerciale<br />

et criminelle de la France, ou commentaire et complément des Codes<br />

français, t. XV, Paris, Treutell et Würtz, 1828, p. 35; « Rapport fait au Tribunat<br />

par M. Boutteville », in Locré, ibidem, p. 44. Voy. aussi, L. Guillouard, Traités<br />

du prêt, du dépôt et du séquestre, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel (éd.),<br />

1892, p. 14, n o 11.<br />

(9) « Rapport fait au Tribunat par M. Boutteville », in Locré, op. cit., p. 46.<br />

(10) Ces exemples sont empruntés à A. Bénabent, Droit civil - Les contrats<br />

spéciaux, Paris, Montchrestien, 1993, p. 231, n o 412. Les mêmes exemples<br />

sont donnés par Fr. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux,<br />

5 e éd., Paris, Dalloz, 2001, p. 481, n o 605.<br />

(11) N. Decoopman, « La notion de mise à disposition », Rev. trim. dr. civ.,<br />

1981, spéc. p. 320, n o 45 (à propos de la mise à disposition de caddies). Cet<br />

auteur parle parfois de simple concession d’usage (p. 320, n o 46). Voy. aussi,<br />

Ph. Malaurie et L. Aynès, Cours de droit civil - Les contrats spéciaux civils et<br />

commerciaux, 10 e éd., Paris, Cujas, 1997, p. 522, n o 911 in fine.<br />

(12) Fr. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., p. 481, n o 605. Voy. aussi,<br />

J.-A. Dupeyroux, Contribution à la théorie générale de l’acte à titre gratuit,<br />

préf. de J. Maury, Paris, L.G.D.J., 1955, p. 101.<br />

(13) J. Huet, « Les principaux contrats spéciaux », 2 e éd., in Traité de droit civil,<br />

sous la dir. de J. Ghestin, Paris, L.G.D.J., 1996, p. 919, n o 22109 : « Dans<br />

ces différents cas, on admet volontiers que l’opération constitue un véritable<br />

prêt, même si l’on infléchit parfois les règles de ce contrat pour tenir compte<br />

du contexte intéressé dans lequel il s’inscrit, notamment afin de rendre plus<br />

stricte la responsabilité de celui qui met ainsi une chose à la disposition<br />

d’autrui ». Voy. aussi, R. Fabre, « Le prêt à usage en matière commerciale »,<br />

Rev. trim. dr. civ., 1977, spéc. pp. 217 à 238.<br />

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Confrontée à des situations dans lesquelles le prêt est le fait d’un professionnel,<br />

la jurisprudence belge est hésitante, pour ne pas dire divergente.<br />

Sans procéder à une analyse exhaustive, relevons un arrêt de la<br />

cour d’appel de Bruxelles qui exclut l’idée du prêt dans une relation<br />

nouée entre un artiste et un organisateur d’expositions. L’artiste avait<br />

mis à la disposition de l’organisateur ses toiles. La cour ne retint pas la<br />

qualification de prêt au motif que l’exposition des tableaux devait procurer<br />

à l’artiste une certaine renommée et donc, la possibilité de les vendre<br />

(14). Relevons, également, un arrêt de la cour d’appel de Mons qui,<br />

de la même manière, écarte la qualification de prêt dans une espèce où<br />

un garagiste avait essayé la voiture d’un particulier. Celui-ci lui aurait,<br />

en effet, confié son véhicule, non pas pour rendre service au garagiste,<br />

mais pour éprouver un plaisir personnel à faire apprécier par un connaisseur<br />

la bonne marche de sa voiture (15). Quelques années plus tard,<br />

cette même cour retient cette fois le prêt pour qualifier la relation contractuelle<br />

entre le propriétaire et le garagiste à qui fut confié un véhicule,<br />

pour essai, dans le but d’une vente éventuelle (16). Par le passé, la<br />

cour d’appel de Bruxelles avait, elle aussi, retenu l’idée du prêt à propos<br />

de la mise à disposition de matériel d’imprimerie en vue de l’exécution<br />

de commandes (17).<br />

L’hésitation dont témoigne la jurisprudence nous paraît provenir d’une<br />

confusion entre l’intérêt au contrat et la gratuité de celui-ci, entendue<br />

dans le sens étroit d’absence de contrepartie directe. Le droit romain,<br />

dont nous vient en droite ligne le commodat, admettait le prêt intéressé,<br />

c’est-à-dire le prêt conclu tant dans l’intérêt de l’emprunteur que dans<br />

celui du prêteur (18). Troplong, qui fait référence aux jurisconsultes<br />

romains, envisage même des hypothèses où le seul intérêt du prêteur est<br />

la cause déterminante du contrat (19). Que celui-ci tire un intérêt de<br />

l’opération ne devrait, dès lors, pas constituer un argument en défaveur<br />

systématique du prêt (20). Si, « en général, il est une libéralité dont le<br />

but est de rendre service à autrui, et non pas de faire quelque chose de<br />

profitable à soi-même » (21), le prêt « ne répugne cependant pas à son<br />

essence que cette libéralité ait pour mobile l’intérêt commun du prêteur<br />

et de l’emprunteur » (22). La jurisprudence, dit encore Troplong, « ne<br />

déclasse pas le contrat de prêt, alors que dans certains cas particuliers,<br />

la pensée qui porte un homme à prêter a été mêlée d’un retour sur soimême,<br />

ou d’une vue secondaire d’utilité; par cela seul que l’utilité n’est<br />

pas le but primitif, principal, le contrat reste dépendant de la catégorie<br />

des contrats de bienfaisance » (23). La libéralité que constitue, pour<br />

l’emprunteur, la remise de la chose, est donc une libéralité qui diffère<br />

fondamentalement de la donation. Outre, comme on vient de le voir,<br />

qu’elle peut profiter au prêteur lui-même, elle ne durera, en toutes<br />

hypothèses, qu’un temps.<br />

Dans ces conditions, il nous paraît que la qualification de prêt n’est pas<br />

incompatible avec le caractère commercial du contexte dans lequel il<br />

prend place. Comme l’écrivait P. Pont, « bienveillance et gratuité (...)<br />

peuvent n’être pas exemptes d’un certain calcul. Celui qui prête peut<br />

(14) Bruxelles, 6 e ch., 22 juin 1989, Pas., 1990, II, p. 54.<br />

(15) Mons, 1 re ch., 10 févr. 1976, Pas., 1977, II, p. 14.<br />

(16) Mons, 7 e ch., 23 avril 1993, Pas., 1992, II, p. 184.<br />

(17) Bruxelles, 3 e ch., 7 déc. 1977, J.T., 1978, p. 330. Dans le même sens, voy.<br />

Civ. Namur, 2 e ch., 23 avril 2002, J.L.M.B., 2003, p. 658 (somm.).<br />

(18) R. Fabre, op. cit., p. 199. Citant di Marino, il donne l’exemple du dîner<br />

« donné par deux personnes à un ami commun, dîner à l’occasion duquel l’une<br />

d’entre elles prêtait à l’autre son argenterie » (G. di Marino, J-Cl. civ., « Prêt à<br />

usage et prêt de consommation » (art. 1874 et s.), fasc. B, § 58, qui cite L. 18<br />

praem. I.I.).<br />

(19) Troplong, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du Code - Du<br />

prêt, du dépôt et du séquestre et des contrats aléatoires, Bruxelles, Société typographique<br />

belge, 1845, p. 2, n o 3. Il cite l’exemple du fiancé qui prête des bijoux<br />

à sa promise voulant que celle-ci paraisse plus parée. Cet exemple est l’un<br />

de ceux donnés par Ulpien (voy., L. Guillouard, op. cit., p. 15, n o 11).<br />

(20) Dans son traité, L. Guillouard se range finalement à cette idée (op. cit.,<br />

p. 14, n o 11, comp. les premiers et les derniers mots).<br />

(21) Troplong, op. cit., p. 1, n o 22.<br />

(22) Ibidem.<br />

(23) Ibidem, p. 2, n o 3.<br />

2004<br />

323


2004<br />

324<br />

avoir une arrière-pensée » (24). Observons, du reste, que les auteurs<br />

belges ont marqué un étonnement appuyé lorsque la Cour de cassation<br />

ajouta à la définition du prêt l’idée que le prêteur avait la volonté de rendre<br />

service à l’emprunteur sans en obtenir aucun avantage (25). La qualification<br />

de prêt pourrait ainsi être retenue toutes les fois qu’une chose<br />

sera remise à la disposition de l’un des contractants en guise d’accessoire<br />

utile ou nécessaire (26) et pour autant, devrions-nous sans doute ajouter,<br />

qu’elle ne conduise pas à un dépeçage contractuel artificiel. Autre<br />

chose serait toutefois de se demander si la nature du prêt intéressé ne<br />

justifie pas que lui soient appliquées des règles particulières (27). Cette<br />

suggestion, n’est sans doute pas, à ce stade, l’objet d’une réflexion<br />

aboutie. Il nous paraît, en tout cas, utile de garder le droit romain en<br />

ligne de mire pour éclairer le débat sur la portée qu’il convient de donner<br />

à la notion de gratuité.<br />

4. — Un corps de règles stables<br />

Partant du principe que le Code ne devait contenir « que des règles<br />

éternelles » (28), les constituants n’ont pas souhaité y introduire des données<br />

par trop variables. En matière de prêt, ce principe fut appliqué au<br />

taux de l’intérêt légal « qui est variable par nature » (29). Il fut toutefois<br />

décidé de laisser au législateur le soin de le fixer (30). L’article 1907,<br />

alinéa 1 er , aux termes duquel, notamment, « l’intérêt légal est fixé par la<br />

loi », appelait donc, dès l’origine, un complément. Ce complément lui fut<br />

donné par une loi du 3 septembre 1807 qui fixa l’intérêt légal à 5% en matière<br />

civile et à 6% en matière commerciale (31). Aujourd’hui encore, le<br />

taux de l’intérêt est fixé dans une loi particulière (32). Il est désormais<br />

identique en matières civile et commerciale (33). Depuis 1970, le régime<br />

de modification du taux est assoupli puisqu’il « peut être modifié par arrêté<br />

royal délibéré en conseil des ministres » (34).<br />

5. — Un corps de règles générales<br />

La rédaction du Code civil doit beaucoup au travail des jurisconsultes<br />

français qui créèrent un droit commun coutumier « en réduisant dans la<br />

mesure du possible et déconsidérant les règles particulières » (35). A<br />

propos du prêt à tout le moins, l’idée selon laquelle le Code civil constitue<br />

le droit commun paraît subsister. Si ce droit se morcelle au fil du<br />

temps (36), c’est en dehors du Code civil que prennent place les législations<br />

particulières. Certaines d’entre elles sont inspirées du travail<br />

législatif européen (37). L’importance de ces législations spécifiques est<br />

(24) P. Pont, Explication théorique et pratique du Code civil, t. VIII, Paris, Delamotte<br />

et fils, 1877, p. 11, n o 21.<br />

(25) L. Simont, J. De Gavre et P. A. Foriers, « Examen de jurisprudence (1976<br />

à 1980) - Les contrats spéciaux (3 e partie) », R.C.J.B., 1986, p. 362, n o 190, à<br />

propos de Cass., 29 nov. 1963, Pas., 1964, I, p. 342.<br />

(26) R. Fabre, op. cit., p. 216, n o 35.<br />

(27) En se sens, voy. R. Fabre, op. cit., spéc. pp. 217 à 238; J. Huet, op. cit.,<br />

p. 919, n o 22109; Ph. Rémy, « Jurisprudence française en matière de droit civil<br />

- Contrats spéciaux », Rev. trim. dr. civ., 1984, p. 122, n o 4.<br />

(28) Locré, op. cit., p. 69.<br />

(29) Ibidem.<br />

(30) Ibidem.<br />

(31) Cette loi est notamment publiée in Locré, op. cit., p. 65. Elle a été modifiée<br />

à plusieurs reprises (voy., par ex., l’article 1 er de la loi du 20 décembre 1890,<br />

M.B., 25 déc. 1890 et l’article 1 er de la loi du 30 décembre 1925, M.B., 2-<br />

3 janv. 1926).<br />

(32) Loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, M.B., 7 mai 1865.<br />

(33) Art. 2 de la loi du 5 mai 1865.<br />

(34) Ibidem.<br />

(35) A. Esmein, op. cit., p. 18.<br />

(36) P. Wéry, « La loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de<br />

paiement dans les transactions commerciales et ses incidences sur le régime des<br />

clauses pénales », J.T., 2003, p. 882, n o 32.<br />

(37) Voy. notamment la directive 87/102/C.E.E. du Conseil du 22 décembre<br />

1986 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et<br />

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loin d’être négligeable (38). Bien que le contrat de prêt soit le soutien<br />

du droit du crédit, c’est en dehors du Code civil qu’a pris place la réglementation<br />

de ce droit. Non intégrées dans le Code civil, les législations<br />

particulières n’ont donc pas porté atteinte à la cohérence de son titre X.<br />

Encore faut-il que l’on ait pu parler de cohérence... Nous y venons.<br />

III. — DES RÈGLES IMPARFAITES<br />

ET UN CHAPITRE PERFECTIBLE<br />

6. — Un solide édifice?<br />

Le titre X du Code civil n’a pas subi de profondes modifications. La<br />

partie consacrée au commodat n’en a même subi aucune. Et pourtant, le<br />

travail des commissaires du Consulat, parfois décrit comme un « solide<br />

édifice » (39), n’était sans doute pas parfait.<br />

7. — Des textes trompeurs<br />

On relève, tout d’abord, dans le titre X, certains textes trompeurs.<br />

L’apparente tromperie provient de ce que des textes ne concernent que<br />

le quod plerumque fit. Ainsi, les articles 1874 et 1892 qui donnent à<br />

penser que le prêt à usage porte sur des choses non consomptibles et le<br />

prêt de consommation sur des choses consomptibles, alors que c’est la<br />

fongibilité qui, en réalité, constitue le critère de distinction entre les<br />

deux types de prêt. La volonté des parties est, en effet, le premier élément<br />

à prendre en considération en vue de déterminer la nature du prêt.<br />

La nature de la chose prêtée n’intervient qu’à titre subsidiaire (40). Ainsi<br />

encore, l’article 1877 qui précise que le prêteur demeure propriétaire<br />

de la chose prêtée. Sans doute, ce texte a-t-il pour vocation première de<br />

mettre en évidence le caractère non translatif du prêt. Il ne faudrait toutefois<br />

pas en déduire que seul le propriétaire a la capacité requise pour<br />

prêter. On peut, en effet, prêter la chose d’autrui (41).<br />

8. — Des textes imparfaits<br />

Quelques articles donnent encore lieu à discussions aujourd’hui, en raison<br />

d’une rédaction imparfaite. Ainsi, l’article 1855 qui précise que<br />

« l’emprunteur ne peut pas retenir la chose par compensation de ce que<br />

le prêteur lui doit ». H. De Page, par exemple, parle d’une « disposition<br />

étrange, qui se conçoit sur le terrain de la délicatesse (...), mais qui est<br />

beaucoup plus malaisée à expliquer sur le terrain du droit » (42). L’article<br />

traite-t-il de compensation ou de rétention? N’écarte-t-il pas plutôt<br />

l’exceptio non adimpleti contractus? Si les commentateurs s’accordent<br />

à dire que la compensation est naturellement inapplicable dans le contexte<br />

du prêt, parce que les dettes ne sont pas fongibles, l’unanimité disparaît<br />

en ce qui concerne le droit de rétention. Exclu pour certains (43),<br />

administratives des Etats membres en matière de crédit à la consommation,<br />

J.O.C.E., n o L 042, 12 févr. 1987, pp. 48 à 53.<br />

(38) On pense essentiellement à deux lois : la loi du 12 juin 1991 relative au crédit<br />

à la consommation et la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire.<br />

(39) A. Esmein, op. cit., p. 18.<br />

(40) G. Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, t. III, 6 e éd., Paris, Librairie<br />

de la société du « Recueil général des lois et des arrêts », 1898, p. 506, n o 803<br />

et p. 516, n o 822; M. Clavie, « Le prêt », in Les contrats spéciaux, Liège, Formation<br />

permanente C.U.P., vol. XXXIV, nov. 1999, p. 73, n o 2; H. De Page et<br />

R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge, t. V, 2 e éd., Bruxelles,<br />

Bruylant, 1975, p. 122, n o 114 et p. 133, n o 120; J. Huet, op. cit., p. 922,<br />

n o 22113; P. Pont, op. cit., pp. 4 à 6, spéc. n o 11.<br />

(41) Troplong, op. cit., p. 14, n o 38 et p. 32, n o 106.<br />

(42) H. De Page et R. Dekkers, op. cit., p. 140, n o 133.<br />

(43) Bruxelles, 7 déc. 1977, J.T., 1978, p. 330. P. Van Ommeslaghe parle, à<br />

propos de cette décision, d’une interprétation extensive de l’article 1885 du


il subsiste pour d’autres (44). L’exposé de motifs fait par M. Galli n’est<br />

pas éclairant (45). Par contre, le discours prononcé par M. Albisson, le<br />

9 mars 1804, donne à penser que l’article 1855 du Code ne serait qu’une<br />

redite de l’article 1293 et ne renfermerait qu’une exception au principe<br />

de compensation (46). A s’en tenir à ce discours, il conviendrait donc<br />

de reconnaître effectivement à l’emprunteur un droit de rétention sur la<br />

chose prêtée. Mais tous les commentateurs ne s’y sont pas tenus, avec<br />

pour conséquence les divergences d’interprétation que l’on connaît.<br />

Quoique plus récents, les alinéas 2 et 4 de l’article 1907 donnent aussi<br />

lieu à discussions. Une controverse est née quant à leur exacte portée.<br />

L’alinéa 4 constitue-t-il une disposition autonome applicable à tous les<br />

prêts à intérêts ou doit-il être lu comme constituant la sanction de l’obligation<br />

contenue à l’alinéa 2? Dans ce cas, il ne concernerait que les conventions<br />

de prêts remboursables au moyen d’annuités (47). A cet égard,<br />

le texte originaire de l’article 1907, plus concis, était aussi plus clair :<br />

« le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ». En France,<br />

ce texte est encore d’application (48). Ne faudrait-il pas, en Belgique<br />

aussi, en revenir à un texte plus clair (49)?<br />

9. — Des textes nébuleux<br />

Il y a aussi certaines dispositions nébuleuses. Ainsi, en va-t-il de<br />

l’article 1906 qui empêche l’emprunteur de répéter des intérêts payés,<br />

qui n’étaient pas stipulés. Les commentateurs ont donné à ce texte au<br />

moins deux fondements distincts. Pour certains, le texte serait l’expression<br />

d’une obligation naturelle. Pour d’autres, il serait le reflet d’une<br />

convention tacite sur les intérêts (50). Dans sa thèse de doctorat,<br />

Chr. Biquet a expliqué pourquoi sa préférence allait à la seconde conception.<br />

Elle a aussi montré que le choix d’une conception, au détriment<br />

de l’autre, avait des incidences, à son sens, sur l’obligation de poursuivre<br />

le paiement des intérêts futurs (51). A cet égard, le travail de la doctrine<br />

était sans doute inévitable. Les travaux préparatoires, fort laconiques<br />

et obscurs, n’aident, en effet, pas à la compréhension du texte.<br />

Pourquoi le législateur ne l’éclairerait-il pas une fois pour toutes?<br />

10. — Des textes égarés<br />

Il a y enfin des textes dont la place dans le titre consacré au contrat de<br />

prêt est discutable. Le principe du nominalisme monétaire, contenu<br />

dans l’article 1895 du Code, concerne, par exemple, toute obligation de<br />

restitution ou de paiement d’une somme d’argent (52). L’article 1907<br />

Code civil (« La sanction de l’inexécution du contrat », in Les obligations contractuelles,<br />

Bruxelles, Jeune barreau, 1984, p. 237, n o 43bis). En doctrine, voy.<br />

H. De Page et R. Dekkers, op. cit., p. 140, n o 133; Troplong, op. cit., p. 39,<br />

n o 127 (excepté le cas des impenses faites pour améliorer ou conserver la<br />

chose, p. 39, n o 128).<br />

(44) P. Coppens et Fr. T’Kint, « Examen de jurisprudence (1974 à 1979) - Les<br />

faillites et les concordats », R.C.J.B., 1979, p. 391, n o 63; J. Huet, op. cit.,<br />

p. 967, n o 22160; B. Tilleman et F. Baudoncq, « Deel 2. Bijzondere overeenkomsten.<br />

C. Bruikleen, bewaargeving en sekwester », in Beginselen van Belgisch<br />

privaatrecht - X. Overeenkomsten, Anvers, E. Story-Scientia, 2000,<br />

p. 436, n o 927 et p. 607, n o 1296.<br />

(45) « Exposé de motifs par M. Galli », in Locré, op. cit., pp. 34 et s.<br />

(46) « Discours prononcé par M. Albisson », in Locré, op. cit., p. 58.<br />

(47) Pour rappel, l’alinéa 4 de l’article 1907, introduit en 1934, réduit le taux<br />

de l’intérêt au taux légal, à défaut de détermination du taux conventionnel dans<br />

une clause spéciale de la convention de prêt.<br />

(48) Chr. Biquet-Mathieu, Le sort des intérêts dans le droit du crédit - Actualité<br />

ou désuétude du Code civil?, Liège, éd. Collection scientifique de la Faculté de<br />

droit de Liège, 1998, p. 580, n o 326; J. Huet, op. cit., p. 598, n o 22518.B.<br />

(49) Pour de nouvelles propositions, voy. Chr. Biquet-Mathieu, op. cit., p. 595.<br />

(50) Chr. Biquet-Mathieu, op. cit., pp. 61 à 87, spéc. n o 29 à 33.<br />

(51) Ibidem, spéc. le n o 44.<br />

(52) M. Clavie, op. cit., p. 92, n o 22; H. De Page et R. Dekkers, op. cit., p. 150,<br />

n o 145, J. Huet, op. cit., p. 913, n o 22100.<br />

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est, lui aussi, mal placé. Comme l’a fait observer Chr. Biquet, « la<br />

vocation supplétive du taux légal relève de la théorie générale des obligations<br />

et, partant, déborde largement la matière du prêt à intérêt » (53).<br />

Il en va de même de la légitimité de l’intérêt ou de la liberté dans la fixation<br />

de l’intérêt conventionnel (54). Le plus surprenant, pour un lecteur<br />

contemporain, reste toutefois la place des articles 1909 à 1914. Ces six<br />

dispositions concernent la rente perpétuelle et la rente viagère (55). La<br />

constitution d’une rente n’est pas, à proprement parler, même si elle<br />

s’en rapproche, un prêt et ce n’est que parce qu’à une époque, antérieure<br />

au Code civil, elle servait de substitut au prêt à intérêt, alors interdit,<br />

qu’elle s’en est trouvée rapprochée (56). Le déplacement de ces quelques<br />

articles ne serait-il pas heureux?<br />

IV. — DES RÈGLES<br />

ET DES CARACTÉRISTIQUES DÉSUÈTES<br />

11. — Le poids des ans<br />

Outre les imperfections qui, dès l’origine, affectèrent le titre X du Code<br />

civil, celui-ci s’est aussi ridé avec les années. L’obsolescence se fait<br />

sentir çà et là. Au-delà des dispositions dépassées, on relève aussi quelques<br />

principes traditionnels susceptibles d’être remis en cause.<br />

12. — Quelques dispositions désuètes<br />

Ce sont essentiellement des dispositions relevant du chapitre consacré<br />

au prêt à intérêt qui font aujourd’hui l’objet de critiques. Nous relevons,<br />

