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2004
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UN CODE CIVIL EUROPÉEN,
MYTHE OU RÉALITÉ?
1. — Il y a quinze ans, le Parlement européen a, pour la première fois,
appelé de ses vœux l’élaboration d’un Code européen commun de droit
privé (1).
Aujourd’hui, à la veille de la commémoration du bicentenaire du Code
civil, le projet de Code civil européen a évolué et a donné lieu à de très
nombreux commentaires, colloques ou séminaires. Curieusement toutefois,
cette entreprise reste mal connue, voire inconnue, du praticien du
droit.
Il s’agit là d’un paradoxe : d’une part, les institutions européennes envisagent
d’européaniser le droit civil, soit une des branches de notre
droit, si ce n’est la branche du droit, associée par excellence à l’identité
juridique et culturelle de la nation et par ailleurs à la base de la pratique
quotidienne des juristes et, d’autre part, dans le même temps, il semble
que cette considération ait échappé à la plupart des amateurs de droit
que nous sommes, à l’exception des quelques privilégiés, généralement
des universitaires, qui étaient associés ou qui se sont associés volontairement
au projet.
Sans doute, aujourd’hui, le bicentenaire du Code civil aidant, la plupart
d’entre nous ont entendu ces rumeurs faisant état d’une initiative des
instances européennes qui viserait à élaborer un Code de droit privé.
Toutefois, nous semble-t-il, la perplexité et l’étonnement restent la
règle, le contenu précis du projet européen étant mal connu.
La présente contribution a précisément pour objet de définir les contours
de l’entreprise envisagée par le Parlement européen d’abord, par
la Commission et le Conseil ensuite, dans une perspective qui se veut
non seulement descriptive mais également, dans une certaine mesure,
critique.
Cet examen nous amènera dans un premier temps à décrire le projet eu
égard aux textes adoptés au sein des instances européennes (section I).
Dans un second temps, nous nous attellerons brièvement à examiner les
principaux commentaires et réactions émanant de la doctrine à ce sujet
(section II). Nous tenterons enfin dans un dernier temps de déterminer
les perspectives d’avenir du projet (section III).
I. — LE PROJET DE CODE CIVIL EUROPÉEN
2. — Le projet de Code civil européen tel que nous l’entendons dans le
cadre de la présente contribution est celui qui émane actuellement des
instances européennes et qui consiste en la « codification » de certaines
branches du droit privé et notamment le droit des contrats. Autrement
dit, nous ne visons pas les nombreuses initiatives privées, de type doctrinal,
qui foisonnent dans cette matière. A titre d’exemple, citons les
travaux du groupe de Trente sous la direction de U. Mattei et
M. Bussani consacrés au common core du droit privé (2), le Code européen
des contrats élaboré par l’Académie des privatistes européens de
Pavie (3), le groupe d’études sur un Code civil européen dirigé par
C. Von Bar (4), les travaux du groupe d’experts présidé par M. Storme
(1) Résolution du P.E. du 26 mai 1989, J.O.C.E., C 158/400, 26 juin 1989.
(2) Voy. à cet égard, l’article des directeurs du projet, « The Common Core Approach
to European Private Law », The Columbia Journal of European Law,
vol. 3, n o 3, (1997-1998), pp. 339 et s.
(3) Voy. à cet égard, M. L. Ruffini Gandolfi, « Problèmes d’unification du droit
en Europe et le Code européen des contrats », R.I.D.C., 2002, pp. 1075 et s.
(4) Voy. à cet égard, C. Von Bar, « Le groupe d’études sur un Code civil
européen », R.I.D.C., 2001, pp. 127 et s.
J.T. n° 6132 - 12/2004
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en vue d’un rapprochement du droit judiciaire de l’Union européenne
(5) ou encore les Principles of European Contract Law de la commission
Lando (6).
3. — Le projet de Code civil européen est, à l’origine, un projet parlementaire.
