p17un88fmnup43iolnfachbsf1.pdf
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
pas, contre toute attente, les articles 690 et 691 du Code civil, laisserait<br />
passer son voisin, par souci de bon voisinage et fort de l’impossibilité<br />
dans laquelle serait ce dernier de prescrire la servitude, sera bien mal<br />
pris lorsqu’on lui opposera l’aveu extrajudiciaire tacite résultant de son<br />
comportement passif (15).<br />
Qu’à cela ne tienne! Ce que la loi risquerait de perdre d’un côté, elle le<br />
(re)gagnerait de l’autre : la Cour de cassation n’a-t-elle pas finalement<br />
décidé (16) que puisque la protection possessoire est réservée aux immeubles<br />
et droits immobiliers susceptibles d’être acquis par prescription<br />
(art. 1370, 1o , C. jud.) et que l’article 684 exclut toute prescription<br />
en matière de servitude légale pour cause d’enclave, doit être déclarée<br />
irrecevable l’action possessoire en réintégrande relative à une servitude<br />
légale de passage (17). La Cour s’écarte ainsi résolument de la position<br />
séculaire de son homologue française qui admit très tôt l’action possessoire<br />
relative à une servitude discontinue ou non apparente, et donc non<br />
susceptible de prescription acquisitive, lorsque la servitude est fondée<br />
sur un titre, légal ou conventionnel (18). Et l’on pourrait supposer, ne<br />
nous en déplaise, que notre Cour de cassation fera preuve de la même<br />
sévérité quant à la protection possessoire, non plus d’une servitude légale<br />
d’enclave, mais d’une servitude de passage du fait de l’homme, fûtelle<br />
fondée sur une convention. Ainsi, donc, au rebours de la question<br />
de la preuve des servitudes, c’est une application stricte, cette fois, des<br />
dispositions légales invoquées, soit les articles 1370 du Code judiciaire<br />
et 690 et 691 du Code civil combinés, que l’on défend.<br />
4. — Le domaine de l’extinction des servitudes du fait de l’homme<br />
n’échappe pas davantage au ballet des tentations contraires.<br />
Les premières versions de ce qui allait devenir le, concis, article 710bis du<br />
Code civil laissaient une large place à l’équité du juge, allant de la suppression<br />
totale à la suppression partielle de la servitude, moyennant, le cas<br />
échéant, paiement d’une indemnité. C’est qu’il seyait de conférer aux servitudes,<br />
nécessaires au progrès économique, un caractère évolutif et de<br />
permettre de se débarrasser ainsi de servitudes « (...) complètement surannées,<br />
(...) empêch(a)nt même des travaux de construction rationnels »<br />
(19). Pourtant, dès l’abord opposa-t-on à la Chambre des représentants<br />
qu’« (...) il ne faut pas énerver la sécurité juridique habituelle des droits<br />
réels par un texte à portée trop large » (20) et c’est, finalement, un texte<br />
requérant la perte de toute utilité pour que le juge prononce l’extinction<br />
judiciaire d’une servitude du fait de l’homme qui fut adopté. Mieux encore,<br />
après un court temps de réflexion, la jurisprudence, dont on avait prédit<br />
l’efflorescence (21), entendit prôner de l’article une interprétation très<br />
stricte, soutenue en cela d’ailleurs par la doctrine majoritaire (22). La ser-<br />
(15) Voy., pour une application d’aveu extrajudiciaire, résultant de faits d’exécution,<br />
Cass., 17 janv. 1969, Pas., 1969, I, 452; obs. crit. R.C.J.B., 1971, n o 41,<br />
p. 166; voy. aussi, Cass., 28 janv. 1999, précité.<br />
(16) Voy., sur cette controverse, not. H. Vuye, « Een knoop doorgehakt : geen<br />