à cet égard, des observations que suscitent les articles 1907 et 1907bis.<br />

13. — L’article 1907<br />

Premièrement, l’article 1907 dispose, en son alinéa 1 er , inchangé depuis<br />

1804, que « l’intérêt conventionnel peut excéder celui de la loi toutes les<br />

fois que la loi ne le prohibe pas ». Ce fut l’affirmation, timide a-t-on<br />

écrit (57), de la liberté du taux du loyer de l’argent. On se souvient qu’en<br />

autorisant le prêt à intérêt, le Code civil rompait avec l’ancien droit.<br />

C’est, du reste, cette rupture qui occupe l’essentiel des travaux préparatoires<br />

consacrés au prêt. On sait aussi qu’en permettant qu’une loi limite<br />

le taux de l’intérêt conventionnel, les constituants tentaient un compromis<br />

entre les partisans et adversaires de la permission générale de stipuler<br />

des intérêts. Et dans un premier temps, une loi a effectivement plafonné<br />

au taux légal le taux de l’intérêt conventionnel (58). Cette restriction<br />

a été abrogée. Le taux de l’intérêt conventionnel peut donc<br />

aujourd’hui excéder le taux de l’intérêt légal. Là, réside d’ailleurs l’intérêt<br />

de le stipuler. Concevrait-on toutefois encore aujourd’hui qu’une<br />

loi interdise de convenir d’un taux d’intérêt supérieur au taux de l’intérêt<br />

légal, censé refléter le taux d’intérêt ordinaire (59). Dans cette mesure,<br />

l’alinéa 1 er , in fine, doit-il encore être maintenu? N’est-il pas devenu<br />

obsolète?<br />

(53) Chr. Biquet-Mathieu, op. cit., p. 94, n o 48.<br />

(54) Ibidem, p. 732.<br />

(55) L’article 1914 ne fait, en réalité, qu’effleurer la rente viagère puisqu’il<br />

renvoie au titre des contrats aléatoires.<br />

(56) H. De Page et R. Dekkers, op. cit., p. 186, n o 176; J. Huet, op. cit., p. 913,<br />

n o 22100; B. Vanbrabant, « La rente et la galette : à propos du remboursement<br />

anticipé d’un crédit », Rev. not., 2002, p. 15, note 27.<br />

(57) V. Thiry, Cours de droit civil, t. 4, Paris-Liège, 1893, p. 156, n o 168, cité<br />

par Chr. Biquet-Mathieu, op. cit., p. 98, n o 51.<br />

(58) Art. 1 er de la loi du 3 septembre 1807.<br />

(59) Chr. Biquet-Mathieu, op. cit., pp. 100 et 101, n o 51.<br />

2004<br />

325


2004<br />

326<br />

14. — L’article 1907bis<br />

L’article 1907bis du Code civil concerne l’hypothèse d’un remboursement<br />

total ou partiel, mais anticipé, du prêt. Il réglemente plus précisément<br />

l’indemnité de remploi qui peut être réclamée à cette occasion, en<br />

la plafonnant à six mois d’intérêts, calculés d’une manière bien précise.<br />

Le texte doit manquer de clarté : il suscite la polémique. Certains voient<br />

dans l’indemnité de remploi une clause pénale, là où d’autres parlent du<br />

prix de l’exercice d’une faculté de remboursement anticipé (60). On sait<br />

que la Cour de cassation distingue les deux institutions (61). Au-delà de<br />

la question de qualification, au demeurant importante compte tenu de la<br />

réglementation applicable aux clauses pénales, se pose celle de la nécessité<br />

de maintenir dans le Code civil, une disposition plafonnant de manière<br />

uniforme pour tous les crédits le dommage que subit le prêteur du<br />

fait du remboursement anticipé. Cette question se pose d’autant plus<br />

que la durée d’improductivité fixée par l’article 1907bis paraît<br />

aujourd’hui largement excessive (62). Ne conviendrait-il pas d’envisager<br />

une réforme de l’article 1907bis?<br />

15. — Quelques caractéristiques<br />

susceptibles d’être remises en cause<br />

Le contrat de prêt est régi par les dispositions du titre X du Code civil,<br />

mais aussi par quelques principes qui n’y figurent pas expressis verbis.<br />

Ces principes découlent du caractère juridique que l’on attribue traditionnellement<br />

au contrat de prêt : celui-ci serait un contrat réel (63). Ce<br />

caractère réel du contrat de prêt, écrit-on généralement, est consacré par<br />

les articles 1875 et 1892 du Code (64). Dès lors qu’il ne se formerait que<br />

par la remise de la chose, le prêt serait un contrat unilatéral, se substituant,<br />

au besoin, à une promesse bilatérale de prêt. C’est cette dernière<br />

qualification que devrait recevoir l’accord des parties tant que la chose<br />

n’a pas été remise à l’emprunteur. Et puisqu’il constitue un contrat unilatéral,<br />

le prêt ne serait pas susceptible de résolution judiciaire (65).<br />

Indépendamment du bien-fondé de cette deuxième conséquence et de sa<br />

remise en cause éventuelle (66), le caractère artificiel de la substitution,<br />

relevé ci-dessus, ne devrait-il pas au moins conduire à une étude approfondie<br />

de la réalité qui colle au contrat de prêt? En guise d’incitants à<br />

l’initiative de pareille étude, relevons les premières étapes d’une remise<br />

en cause du caractère réel du contrat de prêt par la Cour de cassation<br />

(60) L. Simont et P. A. Foriers, « Examen de jurisprudence (1981 à 1991)—<br />

Les contrats spéciaux », R.C.J.B., 2001, p. 486, n o 248, et réf. cit. Pour sa part,<br />

Chr. Biquet-Mathieu adopte l’une ou l’autre qualification selon que le remboursement<br />

anticipé fait suite à la déchéance du terme ou à une fin volontaire<br />

du contrat (op. cit., p. 616, n o 341).<br />

(61) M. Clavie et I. Durant, « Des zones d’ombre déjà anciennes aux interrogations<br />

nouvelles ou quelques questions relatives à l’article 1794 du Code civil »,<br />

in Contrat d’entreprise et droit de la construction, M. Vanwijck-Alexandre<br />

(éd.), Liège, Formation permanente C.U.P., vol. 63, 2003, p. 241, n os 31 et s.<br />

(62) Chr. Biquet-Mathieu, op. cit., spéc. p. 640.<br />

(63) H. De Page et R. Dekkers, op. cit., p. 125, n o 116; P. Pont, op. cit., p. 7,<br />

n o 12; L. Simont et P. A. Foriers, op. cit., R.C.J.B., 2001, p. 474, n o 241; Troplong,<br />

op. cit., p. 3, n o 6; A. Verbeke, « Actualia lening en bewaargeving », in<br />

Bijzondere overeenkomsten - Themis. Vormingsonderdeel 14, Bruges, Die Keure,<br />

2003, p. 34.<br />

(64) H. De Page et R. Dekkers, op. cit., p. 126, n o 117; Ph. Malaurie et<br />

L. Aynès, Droit civil - Les obligations, 7 e éd., Paris, Cujas, 1996, p. 192,<br />

n o 327; S. Piedelièvre, « Vers la disparition des contrats réels? », note sous<br />

Cass. fr., 1 re ch. civ., 28 mars 2000, Le Dalloz, 2000, jur. - comm., p. 43.<br />

(65) M. Clavie, op. cit., p. 102; S. Michaux, « Le prêt », in Les contrats spéciaux<br />

- Chronique de jurisprudence : 1996-2000, Bruxelles, Larcier, 2002,<br />

p. 76, n o 111.<br />

(66) Certains auteurs sont favorables à l’idée d’une résolution judiciaire des<br />

contrats de prêt, en tout cas, dans l’hypothèse du prêt à intérêt. L’existence<br />

d’obligations corrélatives constituerait un fondement suffisant à l’application<br />

de l’article 1184 du Code civil. Voy. notam. à ce sujet, S. Stijns, De gerechtelijke<br />

en de buitengerechtelijke ontbinding van overeenkomsten, Anvers, Maklu,<br />

1994, p. 154, n o 99 et p. 159, n o 100, Voy. aussi, Ph. Malaurie et L. Aynès,<br />

Droit civil - Les obligations, op. cit., p. 423, n o 739.<br />

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française (67), ainsi que la disparition de ce caractère dans les prêts régis<br />

par la loi sur le crédit à la consommation (68). Les contrats régis par<br />

cette loi sont consensuels et formels (69). Au terme de cette étude, on<br />

en viendrait peut-être à conclure que le caractère réel du contrat de prêt<br />

est une idée obsolète (70). A moins qu’il ne faille se ranger à l’idée que<br />

la traditio n’est chassée que là où s’installe un certain formalisme protecteur<br />

de l’emprunteur (71)?<br />

V. — SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES<br />

16. — Synthèse<br />

On peut résumer en trois temps les quelques considérations qui précèdent.<br />

Premièrement, l’œuvre des constituants fut, a priori, de bonne<br />

facture : peu de changements ont été apportés aux textes. Les idées<br />

directrices des constituants et de leurs prédécesseurs ont été sauvegardées<br />

: le Code civil est un corps de règles stables et générales. A ce premier<br />

constat, une réserve toutefois : des hésitations sont apparues concernant<br />

la véritable portée de la gratuité inhérente au commodat.<br />

Deuxièmement, l’édifice, apparemment solide, présentait toutefois, dès<br />

l’origine, des faiblesses : textes trompeurs, imparfaits, nébuleux, voire<br />

égarés, maculent le titre X du Code. Troisièmement, avec le temps,<br />

quelques textes sont, par ailleurs, devenus obsolètes. Il pourrait aussi en<br />

aller ainsi du caractère réel attaché au prêt.<br />

17. — Perspectives<br />

Compte tenu de ce qui précède, il nous paraît, très modestement, que le<br />

titre X du livre III du Code civil a encore de belles années devant lui,<br />

pour autant peut-être qu’on lui apporte quelques retouches. Il s’agirait<br />

de remédier à certaines imperfections qui l’affectent depuis 1804 et à la<br />

désuétude qui s’est installée çà et là. Devrait être gardée à l’esprit l’idée<br />

que le Code est un corps de règles suffisamment stables et générales.<br />

Ces modifications pourraient, par ailleurs, être l’occasion d’une remise<br />

en cause de la réalité que l’on prête, de trop longue date peut-être, au<br />

contrat... de prêt.<br />

Isabelle DURANT<br />

Avocat au barreau de Bruxelles<br />

Assistante à l’U.C.L.<br />

(67) Dans un premier temps, la Cour de cassation française a dit qu’étaient des<br />

contrats consensuels les crédits immobiliers régis par la loi sur le crédit à la<br />

consommation (Cass. fr., 1 re ch., 27 mai 1998, Defrénois, 1999, p. 21, note<br />

S. Piedelièvre; Rec. D., 1999, somm. comm., p. 28, note M.-N. Jobard-Bachellier;<br />

J.C.P., 2000, jur., n o 10296, concl. J. Sainte-Rose; R.D.C., 2000, p. 227,<br />

note B. Du Laing, « Naar een veralgemeende afwijzing van het zakelijk karakter<br />

van de geldlening? »). Plus récemment, la haute juridiction française a dit<br />

du prêt consenti par un professionnel du crédit qu’il n’était pas un contrat réel<br />

(Cass. fr., 1 re ch., 28 mars 2000, Le Dalloz, 2000, jur. - comm., p. 482, note<br />

S. Piedelièvre, « Vers la disparition des contrats réels? »). En doctrine, voy.<br />

aussi, M.-N. Jobard-Bachellier, « Existe-t-il encore des contrats réels en droit<br />

français? Ou la valeur des promesses de contrat réel en droit positif », Rev. trim.<br />

dr. civ., 1985, pp. 1 à 62. En Belgique, voy. A.-M. Stranart-Thilly, « Le gage,<br />

contrat réel : une fiction? », J.T., 1976, spéc. p. 239. Cet auteur ne réserve la<br />

qualification de contrat réel qu’au don manuel et à la vente à tempérament.<br />

(68) E. Balate, P. Dejemeppe et Fr. de Patoul, Le droit du crédit à la consommation,<br />

Bruxelles, De Boeck, 1995, p. 56, n o 63.<br />

(69) Y. Merchiers, Bijzondere overeenkomsten, 7 e éd., Anvers, Kluwer, 2000,<br />

p. 332.<br />

(70) J. Huet, op. cit., p. 937, n o 22129; B. Tilleman, op. cit., p. 428, n o 906.<br />

(71) S. Piedelièvre, op. cit., Defrénois, 1999, p. 23.


LES CONTRATS ALÉATOIRES<br />

Livre III - Titre XII<br />

I. — INTRODUCTION<br />

1. — Le bicentenaire du Code civil fournit naturellement l’occasion de<br />

vérifier si ce monument historique voué, d’après ses auteurs, à l’éternité,<br />

a bien résisté à l’épreuve du temps. A propos des contrats aléatoires,<br />

la réponse ne peut être que mitigée.<br />

Les auteurs du Code civil ne pouvaient en effet se douter que la découverte<br />

des lois du hasard, révélées déjà par Pascal, Fermat et Huygens au<br />

XVII e siècle et développées ensuite par Bernouilli, allaient fournir les<br />

bases d’une nouvelle science, celle des probabilités, et ainsi permettre<br />

l’éclosion d’une activité économique nouvelle fondée sur la mutualisation<br />

des risques. Sans qu’on puisse leur en faire le reproche, les codificateurs<br />

n’ont pas anticipé l’avènement de la société assurantielle. Il faut<br />

se rappeler qu’au moment où le titre XII du Code civil est rédigé, les assurances<br />

sur la vie et les assurances de responsabilité sont encore réputées<br />

contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs.<br />

Plus généralement, la science des probabilités permet d’examiner les<br />

contrats aléatoires sous un jour nouveau. Si le hasard répond à des lois,<br />

il est possible d’attribuer une valeur économique à la chance de gain ou<br />

de perte qui se situe au centre de ces contrats. Le contrat aléatoire n’est<br />

donc plus ce saut dans l’inconnu, qui a influencé la rédaction de plusieurs<br />

articles du Code. C’est d’ailleurs cette familiarisation progressive<br />

avec les règles du hasard qui a permis le développement remarquable de<br />

l’assurance (1).<br />

II. — LES CONTRATS ALÉATOIRES<br />

DANS LE CODE CIVIL<br />

2. — Les travaux préparatoires du Code civil vantent largement les mérites<br />

des contrats aléatoires, « produits d’une civilisation bien avancée »<br />

(2). Comme l’indique Portalis, « Enoncer le principe des contrats aléatoires,<br />

c’est avoir suffisamment justifié la légitimité de ces contrats.<br />

Quoi de plus légitime que de mettre en commun nos craintes, nos espérances<br />

et toutes nos affections, pour ne pas abandonner entièrement au<br />

hasard ce qui peut être réglé par le conseil, et pour nous aider mutuellement<br />

par des pactes secourables à courir avec moins de danger les diverses<br />

chances de la vie? » (3).<br />

Les éloges du rapporteur de la section de législation s’adressent principalement<br />

au contrat d’assurance et au prêt à la grosse aventure. Les<br />

mêmes vertus ne sont pas reconnues à tous les contrats aléatoires. Bien<br />

au contraire, l’article 1964 du Code civil semble les classer dans l’ordre<br />

de leur utilité économique et sociale (4). D’abord le contrat d’assurance<br />

et le prêt à la grosse aventure, ensuite le jeu, le pari et la rente viagère.<br />

(1) O. Benabent, La chance et le droit, Paris, L.G.D.J., 1973, p. 139, n o 179.<br />

(2) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, t. 7, Bruxelles, Librairie<br />

de jurisprudence, H. Tarlier, 1836, exposé des motifs, p. 341, n o 2.<br />

(3) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, t. 7, Bruxelles, Librairie<br />

de jurisprudence, H. Tarlier, 1836, rapport fait au Tribunat par M. Siméon,<br />

p. 349, n o 1.<br />

(4) L’énumération n’est d’ailleurs pas exhaustive. Il existe bien d’autres contrats<br />

aléatoires, comme la tontine et le bail à nourriture, qui ne sont pas cités<br />

par l’article 1964. Comme l’observe De Page, tout contrat en vertu duquel<br />

l’une des parties s’oblige à des prestations qui ne seront rémunérées qu’en cas<br />

de réussite de l’affaire peut être considéré comme aléatoire. H. De Page, Traité<br />

élémentaire de droit civil belge, t. V, 2 e éd. (mise à jour par R. Dekkers),<br />

Bruxelles, Bruylant, 1975, n o 294.<br />

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Curieusement, le Code civil ne s’attarde qu’aux deux derniers. Il se<br />

désintéresse immédiatement des contrats d’assurance et du prêt à la<br />

grosse aventure, contrats réputés commerciaux, pour les renvoyer aux<br />

lois maritimes. Il est vrai qu’à cette époque, les assurances terrestres<br />

n’en sont qu’à leurs balbutiements. De plus, au même moment, l’assurance<br />

de la responsabilité civile et l’assurance vie sont réputées illicites.<br />

« On a proscrit avec raison les assurances sur la vie des hommes parce<br />

que de pareils actes sont vicieux en eux-mêmes, et n’offrent aucun objet<br />

réel d’utilité qui puisse compenser les vices et les abus dont ils sont susceptibles<br />

(5).<br />

Assez curieusement, les auteurs du Code civil ne proscrivent pas avec<br />

la même vigueur la rente viagère alors qu’elle s’expose pourtant aux<br />

mêmes critiques. Cet étrange contrat n’est certes pas regardé avec faveur<br />

(6), mais les commentateurs lui découvrent néanmoins, dans certaines<br />

circonstances, une utilité économique et sociale qui la rend digne<br />

d’intérêt : « on n’aperçoit plus rien de répréhensible dans la rente viagère,<br />

si elle n’est qu’un moyen de subsistance pour un homme isolé qui<br />

n’a point d’héritiers, ou pour une personne âgée et infirme qui a besoin<br />

de recourir à cet expédient de finances pour vivre. Ici, comme ailleurs,<br />

il faut savoir distinguer la chose de l’abus que l’on peut en faire » (7).<br />

L’assurance sur la vie aurait sans doute pu bénéficier de la même mansuétude.<br />

Mais son heure n’était pas encore arrivée.<br />

La condamnation des jeux et paris est, quant à elle, ferme et sans détour.<br />

Même si le Code civil en consacre l’existence, les auteurs du Code civil<br />

ne cachent pas leur réprobation : « Comment tolérer dans une société<br />

bien ordonnée que les citoyens mettent leur fortune au hasard d’un coup<br />

de dé; qu’une épouse, des enfants voient s’évanouir en une heure toutes<br />

les ressources et leurs espérances, avec le patrimoine d’un mari ou d’un<br />

père dissipateur? » (8).<br />

Et sous la plume de Portalis : « Quelle faveur peuvent obtenir auprès<br />

des lois les obligations et les promesses que le jeu produit, que la raison<br />

condamne et que l’équité désavoue? Ignore-t-on que le jeu favorise<br />

l’oisiveté, en séparant l’idée du gain de celle du travail et qu’il dispose<br />

les âmes à la dureté, à l’égoïsme le plus atroce? Ignore-t-on les révolutions<br />

subites qu’il produit dans le patrimoine des familles particulières,<br />

au détriment des mœurs publiques et de la société générale? » (9).<br />

La complaisance dont bénéficient actuellement les jeux et paris ferait<br />

sans doute blêmir les vertueux auteurs du Code civil.<br />

III. — DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES<br />

DES CONTRATS ALÉATOIRES<br />

3. — A bien y réfléchir, tout contrat, quelle que soit sa nature, est soumis<br />

dès sa conclusion à de multiples incertitudes. Des événements variés<br />

peuvent venir affecter son exécution, qu’il s’agisse du fait même de<br />

l’un des cocontractants, ou d’un fait sur lequel ceux-ci n’ont aucune prise.<br />

Sous cet angle, le contrat apparaît déjà, en lui-même, comme un instrument<br />

permettant de discipliner l’avenir et de prévenir les risques qui<br />

s’attachent à son exécution.<br />

(5) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., exposé des<br />

motifs, p. 344, n o 11.<br />

(6) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., rapport fait au<br />

Tribunat par M. Siméon, p. 351, n o 17.<br />

(7) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., exposé des<br />

motifs, p. 344, n o 11; voy. égalem., le discours prononcé par M. Duveyrier,<br />

p. 355, n o 6.<br />

(8) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., rapport fait au<br />

Tribunat par M. Siméon, p. 349, n o 4.<br />

(9) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., exposé des<br />

motifs, p. 343.<br />

2004<br />

327


2004<br />

328<br />

Quelle est alors la spécificité du contrat aléatoire? Celle-ci résulte à notre<br />

avis de ce que la chance de gain ou le risque de perte sont placés, dans ce<br />

cas, au centre de l’échange économique qui forme la base du contrat.<br />

Sans doute, cette particularité n’apparaît-elle qu’imparfaitement dans<br />

les deux articles que le Code civil consacre à la définition du contrat<br />

aléatoire. Après avoir défini le contrat commutatif, comme « celui où<br />

chacune des parties s’engage à donner ou à faire une chose qui est regardée<br />

comme l’équivalent de ce qu’on lui donne, ou de ce que l’on fait<br />

pour elle », l’article 1104, précise que le contrat est aléatoire « lorsque<br />

l’équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune<br />

des parties, d’après un événement incertain ».<br />

L’article 1964 propose, quant à lui, une définition quelque peu différente.<br />

Le contrat aléatoire y est présenté comme une convention réciproque<br />

dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les<br />

parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement<br />

incertain.<br />

A la différence de l’article 1104, l’article 1964 laisse entendre que la<br />

chance de gain ou de perte pourrait bien n’affecter qu’une seule des parties<br />

et non les deux. Cette discordance est d’autant plus curieuse que le<br />

texte initial sur lequel s’était prononcé la section de législation du Tribunat<br />

ne comportait aucune référence aux parties contractantes (10).<br />

Certains attribuent cette différence à une inadvertance, d’autres estiment<br />

qu’elle est de toute façon sans conséquence car la chance de gain<br />

est nécessairement corrélative à un risque de perte (11). Les travaux<br />

préparatoires révèlent qu’il s’agit en réalité d’un malentendu. On y lit<br />

en effet à propos de l’article 1964, qu’il existe « des contrats aléatoires<br />

dans lesquels une seule des parties contractantes s’expose à un risque au<br />

profit de l’autre, moyennant une somme que celle-ci donne pour prix de<br />

ce risque. Par exemple, le contrat de rente viagère n’offre d’incertain<br />

que les arrérages de la rente qui produiront beaucoup ou se réduiront à<br />

rien, selon que la vie du débiteur sera très longue ou très courte, mais le<br />

prix que le débiteur a reçu est une chose qui n’a rien ni d’incertain ni de<br />

variable » (12).<br />

Par là, les auteurs du Code civil ont seulement entendu souligner que le<br />

contrat aléatoire pouvait faire naître un engagement définitif et parfaitement<br />

déterminé dans son étendue dans le chef de l’une des parties.<br />

Ceci n’altère toutefois en rien la nature du contrat aléatoire ni le fait que<br />

l’aléa affecte bien les deux parties.<br />

A la réflexion, l’observation vaut aussi pour le contrat d’assurance. Le<br />

fait que le preneur s’engage fermement à payer une prime déterminée<br />

n’empêche nullement que les chances de gain et de perte soient également<br />

courues par les deux parties. Les comptes seront faits au dénouement<br />

du contrat. Si un sinistre survient pendant la période de couverture,<br />

l’assuré fera la bonne affaire puisqu’il aura généralement payé une<br />

prime inférieure au montant du sinistre. Si rien ne se passe, l’assureur<br />

conserve la prime qui aura été payée en pure perte. Cette prime apparaît<br />

alors comme le montant que l’assuré a accepté de verser pour le prix de<br />

sa sécurité.<br />

On conclura par conséquent que c’est l’existence d’un enjeu dépendant<br />

de la réalisation d’un événement incertain et placé volontairement par<br />

les parties au centre de l’échange qui fait la spécificité du contrat aléatoire.<br />

Celui-ci procède toujours d’un échange de chances de gain et de<br />

risques de pertes pour les deux parties. Sa vertu principale est en effet<br />

« d’insinuer dans l’économie d’une opération une chance de gain ou de<br />

perte pour les intéressés » (13). La définition proposée par<br />

l’article 1104 doit donc être préférée à celle prévue par l’article 1964.<br />

(10) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., texte des observations<br />

de la section de législation du Tribunat, p. 337.<br />

(11) H. De Page, op. cit., t. V (2 e éd.), n o 291.<br />

(12) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., texte des observations<br />

de la section de législation du Tribunat, p. 337.<br />

(13) D. Martin, note sous Trib. gde. inst. Villefranche-sur-Saône, 10 nov. 1989,<br />

Dall., jur., 1990, p. 9.<br />

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4. — Sauf l’hypothèse rare d’un équilibre final des prestations, le dénouement<br />

d’un contrat aléatoire s’exprime en principe par une distorsion<br />

des valeurs fournies ou assumées au titre de la convention :<br />

« l’excédent de l’une sur l’autre représente alors la mesure commune du<br />

gain et de la perte respectivement éprouvés par chacune des parties à<br />

l’opération » (14).<br />

On ne peut donc suivre De Page lorsqu’il fonde le contrat aléatoire sur<br />

la notion ambiguë « d’équivalence casuelle des prestations » (15). Pour<br />

l’éminent auteur, le contrat ne deviendrait, en quelque sorte,<br />

« commutatif » que si tel événement incertain se réalise. Nous verrons<br />

que l’idée d’équivalence peut avoir son importance dans le régime juridique<br />

des contrats aléatoires, mais qu’il s’agit alors d’une équivalence<br />

entre les chances de gain et les risques de perte encourus par les deux<br />

parties à la conclusion du contrat, non d’une équivalence entre les prestations<br />

effectuées de part et d’autre lors de son dénouement.<br />

5. — Ainsi défini, le contrat aléatoire se distingue des contrats sous condition.<br />

La condition est, elle aussi, un événement incertain qui affecte<br />

l’existence ou l’exigibilité d’une obligation, mais il s’agit toujours<br />

d’une modalité extérieure à l’obligation ou au contrat lui-même. Dans<br />

les contrats aléatoires, l’événement incertain détermine le contrat de<br />

l’intérieur (16).<br />

On ajoutera que l’événement incertain est impuissant à caractériser le<br />

contrat aléatoire, s’il ne se traduit par une chance de gain ou un risque<br />

de perte que les parties acceptent de considérer définitivement comme<br />

la contrepartie de leurs engagements respectifs.<br />

La force obligatoire qui s’attache au contrat aléatoire empêche dès lors<br />

l’une d’entre elles de demander la résiliation ou la révision du contrat<br />

sur la seule constatation que le sort a tourné en sa défaveur (17).<br />

L’article 1979 du Code civil le rappelle à propos de la rente viagère : le<br />

débirentier doit continuer le service de la rente jusqu’à la mort du crédirentier,<br />

« quelle que soit la durée de vie de la personne sur la tête de<br />

laquelle la rente a été constituée et quelque onéreux qu’ait pu devenir le<br />

service de cette rente ».<br />

6. — Même si tous les contrats aléatoires reposent sur des fondements<br />

identiques, on notera que l’événement incertain n’y joue pas toujours<br />

exactement le même rôle. De la réalisation de l’événement incertain<br />

peut dépendre tantôt l’exécution de la prestation de l’une des parties<br />

(c’est le cas de l’assurance), tantôt uniquement la quotité d’une prestation<br />

(c’est le cas de la rente viagère) (18).<br />

Dans la rente viagère, l’aléa résulte de la durée pendant laquelle le débirentier<br />

sera tenu au paiement des arrérages (19). Les deux prestations<br />

sont dues en tout état de cause. Seule la quotité de l’une des prestations<br />

demeure incertaine puisqu’elle dépend de la durée de vie de la personne<br />

sur la tête de laquelle la rente a été constituée. D’ailleurs, comme l’observe<br />

De Page, la rente viagère à titre onéreux ne constitue pas un acte<br />

juridique propre (20). Elle ne fait que revêtir un autre contrat d’un caractère<br />

particulier. C’est ce contrat de base qui donne à la rente sa justification<br />

économique. Sous cet aspect, la rente se distingue clairement<br />

du jeu et du pari qui n’ont d’autre fondement que le hasard.<br />

Au regard des autres contrats aléatoires, la spécificité du contrat d’assurance<br />

résulte de ce qu’il opère le transfert d’un risque redouté par l’assuré<br />

à une entreprise spécialement organisée pour le prendre en charge<br />

(21). La prime d’assurance apparaît alors essentiellement comme le prix<br />

(14) D. Martin, ibid.<br />

(15) H. De Page, op. cit., t. V, n o 290.<br />

(16) Voy., H. De Page, op. cit., t. V, n os 290 et 291; A. Benabent, op. cit., n o 54.<br />