En 1989, en effet, le Parlement européen, particulièrement favorable à
l’unification du droit civil, adoptait une résolution visant à promouvoir
l’élaboration d’un Code européen commun de droit privé (7).
Il s’agissait là du premier vœu en ce sens formulé officiellement par
l’une des institutions communautaires. Les parlementaires à l’origine de
cette résolution soulignaient alors l’importance de former « l’ossature
du droit européen de l’avenir » dans un contexte où les efforts d’harmonisation
globale faisaient à leur sens défaut (8).
Malgré un contexte politique propice (9), le débat sur l’élaboration de
ce que d’aucuns nommaient déjà le Code civil européen restait cependant
encore limité à la sphère du Parlement européen.
4. — Dix années après la première résolution du Parlement, la question
est abordée par d’autres acteurs institutionnels et transcende ainsi le
débat purement parlementaire à l’occasion du Conseil européen de
Tampere. Les conclusions de la présidence (10) invitent en effet des experts
extérieurs à se pencher sur la question de la nécessité de rapprocher
les législations des Etats membres en droit privé à l’occasion d’une
étude qui est commandée et réalisée (11).
S’ensuivra une relative effervescence doctrinale qui trouvera principalement
sa source dans une initiative de la Commission. En 2001, la
Commission se penche en effet à son tour sur la question du rapprochement
des législations mais centre son propos sur le droit des contrats
(12).
La Commission indique ne rechercher à ce stade qu’à rassembler des informations
sur la nécessité – qui ne semble dès lors pas encore acquise
– d’une action communautaire plus étendue en matière de droit des contrats
et invite les acteurs du monde politique, socio-économique et juridique
à communiquer leurs réflexions sur la question. A cette fin, elle
soumet aux Européens quatre approches possibles (non limitatives et
non exclusives) susceptibles d’orienter sa politique législative future en
la matière. Les quatre approches peuvent en réalité être résumées, à
notre sens, à deux types de démarches. La première, qui ne soulève pas
(5) J. Normand, « Un droit judiciaire privé européen? », in Le droit privé européen,
actes du colloque de Reims, dir. P. de Vareilles-Sommières, Economica,
1998, pp. 124 et s.
(6) Voy. à cet égard, O. Lando, Some Features of the Law of Contract in the
Third Millenium, inaugural lecture held on 2 November 1995, Erasmus University
of Rotterdam, pp. 345-402; C. Castronovo, « Contract and the idea of codification
in the Principles of European Contract Law », in Festskrift til Ole
Lando, Copenhagen, 1997, pp. 109-124.
(7) Résolution du P.E. du 26 mai 1989, J.O.C.E., C 158/400, 26 juin 1989. Ce
souhait fut par la suite réitéré par le Parlement régulièrement (résolution du P.E.
du 6 mai 1994, J.O.C.E., C 205/518, 25 juillet 1994; résolution du P.E. concernant
le rapprochement du droit civil et commercial des Etats membres de
2001).
(8) Doc. B2-55/85/rév.
(9) Ainsi, au Conseil de Birmingham, le 16 octobre 1992, a été adopté la déclaration
de Birmingham mettant l’accent sur l’importance du débat démocratique
et affirmant le souhait de voir la législation communautaire devenir « plus simple
et plus claire ». Ces préoccupations furent réaffirmées quelques mois plus
tard au Conseil d’Edimbourg (11 décembre 1992). Cette impulsion donna lieu
par la suite à une résolution du Conseil relative à la qualité rédactionnelle de la
législation communautaire (17 juin 1993, J.O., C 166) et à la pratique de la rédaction
annuelle de rapports par la Commission intitulés « Mieux légiférer ».
(10) Conclusions de la présidence, Conseil européen de Tampere des 15 et
16 octobre 1999, SI (199), 800, Communication, p. 4.
(11) The Private Law Systems in the EU : Discrimination on Grounds of Nationality
and the Need for a European Civil Code, JURI 103 EN (juin 2000).
(12) COM (2001) 398 final.