bezitsbescherming voor de noodweg - Het arrest van het Hof van Cassatie van<br />
23 februari 1995 », Rec. Cass., 1995, p. 209.<br />
(17) Voy., Cass., 23 févr. 1995, Pas., 1995, I, 203; R.W., 1995-1996, p. 237;<br />
Rec. Cass., 1995, p. 209, note de H. Vuye; voy. aussi, Cass., 1 re ch., 22 mars<br />
2002, J.T., 2002, p. 476; Rev. not., 2002, p. 364, note de J. S.; J.L.M.B., 2003,<br />
p. 11; R.W., 2002, p. 219.<br />
(18) A partir, il est vrai à l’heure actuelle, de textes différents des textes belges;<br />
voy. notam., aux deux extrêmes, Cass. fr., 24 juin 1828, Dalloz, Jurisprudence<br />
générale du Royaume, t. III, v o « Action possessoire », Paris, 1846, n o 744;<br />
Cass. fr., 13 mai 1998, J.C.P., 1999, p. 523, note de H. Perinet-Marquet; Cass.<br />
fr., 10 avril 2002, D.S., 2002, p. 2506, note de N. Reboul-Maupin.<br />
(19) Voy. la proposition de loi insérant un article 710bis dans le Code civil, développements,<br />
Doc. parl., Sén., sess. ord. 1977-1978, n o 314-1; proposition de<br />
loi insérant un article 710bis dans le Code civil, rapport fait au nom de la commission<br />
de la justice par M. Cooreman, Doc. parl., Sén., sess. ord. 1979-1980,<br />
n o 118-2; voy., pour une analyse détaillée de la genèse de l’article 710bis<br />
C. civ., M.-F. Hubert, « A propos de l’article 710bis nouveau du Code civil - La<br />
servitude inutile », J.T., 1983, p. 657.<br />
(20) Projet de loi insérant un article 710bis dans le Code civil, amendement<br />
présenté par M. Van Cauwenberghe et justification, Doc. parl., Ch. repr., sess.<br />
ord. 1979-1980, n o 464-2.<br />
(21) Voy. M.-F. Hubert, op. cit., spécialement n o 15.<br />
J.T. n° 6132 - 12/2004<br />
Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />
aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />
vitude sera maintenue si elle conserve une utilité, si minime fût-elle,<br />
même d’agrément, future ou potentielle (23). Et notre Cour d’approuver<br />
le jugement qui décide que la servitude se justifie par le seul agrément du<br />
fonds dominant sans tenir compte d’un élément d’ordre économique pourvu<br />
que cet agrément soit objectif en ce sens qu’il puisse profiter à tout propriétaire<br />
du fonds dominant par le seul fait de l’exercice du droit de propriété;<br />
la servitude conserve dès lors son utilité lorsqu’elle continue à accroître<br />
la commodité de l’usage ou de l’exploitation du fonds dominant et<br />
à lui conférer ainsi une plus-value (24).<br />
Toujours à propos des modes d’extinction, évoquons encore la fameuse<br />
controverse relative à la charge de la preuve de la prescription extinctive<br />
de la servitude du fait de l’homme par non-usage trentenaire. Si le droit de<br />
propriété ne s’éteint pas par non-usage, il n’en va pas de même des droits<br />
réels démembrés et le législateur a prévu, dans des textes ambigus il est<br />
vrai, que la servitude peut s’éteindre par non-usage trentenaire (art. 703,<br />
704 et 706, C. civ.), le point de départ du délai de prescription variant<br />
d’ailleurs selon qu’il s’agit de servitudes discontinues ou continues<br />
(art. 707, C. civ.). Ceci dit, quant à la question de la charge de la preuve<br />
de ce non-usage, c’est encore la « valse hésitation » entre les partisans de<br />
l’application de la règle selon laquelle, en matière de servitude comme en<br />
toutes matières, il appartient au fonds servant qui invoque l’extinction<br />
d’un droit de le prouver et les tenants du principe de la liberté des fonds<br />
contraignant donc le fonds dominant à prouver que non seulement la servitude<br />