(17) Voy., Liège, 1 er juin 1995, Rev. rég. dr., 1996, p. 60.<br />

(18) H. De Page, op. cit., t. V (2 e partie), n os 290 et 291.<br />

(19) Voy., J. Herbots, D. Clarysse, J. Werckx, « Overzicht van rechtspraak<br />

(1977-1982) - Bijzondere contracten », T.P.R., 1985, I, 918.<br />

(20) H. De Page, op. cit., t. V, n o 336.<br />

(21) En ce sens, Cass., 18 juin 1992, R.D.C.B., 1993, p. 155, note J.-L. Fagnart;<br />

R.W., 1992-1993, 641; R.G.A.R., 1993, n o 12187 et la note critique


de ce transfert. Du point de vue de l’assureur, les chances de gain et de<br />

pertes se compensent au sein de la mutualité constituée par l’ensemble<br />

des risques couverts, dont certains se réaliseront et d’autres pas. C’est<br />

sans doute l’assurance qui a tiré le meilleur parti des sciences des probabilités<br />

car c’est grâce à elles que l’entreprise qui consiste à souscrire<br />

des contrats aléatoires n’est pas une entreprise totalement aléatoire.<br />

Certes, l’aléa subsiste, mais il résulte alors d’un écart toujours possible<br />

entre les prévisions et la réalité.<br />

L’assurance se distingue d’un simple pari, parce que l’assuré doit avoir<br />

un intérêt à ce que le risque ne se réalise pas (loi du 25 juin 1992 sur le<br />

contrat d’assurance terrestre, art. 37 pour les assurances à caractère indemnitaire<br />

et art. 48 pour les assurances à caractère forfaitaire) (22).<br />

C’est en se distinguant progressivement du jeu et du pari, qui ne sont<br />

que pure spéculation, que les assurances ont pu justifier de leur importance<br />

et prendre leur envol pour devenir un soutien indispensable de la<br />

vie économique et sociale.<br />

La tontine, qui n’est pas citée par le Code civil, trouve, quant à elle, sa<br />

spécificité dans le fait que la valeur de l’enjeu est, pour chaque intéressé,<br />

exactement déterminée dès la souscription alors qu’elle ne se mesure<br />

dans les autres contrats qu’à leur dénouement (23). L’opération se résout<br />

lors du décès de l’un des cocontractants en une appropriation exclusive<br />

du bien avec effet rétroactif, au profit du survivant. « Le gain et<br />

la perte sont dans ce cas de la part d’intérêt personnel du prémourant<br />

dans le bien acquis, avant qu’il ne soit évincé » (24).<br />

Le prêt à la grosse aventure, dont le nom fleure bon le large mais qui a<br />

disparu de la pratique, se présente, quant à lui, sous la forme d’un contrat<br />

d’assurance inversé. Pour parer aux risques de la navigation, l’affréteur<br />

emprunte au prêteur une somme déterminée et celui-ci accepte<br />

l’aléa de ne pas être remboursé si le navire vient à périr par fortune de<br />

mer au cours du voyage, en échange d’un gros intérêt en cas d’arrivée à<br />

bon port (25).<br />

IV. — RÉGIME JURIDIQUE<br />

DU CONTRAT ALÉATOIRE<br />

7. — Le Code civil consacre certes un titre particulier aux contrats aléatoires<br />

mais il ne décrit pas le régime juridique qui leur serait commun.<br />

Renvoyant le contrat d’assurance et le prêt à la grosse aventure aux lois<br />

maritimes, il se contente de consacrer quelques règles particulières aux<br />

jeux et paris ainsi qu’à la rente viagère. Est-il permis de déduire de ces<br />

dispositions des règles générales qui seraient propres aux contrats aléatoires<br />

et qui, du même coup, rendraient tout son intérêt à cette classification?<br />

Certains s’y sont employés (26). Partant de l’idée que les parties à un<br />

contrat aléatoire acceptent consciemment de courir une chance de gain<br />

ou un risque de perte, on a prétendu que la rescision pour lésion, dans<br />

les cas exceptionnels où elle est admise en droit commun, ne serait pas<br />

recevable dans un tel contrat. L’aléa chasse la lésion.<br />

M. Fontaine. Selon cet arrêt, la notion d’assureur implique la prise en charge et<br />

la compensation d’un ensemble de risques et ce terme ne peut, dès lors, viser<br />

qu’une personne qui fait profession de conclure des contrats d’assurance. Tout<br />

contrat aléatoire n’est donc pas nécessairement un contrat d’assurance.<br />

(22) Sur l’intérêt d’assurance, voy., M. Fontaine, Droit des assurances, Précis<br />

de la Faculté de droit de l’U.C.L., 2 e éd., Bruxelles, Larcier, 1996, n os 127 et s.<br />

(23) J.-F. Romain, « Observations au sujet de la convention de tontine : de<br />

l’aléa au pacte sur succession future », Mélanges offerts à P. Van Ommeslaghe,<br />

Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 222-225.<br />

(24) D. Martin, note précitée, Dall., jur., 1990, p. 9.<br />

(25) Sur le prêt à la grosse aventure, voy., A. Benabent, op. cit., n o 53;<br />

M. Fontaine, Droit des assurances, Précis de la Faculté de droit de l’U.C.L.,<br />

2 e éd., Bruxelles, Larcier, p. 9, n o 4.<br />

(26) Voy. notam., les propos très nuancés de H. De Page, op. cit., t. V, n o 294.<br />

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Le contrat aléatoire exclurait aussi la résolution car l’effet rétroactif qui<br />

s’attache à celle-ci priverait l’une des parties du bénéfice de la chance<br />

déjà courue. L’aléa chasse la résolution.<br />

A ces deux règles dont il importe de vérifier la pertinence, on en ajoutera<br />

volontiers une troisième. Si l’aléa est un élément essentiel de ce<br />

type de contrats, son inexistence lors de la formation ou sa disparition<br />

en cours d’exécution entraînera selon le cas, la nullité ou la caducité du<br />

contrat.<br />

1. — L’aléa chasse la lésion<br />

8. — Pour justifier l’article 1976 du Code civil qui prévoit que la rente<br />

viagère peut être constituée au taux qu’il plaît aux parties contractantes<br />

de fixer, Portalis indique « qu’il ne peut y avoir de mesure absolue pour<br />

régler les choses incertaines. C’est pourquoi, poursuit-il, l’action rescisoire<br />

a toujours été refusée dans les contrats aléatoires » (27).<br />

Duveyrier confirme ce point de vue. « Le moment qui doit déterminer<br />

la perte ou le profit de cette convention parfaitement aléatoire,<br />

étant un mystère impénétrable, et les éléments qui la composent<br />

n’étant ainsi que le produit arbitraire des plus capricieuses présomptions,<br />

il est impossible d’appliquer à la formation même du contrat<br />

les notions certaines du juste et de l’injuste pour lui imposer un prix<br />

uniforme et légitime » (28).<br />

La science des probabilités permet de remettre en cause la pertinence de<br />

ces affirmations.<br />

Dès lors qu’il est possible d’attribuer une valeur objective à la chance<br />

courue, on ne voit pas pourquoi les contrats aléatoires devraient être<br />

soustraits à l’examen de l’équivalence des prestations réciproques (29).<br />

Le calcul des probabilités permet en effet de rendre les contrats aléatoires<br />

à une commutativité raisonnable. Cette possibilité n’a pas été aperçue<br />

par les auteurs du Code civil pour lesquels la valeur des prestations<br />

réciproques découlant du contrat aléatoire relevait d’un mystère insondable.<br />

Dans les cas où elle est admise, la lésion objective ou qualifiée résultera<br />

par conséquent d’une disproportion manifeste entre les chances de gain<br />

et les risques de perte encourus respectivement par chacune des parties<br />

contractantes. Cette disproportion s’apprécie nécessairement par rapport<br />

aux prestations promises au moment de la conclusion du contrat et<br />

non par rapport aux prestations effectivement fournies lors de la réalisation<br />

de l’événement incertain.<br />

Même si certains tribunaux acceptent d’aborder la question de l’équivalence<br />

des prestations sous l’angle de la lésion objective (lésion des sept<br />

douzièmes par exemple), voire de la lésion qualifiée (30), il faut reconnaître<br />

qu’ils restent généralement réticents à s’en remettre exclusivement<br />

aux lois de la statistique. Certains considèrent en effet que les données<br />

statistiques ne sauraient faire disparaître le caractère aléatoire d’un<br />

contrat aux termes duquel l’importance des prestations stipulées dépend<br />

(27) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., exposé des<br />

motifs, p. 345, n o 16.<br />

(28) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., t. 7, discours<br />

de M. Duveyrier, p. 356, n o 8.<br />

(29) Voy., H. Méau-Lautour, « Aléa, lésion et vileté du prix », J.C.P., éd. N.,<br />

1990-301; D. Martin, note sous Trib. gde inst. Villefranche-sur-Saône, 10 nov.<br />

1989, Dall., jur., 1991, p. 7; A. Benabent, op. cit., n o 251; J. Herbots,<br />

« Vervreemding tegen lijfrente », in Het onroerend goed in de praktijk, Antwerpen,<br />

Kluwer, 1980; voy. égalem., les réf. citées par J. Herbots et<br />

C. Pauwels, « Overzicht van rechtspraak (1982-1987) - Bijzondere<br />

overeenkomsten », T.P.R., 1989, II, n o 452; J.-F. Romain, op. cit., pp. 225 et<br />

229.<br />

(30) Voy. notam., Bruxelles, 18 mai 1998, note K. Van Eeckhorn, « De vordering<br />

o.g.v. benadeling : is de kantmelding van deze vordering verplicht en kan<br />

deze vordering worden ingesteld bij verkoop tegen lijfrente? », A.J.T., 1999,<br />

p. 50.<br />

2004<br />

329


2004<br />

330<br />

de la longueur toujours incertaine de la survie d’un seul individu déterminé<br />

(31).<br />

9. — En réalité, la lésion ne fait que s’ajouter à tous les autres moyens<br />

juridiques permettant de sanctionner l’absence de contrepartie véritable<br />

ou le déséquilibre manifeste du contrat (défaut d’objet, erreur sur la cause<br />

...). Les parties doivent en effet être placées à égalité devant l’incertitude<br />

lors de la formation du contrat (32). L’ignorance de l’une d’elles<br />

peut par ailleurs entraîner des distorsions qui trouveront leur sanction<br />

naturelle dans la théorie des vices de consentement (erreur sur une qualité<br />

substantielle, erreur sur la cause, dol ...). Le régime des omissions<br />

ou inexactitudes dans la déclaration du risque à la conclusion du contrat<br />

d’assurance en fournit un excellent exemple (art. 5 à 7 de la loi du<br />

25 juin 1992).<br />

2. — L’aléa chasse la résolution<br />

10. — Les contrats aléatoires font-ils obstacle à la résolution? La lecture<br />

de l’article 1978 du Code civil pourrait le laisser croire. A propos de la<br />

rente viagère, il prescrit en effet que « le seul défaut de paiement des arrérages<br />

n’autorise point celui en faveur de qui elle est constituée, à demander<br />

le remboursement du capital, ou à rentrer dans le fonds par lui<br />

aliéné : il n’a que le droit de saisir et de faire vendre les biens de son<br />

débiteur, et de faire ordonner ou consentir, sur le produit de la vente,<br />

l’emploi d’une somme suffisante pour le service des arrérages ».<br />

En d’autres termes, le crédirentier n’a que le droit de procéder à l’exécution<br />

forcée, il ne peut demander la résolution du contrat. Les travaux<br />

préparatoires s’en expliquent très brièvement. A en croire Portalis, « s’il<br />

en était autrement, il n’y aurait point de solidité dans les contrats, ils seraient<br />

dissous par la plus légère infraction de la part de l’un des<br />

contractants » (33).<br />

Même si la justification n’apparaît pas convaincante puisque la résolution<br />

requiert en principe un manquement grave, on ne trouvera<br />

dans cette affirmation aucune trace d’une incompatibilité manifeste<br />

entre le contrat aléatoire et la résolution. D’autant moins que l’on a<br />

songé à indiquer clairement dans cet article que les parties avaient le<br />

pouvoir de déroger par convention à la règle énoncée. La proposition<br />

ne fut toutefois pas retenue « parce qu’une telle stipulation n’étant<br />

contraire ni à l’ordre public ni aux bonnes mœurs, elle se trouve suffisamment<br />

autorisée par le principe de la liberté des conventions »<br />

(34). Le pacte commissoire exprès était donc admis dès l’adoption du<br />

Code civil (35).<br />

On ajoutera que l’article 1977 du Code civil consacre expressément une<br />

exception au principe, puisqu’il admet clairement la résolution au profit<br />

du crédirentier si le débirentier ne fournit pas les sûretés promises.<br />

11. — Il n’existe donc dans les travaux préparatoires aucune indication<br />

formelle qui autoriserait à penser que la résolution doit être écartée<br />

dans les contrats aléatoires. D’où vient alors cette idée que de tels<br />

contrats feraient obstacle à la résolution? Selon certains auteurs, ceci<br />

(31) Bruxelles, 3 avril 1999, A.J.T., 1999-2000, p. 812, noot F. Logghe et réf.<br />

cit.; Civ. Liège, 22 janvier 2001, Bull. Ass., 2003, p. 138 et Liège, 12 nov. 2002,<br />

Bull. Ass., 2003, p. 143.<br />

(32) Voy. infra, n o 16, l’inexistence ou l’insuffisance d’aléa.<br />

(33) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., exposé des<br />

motifs, p. 345, n o 18.<br />

(34) Voy., Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, t. 7, Bruxelles,<br />

Librairie de jurisprudence, H. Tarlier, 1836, commentaire de l’article 1978,<br />

p. 331.<br />

(35) La Cour de cassation considère depuis longtemps que l’article 1978 n’est<br />

pas d’ordre public. Cass., 28 mai 1964, Pas., 1964, I, 1017. Les pactes commissoires<br />

sont fréquents et considérés comme valides. Voy., Liège, 18 nov. 1994,<br />

J.T., 1995, p. 240; Bruxelles, 3 avril 1999, A.J.T., 1999-2000, p. 810, noot<br />

F. Logghe; Bruxelles, 26 janv. 2001, J.L.M.B., 2002, p. 1564.<br />

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s’expliquerait par le fait que la résolution aurait pour effet de priver<br />

l’une des parties du bénéfice de la chance qu’elle a déjà effectivement<br />

courue (36). On sait que l’effet traditionnellement rétroactif de<br />

la résolution entraîne des difficultés pratiques considérables dans les<br />

contrats à prestations successives. Il est normal qu’il n’en aille pas<br />

différemment dans les contrats aléatoires, tout au moins lorsque<br />

ceux-ci ont un caractère successif.<br />

Sans doute, les auteurs du Code civil ont-ils aussi été influencés par<br />

l’idée qu’il était impossible de procéder aux restitutions réciproques<br />

dans ces contrats, à défaut de pouvoir attribuer une valeur économique<br />

à la chance déjà courue. On sait cependant que cette idée est fausse. Un<br />

calcul actuariel permet d’attribuer une valeur patrimoniale aux prestations<br />

marquées d’un aléa.<br />

En réalité, les restitutions réciproques ne suscitent pas de difficultés<br />

plus grandes pour les contrats aléatoires que pour tout autre contrat successif.<br />

On doit constater néanmoins que la jurisprudence belge reste très<br />

divisée sur la question de la restitution des arrérages en cas d’annulation<br />

ou de résolution d’une rente viagère (37). Il est vrai que le débat se trouve<br />

fréquemment obscurci par la présence fréquente de clauses pénales<br />

attribuant les arrérages déjà perçus au vendeur, à titre de dommages et<br />

intérêts forfaitaires. Il y a lieu pourtant de distinguer clairement la question<br />

des restitutions réciproques de celle des dommages et intérêts (38).<br />

La première est une conséquence de la résolution, la seconde dépend de<br />

la responsabilité. Si le contrat aléatoire ne fait pas obstacle à la résolution,<br />

sa mise en œuvre appelle par conséquent des réponses nuancées<br />

(39).<br />

(36) Voy. les références citées par H. De Page qui, dans son Traité, énonce la<br />

règle mais en limite immédiatement la portée, op. cit., t. V, 2 e partie, p. 282,<br />

n o 294.<br />

(37) En faveur de la restitution, Gand, 5 nov. 1968, Tijds. Not., 1969, p. 236;<br />

Civ. Marche-en-Famenne, 7 nov. 1985, Rec. gén. enr. not., 1986, p. 154,<br />

n o 23318, note A.C.; Civ. Neufchâteau, 21 oct. 1988, Rev. rég. dr., 1989,<br />

p. 496; Liège, 18 nov. 1994, J.T., 1995, p. 240; Liège, 12 sept. 2001, Rev. rég.<br />

dr., 2002, p. 195, note T. Starosselets; contre la restitution, Liège, 20 avril<br />

1977, J.L., 1976-1977, p. 277; Civ. Neufchâteau, 26 oct. 1988, Rev. rég. dr.,<br />

1989, p. 20.<br />

(38) Sur l’ensemble de la question, voy. la note fort intéressante de T. Starosselets,<br />

« Les conséquences de la dissolution rétroactive d’une rente viagère »,<br />

Rev. rég. dr., 2002, p. 200.<br />

(39) La doctrine récente a démontré que l’affirmation selon laquelle la résolution<br />

des contrats successifs ne pourrait avoir lieu qu’ex nunc à la date de la demande<br />

en justice, au prétexte que les prestations déjà effectuées ne seraient pas<br />

restituables est incorrecte (T. Starosselets, « Effets de la dissolution ex tunc »,<br />

dans La fin du contrat, C.U.P., 2001, pp. 203210; M. Fontaine, « La rétroactivité<br />

de la résolution des contrats pour inexécution fautive », note sous Cass.,<br />

8 oct. 1987, R.C.J.B., 1990, p. 398, n o 44; S. Stijns, De gerechtelijke en de buitengerechtelijke<br />

ontbinding van overeenkomsten, Maklu, 1994, spéc., pp. 261-<br />

272). Comme le rappelle T. Starosselets cette affirmation procède d’une confusion<br />

entre l’obligation de restitution et la possibilité d’exécution en nature<br />

(T. Starosselets, op. cit., p. 205). Si la restitution en nature des prestations déjà<br />

accomplies n’est pas possible, rien n’empêche en effet de procéder à une restitution<br />

par équivalent. La doctrine précitée propose dès lors d’organiser les restitutions<br />

selon le critère de la divisibilité du contrat en tenant compte de l’utilité<br />

économique des prestations échangées pour chacune des parties contractantes.<br />

Or il semble difficile de considérer l’exécution d’un contrat de rente viagère<br />

pendant un temps limité comme satisfactoire pour les deux parties contractantes<br />

et conforme à l’économie de la convention. Dans les rentes viagères, l’équivalence<br />

des prestations se conçoit en effet dans la durée. Rien ne paraît donc<br />

s’opposer à la restitution des arrérages en cas de résolution du contrat<br />

(T. Starosselets, ibid.). Il est vrai que le contrat constituant la rente viagère élude<br />

souvent la difficulté en prévoyant que tous les termes d’arrérages échus resteront<br />

acquis au crédirentier à titre de dommages et intérêts sans recours ni répétition<br />

contre lui de ce chef (F. Logghe, note précitée, A.J.T., 1999-2000,<br />

p. 815). Ces clauses qui attribuent les arrérages au vendeur à titre de réparation<br />

forfaitaire du préjudice subi du fait de la résolution sont cependant soumises au<br />

régime général des clauses pénales (voy. Liège, 18 nov. 1994, J.T., 1995,<br />

p. 240). Elles peuvent être annulées si elles apparaissent manifestement excessives<br />

par rapport au préjudice prévisible (Mons, 4 mai 1982, Rec. gén. enr. not.,<br />

1985, n o 23230, p. 348; Civ. Marche-en-Famenne, 7 nov. 1985, Rec. gén. enr.<br />

not., 1986, n o 23318, p. 154, note A.C.; Bruxelles, 26 janv. 2001, J.L.M.B.,<br />

2002, p. 1564).


3. — L’absence ou l’insuffisance d’aléa<br />

A. — Absence d’aléa<br />

12. — Si les contrats aléatoires ne se singularisent pas par une allergie<br />

particulière à la lésion ou à la résolution, il n’en demeure pas moins que<br />

des conséquences juridiques importantes s’attachent à l’absence ou à<br />

l’insuffisance d’aléa lors de la formation ou en cours d’exécution du<br />

contrat.<br />

13. — Le risque putatif.— L’aléa doit-il être apprécié objectivement en<br />

fonction de la réalité des choses ou subjectivement en fonction de ce que<br />

les parties en connaissaient au moment de la conclusion du contrat?<br />

L’article 1974 du Code civil traduit en tout cas une vision objective de<br />

l’aléa. Il précise en effet que tout contrat créé sur la tête d’une personne<br />

qui était morte au jour du contrat ne produit aucun effet. Sur ce point, le<br />

Code civil ne brille pas toujours par sa cohérence. On rappellera que<br />

l’article 1181 permet de stipuler comme condition un événement actuellement<br />

arrivé mais encore inconnu des parties (40).<br />

L’article 24 de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres opte,<br />

lui aussi, pour une conception objective de l’aléa : l’assurance est réputée<br />

nulle si le risque n’existe pas ou s’est déjà réalisé au moment de la<br />

conclusion du contrat. Cet article exclut donc implicitement la couverture<br />

du risque putatif. Le risque est dit « putatif » lorsque les parties<br />

ignoraient de bonne foi qu’il s’était déjà réalisé au moment de la formation<br />

du contrat. En assurances maritimes, la couverture d’un tel risque<br />

est pourtant autorisée de longue date (art. 219 et 220 de la loi du 21 août<br />

1879).<br />

Au plan théorique, on s’explique mal l’exclusion de la couverture du<br />

risque putatif, car l’incertitude n’a de sens que par rapport à la perception<br />

que les parties en ont au moment de la conclusion du contrat. C’est<br />

bien dans la volonté des parties que le contrat aléatoire prend sa source.<br />

Sans doute a-t-on voulu, en donnant à l’aléa une coloration objective,<br />

ne pas encourager l’ignorance et éviter les fraudes.<br />

14. — Le risque potestatif.— L’événement incertain dont dépend la<br />

chance de gain ou le risque de perte ne doit pas être à la disposition<br />

d’une des parties contractantes. En d’autres termes, il ne doit pas être au<br />

seul pouvoir de l’une d’elles de le faire arriver.<br />

La partie qui aurait volontairement pesé sur la réalisation de l’événement<br />

incertain ne pourra donc prétendre au gain escompté (41).<br />

Même si le Code civil ne le prévoit pas explicitement, il va de soi que<br />

le crédirentier ne saurait revendiquer le bénéfice du contrat s’il a luimême<br />

mis fin aux jours de la personne sur la tête de laquelle la rente a<br />

été constituée (42). Pour le même motif, on refusera aussi la réversion<br />

d’une rente viagère au profit du cocrédirentier qui a tué l’autre.<br />

En matière de jeux et paris, l’article 1967 oblige le gagnant à restituer<br />

ses gains en cas de dol, de supercherie ou d’escroquerie.<br />

On peut voir une application du même principe dans l’article 8 de la loi<br />

du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres, qui prescrit que l’assureur<br />

ne peut être tenu de fournir sa garantie à l’égard de quiconque a intentionnellement<br />

causé le sinistre. Cette disposition est réputée d’ordre public.<br />

On notera cependant que depuis l’arrêt Automedon rendu par la Cour de<br />

cassation de France en 1876, l’on admet qu’une personne puisse se couvrir<br />

par une assurance des conséquences de ses propres négligences ou<br />

imprudences. L’assurance de la responsabilité civile a depuis lors largement<br />

démontré son utilité économique et sociale. L’article 8 de la loi du<br />

25 juin 1992 autorise même la couverture de la faute lourde qu’il se re-<br />

(40) Voy. A. Benabent, op. cit., n os 47 à 49.<br />

(41) A. Benabent, op. cit., n o 43.<br />

(42) Dans son Traité, De Page y voit une application de la faute aquilienne, op.<br />

cit., t. V, 2 e partie, n o 349.<br />

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fuse à assimiler au dol. L’assureur peut toutefois s’exonérer de ses obligations<br />

en cas de faute lourde, mais uniquement dans les hypothèses déterminées<br />

expressément et limitativement dans le contrat.<br />

15. — Le risque inexistant.— L’apparition sur le marché de produits<br />

d’assurance vie centrés davantage sur le rendement de l’épargne constituée<br />

que sur la couverture d’un risque est à la source d’un vaste débat<br />

sur la qualification (43). La disqualification de ces produits pourrait en<br />

effet entraîner la perte de certains privilèges civils et fiscaux que la loi<br />

accorde à l’assurance vie (44). A tel point que certains se demandent si<br />

le contrat d’assurance doit nécessairement répondre à toutes les caractéristiques<br />

du contrat aléatoire pour pouvoir porter ce titre (45).<br />

Remarquons d’emblée que la loi de contrôle des activités d’assurance<br />

autorise clairement les compagnies d’assurances à effectuer des opérations<br />

qui n’ont aucun caractère aléatoire, telles les opérations de capitalisation.<br />

De telles opérations sont dépourvues d’aléa puisque chacune<br />

des parties connaît, dès la formation du contrat, l’étendue et la durée de<br />

ses engagements. Elles ne comportent d’ailleurs aucun élément viager.<br />

L’essentiel n’est pas là. Le problème de la qualification concerne principalement<br />

l’assurance sur la vie. L’article 97 de la loi du 25 juin 1992<br />

définit cette assurance comme un contrat dans lequel la survenance de<br />

l’événement ne dépend que de la durée de la vie humaine. Mais il apparaît<br />

que cet élément est insuffisant, à lui seul, pour attribuer à ces contrats<br />

un caractère aléatoire au sens défini ci-dessus.<br />

Bornons-nous aux assurances en cas de vie qui focalisent toutes les attentions.<br />

Les assurances de capital différé sont incontestablement des<br />

contrats aléatoires. La capitalisation du rendement dégagé par le placement<br />

des sommes collectées pendant la durée du contrat, intègre en effet<br />

une probabilité de décès du souscripteur avant le terme du contrat : les<br />

primes versées par les assurés décédés bénéficient aux assurés survivants.<br />

C’est pourquoi, à taux identiques, le rendement d’une assurance<br />

à capital différé est légèrement supérieur à celui d’une opération de capitalisation.<br />

Le moindre coût du contrat d’assurance résulte des bénéfices<br />

de mortalité.<br />

Afin d’éviter que l’assuré ne soit privé de l’épargne constituée en cas de<br />

décès prématuré, les assureurs ont alors proposé des assurances de capitaux<br />

différés avec contre-assurance des primes versées, puis avec contre-assurance<br />

de l’épargne acquise. Dans cette dernière hypothèse, en<br />

cas de prédécès, l’assureur s’engage alors à payer le solde du compte<br />

épargne qui est égal à la réserve mathématique du contrat. Si on fait abstraction<br />

de la pénalité de rachat généralement prélevée en cas de sortie<br />

anticipée (46), le résultat de l’opération n’est guère différent de celui<br />

qui procède d’un rachat.<br />

C’est à propos de ces contrats que la qualification assurance a été mise<br />

en doute car, dans ces conditions, on ne voit plus très bien où se cache<br />

la chance de gain ou le risque de perte pour les deux parties. Comme<br />

l’indique J. Aulagnier, « la clause de contre-assurance décès portant sur<br />

l’intégralité de la provision mathématique du contrat a pour effet de faire<br />

disparaître tout effet de levier attaché aux “ bénéfices de mortalité ”<br />

et de réduire celui-ci aux seuls intérêts garantis majorés éventuellement<br />

des participations bénéficiaires » (47).<br />

(43) Sur l’ensemble du problème, voy. B. Dubuisson et C. Jaumain (éd.), Les<br />

nouveaux produits d’assurance vie en droit civil et en droit fiscal, Bruxelles,<br />

Academia - Bruylant, 2000.<br />

(44) Voy., notre article « Les nouveaux produits d’assurance vie face au droit -<br />

La fin des privilèges? », Rev. gén. dr. civ., 1997, pp. 342 à 371; M. Grimaldi,<br />

« Réflexions sur l’assurance vie et le droit patrimonial de la famille », Rép. Defrénois,<br />

1994, p. 737, n o 30.<br />

(45) C. Devoet, « L’assurance vie est-elle un contrat aléatoire? », Bull. ass.,<br />

2002, pp. 552-589 et les nombreuses références citées.<br />

(46) Cette pénalité peut avoir pour objectif de compenser la moins-value résultant<br />

de la réalisation des actifs nécessaires à la liquidation.<br />

(47) J. Aulagnier, « L’assurance vie est-elle un contrat d’assurance? », Droit et<br />

patrimoine, décembre 1996, p. 53.<br />

2004<br />

331


2004<br />

332<br />

En France où le débat est plus passionné parce qu’il conditionne<br />

l’exemption des droits de succession, certains auteurs se sont évertués<br />

à trouver dans ces contrats la petite parcelle d’aléa qui aurait permis de<br />

justifier la qualification d’assurance (48).<br />

On a invoqué tout à tour, l’incertitude relative au moment du dénouement<br />

du contrat et au bénéficiaire final de la prestation, l’absence possible<br />

de bénéficiaire ou d’héritier à l’échéance du contrat, l’existence<br />

d’un risque financier pour l’assureur lié à une garantie du taux d’intérêt<br />

ou du rendement, l’exposition de l’assureur au risque de résiliation anticipée<br />

du contrat...<br />

Aucun de ces arguments ne semble convaincant car ils perdent de vue<br />

que dans un contrat aléatoire le gain escompté par l’une des parties doit<br />

être la contrepartie d’une perte redoutée par l’autre (voy. supra). Il ne<br />

suffit pas d’identifier un risque quelconque à charge de l’une des parties.<br />

Le risque financier, par exemple, est le risque propre de l’entreprise,<br />

il ne saurait conférer au contrat un caractère aléatoire car il se situe<br />

en dehors du champ contractuel. Il faut trouver dans la prime globale<br />

une partie censée représenter le prix du risque transféré à l’assureur.<br />

Sans entrer dans le détail de la question, avouons que les contrats d’assurance<br />

décrits ici présentent des particularités troublantes. Tout<br />

d’abord ces contrats ne requièrent pas nécessairement l’utilisation des<br />

tables de mortalité. Il est bon de rappeler que l’ancienne loi de contrôle<br />

de 1930 indiquait clairement que pour relever de l’assurance vie, l’opération<br />

devait être soumise aux lois de la mortalité humaine (49). Ensuite,<br />

on ne manquera pas de noter que ces contrats ne comportent pas de<br />

capital sous risque. Le capital sous risque est en effet égal au capital<br />

décès moins la réserve mathématique.<br />

Faut-il s’étonner dans ces conditions que certaines décisions de jurisprudence,<br />

sur la base d’une motivation il est vrai souvent obscure, aient<br />

considéré ces contrats comme de purs produits d’épargne, et les aient<br />

exclus des avantages accordés à l’assurance vie (50)? Les assureurs<br />

n’ont-ils pas une part dans leur propre malheur en présentant euxmêmes<br />

leurs produits comme des produits d’investissement où tout risque<br />

de perte même partielle est écarté et où la garantie décès, lorsqu’elle<br />

existe, est offerte gratuitement?<br />

Sans doute, la voie de la disqualification n’est-elle pas la meilleure ni la<br />

plus fiable. Il est si facile d’injecter une parcelle de risque dans un produit<br />

d’assurance! Celle de la discrimination est sans doute plus prometteuse.<br />

On ne voit pas en effet pourquoi les résultats de cette épargne devraient<br />

être traités différemment de ceux des autres produits d’investissement.<br />

Il n’est pas normal qu’au bénéfice d’une législation<br />

initialement conçue pour des contrats d’assurance vie traditionnels, une<br />

épargne souvent consistante puisse échapper aux revendications légitimes<br />

du conjoint, des héritiers et des créanciers du preneur d’assurance.<br />

La Cour d’arbitrage a d’ailleurs condamné comme contraire au principe<br />

d’égalité les articles 127 et 128 de la loi du 25 juin 1992 qui déclarent<br />

propres sans récompense toutes les prestations d’assurance vie versées<br />

à un époux commun en biens, sans distinguer selon qu’elles sont versées<br />

pendant le mariage ou après sa dissolution. Une adaptation des dispositions<br />

de la loi du 25 juin 1992 s’impose donc d’urgence (51).<br />

(48) Voy. notam., J. Kullmann, « Contrats d’assurance sur la vie : la chance de<br />

gain ou de perte », Dall., chron., 1996, p. 25; J. Bigot, note sous Colmar,<br />

19 mars 1993, J.C.P., éd. G, 1996, II, 22595; L. Mayaux, « L’assurance vie estelle<br />

soluble dans la capitalisation? », R.G.D.A., 2000, pp. 767-793; J. Ghestin,<br />

« L’incidence du décès du conjoint de l’assuré sur l’assurance vie », J.C.P.,<br />

1995, I, 3881; V. Nicolas, « Contribution à l’étude du risque dans le contrat<br />

d’assurance », R.G.D.A., 1998, pp. 637-655; on peut difficilement suivre cet<br />

auteur lorsqu’il affirme que l’assurance en cas de vie ne couvrirait jamais un<br />

risque car la survie ne constituerait pas un événement redouté.<br />

(49) Voy. à cet égard C. Devoet, op. cit., p. 560.<br />

(50) Liège, 3 févr. 2003, J.T., 2003, p. 386, note Y.-H. Leleu; Bull. ass., 2003,<br />

p. 580 et la note critique C. Devoet; Civ. Bruges, 15 janv. 2002, Bull. ass.,<br />

2002, p. 679; Civ. Bruges, 20 mars 2002, Bull. ass., 2002, p. 686.<br />

(51) C.A., 26 mai 1999, Bull. ass., 1999, p. 483 et la note Y.-H. Leleu et<br />

D. Schuermans, « Une nouvelle qualification pour certaines prestations d’assu-<br />

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B. — L’insuffisance d’aléa<br />

16. — Comme on l’a déjà observé, le contrat aléatoire repose, comme<br />

le contrat commutatif, sur un équilibre. Mais dans le contrat aléatoire<br />

cet équilibre doit exister entre les chances de gain et les risques de perte<br />

courus respectivement par les deux parties. Celles-ci doivent partir à<br />

armes égales (52).<br />

A cet égard, l’article 1975 du Code civil se fonde sur une conception objective<br />

de l’aléa puisqu’il prive de tout effet la rente constituée sur la<br />

tête d’une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les<br />

vingt jours de la date du contrat. Il importe peu que les parties aient connu<br />

ou non la maladie dont est morte cette personne. Par contre, il faut<br />

qu’elle soit décédée de la maladie dont elle était atteinte lors de la formation<br />

du contrat.<br />

En tout état de cause, l’hypothèse paraît trop limitativement définie.<br />

Au-delà de celle-ci, il devrait y avoir place pour un contrôle marginal<br />

de l’équivalence des chances de gains et des risques de pertes encourues<br />

par les deux parties. Le calcul des probabilités permet désormais cette<br />

comparaison. Le contrat ne saurait subsister si l’une des deux parties a<br />

toutes les chances de perte et quasiment aucune chance de gains. Des<br />

moyens juridiques permettent de sanctionner un tel déséquilibre. Outre<br />

la lésion dont on a déjà parlé, on songe à l’absence d’objet ou à l’erreur<br />

sur l’objet ou sur la cause, à condition de comprendre cette dernière<br />

dans son acception objective (53).<br />

Ce contrôle doit être exercé en fait compte tenu de toutes les circonstances.<br />

Une différence d’âge ne saurait à elle seule suffire. Le grand âge du<br />

crédirentier ne saurait en effet faire disparaître le caractère aléatoire de<br />

la vente consentie moyennant le versement d’une rente viagère, à moins<br />

qu’il ne s’accompagne d’autres circonstances de fait : comme un état de<br />

santé déjà déficient, la survenance du décès peu de temps après la vente<br />

et l’existence d’un lien direct entre le décès et l’âge avancé du vendeur.<br />

Dans ces conditions, l’annulation de la rente viagère devrait pouvoir<br />

être obtenue même après l’expiration du délai de vingt jours prévu par<br />

l’article 1975 du Code civil. Il est permis dès lors de s’interroger sur<br />

l’utilité de cet article.<br />

L’on pourrait raisonner de la même manière dans une tontine, si les circonstances<br />

permettent d’attribuer objectivement une probabilité très<br />

différente au prédécès de chacune des parties et que cette différence<br />

n’est pas compensée par une mise de fonds plus importante de la part de<br />

celui qui bénéficie d’une espérance de vie manifestement plus longue.<br />

Cette constatation n’entraîne pas nécessairement la nullité de la convention.<br />

Celle-ci pourrait subsister sous une autre qualification. Si l’aléa<br />

fait défaut, l’opération apparaît alors pour ce qu’elle est, à savoir une libéralité<br />

indirecte et doit être traitée comme telle (54).<br />

V. — LES JEUX ET PARIS<br />

17. — Stigmatisant l’absence d’utilité économique et sociale des jeux<br />

et paris (55) les codificateurs leur refusent purement et simplement la<br />

rance vie entre époux communs en biens ». Voy. égalem., E. de Wilde d’Estmael,<br />

« Essai de transposition prospective : les assurances vie et le droit des libéralités<br />

à la lumière de l’arrêt du 26 mai 1999, dans la Cour d’arbitrage et le<br />

droit privé », Rev. dr. U.L.B., 2002, pp. 157-158.<br />

(52) Voy. D. Martin, note sous Trib. gde inst. Villefranche-sur-Saône, 10 nov.<br />

1989, Dall., jur., 1990, p. 9; A. Benabent, op. cit., n os 41 et 45.<br />

(53) Les travaux préparatoires invoquent la théorie de l’erreur sur une qualité<br />

essentielle de la chose.<br />

(54) D. Martin, note précitée, Dall., jur., 1990, pp. 9 et 10; J.-Fr. Romain, op.<br />

cit., p. 225.<br />

(55) Le jeu se distingue du pari en ce que dans le premier, l’événement incertain<br />

est un fait à accomplir par les parties, alors que dans le second, celles-ci<br />

n’ont aucun rôle actif dans la réalisation de l’événement. Voy. C. Goux,<br />

« Exception de jeux et paris hippiques », J.T., 1998, p. 375, n o 2.


protection de la loi civile, sans préjuger bien entendu de l’application de<br />

la loi pénale (56).<br />

Aucune action ne sera donc accordée pour le règlement d’une dette de<br />

jeu ou pour le paiement d’un pari (art. 1965, C. civ.). Il n’y pas davantage<br />

d’action dans l’autre sens, puisque le perdant ne peut répéter ce<br />

qu’il a volontairement payé, à moins qu’il n’y ait eu, de la part du gagnant,<br />

dol, supercherie ou escroquerie (art. 1967, C. Civ.) (57).<br />

La justification de ce régime sévère est clairement indiquée dans les travaux<br />

préparatoires : « le jeu n’est pas une cause licite d’obligation, parce<br />

qu’il n’est pas nécessaire, qu’il n’est pas utile et qu’il est extrêmement<br />

dangereux... Mais si le joueur, plus sévère à lui-même que sa loi,<br />

s’est tenu pour obligé; si, fidèle à sa passion et délicat dans son égarement,<br />

il a acquitté ce qu’il avait témérairement engagé, il ne sera pas<br />

reçu à répéter ce qu’il a payé » (58). Comme tous les joueurs sont coupables<br />

d’une même faute, aucun ne mérite donc protection (59).<br />

Seuls les jeux qui font appel à l’adresse et à l’exercice du corps échappent<br />

à la réprobation générale, de même semble-t-il, que les paris relatifs<br />

à de tels jeux (art. 1966, C. civ.) (60) (61). La demande peut néanmoins<br />

être rejetée si les sommes engagées paraissent excessives.<br />

D’aucuns trouveront cette exception inappropriée et quelque peu obsolète.<br />

On ne voit pas en quoi les paris effectués en masse sur les épreuves<br />

sportives seraient propres à inciter à l’exercice physique ni même à favoriser<br />

la pratique des sports.<br />

18. — Les travaux préparatoires incitent donc à voir dans les<br />

articles 1965 et 1967 du Code civil une simple application aux jeux et<br />

paris des deux adages romains : Nemo auditur propriam turpitudinem<br />

allegans et In pari causa turpitudinis cessat repetitio (62). C’est dire<br />

que ces deux articles n’ajoutent pas grand-chose à la théorie de la cause<br />

illicite dans les contrats. On sait que le premier interdit l’exercice d’une<br />

action en exécution forcée sans préjudice toutefois de l’action en nullité,<br />

alors que le second suggère de sanctionner l’une des parties contractantes<br />

en lui refusant la restitution de ce qu’il a volontairement payé. On<br />

ne peut donc voir dans l’article 1967, comme certains l’ont prétendu, la<br />

reconnaissance implicite d’une obligation naturelle dans le chef du<br />

joueur ou du parieur qui s’est exécuté volontairement (63).<br />

A la différence du premier adage, rappelons que le second ne s’impose<br />

pas au juge (64). Ce dernier peut faire procéder aux restitutions s’il voit<br />

là un meilleur moyen de sauvegarder l’ordre public et les bonnes<br />

mœurs. Il nous semble que le juge devrait conserver ce pouvoir d’appré-<br />

(56) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., t. 7, discours<br />

de M. Duveyrier, p. 354.<br />

(57) On notera qu’en droit romain et dans l’ancien droit, le régime était celui<br />

de la nullité avec répétition.<br />

(58) Locré, Législation civile, commerciale et criminelle, op. cit., t. 7, rapport<br />

fait au Tribunat par M. Siméon, p. 349, n os 4, 5 et 6.<br />

(59) A. Benabent, op. cit., n o 64.<br />

(60) Quant à sa validité et à ses effets, le Code civil assimile le pari au jeu au<br />

motif peu convaincant que les jeux et paris produits par les mêmes causes et<br />

dirigés par les mêmes motifs doivent être soumis aux mêmes règles.<br />

(61) Voy. C. Goux, « Exception de jeux et paris hippiques », J.T., 1998, p. 375.<br />

La question de savoir si cette exception peut être étendue aux jeux qui font<br />

appel aux facultés intellectuelles est controversée. Certains passages des travaux<br />

préparatoires sont ambigus à ce sujet. Voy. dans le sens de la négative,<br />

H. De Page, op. cit., t. V, 2 e partie, n os 297 et 298.<br />

(62) Voy. C. Goux, ibid. et réf. cit. Contra : A. Benabent, Droit civil - Les contrats<br />

spéciaux, Paris, Montchrestien, 1993, n o 958.<br />

(63) Voy. l’avertissement de R. Dekkers, dans le n o 295 du Traité de H. De Page,<br />

op. cit., t. V, 2 e éd., p. 283.<br />

(64) Cass., 8 mai 1966, Pas., 1967, I, 434; Cass., 24 sept. 1976, Pas., 1977, I,<br />

101; Cass., 25 mai 1989, R.C.J.B., 1992, p. 348; le juge du fond a la faculté de<br />

rejeter la répétition, soit parce qu’il considère que l’avantage ainsi reconnu à<br />

l’un des contractants compromettrait le rôle préventif de la sanction de nullité<br />

absolue prévue à l’article 1131 du Code civil, soit parce qu’il estime que l’ordre<br />

social exige que l’un des contractants soit plus sévèrement frappé, mais il n’est<br />

pas tenu de le faire.<br />

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ciation en dépit de la formulation sans équivoque de l’article 1967.<br />

Lorsqu’on sait que la participation au jeu ou au pari nécessite le plus<br />

souvent l’engagement d’une mise initiale, refuser au joueur ou au parieur<br />

le remboursement de cette mise n’est certainement pas le moyen<br />

le plus efficace pour lutter contre le fléau du jeu. Cette sanction revient<br />

en effet à sanctionner le joueur, pour le plus grand profit de l’exploitant<br />

qui l’a pris dans ses rets.<br />

19. — Quoi qu’il en soit, il est certain que ces sanctions civiles ne sont<br />

pas parvenues à extirper le jeu de la vie sociale. L’extraordinaire développement<br />

des casinos virtuels sur Internet en atteste (65). Il est vrai que<br />

le désaveu des jeux, paris et loteries, si solennellement affirmé par les<br />

codificateurs, s’est considérablement atténué depuis que les autorités<br />

publiques ont compris tout le parti que l’on pouvait tirer des bénéfices<br />

qu’ils procurent.<br />

De la réprobation générale, on est peu à peu passé à une compréhension<br />

bien mercantile. Sans crainte de se contredire, le fisc taxe en effet les<br />

jeux et paris sans se préoccuper de leur illicéité. L’alimentation des caisses<br />

de l’Etat a ses raisons que la raison ne connaît point. De Page, dans<br />

son Traité, s’insurgeait déjà vigoureusement contre cette attitude qui<br />

s’est confirmée au fil du temps : « on perçoit donc sur l’immoralité sans<br />

la combattre, voilà la réalité » (66).<br />

20. — Même s’ils subsistent toujours dans leur état initial, les<br />

articles 1965 et 1967 du Code civil ne sortent pas indemnes de cette duplicité.<br />

A défaut de pouvoir entrer dans le détail de ces législations particulières,<br />

on s’en tiendra à l’essentiel.<br />

L’article 4 de la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les établissements<br />

de hasard et la protection des joueurs prévoit ainsi que nul ne peut<br />

exploiter un ou plusieurs jeux de hasard sans licence écrite préalablement<br />

octroyée par la commission des jeux de hasard (67). En vue de<br />

mettre fin à une jurisprudence chaotique qui étendait la nullité à tous les<br />

contrats favorisant directement ou indirectement la pratique du jeu,<br />

même si leur objet n’avait rien à voir avec le jeu (68), l’article 5 de cette<br />

même loi précise que la seule illicéité d’un jeu ou d’un établissement de<br />

jeux ne suffit plus à entraîner la nullité des contrats conclus en vue de<br />

leur exploitation.<br />

Ceci signifie que l’illicéité éventuelle du jeu ou de l’établissement de<br />

jeux au regard de la loi pénale, ne permettra pas de faire obstacle à une<br />

action civile en exécution forcée de la convention concernée pourvu que<br />

celle-ci ne soit atteinte par aucun autre motif d’illicéité (69). Mais le jeu<br />

ou le pari, lui-même, reste frappé d’une cause illicite!<br />

Revenant au principe, l’article 58 de la même loi, tel que modifié par<br />

l’article 145 de la loi-programme du 17 avril 2003, interdit à quiconque<br />

de consentir aux joueurs ou aux parieurs toute forme de prêt ou de crédit,<br />

de conclure avec eux une transaction matérielle ou financière en vue<br />

de payer un enjeu ou une perte (70). L’article 1965 retrouve ici tous ses<br />

droits puisqu’il n’y a ni action en exécution forcée ni obligation de restituer<br />

ce qui a été prêté. Le texte porte cependant les traces d’un com-<br />

(65) Th. Verbiest, « Les casinos virtuels - Les jeux de hasard et de loteries sur<br />

Internet », J.T., 1999, p. 17. Ces jeux qui drainent des sommes considérables<br />

font l’objet de toutes les critiques, non seulement parce qu’ils sont dangereux<br />

et incontrôlables, mais aussi et surtout, parce qu’ils échappent à la taxe sur les<br />

jeux et paris.<br />

(66) H. De Page, op. cit., t. V, p. 306, n o 310.<br />

(67) Sur cette loi, voy., A. Kohl, « La loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard,<br />

les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs », J.T., 2001,<br />

p. 201.<br />

(68) Voy. Bruxelles, 10 déc. 1998, J.T., 1999, p. 211; Gand, 7 sept. 1999, Dr.<br />

aff., 1999, p. 125; Liège, 8 oct. 1997, Bull. Ass., 1999, p. 92, note D. De Masseneire.<br />

(69) Voy. A. Kohl, op. cit., p. 203, n o 5.<br />

(70) Sur cette disposition avant sa modification, voy. A. Kohl, op. cit., p. 204,<br />

n o 6.<br />

2004<br />

333


2004<br />

334<br />

promis tardif, puisque depuis l’adoption de la loi-programme précitée,<br />

l’utilisation des cartes de crédit et des cartes de débit est autorisée dans<br />

les établissements de jeux de hasard de classe I. Leur usage s’impose<br />

même, lorsque la somme s’élève à 10.000 € ou plus.<br />

En ce qui concerne les concours de paris sur les résultats d’épreuves<br />

sportives, l’article 6 de la loi du 26 juin 1963 supprime, quant à lui, la<br />

possibilité pour les organisateurs de ces concours d’opposer aux gagnants<br />

l’exception de jeu (71). On retire donc le bénéfice de l’exception<br />

à l’exploitant, ce qui paraît logique dès lors que ces concours sont autorisés,<br />

sans prendre aucune mesure corrélative au bénéfice du parieur, ce<br />

qui relève d’un pur cynisme.<br />

On ne sait pas trop bien ce que les auteurs du Code civil auraient pensé<br />

de telles concessions. Il semble en tout cas que le Code civil ne soit plus<br />

véritablement le reflet du droit commun en la matière. Bien plus, l’indignation<br />

si fortement exprimée lors des travaux préparatoires, ne semble<br />

plus correspondre à l’esprit du temps.<br />

VI. — CONCLUSION<br />

21. — On reconnaîtra volontiers que les articles 1964 à 1976 du Code<br />

civil ne sont pas de ceux qui ont laissé les traces les plus profondes dans<br />

le droit civil belge. A défaut de pouvoir exploiter l’enseignement des<br />

sciences des probabilités, les codificateurs ne sont pas parvenus à proposer<br />

une définition claire et cohérente des contrats aléatoires, ni à élaborer<br />

un régime juridique commun à ces contrats.<br />

Les dispositions consacrées à la rente viagère sont ainsi tatillonnes et<br />

marquées par la méfiance. Celles consacrées aux jeux et paris n’ajoutent<br />

en définitive que peu de chose à la théorie moderne de la cause illicite.<br />

Un droit de l’aléa reste donc à construire.<br />

Bernard DUBUISSON<br />

Professeur à l’U.C.L.<br />

(71) Sur ce texte, voy. en particulier, C. Goux « Exception de jeux et paris<br />

hippiques », J.T., 1998, p. 375, n os 14 et s. Cette disposition s’applique également<br />

aux organisateurs de paris sur les courses de chevaux.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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DU CAUTIONNEMENT<br />

Livre III - Titre XIV<br />

DU NANTISSEMENT<br />

Livre III - Titre XVII<br />

DES PRIVILÈGES ET HYPOTHÈQUES<br />

Livre III - Titre XVIII<br />

1. — Le cautionnement est la sûreté personnelle par excellence. Conçu<br />

comme tel par le Code civil, il est resté la garantie traditionnelle la plus<br />

communément utilisée, sans qu’il paraisse jamais nécessaire ou utile de<br />

réformer ou d’adapter les dispositions qui l’organisent depuis l’origine.<br />

Si les textes initiaux n’ont guère posé de difficultés d’application, hormis<br />

quelques nuances que nous examinerons plus loin, cela ne signifie pas<br />

qu’aucune évolution de la matière ne se soit fait sentir. Loin de là. La pratique,<br />

au contraire, puisant sa vigueur dans le principe de l’autonomie des<br />

volontés et exploitant énergiquement la large liberté laissée par le caractère<br />

supplétif, pour l’essentiel, du titre XIV consacré au cautionnement,<br />

s’est employée à tirer le droit des garanties personnelles vers toujours plus<br />

d’abstraction, de solidarité des garants, de rapidité d’exécution; en un<br />

mot, de sécurité pour le créancier. Le phénomène s’observe tant en matière<br />

commerciale que, dans une moindre mesure certes, en matière civile.<br />

2. — En réalité, les principales sources de contentieux liés à la mise en œuvre<br />

d’un cautionnement sont rattachées à d’autres domaines du droit. Ainsi,<br />

il arrive qu’une contestation surgisse, élevée par le conjoint de la caution,<br />

sur le fondement de l’article 224 du Code civil, qui prévoit l’annulation,<br />

sans préjudice de l’octroi de dommages-intérêts, des « sûretés personnelles<br />

données par l’un des époux et qui mettent en péril les intérêts de la famille ».<br />