a existé mais qu’il l’a conservée. L’on ne s’étonnera dès lors pas<br />
que, distinguant une fois de plus les servitudes discontinues des servitudes<br />
continues, la Cour de cassation ait finalement décidé que la preuve du<br />
non-usage de la servitude pendant trente ans incombe au propriétaire du<br />
fonds servant s’il s’agit d’une servitude continue, tandis qu’il appartient<br />
au propriétaire du fonds dominant d’établir qu’il a fait usage, il y a moins<br />
de trente ans, d’une servitude discontinue (25). Deux nuances cependant.<br />
Premièrement, la Cour de cassation a énoncé un tempérament à la règle<br />
ci-dessus évoquée en cas d’extinction non totale mais partielle : il incomberait<br />
exceptionnellement au fonds servant d’une servitude conventionnelle<br />
de passage (donc discontinue) d’apporter la preuve du non-usage<br />
partiel (26). Deuxièmement, notre Cour a récemment décidé que le fonds<br />
dominant ayant, en application des principes, apporté la preuve de faits<br />
d’usage d’une servitude conventionnelle de passage depuis moins de trente<br />
ans, il appartient au fonds servant qui oppose que le droit de passage<br />
était déjà éteint par la prescription extinctive de trente ans préalablement<br />
au plus vieux fait prouvé d’interruption au cours des trente ans précédant<br />
l’introduction de la procédure, de prouver ce non-usage trentenaire (27).<br />
On l’aura deviné, l’affaire mériterait certainement de plus longs développements<br />
que ne le permet la présente contribution, notamment sur le prétendu<br />
caractère absolu et automatique de l’extinction des servitudes par<br />
non-usage, confronté au principe selon lequel on peut renoncer à une prescription<br />
acquise, le tout en se rappelant que le titre récognitif d’une servi-<br />
(22) Voy., outre M.-F. Hubert précitée, not. H. Vuye « De nutteloos geworden<br />
privaatrechtelijke erfdienstbaarheid : recente tendensen in België, Frankrijk en<br />
Nederland », R.G.D.C., 1991, p. 323. Voy., pour le constat de la même tendance<br />
stricte en jurisprudence, N. Verheyden-Jeanmart, Ph. Coppens et C. Mostin,<br />
« Examen de jurisprudence (1989-1998) - Les biens », R.C.J.B., 2000, pp. 59 et<br />
s. et pp. 291 et s., spéc. n o 201; J. Kokelenberg, Th. Van Sinay et H. Vuye<br />
« Overzicht van rechtspraak - Zakenrecht, 1994-2000 », T.P.R., 2001, n o 156;<br />
voy. aussi, pour une analyse économique de l’article 710bis C, civ.,<br />
B. Bouckaert, « Een moderne zingeving voor juridische brocante - De tragedy of<br />
the anti-commons en de erfdienstbaarheden », op. cit., n os 16 et s.<br />
(23) Voy., parmi tant d’autres, J.P., Wervik, 30 juin 1998, J.J.P., 1999, p. 251;<br />
Civ. Gand, 5 nov. 1999, A.J.T., 2000-2001, p. 452.<br />
(24) Cass., 1 re ch., 28 janv. 2000, Rev. not., 2000, p. 226, note de J. Sace, « Le<br />
caractère du rapport de servitude »; J.L.M.B., 2000, p. 891; J.T., 2000, p. 464;<br />
R.W., 2000-2001, p. 309; Bull. Cass., 2000, p. 239.<br />
(25) Voy. notam., Cass., 18 nov. 1983, Pas., 1984, I, 305; Arr. Cass., 1983-<br />
1984, p. 325; R.W., 1983-1984, col. 1980.<br />
(26) Voy., pour un commentaire critique de cet arrêt, J. Hansenne, Précis - Les<br />
biens, Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1996, t. II,<br />
n o 1138; N. Verheyden-Jeanmart, Ph. Coppens et C. Mostin, op. cit., n o 202.<br />
(27) Voy., Cass., 30 mai 2003 (C.00.0347.N/1), inédit à ce jour; comp. J.P.<br />
Wervik, 30 juin 1998, J.J.P., 1999, p. 251.<br />
2004<br />
285