La Cour de cassation a été amenée plusieurs fois à se pencher sur la portée<br />

de ce texte, relevant davantage du régime primaire des époux, voire<br />

de l’état des personnes, que de celui du cautionnement.<br />

3. — La même remarque vaut pour les exceptions tirées de l’instrumentum<br />

du cautionnement. L’on sait que le cautionnement, bien que présentant<br />

le caractère d’accessoire à une obligation principale, n’en emprunte<br />

pas la commercialité s’il échet et demeure de nature civile s’il se trouve<br />

émis par un non-commerçant. C’est alors des exigences posées par<br />

l’article 1326 du Code civil — et donc du droit de la preuve — qu’il<br />

s’est agi en jurisprudence, jusqu’à ce que l’arrêt de la Cour de cassation<br />

du 26 février 1993 affirme que la formalité dite du « bon pour », prévue<br />

par cet article, « ne concerne pas le contrat de cautionnement, même s’il<br />

a pour objet un engagement unilatéral, si le montant ou la quantité ne<br />

sont pas connus au moment de l’engagement et qu’ils ne peuvent s’exprimer<br />

par un chiffre » (Pas., 1993, I, 220).<br />

4. — Cela nous amène à relever la transformation, sans doute la plus fondamentale,<br />

depuis l’entrée en vigueur du Code civil du droit des sûretés<br />

et général et du cautionnement en particulier : une sûreté peut être consentie<br />

en garantie de créances futures, même non déterminées pourvu<br />

qu’elles soient déterminable au moment de la conclusion de la convention<br />

accessoire (Cass., 28 mars 1974, Pas., 1974, I, 776; Simont et Bruyneel,<br />

« Le cautionnement donné en garantie de toutes les obligations<br />

d’un débiteur envers son créancier », R.C.J.B., 1974, pp. 204 et s.).<br />

5. — Pour le surplus, le droit de la responsabilité a offert aux cautions<br />

les outils leur permettant parfois de se forger diverses exceptions, généralement<br />

en vain, il faut bien le dire. Il a pu cependant être reproché à<br />

un dispensateur de crédit d’avoir négligé d’informer la caution sur la situation<br />

exacte du débiteur principal ou sur l’évolution de la dette garantie.<br />

Dans ce cas, une décision judiciaire peut priver le créancier, en ré-


paration de sa faute, du droit de recouvrer sa créance auprès de la caution,<br />

pourvu bien entendu que celle-ci ne fût pas elle-même en position<br />

d’appréhender clairement les enjeux de son engagement.<br />

6. — L’évocation rapide du contrat de cautionnement ne va pas sans allusion<br />

à ce véritable phénomène de la pratique bancaire, et même de<br />

tout le droit des affaires, international ou national, qu’est la garantie indépendante,<br />

dite encore autonome ou à première demande. Définie<br />

comme « l’engagement de payer une somme déterminée, donné à l’occasion<br />

et en garantie d’une opération économique mais rendu indépendant<br />

de cette opération par l’inopposabilité au bénéficiaire des exceptions<br />

inhérentes à celle-ci » (Cabrillac et Mouly, Droit des sûretés,<br />

p. 312, n o 396), la garantie indépendante se distingue du cautionnement<br />

en ce que l’obligation du garant est volontairement et radicalement coupée<br />

du contrat de base garanti. Ses effets ne peuvent être examinés qu’à<br />

la lumière de la portée du contrat ou de l’engagement unilatéral luimême,<br />

sans que la moindre exception puisse naître de l’opération à l’occasion<br />

de laquelle il est souscrit. Abstraction et autonomie de la volonté<br />

forment les deux piliers de cette forme nouvelle de garantie personnelle.<br />

1. — Nul n’ignore que depuis longtemps, l’institution de l’antichrèse,<br />

sûreté avec dépossession portant sur un immeuble, est tombée en désuétude,<br />

et que, par conséquent, le terme de nantissement, recouvrant dans<br />

les textes à la fois l’antichrèse et le gage, s’identifie entièrement désormais<br />

à ce dernier.<br />

2. — S’il recèle encore le socle des règles de droit commun appelées à<br />

gouverner les diverses formes de gage, le titre XVII du Code civil n’est<br />

assurément pas la source principale de droit en la matière.<br />

De nombreuses lois spéciales sont venues apporter au régime de cette<br />

sûreté de nombreuses dérogations, précisions ou particularités.<br />

Ainsi, en va-t-il de la loi du 18 novembre 1862 portant institution du système<br />

des warrants, de la loi du 5 mai 1872 sur le gage commercial formant<br />

le titre VI du Code de commerce, de la loi du 25 octobre 1919 sur la mise<br />

en gage du fonds de commerce, l’escompte et le gage de la facture ainsi que<br />

l’agréation et l’expertise des fournitures faites directement à la consommation,<br />

des dispositions du Code des sociétés et de lois financières déterminant<br />

les modes de constitution, et d’exécution de gages d’instruments financiers.<br />

Dans leur large majorité, c’est essentiellement du champ d’application<br />

de ces diverses lois spéciales (et seulement subsidiairement de celui<br />

du Code civil) que relèvent les actes du gage conclus dans la pratique.<br />

3. — Un adaptation notable apparaît à l’article 2075 du Code civil belge :<br />

le gage de créances est désormais consensuel et non plus réel en ce qui<br />

concerne sa formation. En effet, en vertu de l’alinéa premier de cet article<br />

« Le créancier est mis en possession de la créance gagée par la conclusion<br />

de la convention de gage ». Les règles d’opposabilité du gage de créances<br />

ont, dans le même esprit, été radicalement simplifiées, puisque, supprimant<br />

l’exigence de la remise du titre et de la signification au débiteur de<br />

la créance gagée, l’article 2075, alinéa 2, du Code civil prescrit à présent<br />

que « La mise en gage n’est opposable au débiteur de la créance gagée<br />

qu’à partir du moment où elle lui a été notifiée ou qu’il l’a reconnue ».<br />

4. — Un mot enfin pour souligner la validité du gage, quel qu’il soit,<br />

constitué en garantie de toutes sommes, actuelles ou futures, dues ou à<br />

devoir par le débiteur. Comme pour le cautionnement, l’évolution est<br />

exclusivement l’œuvre de la jurisprudence.<br />

1. — Le titre XVII du Code civil comprenait antérieurement les<br />

articles 2092 à 2203 inclus. Il a été abrogé et remplacé par la loi hypothécaire<br />

du 16 décembre 1851.<br />

Pour l’essentiel, la loi hypothécaire reprend les règles établies par le<br />

Code civil. Elle pose les principes de la sujétion uniforme des biens du<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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débiteur au bénéfice de ses créanciers et de l’égalité de ceux-ci en cas<br />

de concours, sans préjudice des causes légitimes de préférence que sont<br />

les privilèges et les hypothèques, décrits ensuite par la loi.<br />

De modifications internes majeures, la loi hypothécaire n’en a guère<br />

connues.<br />

Quelques privilèges y ont été ajoutés; d’autres ont disparu. C’est de<br />

l’extérieur pour l’essentiel que les institutions juridiques qu’elle contient<br />

ont reçu leurs principales évolutions.<br />

2. — Ainsi, la jurisprudence a affiné, au fil d’une succession d’arrêts de<br />

principe, le privilège du conservateur, par exemple; elle a tranché aussi,<br />

lorsque les textes avaient omis de le faire expressément, d’importants<br />

conflits entre créanciers privilégiés ou nantis de sûretés; elle a déterminé<br />

enfin les effets de la loi qui établit un nouveau privilège, édictant que<br />

« en règle générale, une loi qui établit un nouveau privilège, s’applique,<br />

dès la date de son entrée en vigueur, aux créances nées antérieurement<br />

à cette date, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des<br />

droits déjà irrévocablement fixés, notamment par un concours entre tous<br />

les créanciers déterminant d’une manière irrévocable leurs droits<br />

respectifs » (Cass., 31 oct. 1988, Pas., 1989, I, 227).<br />

3. — Par ailleurs, les effets des privilèges et des sûretés dépendent en grande<br />

partie de la place que leur réservent les différentes législations régissant l’insolvabilité<br />

du débiteur. Aussi, convient-il, à ce propos, d’analyser avec rigueur<br />

notamment la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire, la<br />

loi du 8 août 1997 sur les faillites ainsi que le titre IV de la cinquième partie<br />

du Code judiciaire, relatif au règlement collectif de dettes.<br />

4. — Enfin, une disposition fondamentale — bien qu’insérée dans une loi<br />

particulière — marque l’évolution du droit de l’hypothèque et admet, dans<br />

une inspiration identique à celle qui a présidé à un changement semblable<br />

en matières de cautionnement et de gage, la validité d’une hypothèque<br />

consentie pour garantir des créances futures. L’article 51bis de la loi du<br />

4 août 1992 relative au crédit hypothécaire dispose, en son premier paragraphe,<br />

qu’une hypothèque peut être constituée pour sûreté de créances<br />

futures, à la condition qu’au moment de la constitution de l’hypothèque,<br />

les créances garanties soient déterminées ou déterminables; son rang est<br />

fixé au jour de son inscription, sans égard aux époques auxquelles les<br />

créances garanties prennent naissance ».<br />

Cet article poursuit en prévoyant ce qui représente une innovation considérable<br />

dans le domaine des droits réels : le droit de résilier l’hypothèque<br />

constituée pour sûreté de créances futures pouvant naître pendant<br />

une durée indéterminée ou pour sûreté de créances découlant d’un contrat<br />

à durée indéterminée.<br />

« La personne contre laquelle une telle hypothèque est inscrite ou le<br />

tiers détenteur du bien affecté de l’hypothèque », énonce-t-il, « peut à<br />

tout moment résilier l’hypothèque moyennant un préavis d’au moins<br />

trois mois et d’au maximum six mois, lequel préavis est adressé au<br />

créancier par lettre recommandée à la poste avec accusé de réception.<br />

Le délai de préavis prend cours à la date de l’accusé de réception.<br />

» Quant aux créances futures, la résiliation a pour conséquence que<br />

l’hypothèque ne garantit plus que les créances garanties qui existent à<br />

l’expiration du délai de préavis.<br />

» Quant aux contrats à durée indéterminée, restent garanties par l’hypothèque,<br />

les seules créances issues de l’exécution de ces contrats qui<br />

existent à l’expiration du délai de préavis.<br />

» Celui qui résilie l’hypothèque peut exiger que le créancier lui notifie<br />

par écrit l’inventaire des créances encore garanties au terme du délai de<br />

préavis ».<br />

5. — Jusqu’à présent surtout fécondée par de nombreux et ponctuels apports<br />

extérieurs, la loi hypothécaire pourrait rapidement connaître la<br />

grande révolution, annoncée depuis plusieurs années, de l’harmonisation<br />

de la matière en Europe.<br />

Michèle GRÉGOIRE<br />

2004<br />

335


2004<br />

336<br />

DES TRANSACTIONS<br />

Livre III - Titre XV<br />

1. — La convention de transaction est définie à l’article 2044 du Code<br />

civil comme « le contrat par lequel les parties terminent une contestation<br />

née, ou préviennent une contestation à naître », moyennant des concessions<br />

réciproques. Cette dernière condition a été ajoutée par la jurisprudence<br />

et la doctrine afin de distinguer la convention de transaction<br />

d’autres actes juridiques visant à résoudre un litige comme le désistement<br />

d’action ou le simple acquiescement, même conventionnel à une<br />

prétention ou une décision. La notion de litige a été progressivement interprétée<br />

de façon plus souple et plus extensive par la jurisprudence et<br />

la doctrine. Au début, plusieurs auteurs, s’inspirant notamment de certains<br />

passages des travaux préparatoires du Code civil, ont soutenu que<br />

l’existence d’un droit douteux constituait un élément nécessaire à la<br />

transaction, à défaut de quoi celle-ci n’aurait pas de raison d’être et<br />

manquerait à la fois de cause et d’objet. Aujourd’hui, on admet assez<br />

généralement que la question litigieuse ne doit pas nécessairement donner<br />

lieu à un doute. Il suffit que les parties aient des prétentions contraires<br />

sur un élément de fait ou une question juridique. En somme, il est<br />

bien rare que l’on puisse affirmer l’absence d’un litige, au moins<br />

potentiel : tout droit subjectif peut être menacé par une prétention contraire.<br />

La notion de litige est cependant encore plus restrictive que la notion<br />

d’incertitude. Cependant, la doctrine flamande utilise de plus en<br />

plus la notion de « vaststellingsovereenkomst » (convention déclarative<br />

de droit), consacrée en droit néerlandais par l’article 7:900 du Nieuwe<br />

Burgerlijk Wetboek. Par une telle convention, les parties s’engagent<br />

mutuellement à terminer ou prévenir une incertitude ou un litige concernant<br />

leur situation juridique, en respectant la convention qui fixe une<br />

fois pour tout leurs droits. Cette notion beaucoup plus large a pour avantage<br />

d’éviter les discussions inutiles de qualification sur l’existence<br />

d’un litige ou de concessions réciproques. Outre la transaction, on peut<br />

ranger parmi ces conventions « la partijbeslissing », la « bindende<br />

derdenbeslissing » (tierce décision obligatoire), l’expertise conventionnelle<br />

irrévocable qui constituent des contrats innommés. Les conventions<br />

qui ont été erronément qualifiées comme transaction par les parties<br />

contractantes mais où l’élément constitutif « litige » ou<br />

« concessions réciproques » fait défaut ne sont pas nulles mais doivent<br />

être aussi requalifiées en des conventions innommées.<br />

2. — Le régime juridique de ces contrats innommés n’est cependant<br />

guère différent de la convention de transaction réglée par les<br />

articles 2044-2058 du Code civil. La plupart des dispositions relatives<br />

à la transaction ne constituent en effet qu’une confirmation des dispositions<br />

du Code civil régissant les contrats ou les obligations conventionnelles<br />

en général. L’article 2046 du Code civil dispose par exemple<br />

qu’on peut transiger sur l’intérêt qui résulte d’un délit. La transaction<br />

n’empêche pas la poursuite du ministère public. Cette disposition est<br />

une application particulière de la règle qu’une obligation doit avoir un<br />

objet licite. Puisque l’action publique touche à l’ordre public, une transaction<br />

(convention) ne pourrait porter atteinte à la poursuite du ministère<br />

public. L’article 2047 du Code civil « dispose qu’on pourrait ajouter<br />

à une transaction la stipulation d’une peine contre celui qui manque<br />

à l’exécuter ». La validité de la clause pénale est cependant déjà réglée<br />

par les articles 1226 à 1234 du Code civil. En ce qui concerne l’interprétation,<br />

le Code civil contient deux règles d’interprétation.<br />

L’article 2048 du Code civil dispose que « les transactions se renferment<br />

dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions<br />

et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a<br />

donné lieu ». D’après l’article 2049 du Code civil, « les transactions ne<br />

règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties<br />

aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales,<br />

soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de<br />

ce qui est exprimé ». Ces deux dispositions citées ne constituent cepen-<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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dant qu’une application particulière des articles 1156 et 1163 du Code<br />

civil. Le principe général visé à l’article 1165 du Code civil selon lequel<br />

les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes est repris<br />

à l’article 2051 du Code civil, disposant que « la transaction faite par<br />

l’un des intéressés ne lie point les autres intéressés et ne peut être opposée<br />

par eux ». Les règles concernant les vices de consentement sont aussi<br />

repris. Il est en effet inutile de prévoir à l’article 2053 du Code civil<br />

que la transaction peut être rescindée lorsqu’il y a erreur sur la personne<br />

ou sur l’objet de la contestation, ou dans tous les cas où il y a dol ou violence.<br />

Ce principe est en effet déjà exprimé à l’article 1109 du Code civil.<br />

Le principe que les transactions ne peuvent être attaquées pour cause<br />

de lésion (art. 2052) est déjà exprimé par l’article 1118 du Code civil<br />

prévoyant que la lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats<br />

ou à l’égard de certaines personnes. Dans le Code civil, la possibilité<br />

de réparer les erreurs de calcul dans les conventions est seulement<br />

expressement prévue pour la convention de transaction. Selon la doctrine,<br />

l’article 2058 du Code civil exprime un principe applicable à toutes<br />

les conventions. Ce qui pourrait d’ailleurs aussi être fondé sur la base<br />

de l’article 1368 du Code judiciaire.<br />

3. — En fin de compte, dans le titre du Code civil relatif à la transaction,<br />

il subsiste seulement deux dispositions qui dérogent au droit commun<br />

des obligations. L’article 2044 du Code civil prévoit que le contrat de<br />

transaction doit être rédigé par écrit. Il est constant à cet égard que<br />

l’écrit n’est exigé qu’ad probationem. Contrairement à ce qui est prévu<br />

à l’article 1341 du Code civil, cette preuve écrite en matière civile est<br />

même exigée pour toutes transactions même si elles n’excèdent pas une<br />

somme ou valeur de 375 €. Une deuxième dispositions dérogatoire est<br />

le fait que les transactions (comme les aveux) ne peuvent être attaquées<br />

pour cause d’erreur de droit. L’erreur de droit doit se comprendre comme<br />

l’erreur portant sur le droit objectif en non sur des droits subjectifs.<br />

Cette exclusion de l’erreur de droit par le législateur est due au fait que<br />

les parties à une transaction mettent fin à un litige sans se soucier de la<br />

question de savoir qui des parties a juridiquement tort ou raison. Cette<br />

exception devrait donc aussi pouvoir s’appliquer à d’autres conventions<br />

déclaratives de droit que la transaction.<br />

4. — L’enjeu de savoir si une convention constitue une convention déclarative<br />

de droit innommé ou une transaction est donc limité à l’application<br />

de ces deux dispositions dérogatoires au droit commun des obligations.<br />

Il me semble qu’il est temps de revoir les dispositions du Code<br />

civil concernant la transaction et d’adopter une notion plus large, comme<br />

l’a fait le droit néerlandais afin d’éviter des discussions de qualification<br />

(inutiles).<br />

Bernard TILLEMAN<br />

Contrats et patrimoine alliance de recherche K.U. Leuven


LA PRESCRIPTION LIBÉRATOIRE :<br />

PARADIGME OU PARADOXE<br />

DE LA SÉCURITÉ JURIDIQUE?<br />

Livre III - Titre XX - Chapitre I<br />

1. — Il n’est pas d’usage que le toast porté à l’occasion d’un anniversaire<br />

adopte un ton irrévérencieux envers le jubilaire. Le protocole<br />

restera sauf car ce n’est pas au Code Napoléon, mais à sa fillette<br />

la plus indisciplinée que s’adressent ces quelques lignes iconoclastes.<br />

Au demeurant, c’est sans doute d’un cruel manque de Code dont<br />

souffre cet enfant prodigue. Car posons-le d’emblée, tous les trésors<br />

palliatifs et pédagogiques de l’œuvre de la doctrine civiliste (1) suffisent<br />

à peine à justifier aujourd’hui, de lege lata, le salut de la prescription<br />

extinctive ou libératoire — initialement et (trop) partiellement<br />

— régie par les articles 2219 et suivants du Code dont on célèbre<br />

aujourd’hui le bicentenaire. Au prix d’une évolution jalonnée<br />

d’avatars, l’institution est beaucoup plus protéiforme que monolithique.<br />

Elle se trouve surtout affectée d’un saisissant paradoxe. Les pères<br />

du Code civil pouvaient proclamer solennellement que « de toutes<br />

les institutions du droit civil, la prescription est la plus nécessaire<br />

à l’ordre social. Sans elle, nul ne pourrait jamais se regarder comme<br />

propriétaire ou comme affranchi de ses obligations; il ne resterait au<br />

législateur aucun moyen de prévenir ou de terminer les procès; tout<br />

serait incertitude » (2). Il s’agissait d’œuvrer au maintien, ou à la restauration,<br />

de la « paix sociale » compromise par la « multiplication à<br />

l’infini des procès » engendrée par la « propension de l’être humain<br />

à la chicane » (3). Deux siècles plus tard, le vœu laisse rêveur. Car<br />

s’il faut se garder de mettre en cause ou en doute les finalités pristines<br />

et fondatrices de la prescription libératoire, force est de constater<br />

que l’institution elle-même n’a pas — loin s’en faut — scellé la paix<br />

(judiciaire à tout le moins), pas plus qu’elle n’aura contribué à enrayer<br />

le consumérisme judiciaire. Conçue comme arme absolue contre<br />

l’insécurité juridique, la prescription libératoire en devint à la fois<br />

l’une des principales victimes et l’une des grandes artisanes. On veut<br />

dire par là qu’avec deux cents ans de recul, il n’est guère, au sein de<br />

l’édifice de 1804, de mécanismes autant chahutés, aussi décousus, et<br />

partant aussi peu prévisibles, que celui-ci. Faut-il s’étonner, dès lors,<br />

(1) Il est évidemment impossible de rendre hommage à tous les auteurs qui, durant<br />

deux siècles, auront traité du sujet. Voici quelques « incontournables » :<br />

H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VII, 2 e éd., Bruxelles,<br />

Bruylant, 1957, pp. 1019 et s., n os 1129 et s.; R.P.D.B., t. X, v o « Prescription<br />

en matière civile », Bruxelles, Bruylant, 1951; Galopin, De la prescription, Namur,<br />

1910; Tissier, De la prescription, in Baudry-Lacantinerie, 4 e éd.; A. Van<br />

Oevelen, « Algemeen overzicht van de bevrijdende verjaring en de vervaltermijnen<br />

in het Belgisch privaatrecht », T.P.R., 1987, pp. 1755 et s.; R. Philips,<br />

« Chronique de jurisprudence : la prescription en matière civile (1939-1950) »,<br />

J.T., 1951, pp. 395 et s.; M. Regout-Masson, « La prescription en droit civil »,<br />

in La prescription (sous la dir. de E. Vieujean), Formation permanente C.U.P.,<br />

vol. XXIII, avril 1998, pp. 29 et s.; W. Delva, « De bevrijdende verjaring en de<br />

vervaltermijnen », in Jaarboek VIII. Vereniging voor de vergelijkende studie<br />

van het recht van België en Nederland, Zwolle, Tjeenk Willink, 1961-1962,<br />

pp. 274 et s.; M.-E. Storme, « Perspektieven voor de bevrijdende verjaring in<br />

het vermogensrecht », T.P.R., 1994, pp. 1979 et s.; P. Jadoul, « L’évolution de<br />

la prescription en droit civil », in L’accélération du temps juridique (sous la dir.<br />

de Ph. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove), éd. F.U.S.L., 2000, pp. 749 et s.;<br />

F. Zenati et S. Fournier, « Essai d’une théorie unitaire de la prescription »,<br />

R.T.D. civ., 1996, pp. 339 et s.; M. Bruschi, « Essai d’une typologie des prescriptions<br />

en droit privé », in Le temps et le droit (sous la dir. de P.-A. Cotte et<br />

J. Fremont), Paris, éd. Y. Blais, 1996, pp. 282 et s.; H. Bocken (dir.), I. Boone,<br />

B. Claessens, D. Counye, E. De Kezel et P. De Smedt, De herziening van de<br />

bevrijdende verjaring door de wet van 10 juni 1998 - De gelijkheid hersteld?,<br />

Gandaius, Kluwer, Anvers, 1999, 172 p.<br />

(2) Exposé des motifs par Bigot-Préameneu, n o 1, in Locré, Législation civile,<br />

commerciale et criminelle de la France, éd. belge, t. VIII, pp. 344-345.<br />

(3) M. Regout-Masson, op. cit., p. 43; H. De Page, op. cit., n o 1132, A. Jadoul,<br />

op. cit., p. 751; A. Van Oevelen, op. cit., p. 1761, n o 7.<br />

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que la méconnaissance (l’insaisissabilité?) du droit de la prescription<br />

constitue, sur le plan statistique, la principale source de responsabilité<br />

de l’avocat (4)? Les causes de cette malheureuse opacité sont<br />

variées, et d’intensité inégale.<br />

2. — Il serait excessif, et donc injuste, d’affirmer que les textes du Code<br />

civil portaient, en eux-mêmes, les germes du problème actuel. Il reste<br />

néanmoins que certaines difficultés vivaces leur sont redevables. On<br />

songe par exemple aux rapports complexes et ambigus que la prescription<br />

libératoire entretient depuis toujours avec l’ordre public, et au cortège<br />

d’hésitations qui en découle en termes de pouvoirs du juge<br />

(art. 2223, C. civ.), de renonciations (art. 2220, C. civ.), de licéité des<br />

clauses dérogatoires (spécialement abréviatives) (5). On songe ensuite<br />

aux controverses persistantes sur la délimitation du champ d’application<br />

des règles spécifiques édictées par les articles 2274 et 2275 du<br />

Code civil, et justifiées par l’idée d’une présomption de paiement (6) :<br />

ces dispositions s’appliquent-elles à la facture (7)? Visent-elles en outre<br />

les courtes prescriptions autres que celles qui sont instituées par les<br />

articles 2271 à 2273? A ce jour, les réponses à ces questions restent dépourvues<br />

de netteté.<br />

Les incertitudes grandissent à l’aune des thèmes de l’interruption<br />

(art. 2244 et s., C. civ.) et de la suspension (art. 2251, C. civ.) de la<br />

prescription. Avec De Page, l’on peut regretter que l’acte introductif<br />

d’instance nul en la forme n’opère point l’interruption de la prescription,<br />

lorsque tel est pourtant le cas de la saisine d’un juge incompétent<br />

(art. 2244, C. civ.). Où gît la différence, puisqu’en toute hypothèse,<br />

« l’effet interruptif de la citation en justice tient aujourd’hui à<br />

la manifestation de la volonté que cet acte implique » (8), bien davantage<br />

qu’aux formes qu’il adopte? Fût-elle affectée d’une nullité<br />

au sens de l’article 860 du Code judiciaire, la citation — ou la requête<br />

— n’altère pas l’expression de la volonté de son auteur, pas plus<br />

que lorsqu’elle est portée devant un juge incompétent. Dans un contexte<br />

combinant la multiplication des courtes prescriptions (infra,<br />

n o 4) et l’arriéré judiciaire, l’insécurité engendrée par la règle peut<br />

s’avérer particulièrement perverse, sachant que c’est souvent au bout<br />

de longues années de procédure — et donc après l’échéance de la<br />

prescription — que le juge annulera, d’office et par surprise le cas<br />

échéant (art. 862, C. jud.), l’acte introductif d’instance. L’insécurité<br />

n’épargne pas non plus les questions touchant à la cessation de l’effet<br />

interruptif de la citation. Le doute subsiste en particulier pour la radiation<br />

de la cause (art. 730, C. jud.) (9). Sans doute est-il de jurisprudence<br />

constante que la citation interrompt la prescription de l’action<br />

qu’elle introduit, tout autant que celle des actions qui y sont<br />

« virtuellement comprises » (10). Mais quand une demande est-elle<br />

« virtuellement comprise » dans l’objet d’une autre? A l’heure où ces<br />

lignes sont écrites, rien ne permet d’affirmer avec certitude que seules<br />

les demandes additionnelles (art. 808, C. jud.), à l’exclusion notamment<br />

de toute demande nouvelle (art. 807, C. jud.), seraient visées<br />

par l’expression (11). A première vue, la règle énonçant que la<br />

(4) Voy. par ex., P. Depuydt, « La responsabilité civile de l’avocat », in Les responsabilités<br />

professionnelles (sous la dir. de B. Dubuisson), Formation permanente<br />

C.U.P., vol. 50, 2001, spéc. pp. 43 et s., n os 17 et s.<br />

(5) Sur ces hésitations, cons., H. De Page, op. cit., n os 1134 et 1254.<br />

(6) Sur ces difficultés, M. Regout-Masson, op. cit., pp. 43 et s.<br />

(7) Adde, A. Gosselin, « Les prescriptions présomptives de paiement de la<br />

facture? », J.T., 1994, p. 30, et W. Wilms, « De betekenis van de kwitende verjaring<br />

in de Code Napoléon », J.J.P., 1984, p. 73.<br />

(8) Prem. av. gén. J.-F. Leclercq (alors av. gén.), concl. précéd. Cass., 3 juin<br />

1991, Pas., 1991, I, p. 867.<br />

(9) Comp. notam., Cass., 2 mai 1980, Pas., 1980, I, p. 1087 et, par ex. G. de<br />

Leval, Eléments de procédure civile, coll. Fac. dr. Liège, Bruxelles, Larcier,<br />

2003, p. 123, n o 84 B et la note 153, A. Fettweis, Manuel de procédure civile,<br />

2 e éd., 1987, P.U. Liège, p. 214, n o 263; J. Linsmeau, « La réforme du Code<br />

judiciaire : réflexion d’un usager », Cah. dr. jud., 1991, pp. 10-13.<br />

(10) Cass., 7 mai 2001, S.00.0047.N.; Cass., 11 mars 1993, Pas., 1993, I,<br />

n o 142; Cass., 24 avril 1992, Pas., 1992, I, n o 447 (jurisprudence constante).<br />

(11) S. Mosselmans, « La modification de la demande dans le cadre de<br />

l’article 807 du Code judiciaire », in Rapport de la Cour de cassation 2002, éd.<br />

2004<br />

337


2004<br />

338<br />

prescription est suspendue, en ce qu’elle ne court point contre les mineurs<br />

et les interdits, « sauf ce qui est dit à l’article 2258 du Code<br />

civil » (12) et « à l’exception des autres cas déterminés par la loi »<br />

(art. 2252, C. civ.), ne prêtait pas le flanc à la discussion. C’était sans<br />

compter l’œuvre créatrice de la doctrine et de la jurisprudence, rebaptisant<br />

tantôt certains délais de prescription en « délais préfix » insusceptibles<br />

de suspension (13), considérant tantôt qu’il suffit d’une<br />

interprétation de la volonté du législateur, et non d’un texte exprès,<br />

pour que l’on se trouve en présence d’un « autre cas » justifiant<br />

l’écartement du régime précité de suspension (14). Par hypothèse, ce<br />

n’est que trop tard et à ses dépens, que l’ex-incapable prend connaissance<br />

de ces nuances. Ces vicissitudes, et bien d’autres encore, énervent<br />

la sérénité du praticien et la sécurité du justiciable. Certes, mais<br />

même leur accumulation ne pourrait rivaliser avec l’effet dévastateur<br />

du deuxième facteur de précarisation de l’institution, à savoir l’évanescence<br />

de la loi de prescription elle-même.<br />

3. — Il n’est pas de plus grande insécurité juridique que celle résultant<br />

de l’invalidation de la loi par l’instance juridictionnelle chargée, à l’occasion<br />

d’un litige particulier, d’en vérifier la conformité à une norme supérieure.<br />

C’est pourtant le triste sort que connût la plus célèbre et la plus<br />

récurrente des prescriptions libératoires, celle de l’action personnelle<br />

tendant à l’indemnisation du préjudice causé par un fait constitutif d’infraction<br />

pénale. On n’a pas encore fini de mesurer les retombées du séisme<br />

provoqué par le brevet d’inconstitutionnalité inévitablement décerné<br />

le 21 mars 1995 par la Cour d’arbitrage à la prescription quinquennale<br />

fixée par l’article 26 ancien du titre préliminaire du Code<br />

d’instruction criminelle (15). Le vide provisoirement laissé par cette<br />

étape décisive de l’évolution fut aggravé par l’absence d’un droit transitoire<br />

jurisprudentiel cohérent (16). L’intervention du législateur au secours<br />

de la sécurité juridique était urgente.<br />

Elle se fit attendre; mais l’ampleur de la réforme éclipsa sa tardiveté.<br />

A la vérité, c’est toute la toile de la prescription libératoire tissée par<br />

près de deux siècles de pratiques et de discours, que la loi du 10 juin<br />

1998 a détricotée. Les analyses détaillées des nouveaux textes ne<br />

manquent point (17). Ces études montrent bien les quelques amélio-<br />

du Moniteur belge, p. 183; J. van Compernolle et G. Closset-Marchal (e.a.),<br />

« Examen de jurisprudence (1991 à 2001) - Droit judiciaire privé », R.C.J.B.,<br />

2002, pp. 498-499, n o 477; G. de Leval, op. cit., n os 24, 25 et 30 b); M. Regout-<br />

Masson, op. cit., pp. 55-56.<br />

(12) Selon lequel, assez paradoxalement (M. Regout-Masson, op. cit., p. 60),<br />

les courtes prescriptions des articles 2271 à 2273 ne sont pas suspendues au<br />

profit du mineur ou de l’interdit.<br />

(13) H. De Page, op. cit., n os 1135-1137 et n o 1224.<br />

(14) Voy. par ex. Cass., 1 er juin 1995, Pas., 1995, I, p. 583; adde : H. De Page,<br />

op. cit., n o 1224, ainsi que M. Buy, « Prescriptions de courte durée et suspension<br />

de la prescription », J.C.P., 1977, 2833.<br />

(15) C. Arb., arrêt n o 25/95, 21 mars 1995, M.B., 31 mars 1995, p. 8187. Les<br />

commentaires de cet arrêt furent pléthoriques: voy. P. Desmedt, « De antecedenten<br />

van de wet van 10 juni 1998 », in De herziening..., 1oc. cit., pp. 41 et s.,<br />

n os 43 et s., ainsi que P. Jadoul, op. cit., pp. 760 et s., et les multiples réf. cit.<br />

par ces auteurs.<br />

(16) C. Arb., arrêt n o 8/97, 19 févr. 1997, J.T., 1997, p. 293, obs. M. Mahieu. Sur<br />

ce sujet difficile, voy. F. Ost et S. van Drooghenbroeck, « Le droit transitoire jurisprudentiel<br />

dans la pratique des juridictions belges », in « Le droit transitoire jurisprudentiel<br />

- Perspective comparative », Rev. dr. U.L.B., vol. 26, 2002-2, pp. 1 et<br />

s., spéc. (au sujet des effets dans le temps de l’arrêt du 21 mars 1995), pp. 30-32.<br />

(17) Ici encore, l’exhaustivité ne se conçoit pas. Outre le remarquable ouvrage<br />

dirigé par le professeur H. Bocken, déjà cité, et les réf. y citées, voy. les excellentes<br />

études de A. Jacobs, « La loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions<br />

en matière de prescription », R.G.D.C., 1999, p. 10 et s., de I. Claeys,<br />

« De nieuwe verjaringswet : een inleidende verkenning », R.W., 1998-1999,<br />

pp. 378 et s. et « Een tweede blik op de nieuwe verjaringswet », in C.B.R.-Jaarboek<br />

1998-1999, Maklu, Anvers, 1999, p. 202, et encore celle de N. Denoël,<br />

« Les assurances de responsabilité et la loi du 25 juin 1992 », in Les assurances<br />

de responsabilité, éd. du Jeune barreau de Bruxelles, 1999, spéc. pp. 87-102,<br />

n os 31-73. Pour un premier bilan — quinquennal — de la loi du 10 juin 1998,<br />

voy. C. Lebon, « De nieuwe verjaringswet. 5 jaar later », N.j.W., 2003, n o 39,<br />

pp. 834 et s.; A. Van Oevelen, « Recente ontwikkelen inzake de bevrijdende<br />

verjaring in het burgelijk recht », R.W., 2000-2001, pp. 1433 et s.<br />

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rations prodiguées par la réforme, mais aussi — et surtout — les nouveaux<br />

vecteurs d’insécurité qu’elle a créés. Désormais, le délai de<br />

prescription varie selon qu’il affecte une action réelle (art. 2262, C.<br />

civ.) ou une action personnelle (art. 2262bis, C. civ.) : les querelles<br />

de qualification ont de beaux jours devant elles (18). La prescription<br />

des actions personnelles fait elle-même l’objet d’un régime bicéphale<br />

(19), selon qu’il s’agit d’actions dérivées d’un contrat<br />

(art. 2262bis, § 1 er , al. 1 er , C. civ.) ou d’un quasi-délit (art. 2262bis,<br />

§1 er , al. 2 et 3, C. civ.). Ne voit-on pas là une nouvelle différence de<br />

traitement au devenir constitutionnel incertain (20), et qui, à tout le<br />

moins, cristallise une autre problématique, non moins délicate : celle<br />

du concours et du cumul de responsabilités? L’éclatement de ce qu’il<br />

faut encore appeler, faute de mieux ou par nostalgie, le « droit<br />

commun » de la prescription libératoire, ne s’arrête pas là (21). Dorénavant,<br />

le processus de prescription de l’action ex delicto, se trouve<br />

enchâssé par la combinaison de deux délais, l’un — minimal —<br />

de cinq ans (art. 2262bis, § 1 er , al. 2, C. civ.), l’autre — maximal —<br />

de vingt ans (art. 2262bis, § 1 er , al. 3, C. civ.). En soi, le mécanisme<br />

— soufflé par la Cour de cassation (22) et corroboré par l’exemple<br />

hollandais — échappe à tout reproche. Mais il échet de constater que<br />

la computation du délai quinquennal précité est livrée à l’aléa<br />

probatoire : comment, et par qui, prouver la date à laquelle la victime<br />

a eu connaissance de son dommage et de l’identité du responsable?<br />

Peut-on lui opposer qu’elle « aurait dû raisonnablement en avoir<br />

connaissance » (23) plus tôt? C’est possible, mais pas certain (24).<br />

Une chose l’est en revanche : la porte s’ouvre à la subjectivité, et<br />

donc, une fois encore, à l’insécurité, dans un domaine qui se doit<br />

pourtant d’être le plus cartésien du droit civil. Et que dire enfin du<br />

véritable imbroglio créé par le régime transitoire des nouvelles dispositions<br />

(art. 10 et 11 de la loi du 10 juin 1998), encore compliqué<br />

par la survivance de l’« ancien » délai trentenaire de prescription<br />

(25)? Malheureusement, l’on ne pourra nourrir l’espoir d’un regain<br />

(18) C. Lebon, op. cit., N.j.W., 2003, pp. 837-838.<br />

(19) Au passage, l’on pourrait se demander ce qu’il en est de la prescription des<br />

actions nées d’un quasi-contrat. S’agit-il ou non d’une « action en réparation<br />

d’un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle »?<br />

(20) Voy. d’ailleurs l’avis du Conseil d’Etat du 14 avril 1997, in Doc. parl., Ch.<br />

des repr., s.o. 1996-1997, 1087/1-96/97, p. 16. Adde : I. Claeys, « Een tweede<br />

blik... », op. cit., loc. cit., pp. 218-220.<br />

(21) Sur ces difficultés, voy. en particulier N. Denoël, op. cit., spéc. pp. 83 et<br />

s., n os 22 et s.<br />

(22) Cass., 13 janv. 1994, J.T., 1994, p. 291, note R.O. Dalcq; R.C.J.B., 1995,<br />

pp. 429 et s., note J.-L. Fagnart. Par l’évocation de cet arrêt, autre « temps<br />

fort » de deux siècles d’évolution, on tient aussi à saluer l’œuvre complétive du<br />

droit dont s’acquitte la Cour de cassation, spécialement dans les matières régies<br />

par les textes, souvent très sobres, du Code civil.<br />

(23) Voy. la version initiale du texte dans le projet de loi: Doc. parl., Ch. repr.,<br />

s.o. 1996-1997, n o 1087/1-96/97, p. 21.<br />

(24) I. Claeys, « Een tweede blik... », op. cit., loc. cit., p. 226<br />

(25) Admettons-le : même pour le juriste qui s’est abondamment documenté<br />

sur le sujet, le calcul de l’échéance d’une prescription qui a pris cours avant<br />

l’entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1998 (i.e. le 27 juillet 1998) relève d’un<br />

« casse-tête », susceptible d’aboutir à des réponses divergentes. L’exercice se<br />

heurte à de nombreuses incertitudes ou, au mieux, à plusieurs options. A la réflexion<br />

(comp. notre étude in J.T., 1998, p. 708, n os 7-8), les solutions les plus<br />

convaincantes nous paraissent avoir été proposées par P. De Smedt,<br />

« Toepassing in de tijd van de gewijzigde verjaringstermijnen », in De herziening...,<br />

loc. cit., pp. 141 et s. et par A. Jacobs, op. cit., R.G.D.C., 1999, pp. 31-<br />

33 (dans le même sens encore, L. Schuermans, op. cit., p. 532, note 77. Ces solutions<br />

sont consolidées en jurisprudence par C.Arb., arrêt n o 81/99, 30 juin<br />

1999, R.W., 1999-2000, p. 1555, spéc. considérant B.6.3., par Gand, 1 er oct.<br />

1999, R.W., 1999-2000, p. 1165 par Pol. Bruges, 10 févr. 2000, R.W., 2000-<br />

2001, p. 562, par Pol. Malines, 20 avril 2001, Dr. circul., 2001, p. 364, ou encore<br />

par Liège, 10 juin 2003, R.G., n o 2001/RG/382, inédit). Ces auteurs et décisions<br />

considèrent à juste titre, que les actions « virtuellement » (mais non déclarées)<br />

prescrites par application de l’article 26 ancien du titre préliminaire du<br />

Code d’instruction criminelle avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juin<br />

1998, ne sont pas concernées par le régime transitoire institué par les articles 10<br />

et 11 de ladite loi, en sorte que, par répercussion de la déclaration d’inconstitutionnalité<br />

contenue dans l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 21 mars 1995, la prescription<br />

de ces actions reste soumise au délai trentenaire de l’ancien<br />

article 2262 du Code civil. Par deux arrêts du 29 septembre 2000, et du 22 mai


de simplicité, de prévisibilité (et donc de sécurité), tant que le législateur<br />

affichera le cynisme qui, par exemple, l’a conduit à justifier<br />

son refus de procéder à la réforme complète du droit de la prescription<br />

par le motif que « la sagesse impose d’attendre la jurisprudence<br />

ultérieure de la Cour d’arbitrage pour se faire une idée des contours<br />

constitutionnels du système belge en matière de prescription » (26).<br />

On peut douter que le justiciable, l’avocat et le juge entretiennent la<br />

même conception de la sagesse.<br />

4. — Et leur désarroi atteint son comble à la faveur de la propension, de<br />

plus en plus soutenue, de ce même législateur à multiplier les courtes<br />

prescriptions, au sein et en dehors du Code civil. On touche ici, selon<br />

nous, au troisième facteur de dévalorisation de ce Code sur le terrain de<br />

la prescription libératoire. Innombrables sont désormais les textes qui,<br />

de manière pour le moins éparse, ont exproprié le Code de la prescription<br />

de telles ou telles actions. Les problèmes suscités par cette entreprise<br />

systématique de décodification du droit de la prescription sont<br />

nombreux, et suscitent le scepticisme croissant de la doctrine (27). Le<br />

phénomène prive les règles de visibilité, et donc de prévisibilité (28).<br />

Quoique la Cour de cassation ait toujours été acquise à la thèse de l’interprétation<br />

restrictive (29), une autre difficulté se présente, et ne se résout<br />

souvent que trop tard, à propos de la délimitation du champ d’application<br />

de ces courtes prescriptions (30).<br />

Ce n’est pas tout. Parce qu’il s’emploie à contourner le Code civil, ce<br />

phénomène de décodification aboutit parfois à des systèmes dotés de<br />

cohérence douteuse. On vise notamment l’absence complète d’harmonie,<br />

en termes de point de départ et de durée du délai, entre les deux actions<br />

dont bénéficie la victime d’une faute extracontractuelle : l’action<br />

en responsabilité régie par l’article 2262bis, § 1 er , alinéas 2 et 3, du<br />

Code civil d’une part, et l’action directe contre l’assureur régie par<br />

2003, la Cour de cassation a, de manière originale, réglé un autre cas, celui<br />

(bien précis) du régime de prescription de l’action quasi délictuelle qui, avant<br />

l’entrée en vigueur du nouvel article 2262bis, fut introduite puis déclarée prescrite<br />

en vertu de l’ancien article 26 du titre préliminaire du Code d’instruction<br />

criminelle par une décision frappée d’un pourvoi examiné par la Cour cette fois<br />

après l’entrée en vigueur du nouvel article 2262bis. Les commentaires de cet<br />

arrêt furent l’occasion d’une analyse des — nombreux — autres cas de figure,<br />

et du constat de l’extraordinaire complexité de la question (Cass., 29 sept.<br />

2000, R.G.D.C., 2001, p. 280, note S. Mosselmans; R.W., 2000-2001, p. 1166,<br />

notes I. Claeys, et P. Popelier; Cass., 22 mai 2003, N.j.W., 2003, p. 840).<br />

(26) Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., s.o. 1996-1997, 1087/1-96/97,<br />

p. 3; rapport fait au nom de la commission de la justice, Doc. parl., Ch. repr.,<br />

s.o. 1997-1998, 1087/7-96/97, p. 3.<br />

(27) P. Jadoul, op. cit., pp. 759-760 et p. 766. M. Regout-Masson, op. cit.,<br />

pp. 37-42.<br />

(28) Est-il impensable que toutes les courtes prescriptions figurent un jour,<br />

outre dans leurs lois « d’origine », dans la liste dressée par les articles 2271 et<br />

s. du Code civil?<br />

(29) Par ex., Cass., 21 janv. 1993, Pas., 1993, I, p. 81.<br />

(30) M. Regout-Masson, op. cit., pp. 37 et s.<br />

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l’article 34, § 2, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre<br />

d’autre part (31). Il n’est pas d’explication rationnelle à l’idée que<br />

la seconde puisse être prescrite avant la première. La place manque pour<br />

l’exposer, mais comment ne pas rappeler aussi le problème inextricable<br />

que pose, en termes de qualification de la demande et d’office du juge,<br />

l’action du travailleur dérivant à la fois du contrat qui le lie à son employeur<br />

(obéissant alors à la prescription annale instituée par<br />

l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978), et d’un fait constitutif d’infraction<br />

pénale (soumise à ce titre à la prescription quinquennale de<br />

l’article 2262bis, § 1 er , al. 2 et 3, C. civ.) (32)?<br />

5. — Scories, anomalies et difficultés pourraient être énumérées à l’envi.<br />

Leur accumulation corroborerait la double idée que la finalité même<br />

de la prescription libératoire est aujourd’hui menacée, et que la cause<br />

principale en est l’éradication progressive d’un véritable « droit<br />

commun ». N’est-ce pourtant point le propre d’un Code que d’énoncer<br />

le ius commune, applicable à la généralité des situations, et de servir de<br />

référence aux textes exceptionnellement appelés à régir les autres situations?<br />

Si la prescription repose sur le postulat que l’écoulement du temps crée<br />

le droit (33), le constat s’impose que les dix-neuvième et vingtième siècles<br />

auront déconstruit le droit de la prescription. Aussi inclinons-nous<br />

à nous rallier à l’opinion selon laquelle « il serait temps que le système<br />

soit revu dans son ensemble » (34).<br />

J.-Fr. VAN DROOGHENBROECK<br />

Avocat au barreau de Bruxelles<br />

Assistant à l’U.C.L.<br />

(31) L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch verzekeringsrecht, Anvers,<br />

Intersentia, 2001, pp. 517 et s.; N. Denoël, op. cit., pp. 105-107, n os 81-84;<br />

M. Houben, « La prescription et le contrat d’assurance », in La prescription<br />

(sous la dir. de E. Vieujean)..., loc. cit., spéc. pp. 105-107, n os 34-41. Voy. déjà<br />

les critiques de J.-L. Fagnart, « Droit privé des assurances terrestres », in Traité<br />

pratique de droit commercial (sous la dir. de Ch. Jassogne), t. 3, Bruxelles, Story-Scientia,<br />

1998, p. 132, n o 208.<br />

(32) Voy. les études approfondies de F. Kéfer et J. Clesse, « La prescription extinctive<br />

en droit du travail », in La prescription (sous la dir. de E. Vieujean)...,<br />

loc. cit., pp. 8 et s.; D. Parotte, « La prescription des actions résultant du contrat<br />

de travail », J.T.T., 1985, pp. 177 et s.; H.-D. Bosly et J. van Drooghenbroeck,<br />

« La prescription », in Le contrat de travail, dix ans après la loi du 3 juillet<br />

1978, Bruxelles, Story-Scientia, 1989, pp. 315 et s.; J. Hubin, « L’introduction<br />

de la demande; l’exemple de la prescription de l’action dans la compétence du<br />

tribunal du travail: règles générales et particulières », in Le contentieux interdisciplinaire<br />

(sous la dir. de G. de Leval, P. Lewalle et M. Storme), Bruxelles,<br />

Bruylant-Kluwer, 1996, pp. 56 et s.; B. Nyssen, « Les modifications relatives à<br />

la prescription introduites par la loi du 10 juin 1998 et le contrat de travail »,<br />

Orientations, 2 février 2001, pp. 46 et s.<br />

(33) H. De Page, op. cit., n o 1129.<br />

(34) M. Regout-Masson, op. cit., p. 79; A. Jadoul, op. cit., p. 766; M.-E. Storme,<br />

op. cit., T.P.R., 1994, p. 1977.<br />

2004<br />

339


2004<br />

340<br />

DE LA POSSESSION<br />

Livre III - Titre XX - Chapitre II<br />

1. — D’emblée, le Code civil frappe par son imprécision lorsqu’il définit<br />

la possession à l’article 2228. Il s’agit de « (...) la détention on la<br />

jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons<br />

par nous-même, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre<br />

nom ». Or, par définition, la possession n’est pas la détention sensu<br />

stricto, puisqu’elle allie le corpus et l’animus. En outre, la référence à<br />

la jouissance d’un droit, outre celle de la chose, n’est pas vraiment<br />

éclairante : on rappellera ci-après que la possession est un état qui produit<br />

ses effets indépendamment de la question de savoir si le possesseur<br />

est bel et bien titulaire du droit concerné. La possession est en réalité,<br />

suivant les définitions doctrinales classiques, un pouvoir de fait qu’un<br />

sujet de droit exerce sur une chose (corpus), dans une certaine intention,<br />

à savoir l’intention d’exercer pour soi-même un droit — généralement<br />

le droit de propriété — à l’égard de cette chose (animus).<br />

Une autre critique de forme peut-être adressée au législateur de 1804<br />

pourquoi s’est-il borné à intituler l’important titre final du Code « De la<br />

prescription », alors que ce titre porte d’abord sur la possession, la possession<br />

étant elle-même le socle de la prescription, dans les conditions<br />

que le Code énumère. Il aurait donc été préférable d’appeler ce titre :<br />

« De la prescription et de la possession », ainsi que le législateur français<br />

l’a d’ailleurs fait en rectifiant le titre en question en 1975.<br />

Mais là s’arrêtent, nous semble-t-il, les imprécisions ou lacunes du<br />

Code, qui sont vénielles. Le reste des dispositions n’a pas pris une ride<br />

et demeure pleinement pertinent.<br />

2. — Sont imparables dans leur forme ramassée, et constituent des éléments<br />

essentiels du système de la possession, tout en pouvant impressionner<br />

par leur abstraction à certains égards, les articles 2229 à 2241.<br />

Les conditions pour pouvoir prescrire, dont le cumul est à l’origine<br />

d’une possession utile, sont énoncées par l’article 2229. L’article 2030<br />

pose l’importante présomption, venant au secours du possesseur, suivant<br />

laquelle l’on est toujours présumé possédé pour soi-même et à titre<br />

de propriétaire (1). Les articles 2231 à 2235 énoncent des présomptions<br />

et des règles non moins importantes, dans le détail desquelles nous ne<br />

pouvons entrer ici.<br />

Il n’y a rien à retirer et rien à ajouter à ces dispositions, qui traversent<br />

les siècles sans encombre, souvent en étant puisées, par-delà l’ancien<br />

droit, directement au droit romain.<br />

3. — Le Code n’était pas non plus coupé des réalités et faisait preuve<br />

d’un certain pragmatisme. La possession simple, même de mauvaise<br />

foi, y engendre d’importants effets protecteurs du possesseur (2), qui se<br />

conçoivent dans un espace où la sécurité juridique est privilégiée, jusqu’à<br />

un certain point (3). Mais la possession de bonne foi reçoit ellemême<br />

les égards dus à sa plus grande légitimité. D’abord elle est présumée<br />

par l’important article 2268, ensuite elle dote le possesseur qui en<br />

est revêtu, de certains effets protecteurs plus spécifiques, comme il résulte<br />

des articles 549, 555, 2265 et 2279 du Code.<br />

4. — La possession est ensuite le socle de la prescription, particulièrement<br />

en matière immobilière, au travers des articles 2265 et s.<br />

5. — La possession est également protégée en tant que simple état de<br />

fait, en matière immobilière, par le régime des actions possessoires.<br />

(1) Cette première présomption sera complétée, très utilement pour le possesseur,<br />

par l’article 2279, en matière mobilière, comme on le rappellera dans un instant.<br />

(2) Un possesseur même de mauvaise foi peut « usucaper » par prescription<br />

trentenaire (cf. art. 2262, in fine, C. civ.).<br />

(3) Cf. les déclarations de M. Bigot Préameneu, ayant été le rédacteur de l’exposé<br />

des motifs du titre du Code civil consacré à la prescription. Voy. Recueil complet<br />

des travaux préparatoires du Code civil, par P.-A. Fenet, Paris, t. XV, p. 573 et s.<br />

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Ici, nous sortons du Code civil pour toucher à des lois particulières : la loi<br />

du 25 mars 1876 d’abord (4), puis les articles 1370 (conditions des actions<br />

que sont la complainte, la dénonciation de nouvelle œuvre, et la réintégrande)<br />

et 1371 du Code judiciaire (principe de l’interdiction du cumul du possessoire<br />

et du pétitoire, et autres règles de droit judiciaire plus spéciales).<br />

Il est frappant de constater que lorsque le législateur est sorti du Code<br />

civil, il a dérapé quelque peu. Tel est le cas en ce qui concerne le régime<br />

de la réintégrande, l’action possessoire qui se veut la plus efficace, en<br />

cas de voie de fait privant totalement ou partiellement de la possession<br />

d’un bien ou d’un droit immobilier, ou de violence frappant la personne<br />

du possesseur. On sait qu’elle est une mesure de police fondée sur le<br />

principe que « Nul ne peut se faire justice à lui-même » et sur l’adage<br />

latin Spoliatus ante omnia restituendus (5). Elle est ouverte, eu égard<br />

aux conditions prescrites par l’article 1370 du Code judiciaire, au simple<br />

détenteur. Le demandeur en réintégrande ne doit donc pas faire la<br />

preuve d’une qualité de possesseur, encore moins d’une possession réunissant<br />

tous les caractères de la possession utile.<br />

On peut dès lors se demander pourquoi le Code judiciaire impose encore<br />

à un tel détenteur de rapporter la preuve que sa détention s’exerce à<br />

l’égard d’un bien immeuble ou d’un droit immobilier susceptible<br />

d’acquisition par prescription (cf. art. 1370, al. 1 er , 1 o et al. 2), alors que<br />

seul le possesseur ayant une possession utile, peut prescrire (cf.<br />

art. 2229, C. civ.), mais non le simple détenteur. La conséquence de<br />

cette excessive rigueur de la condition de prescriptibilité, dans son application<br />

totalement inadéquate à la situation d’un détenteur pouvant<br />

pourtant agir en réintégrande, est que ce détenteur sera privé d’action —<br />

celle-ci étant en principe déclarée irrecevable — lorsque le droit ou le<br />

bien pour lequel il devrait être réintégré, n’est pas prescriptible. Or, tel<br />

est le cas de biens du domaine public (6), ou d’une servitude de passage<br />

(7). Ils sont en principe imprescriptibles et, partant, ne sont pas sujets à<br />

protection par une réintégrande, ce qui est absurde puisque cette dernière<br />

est avant toute chose une mesure de police civile. Le législateur devrait<br />

pour la réintégrande corriger ce point en supprimant ou en assouplissant,<br />

en fonction des droits concernés, la condition préalable de<br />

prescriptibilité du droit ou du bien immeuble sujet à protection.<br />

Qu’il le fasse et il ne toucherait de toute façon pas au Code civil, étranger<br />

à cette matière. Notre grief n’est donc pas totalement de propos dès<br />

lors que nous examinons le Code, mais il y avait un sens à le rappeler<br />

eu égard à l’importance du régime des actions possessoires en matière<br />

de possession immobilière.<br />

6. — S’agissant de la possession mobilière, l’article 2279, antépénultième<br />

disposition du Code, est l’une des plus extraordinaires, dans le texte<br />

de son alinéa 1 er , qui frappe tel une formule magique : « En fait de meubles,<br />

possession vaut titre ».<br />

Le paradoxe de la disposition résulte en partie du mystère qu’elle recèle,<br />

encore accru par le fait qu’il n’est pas certain que les auteurs du Code<br />

eux-mêmes aient eu pleinement conscience de son véritable contenu et<br />

de son champ d’application réel et potentiel.<br />

N’oublions pas en effet qu’il s’impose de lire dans ce texte sibyllin deux<br />

règles distinctes : une règle de fond — « en fait de meubles, la possession<br />

vaut titre », c’est-à-dire est à l’origine du fond même du droit de<br />

propriété, dans le chef du possesseur — et une règle de preuve — « en<br />

fait de meuble, la possession vaut présomption de titre », c’est-à-dire<br />

permet au possesseur de répondre à la revendication du verus dominus<br />

que sa possession même lui confère un titre abstrait justifiant sa propriété,<br />

de sorte qu’il ne doit pas en principe, a priori, s’expliquer sur son<br />

(4) Sans remonter plus haut dans le temps, ce qu’il serait sans doute intéressant<br />

de faire.<br />

(5) Que celui qui a été dépossédé ou privé de sa détention soit remis en possession<br />

ou en détention, avant toute chose.<br />

(6) Cf. Cass., 20 déc. 1962, Pas., 1963, I, p. 494, et Cass., 8 déc. 1978, Pas.,<br />

1979, I, p. 410.<br />

(7) Cf. Cass., 23 févr. 1995, Pas., 1995, I, p. 203.


titre concret, et en faire la preuve, et que le fardeau de la preuve tendant<br />

à renverser cette présomption s’impose au verus dominus revendiquant.<br />

La première règle, complétée par les autres dispositions de<br />

l’article 2279, s’applique à des cas où un verus dominus s’est dessaisi<br />

volontairement ou involontairement d’un bien meuble corporel individualisé,<br />

qui se retrouve dans les mains d’un tiers, possesseur de bonne<br />

ou de mauvaise foi, selon les cas. La seconde s’applique à un conflit entre<br />

possesseur antérieur et possesseur actuel du bien — ou des ayants<br />

cause de ceux-ci — une revendication étant dirigée contre le possesseur<br />

actuel. Dans ce cas, peu importe la bonne ou la mauvaise foi du possesseur<br />

— ce dernier sait de toute façon qu’il a acquis le bien auprès de son<br />

verus dominus — mais importent en revanche les caractères de la possession<br />

qui doivent être réunis pour que celle-ci soit pleine et complète<br />

(« utile »), le fardeau de la preuve d’un éventuel vice de la possession<br />

(ou d’une absence de celle-ci, le défendeur n’étant qu’un détenteur), ou<br />

d’une éventuelle cause de restitution, incombant au revendiquant, de<br />

sorte que le possesseur actuel est à nouveau protégé par la présomption.<br />

Ce qui est remarquable, c’est qu’il semble que les auteurs du Code civil<br />

aient eu essentiellement à l’esprit la règle de fond, lorsqu’ils ont élaboré<br />

l’article 2279, alinéa 1er (8), tiré d’un adage de l’ancien droit, en ayant<br />

quelque peu perdu de vue la règle de preuve (9), qui devait toutefois demeurer<br />

pertinente et était même, semble-t-il, plus ancienne que la règle<br />

de fond. Les auteurs, au XIXe siècle, firent donc réapparaître la règle de<br />

preuve (10), en donnant de l’article 2279, alinéa 1 er , une lecture tout à<br />

fait complète, alors que telle n’avait pas été la volonté expresse de ceux<br />

qui écrivirent le Code. Mais rien dans la volonté de ces derniers et dans<br />

le texte de l’article 2279, ne s’opposait à une telle lecture et n’empêchait<br />

la réémergence de la règle de preuve. Il suffisait d’ajouter que la<br />

(8) Cf. d’ailleurs la suite de l’article qui porte sur le cas du dessaisissement involontaire,<br />

et l’article 2280.<br />

(9) Cf. exposé des motifs par M. Bigot Préameneu, in Fenet, ouvrage cité, t. 15,<br />

spéc. p. 600; et discussion devant le Conseil d’Etat, plus précisément discours<br />

prononcé par le tribun Goupil-Préfeln, spéc. p. 609.<br />

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possession vaut « présomption » de titre, pour donner sens à cette<br />

deuxième règle également lue à l’article 2279, alinéa 1 er .<br />

Restait à la jurisprudence, sous le contrôle bienveillant et parfois à juste<br />

titre critique de la doctrine, de faire bonne application aux cas litigieux<br />

des deux règles de l’article 2279. La Cour de cassation a notamment<br />

rendu de nombreux arrêts sur la question, essentiellement en ce qui concerne<br />

la règle de preuve (11).<br />

7. — Le lecteur voudra enfin se reporter aux commentaires des dispositions<br />

du Code concernant la prescription, pour voir si le même constat<br />

de pertinence que celui que nous venons de dresser pour la possession,<br />

s’applique en ce qui les concerne.<br />

8. — Au total, nous ne changerions rien au Code en matière de possession,<br />

si ce n’est peut-être la définition du concept et le titre du titre contenant<br />

son régime. Ces deux corrections ne sont pas indispensables et ne<br />

justifient pas, à elles seules, une réforme législative. Elles pourraient<br />

simplement prendre place dans une réforme sur d’autres points, dont le<br />

bilan se trouvant dans le présent numéro du J.T., ferait peut-être apparaître<br />

l’opportunité. Ayons toutefois à l’esprit qu’il faudrait y procéder<br />

avec l’économie et la pertinence d’approche qui a été celle des auteurs<br />

du Code : c’est-à-dire aller à l’essentiel, sans expression de norme superflue<br />

et en gardant, ou en tentant de retrouver, l’élégance de plume qui<br />

fut celle des grands jurisconsultes du Code Napoléon.<br />

Jean-François ROMAIN<br />

Chargé de cours à l’U.L.B.<br />

Avocat au barreau de Bruxelles<br />

(10) Pour un historique de l’article 2279 du Code civil, cf. C. Renard et<br />

J. Hansenne, « Possession », in Rép. not., t. II, l. XII, mis à jour au 1 er septembre<br />

1987 par J. Hansenne, plus précisément n o 129, p. 102.<br />

(11) Pour une analyse détaillée de cette jurisprudence, cf. cours de droits réels<br />

du soussigné, P.U.B., 2 e éd., 2003, pp. 242 à 260.<br />

2004<br />

341


2004<br />

342<br />

CÉLÉBRATION<br />

DU PREMIER CENTENAIRE<br />

DU CODE CIVIL<br />

Cent ans, jour pour jour, après la promulgation de la loi du 30 ventôse<br />

an XII coordonnant les trente-six lois constituant le Code civil des Français,<br />

le Journal des tribunaux organisait une célébration de ce monument<br />

législatif. Cette célébration a été un événement marquant du J.T.<br />

A l’époque, ce grand périodique (il se développait sur 48 × 32 cm) paraissant<br />

deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche.<br />

Dès le dimanche 13 mars, commença dans le J.T. un battage assez moderne<br />

pour l’époque. On y lit en première page : « Le J.T. commémorant<br />

le plus grand événement juridique des temps modernes organisera le<br />

lundi 21 mars prochain une cérémonie solennelle dont il fera connaître<br />

dans notre prochain numéro l’ordonnance ».<br />

Le jeudi 17, en première page encore, la rédaction insiste : « Dans quatre<br />

jours le Code civil des Français aura cent ans... ». L’éditorial n’est pas signé,<br />

mais il est probable qu’il est d’Edmond Picard si on y retrouve les thèses<br />

qu’il défend avec constance et enthousiasme. Qu’on en juge : ...« Dire et<br />

montrer la grandeur et la bonté du droit, dire et montrer que seul il est fécond,<br />

dire et montrer qu’il est le plus merveilleux instrument du progrès, et<br />

que chacun de ses perfectionnements est un événement plus considérable<br />

dans l’histoire humaine que les victoires ou les défaites des armées, dire et<br />

montrer cela chaque fois que l’occasion s’en présente, mais surtout quand<br />

l’occasion est solennelle comme elle le sera le 21 mars 1904, c’est faire un<br />

de ces efforts utiles, que parmi l’inaction générale en Belgique du monde judiciaire,<br />

le Journal des tribunaux essaiera d’accomplir ».<br />

Le dimanche 20 mars, enfin, apparaît, toujours en première page, le<br />

gros titre en gras : « Centenaire du Code civil : 30 ventôse an XII -<br />

21 mars 1904 ». Dans le style un peu ampoulé qui est le sien en ce début<br />

du siècle passé, le programme de la cérémonie est annoncé : « à l’égal<br />

de la loi des XII tables, du Corpus juris de Justinien, de la loi salique,<br />

le Code Napoléon est un des événements les plus fameux de l’évolution<br />

juridique des peuples de race européenne ».<br />

La séance sera publique et, chose exceptionnelle, les dames sont conviées.<br />

Les orateurs seront : M. Jules de Le Cour, premier président de la<br />

cour d’appel, M e Thomas Braun, 26 ans, au nom du J.T. C’est le plus<br />

jeune. Il vient de prononcer le discours de rentrée de la Conférence du<br />

Jeune barreau de Bruxelles. Sur le centenaire du Code civil, précisément<br />

M e Léon de La Croix, président du Jeune barreau, M. Gustave Beltjens,<br />

conseiller à la Cour de cassation, M. Edmond Picard, sénateur et<br />

M e Jules Lejeune, ministre d’Etat.<br />

Le lundi 21 mars la cérémonie se déroule avec faste dans la salle des assises,<br />

spécialement choisie pour la raison que, explique Picard, « le jury<br />

qui y est appelé à rendre la justice est une émanation de la puissance populaire<br />

et que nous voulons témoigner ainsi que la célébration du grand<br />

événement se fait par le peuple et pour le peuple ».<br />

L’élément féminin était en nombre et élégant et, écrit J. Adrian, au<br />

grand dam d’Edmond Picard, les discours parfois un peu longs ressemblaient<br />

davantage à des actes d’accusation que d’illustration d’un code<br />

dont ils dressaient sans vergogne l’inventaire des défauts, imperfections,<br />

lacunes, manques etc.<br />

Si aux sièges des jurés, le chroniqueur remarque la présence des professeurs<br />

de droit civil de l’Université libre de Bruxelles M. Eugène Hanssens, et de<br />

l’Université libre de Liège, M. Charles Dejace, M. Eugène van Biervliet de<br />

l’Université catholique de Louvain n’est cité ni comme présent ni comme<br />

excusé et pourtant, tout comme ses deux collègues, il a participé à la rédaction<br />

des gros recueils d’études relatives au Code civil édités à l’initiative de<br />

« La Société d’études législatives de Paris » (Livre d’or du Code civil - Livre<br />

du centenaire 1804-1904, 2 vol., 1128 pages sur papier de luxe, avec préface<br />

d’Albert Sorel de l’Académie française, éd., Rousseau, Paris).<br />

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Le jeudi suivant un numéro spécial du J.T. reproduit in extenso tous les<br />

discours. Le nombre de colonnes est doublé. Il est ainsi porté à 32, et<br />

néanmoins vendu au même prix de vingt centimes. Pour la circonstance<br />

il est imprimé sur un superbe papier crème qui protège ce seul numéro<br />

de la collection de la décomposition qui la gagne. Il s’orne, en première<br />

page, d’un tableau de l’an XII signé Ingres. Le jeune premier consul s’y<br />

présente, en pied, avantageux dans un costume dont on verrait, si la reproduction<br />

était en couleurs, ou si on le regardait au Musée de Liège,<br />

qu’il est de velours nacarat. Bonaparte pose la main droite sur un écrit<br />

— qui n’est pas le Code civil — tandis que, dans l’entrebâillement des<br />

tentures apparaît une vue de Liège. On raconte qu’Ingres, ou son atelier<br />

a ou ont dû exécuter plus de vingt de ces tableaux, tous identiques à<br />

l’exception de la vue de la ville à laquelle il était destiné!<br />

Vous étonnerais-je, en vous disant qu’Edmond Picard s’est réservé la part du<br />

lion? On avait demandé aux orateurs de limiter leur intervention à dix minutes.<br />

Les trois premiers respectèrent scrupuleusement leur engagement.<br />

M. Beltjens parlera vingt-cinq minutes. Picard, sans notes, pendant près<br />

d’une heure, tant et si bien que le ministre Lejeune dut rentrer son discours<br />

(il se rattrapera lors de la séance d’apparat organisée dans le grand amphithéâtre<br />

de la Sorbonne, le 28 octobre, en présence de M. Loubet assis sur le<br />

fameux trône qui, depuis la République, a pris des allures de fauteuil et de<br />

la musique du 28e régiment d’infanterie : cf. J.T., 1903, col. 1164 et s.).<br />

Dans sa brève introduction, M. de le Court nous apprend qu’en Belgique<br />

une commission composée de magistrats et de professeurs d’université<br />

a été chargée en 1884 de reviser le Code (ou plus précisément<br />

d’« en remanier certaines parties et rédiger certains textes de manière à<br />

faire disparaître des controverses ») et que ses travaux en sont déjà arrivés<br />

au quatrième livre. Qu’en est-il advenu? Je n’ai pas connu qu’ils<br />

aient abouti. Pas davantage que la tentative du professeur François Laurent<br />

dont l’avant-projet — quoique terminé — n’a jamais été présenté à<br />

la Chambre (il a été publié en six forts volumes chez Bruylant).<br />

Me Thomas Braun dit un texte tellement drôle et fleuri qu’on regrette qu’il<br />

ait respecté la discipline. On s’en console en lisant le discours qu’il a prononcé<br />

à la dernière rentrée du Jeune barreau de Bruxelles, le samedi<br />

7 novembre 1903 (cf. J.T., 15 déc. 1903, col. 1153 et s.) sur « Le centenaire<br />

du Code Napoléon ». Mais il est difficile de trouver ces journaux. Il est malaisé<br />

de les porter et de les ouvrir. Je voudrais vous aider. A votre intention<br />

je retranscris donc la prière par laquelle se termine son intervention :<br />

... « Qu’il me soit permis petit livre jubilaire (ici j’entends Jafson, Tertius<br />

et Rhadamante émettre un petit tss, tss... réprobateur) d’exprimer<br />

des souhaits plus fervents.<br />

» Depuis cent ans tu garantis au Tiers Etat le respect de ses droits.<br />

» Jamais le propriétaire, le patron, le marchand, le père, le mari n’invoqua<br />

en vain ton secours.<br />

» Les temps de mieux faire sont venus.<br />

» Le temps de protéger le faible contre le fort.<br />

» Etends ton égide sur les petits, les enfants, les femmes, les travailleurs.<br />

» Ecoute leurs voix pitoyables...<br />

» Rends à leur personne humaine, créée à l’image et la ressemblance de<br />

Dieu, la dignité et la liberté...<br />

» Préviens leurs révoltes, leurs haines, leurs luttes fratricides.<br />

» Va à eux avec douceur, avec tendresse.<br />

» Relève-les.<br />

» Aide-les à s’unir.<br />

» Aide-les à s’entre-soutenir.<br />

» Aide-les à vivre.<br />

» Code civil, deviens le Code social. Et, si tu réalises notre ambition de<br />

faire régner la justice parmi les hommes, tes préceptes se confondront<br />

avec ceux de l’évangile.<br />

» Car elle est chrétienne, l’idée de réprouver l’abus des richesses ».


C’est une profession de foi, sans doute, mais peut-on en même tempsêtre<br />

plus révolutionnaire? Peut-on mieux se réclamer du droit de la Convention<br />

qui voulait faire du Code civil l’évangile des temps modernes.<br />

Droit occulté par le premier consul et l’empereur? Laurent dit et redit<br />

sur tous les tons, au fil des trente-deux tomes de son Précis qu’il y a « un<br />

plus grand bien qu’un code complet des lois civiles, c’est la liberté et<br />

l’histoire impartiale dira qu’au moment où le premier consul dota la<br />

France d’une législation civile il lui enleva la liberté ».<br />

M e De La Croix — nouveau coup de règle en perspective — croit également<br />

pouvoir faire du centenaire un jubilé! Comme il a peu de temps<br />

et peu de choses à dire il se contente d’introduire les anciens qui vont<br />

parler d’un siècle de jurisprudence et des perspectives à venir.<br />

Gustave Beltjens, conseiller à la Cour de cassation, savant juriste s’il en<br />

fut, dont on a pas oublié les huit lourds tomes de l’Encyclopédie du droit<br />

civil belge encore souvent consultés au temps où je faisais des recherches<br />

pour mon patron et qu’on ne trouve plus aujourd’hui que molestés<br />

et relégués à la galerie supérieure de la bibliothèque du barreau,<br />

M. Beltjens, donc fait un bien intéressant discours.<br />

Après avoir salué le Code civil avec l’admiration qu’il commande et rappelé<br />

à quel point il répondait adéquatement aux nécessités de l’an XII,<br />

M. Beltjens constate que les progrès de son temps n’y sont pas reflétés.<br />

Faut-il, dès lors le remplacer?<br />

Certes non!<br />

« Le remplacer par un édifice entièrement nouveau serait enlever à la fixité<br />

de la jurisprudence de la Cour suprême son but essentiel, si apaisant et<br />

si tranquilisateur pour les plaideurs ». Ici, je ne résiste pas à la tentation de<br />

citer le remerciement que l’avocat à la Cour de cassation adresse aux plaideurs<br />

qu’il rencontre : « nous savons, par expérience, que les grands arrêts<br />

de principe, les meilleurs, sont ceux qui ont été rendus dans les causes les<br />

mieux exposées. Il faut garder l’édifice avec “ ce fonds commun qui tient<br />

à la nature raisonnable et sociable de l’homme qu’on retrouve dans tous<br />

les temps ”. Mais il convient également de faire les travaux de consolidation<br />

et d’adaptation aux besoins nouveaux des usagers.<br />

» A cet effet on ne peut se contenter de la jurisprudence qui n’est pas là<br />

pour corriger la loi. Seul le législateur peut la créer. C’est ce qu’a compris<br />

le législateur belge ». Et d’énumérer quelques-unes des « vingt-six<br />

lois correctives », en insistant chaque fois sur le fait qu’elles correspondaient<br />

à un besoin collectif, qu’elles étaient étrangères aux passions politiques<br />

et pour cela durables :<br />

De la longue et intéressante énumération à laquelle l’orateur se livre je<br />

pique quelques exemples. D’abord quelques suppressions qui ne convenaient<br />

pas à notre conception du respect dû aux personnes : la mort civile;<br />

l’article 14 qui permettait de traduire un étranger, même non résidant<br />

en France, devant un tribunal français; l’article 726 qui ne permettait,<br />

que sous certaines conditions, à un étranger de succéder aux biens<br />

qu’un de ses parents, étranger ou français, possédait dans l’empire;<br />

l’article 1781 qui stipulait qu’un maître devait être cru sur son affirmation<br />

concernant le paiement du salaire de son ouvrier.<br />

Ensuite quelques innovantes du législateur; la loi hypothécaire de 1851;<br />

les lois, successives, octroyant à l’épouse le droit d’usufruit sur une partie<br />

de la succession de son conjoint, la possibilité d’obtenir une pension<br />

alimentaire sur la succession de son conjoint, d’acquérir un livret de<br />

caisse d’épargne; la loi sur la succession des petits héritages; la loi sur<br />

les accidents du travail, etc.<br />

M. Beltjens conclut sur un souhait : « ... laissons vivre longtemps encore,<br />

dans son ensemble la belle et grande œuvre de brumaire, nous la connaissons<br />

et prenons garde qu’en innovant et touchant aux grands principes et<br />

en voulant mieux faire, on ne nous dise : ne sutor supra cerepidam ».<br />

M e Picard est à la fête. Cette célébration est son idée. Elle se fait dans<br />

la même salle où deux ans plus tôt (21 déc. 2001), au cours d’une cérémonie<br />

en son honneur organisée par ses confrères pour son quarantième<br />

anniversaire de barreau, il fut salué par une immense acclamation. Il a<br />

66 ans, 43 ans de barreau. Des succès dans tous les domaines. Beaucoup<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

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d’ennemis. En dépit de sa voix de fausset, il est éloquent. Il sait qu’on<br />

l’écoute. Il parle d’ailleurs sans notes. Plus que jamais il fait ce qu’il a<br />

envie de faire. Il parlera plus d’une heure. Il reprend et développe les<br />

thèmes qui lui sont chers. Il veut répandre les bienfaits du droit. Susciter<br />

des préoccupations juridiques chez ses destinataires. Le rendre familier<br />

à chacun. Comme le rappelait Charles Van Reepinghen, lors de la rentrée<br />

du Jeune barreau de Bruxelles consacrée à « L’éloge d’Edmond<br />

Picard » (cf. J.T., 1954, p. 654), c’est pour rendre la vie judiciaire commune<br />

à la nation entière, qu’avec d’autres, il a créé le J.T. en 1882.<br />

D’où il donne un cours comme il le faisait rue des Minimes, dans cette<br />

« université nouvelle » qu’il avait créée, dans sa maison natale.<br />

Il tente de définir le droit, d’expliquer son évolution.<br />

Après une promenade — une longue promenade — dans les 1.800 années<br />

qui l’ont précédé, il aborde le Code civil. Ce superbe code bourgeois. Lequel<br />

n’est qu’une des expressions du droit. Comprenez qu’il convenait<br />

aux hommes du début du XIX e siècle et beaucoup moins à ceux<br />

d’aujourd’hui. Pendant cent ans, les controversistes qui, comme Bigot-<br />

Preameneu, professaient pour cette espèce d’arche sainte qu’est le Code<br />

un respect religieux et refusaient de l’amender, se sont livrés à des interprétations<br />

outrancières. Résultat? Cinq cents controverses stériles.<br />

D’autres, plus pragmatiques, on crié que le Code n’était pas complet.<br />

Que lui manque-t-il? Principalement « le droit des travailleurs du cerveau<br />

et celui des travailleurs du muscle ». Les développements des<br />

droits intellectuels et du droit du travail, quasi ignorés par le Code s’est<br />

fait d’une manière désordonnée, par une multitude de lois particulières,<br />

dont chacune, du moins en droit social, marquait une conquête de la<br />

classe ouvrière. Réunies — comme l’ont fait MM. Hallet et Destrée<br />

pour le droit social — elles constituent de nouveaux codes.<br />

Edmond Picard y voit un encouragement. On entre dans une nouvelle<br />

période de l’évolution historique du droit. Et de conclure :<br />

... « Il y a un mot pour dire cela, un mot qui apparaît comme dangereux,<br />

plein d’inquiétudes et d’espérances. Nous entrons dans la période de socialisation<br />

du droit. C’est-à-dire d’un droit que doit élaborer la nation<br />

tout entière au lieu d’un droit qui a été longtemps celui d’une classe<br />

fractionnaire au détriment de la nation : le droit de la bourgeoisie ».<br />

Si l’on veut bien considérer qu’en plus de la cérémonie qu’il a organisée,<br />

le J.T. a publié ou rendu compte de la plupart des communications<br />

qui ont été faites pour le centenaire, il faut reconnaître, même avec le<br />

recul du temps, qu’il a bien travaillé. Et, pour reprendre le style de<br />

l’époque je dirai que ce n’est pas en vain qu’il a mis au frontispice de sa<br />

publication l’image antique de Thémis, manifestement cette déesse austère<br />

et les Heures, ces filles que Zeus lui a faites et qui veillent sur les<br />

travaux des hommes, Eunomie, Diké et Irène, la justice, les bonnes lois<br />

et la paix l’ont inspiré dans ses travaux.<br />

MARGINALIA DE LA COMMÉMORATION<br />

La date?<br />

Encore que Thomas Braun ait rappelé dans le J.T. et son habituel style<br />

fleuri qu’à la « prochaine équinoxe vernale, le 21 novembre 1904 s’accomplira<br />

le cycle de cent années » de nombreux lecteurs s’interrogent<br />

et interrogent le Journal sur la pertinence de son choix. Le centenaire<br />

échéait-il le 21 mars 1904 ou le 21 mars 1905? Décidément, de siècle<br />

en siècle, les mêmes questions se posent. Rappelez-vous, il y a peu, à<br />

l’orée de notre nouveau siècle, nos discussions : quand donc commence<br />

le XXI e siècle, le 1 er janvier 2000 ou 2001?<br />

Le Journal répond, avec pertinence, que s’il est vrai que le centenaire<br />

du Code civil ne sera accompli que le 21 mars 1905, il n’en est pas<br />

moins vrai que le jour du centième anniversaire de sa promulgation est<br />

bien le 21 mars 1904.<br />

2004<br />

343


2004<br />

344<br />

Et comme une lectrice assidue a le tort de lui répondre : ... si je vous ai bien<br />

compris, le centième anniversaire du Code a été célébré un an trop tard » Edmond<br />

Picard lui répond un peu cavalièrement... « Eh bien, lectrice que<br />

j’aime à supposer belle, comptez sur vos doigts fuselés et charmants.<br />

» Le Code est promulgué le 21 mars 1804. La date de sa naissance revient<br />

pour la première fois, le 21 mars 1805, pour la deuxième fois le<br />

21 mars 1806, etc., pour la dixième fois le 21 mars 1814, ... pour la centième<br />

fois le 21 mars 1904! Voilà le centième anniversaire!<br />

» C’est long ce petit travail, mais pas plus embêtant que de tricoter.<br />

Quant au XIX e siècle, il accomplissait le dernier jour de ses cent ans le<br />

31 décembre 1900 et le XX e siècle son premier jour le 1 er janvier 1901.<br />

» Une année a 365 jours mais une date de naissance n’en a qu’un. Sur<br />

ce, bonsoir! »?<br />

Le Code a-t-il été abrogé, en Belgique, en 1831<br />

Un problème plus ardu a été soulevé par un autre « lecteur assidu ».<br />

« Pourquoi » — interroge jonkheer F. Bol du barreau d’Amsterdam —<br />

«le J.T. fait-il tant de tapage autour du centenaire d’un code obsolète en<br />

Belgique? ». Et de démontrer avec des arguments qui en déroutent plus<br />

d’un, qu’il ne serait plus en vigueur depuis le 1 er février 1831! On imagine<br />

le tremblement de droit si la Cour suprême en venait à partager ce<br />

point de vue! Cette lettre entraîne une polémique endiablée avec pas<br />

moins de dix échanges, parfois très vifs, surtout de la part de<br />

M e Witteman du barreau d’Anvers. Les arguments de l’illustre praticien<br />

batave — que le J.T. prend fort au sérieux — peuvent se résumer ainsi :<br />

1) la loi (des Pays-Bas) du 16 mai 1829 abroge les Codes Napoléon et<br />

les arrêtés et règlements y relatifs à partir de la mise en exécution des<br />

codes nationaux;<br />

2) les arrêtés des 5 juillet et 3 septembre 1830 ont fixés au 1 er février<br />

1831 la date d’entrée en vigueur des nouveaux codes; la « regrettable<br />

révolution » — comme la nomme jonkheer Bol — a débuté le 25 août;<br />

3) l’arrêté du gouvernement provisoire belge du 14 janvier 1831 stipulant<br />

« que les arrêtés du précédent gouvernement en date des 16 mai<br />

1829 (il s’agit d’une loi!) et du 5 juillet 1830 sont et demeurent<br />

révoqués » serait dépourvu de légalité pour la raison que depuis le<br />

11 novembre 1830, date à laquelle il l’a remis au Congrès national, il ne<br />

dispose plus du pouvoir législatif;<br />

4) la proposition de loi du 1 er février 1831, visant à ratifier et confirmer<br />

l’arrêté du gouvernement provisoire du 14 juillet 1831 que M. van<br />

Snick, membre du Congrès national, a déposée « pour prévenir les procès<br />

nombreux que fera naître le problème de la constitutionnalité de<br />

l’arrêté du gouvernement provisoire » a été rejetée et n’a jamais été reprise<br />

par aucune assemblée législative belge.<br />

M e Wittman entend, quant à lui, tirer argument des articles 138 et 139,<br />

11 o , de la Constitution belge entrée en vigueur le 25 février 1831. Le premier<br />

stipule qu’à dater de l’entrée en vigueur de la Constitution toutes les<br />

lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires sont<br />

abrogés. Le second déclare qu’il « est nécessaire de pourvoir par des lois<br />

séparées et dans le délais le plus court, à la révision des Codes ».<br />

Jonkheer Bol répond que la première disposition peut, sans doute,<br />

s’appliquer à des dispositions particulières mais qu’il voit mal que toutes<br />

les dispositions des codes hollandais seraient contraires à la Constitution<br />

belge. Quant au second, il n’a pas été exécuté.<br />

M e Wittman réplique mais ne convainc pas la rédaction du J.T. qui reste<br />

à ce point perturbée par les arguments de jonkheer Bol qu’elle interroge<br />

un jurisconsulte spécialisé en la matière. Lequel? Je l’ignore, mais cet<br />

anonyme conclut la diatribe en déclarant que le Code Napoléon n’a pas<br />

été abrogé en Belgique.<br />

Son argumentation est brève et péremptoire : après avoir rappelé que le<br />

Code Napoléon a été abrogé par la loi (hollandaise) du 10 mars 1829 et<br />

l’arrêté royal (hollandais) du 5 juillet 1830 et que le gouvernement provisoire<br />

(belge) a cru pouvoir, par arrêté du 14 janvier 1831 abroger les<br />

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deux dispositions hollandaises, il conclut que si le gouvernement provisoire<br />

ne pouvait plus, à cette date, abroger la loi de 1829 (puisqu’il ne<br />

disposait plus du pouvoir législatif) il pouvait parfaitement abroger l’arrêté<br />

du 5 juillet 1830, mettant en vigueur les Codes, compte tenu du fait<br />

qu’il disposait toujours du pouvoir exécutif.<br />

Interdiction d’évoquer le nom de Napoléon<br />

dans la république de M. Loubert<br />

Fin octobre 1903 le gouvernement français a organisé trois jours de festivités<br />

pour célébrer le centenaire du Code civil. Réunion de travail à la<br />

Faculté de droit suivie d’une réception à l’hôtel de ville; séance d’apparat<br />

à la Sorbonne et dîner au palais d’Orsay et enfin réception et banquet<br />

au ministère de la Justice. Il s’agissait — il est utile de le préciser — du<br />

centenaire du Code civil des Français et non du Code Napoléon. La République<br />

ne peut glorifier l’empereur. Le nom de Napoléon est mal en<br />

cour tout comme celui de Dieu dans la France d’Emile Loubet. Les deux<br />

gouvernements de « défense républicaine » de Waldek-Rousseau et<br />

Combes ne sont pas commodes avec les récalcitrants.<br />

Les orateurs, tant les étrangers que les nationaux, se vont vu interdire l’emploi<br />

du nom Napoléon pour désigner le Code. Parmi les Belges on trouve<br />

Edmond Picard, son ancien patron de stage Jules Lejeune et son stagiaire<br />

et disciple Hennebicq. On connaît le caractère porc-épic de Picard. Dès la<br />

première manifestation à la Faculté de droit, il s’élève, impertinent, goguenard,<br />

provoquant, contre cette tentative mesquine et surnoise de débaptiser<br />

un code qui pas plus qu’une constellation ne peut l’être. On applaudit avec<br />

enthousiasme. Cette intervention était volontaire. Il est satisfait. On lui fait<br />

comprendre qu’il doit aussi songer à ses hôtes. Il en convient. Mais, à l’hôtel<br />

de ville, on lui demande de remercier la municipalité au nom des étrangers.<br />

Il le fait bien volontiers — comme on s’en doute! — et dans le feu de<br />

l’improvisation le mot épouvantail, le mot proscrit revient tout naturellement<br />

et plus d’une fois. Si le public applaudit longuement, le vice-président<br />

du conseil municipal, le préfet de la Seine et le préfet de police restent cette<br />

fois, de marbre. C’est qu’il existe encore un prétendant.<br />

Le petit-fils de Jérôme, le prince Victor qui attendra le décès de Léopold<br />

II avant de pouvoir épouser Clémentine de Belgique. Et il se manifeste le<br />

prince Victor. A la sortie de la Sorbonne, des camelots distribuent un écrit<br />

en criant « la lettre du prince Victor ». Lettre très digne au demeurant et<br />

expliquant, en peu de mots, que si le nom de Napoléon a pu être effacé du<br />

Code, celui-ci n’en demeure pas moins l’œuvre du premier consul.<br />

Le Code n’est pas celui des femmes<br />

Si aucune d’elles ne s’en explique en participant aux célébrations (mes<br />

recherches à ce sujet, tant en France qu’en Belgique, sont restées<br />

vaines) elles font connaître leur réprobation à Paris, par affiches, confettis,<br />

coups de gueule et ballons rouges. Les affiches sont placardées<br />

dans le périmètre des locaux choisis pour la célébration. En noir sur<br />

fond bleu on pouvait lire : « Le Code écrase la femme. Nous protestons<br />

contre cette glorification. Les Français et les Françaises égaux devant<br />

l’impôt devraient l’être devant la loi ».<br />

En cortège, avec des ciseaux et des textes du Code, des femmes gagnent<br />

le Panthéon. A défaut de pouvoir pénétrer jusqu’au mausolée et accéder<br />

à la colonne représentant le Code, elles se rendent dans la cour d’honneur<br />

face à une autre colonne supportant la statue de Napoléon regardant<br />

avec mélancolie son tombeau et là, tout simplement, elles déchiquettent<br />

ses codes, en font des confettis et les lancent à ses pieds.<br />

Impavides, elles s’invitent ensuite à la séance d’apparat avec de curieux<br />

petits paquets rouges et au moment où le garde des sceaux M. Vallé allait<br />

achever sa péroraison... « nous » héritiers légitimes des auteurs du<br />

Code civil et les continuateurs de leur œuvre, ... une femme crie : « à bas<br />

le Code Napoléon, il déshonore la République », tandis que s’élèvent<br />

tant bien que mal des petits ballons rouges portant une inscription identique<br />

au cri de la femme. Brouhahas. Rires. La musique du 22e de ligne


tente des accords de diversion. Le garde des sceaux pousse sa voix de<br />

terminer son pensum... « car si en 1804 il fallait résumer le droit, en<br />

1904, il faut l’élargir ». Cependant que les pandores expulsent la criarde,<br />

en la morigénant : « Comment pouvez-vous, devant le président? »<br />

qui — disons-le à sa décharge — avait souri avec sa bonté coutumière,<br />

on entend, dominant le ministre et les agents, le dernier cri de la<br />

protestataire : « eh va donc,! c’est pas mon père! ».<br />

N’en faites pas trop M e Hennebicq!<br />

Après les cérémonies de Paris, M e Hennebicq, avait écrit avec un peu<br />

de précipitation, un zeste de goujaterie et beaucoup de forfanterie, sans<br />

oublier sa grandiloquence naturelle : « c’est dans l’indifférence de ce<br />

Paris, qui n’a jamais pensé qu’à jouir, que s’accomplit la commémoration<br />

d’un passé dont il n’a même plus la reconnaissance... Nous sommes<br />

les seuls à en (le Code) comprendre le sens, la portée, la gravité religieuse,<br />

de même que nous avons été les premiers à le célébrer ».<br />

Le sic s’impose, non? M e Auclair qui tient dans le Journal la « Chronique<br />

de Paris » et qui n’est autre que M e Claro du barreau de Paris, ancien secrétaire<br />

de la Conférence du stage, s’en émeut. Avec raison.<br />

... « Les premiers... non pas, s’il vous plaît, les seconds. On sait assurément<br />

à Bruxelles que, chaque jour, le soleil brille pour les Nippons avant de consentir<br />

à éclairer les plaines wallonnes et flamandes. Or, le 21 mars 1904,<br />

date astronomique, une manifestation avait lieu à Tokyo en l’honneur du<br />

Code Napoléon. Cinq discours y furent prononcés, quatre en japonais, un en<br />

français par M. Bridel, professeur à l’Université impériale ».<br />

Il démontre ensuite, documents à l’appui (Gazette des tribunaux du<br />

3 novembre 1904) « que les fêtes du centenaire ont eu à Paris un éclat et<br />

un retentissement que certains esprits timorés se refusaient à prévoir ».<br />

Et pour effacer l’affront fait à Paris qui ne songerait qu’à jouir, M e Auclair<br />

consacre sa chronique au monumental ouvrage que l’un de ses confrères<br />

au barreau de Paris, M e Clunet, a édifié, soit les trente et un volumes du<br />

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Journal de droit international privé agrémentés de tables de recherche et<br />

de références, à ce point novatrices que le nom Tables du Clunet est<br />

aujourd’hui encore familier..., aux rats de bibliothèque en tout cas.<br />

Il conclut : « D’hommes comme Clunet, d’œuvres comme la sienne, la<br />

France peut être fière. Elle l’est. Et quand nous entendons certains airs<br />

de guitare, “ les Français ne sont maintenant que des amuseurs, incapables<br />

de comprendre même les grandeurs passées et ne songeant qu’à<br />

jouir ” (Tu quoque, Hennebicq!) c’est par du Corneille que nous répondons<br />

en son nom :<br />

Belgique, si mon visage<br />

A quelques traits un peu vieux,<br />

Dites-vous bien qu’à mon âge<br />

Vous ne vaudrez guère mieux.<br />

Cependant j’ai des charmes<br />

Qui sont assez éclatants<br />

Pour n’avoir pas trop d’alarmes<br />

De ces ravages du temps.<br />

Songez-y, jeune Belgique,<br />

Quoiqu’en grison fasse effroi,<br />

A tort on lui fait la nique,<br />

Quand il est fait comme moi ».<br />

Par curiosité, j’ai ouvert la Gazette du Palais du 3 novembre, qui relate<br />

les fêtes du centenaire. J’y ai trouvé ces mots qui semblent mettre un<br />

terme aux excès des uns et des autres : ... « ... ce sont peut-être les voix<br />

des savants étrangers qui ont été les plus élogieuses pour la grande œuvre<br />

de nos législateurs de 1804 ».<br />

Le journaliste pensait, on peut l’espérer, au discours de Jules Lejeune.<br />

Tout à la fois le plus approprié, le plus limpide et le plus profond de ceux<br />

qui ont été prononcés.<br />

Pierre BAUTHIER<br />

2004<br />

345


2004<br />

346<br />

TABLE ANALYTIQUE<br />

Pages Pages<br />

Editorial : Bicentenaire du Code civil, par R.O. Dalcq . . . . . . . . . 225 Des donations entre vifs et des testaments, par Ph. De Page . . . . . 288<br />

La codification : idéal et métamorphoses, par Fr. Ost . . . . . . . . . . 226 Les articles 1101 à 1133 du Code civil : dispositions préliminaires<br />

L’expérience québécoise de recodification du droit civil,<br />

et conditions de validité des contrats, par X. Dieux . . . . . . . . . . . 291<br />

par S. Normand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230 De l’effet des obligations, par L. Simont . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294<br />

Le Code civil néerlandais - Les douze premières années,<br />

Des diverses espèces d’obligations, par M. Fontaine . . . . . . . . . . 296<br />

par E. Hondius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235<br />

De l’extinction des obligations, par P. Wéry . . . . . . . . . . . . . . . . . 298<br />

La langue du Code civil, par Rhadamanthe . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240<br />

Un Code civil européen, mythe ou réalité?, par Z. Pletinckx . . . . 242<br />

Le titre préliminaire du Code civil, par Fr. Rigaux . . . . . . . . . . . . 246<br />

De la jouissance et de la privation des droits civils,<br />

par J.-Ch. Brouwers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248<br />

Des actes de l’état civil, par J. Sosson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250<br />

Du domicile, par V. d’Huart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253<br />

L’absence, deux cents ans après le Code civil, par A. Kohl . . . . . . 256<br />

Le mariage, par D. Sterckx . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257<br />

Le divorce, par J.-P. Masson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260<br />

Deux siècles de droit de la filiation, par A.-Ch. Van Gysel . . . . . . 263<br />

De l’adoption et de l’adoption plénière, par I. Lammerant . . . . . . 266<br />

De l’autorité parentale, par J.-L. Renchon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269<br />

De la minorité, de la tutelle et de l’émancipation, par E. Vieujean . . 273<br />

De la majorité, de l’administration provisoire,<br />

de l’interdiction et du conseil judiciaire, par E. Vieujean . . . . . . . 275<br />

La distinction entre les biens, par J.-Fr. Romain . . . . . . . . . . . . . . 277<br />

De la propriété, par N. Verheyden-Jeanmart . . . . . . . . . . . . . . . . . 279<br />

Usufruit - Usage - Habitation, par C. Mostin . . . . . . . . . . . . . . . . 282<br />

Les servitudes : entre tradition et modernité, par P. Lecocq . . . . . 284<br />

Le droit successoral civil de 1804 à 2004, par P. Delnoy . . . . . . . 286<br />

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De la preuve des obligations et de celle de leur paiement -<br />

De la notification, par P. Van Ommeslaghe . . . . . . . . . . . . . . . . . . 300<br />

Les quasi-contrats, par Fr. Glansdorff . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303<br />

Des délits et quasi-délits, par R.O. Dalcq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305<br />

La réparation des dommages causés par les déments,<br />

par G. Schamps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306<br />

Du droit des régimes matrimoniaux au droit patrimonial du couple,<br />

par Y.-H. Leleu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310<br />

La cohabitation légale, par J.-Fr. Taymans . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312<br />

De la vente, par M. Vanwijck-Alexandre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314<br />

De l’échange, par M. Vanwijck-Alexandre . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316<br />

Le louage des choses, par Y. Merchiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317<br />

Louage d’ouvrage - Dépôt - Mandat, par P.-A. Foriers . . . . . . . . . 319<br />

Du prêt, par I. Durant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322<br />

Les contrats aléatoires, par B. Dubuisson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327<br />

Du cautionnement - Du nantissement - Des privilèges et hypothèques,<br />

par M. Grégoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334<br />

Des transactions, par B. Tilleman . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336<br />

La prescription libératoire : paradigme ou paradoxe de la sécurité<br />

juridique, par J.-Fr. van Drooghenbroeck . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 337<br />

De la possession, par J.-Fr. Romain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340<br />

Célébration du premier centenaire du Code civil, par P. Bauthier . . 342


TABLE DES NOMS D’AUTEURS<br />

BAUTHIER, P. — Célébration du premier centenaire du Code civil 342<br />

BROUWERS, Ch. — De la jouissance et de la privation des droits<br />

civils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248<br />

DALCQ, R.O. — Editorial : Bicentenaire du Code civil . . . . . . . . . 225<br />

DALCQ, R.O. — Des délits et quasi-délits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305<br />

DELNOY, P. — Le droit successoral civil de 1804 à 2004 . . . . . . . 286<br />

DE PAGE, Ph. — Des donations entre vifs et des testaments . . . . . 288<br />

DIEUX, X. — Les articles 1101 à 1133 du Code civil :<br />

dispositions préliminaires et conditions de validité des contrats . . 291<br />

DUBUISSON, B. — Les contrats aléatoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327<br />

DURANT, I. — Du prêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322<br />

FORIERS, P.-A. — Louage d’ouvrage - Dépôt - Mandat . . . . . . . . 319<br />

FONTAINE, M. — Des diverses espèces d’obligations . . . . . . . . . . 296<br />

GLANSDORFF, Fr. — Les quasi-contrats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303<br />

GRÉGOIRE, M. — Du cautionnement - Du nantissement - Des privilèges<br />

et hypothèques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334<br />

HONDIUS, E. — Le Code civil néerlandais - Les douze premières<br />

années . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235<br />

D’HUART, V. — Du domicile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253<br />

KOHL, A. — L’absence, deux cents ans après le Code civil . . . . . 256<br />

LAMMERANT, I. — De l’adoption et de l’adoption plénière . . . . . 266<br />

LECOCQ, P. — Les servitudes : entre tradition et modernité . . . . . 284<br />

LELEU, Y.-H. — Du droit des régimes matrimoniaux au droit patrimonial<br />

du couple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310<br />

MASSON, J.-P. — Le divorce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260<br />

MERCHIERS, Y. — Le louage des choses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317<br />

MOSTIN, C. — Usufruit - Usage - Habitation . . . . . . . . . . . . . . . . 282<br />

NORMAND, S. — L’expérience québécoise de recodification du<br />

droit civil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230<br />

OST, Fr. — La codification : idéal et métamorphoses . . . . . . . . . . 226<br />

PLETINCKX, Z. — Un Code civil européen, mythe ou réalité? . . . . 242<br />

RENCHON, J.-L. — De l’autorité parentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269<br />

RHADAMANTHE — La langue du Code civil . . . . . . . . . . . . . . . . . 240<br />

RIGAUX, Fr. — Le titre préliminaire du Code civil . . . . . . . . . . . . 246<br />

ROMAIN, J.-Fr. — La distinction entre les biens . . . . . . . . . . . . . . 277<br />

ROMAIN, J.-Fr. — De la possession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

Pages Pages<br />

SCHAMPS, G. — La réparation des dommages causés par les<br />

déments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306<br />

SIMONT, L. — De l’effet des obligations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294<br />

SOSSON, J. — Des actes de l’état civil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250<br />

STERCKX, D. — Le mariage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257<br />

TAYMANS, J.-Fr. — La cohabitation légale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312<br />

TILLEMAN, B. — Des transactions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336<br />

VAN DROOGHENBROECK, J.-Fr. — La prescription libératoire :<br />

paradigme ou paradoxe de la sécurité juridique . . . . . . . . . . . . . . 337<br />

VAN GYSEL, A.-Ch. — Deux siècles de droit de la filiation . . . . . 263<br />

VAN OMMESLAGHE, P. — De la preuve des obligations et de celle<br />

de leur paiement - De la notification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 300<br />

VANWIJCK-ALEXANDRE, M. — De la vente . . . . . . . . . . . . . . . . . 314<br />

VANWIJCK-ALEXANDRE, M. — De l’échange . . . . . . . . . . . . . . . . 316<br />

VERHEYDEN-JEANMART, N. — De la propriété . . . . . . . . . . . . . . . 279<br />

VIEUJEAN, E. — De la minorité, de la tutelle et de l’émancipation . . . 273<br />

VIEUJEAN, E. — De la majorité, de l’administration provisoire,<br />

de l’interdiction et du conseil judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275<br />

WÉRY, P. — De l’extinction des obligations . . . . . . . . . . . . . . . . . 298<br />

Roger O. DALCQ, rédacteur en chef.<br />

Secrétaire général de la rédaction : Georges-Albert DAL.<br />

Secrétaires de la rédaction : Annik BOUCHÉ, Viviane DUCROUX, Olivier KLEES et François TULKENS.<br />

Secrétaire honoraire de la rédaction : Wivine BOURGAUX.<br />

Chronique judiciaire : Bernard VAN REEPINGHEN.<br />

Comité de rédaction : Eric BALATE, Pierre BAUTHIER, Michèle BONHEURE, Jean-Pierre<br />

BOURS, Benoît DEJEMEPPE, Fernand DE VISSCHER, Christian DIERYCK, Jean EEC-<br />

KHOUT, François GLANSDORFF, Michèle GRÉGOIRE, Guy KEUTGEN, Emile KNOPS,<br />

Dominique LAGASSE, Michel MAHIEU, Christine MATRAY, Jules MESSINNE, François<br />

MOTULSKY, Jacques SIMONS, Daniel STERCKX et Louis VAN BUNNEN.<br />

ADMINISTRATION : LARCIER<br />

ABONNEMENT 2004 : 265 €<br />

Ce numéro : 24 €<br />

Abonnement : Larcier, c/o Accès+, s.p.r.l.<br />

Fond Jean-Pâques, 4 - 1348 Louvain-la-Neuve<br />

Tél. (010) 48.25.70 - Fax (010) 48.25.19<br />

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Les envois destinés à la rédaction<br />

peuvent être adressés chez Monsieur R.O. DALCQ,<br />

chaussée de la Hulpe, 150, 1170 Bruxelles<br />

ou envoyés par e-mail à l’adresse suivante :<br />

r.o.dalcq@bdcg.be<br />

en précisant que cela concerne le Journal des tribunaux.<br />

© De Boeck & Larcier, s.a., Bruxelles, déc. 1881<br />

ISSN 0021-812X<br />

Tous droits de reproduction, sous quelque forme que ce soit, réservés pour tous pays. Les<br />

manuscrits ne sont pas rendus<br />

Les auteurs cèdent à LARCIER, leurs droits intellectuels sur les textes publiés au « Journal des tribunaux<br />

». Toute reproduction est dès lors interdite sans l’accord écrit de LARCIER<br />

Ed. resp. : O. Cruysmans, rue des Minimes, 39 - 1000 Bruxelles<br />

2004<br />

347

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