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2004<br />
272<br />
21. — Si tous les enfants avaient désormais été placés par la loi du<br />
31 mars 1987 sur le même pied, quels qu’aient été les circonstances de<br />
leur naissance et le mode d’établissement de leur filiation, par contre<br />
tous les enfants n’étaient pas soumis au même régime juridique de<br />
l’autorité parentale, selon que leurs parents cohabitaient ou s’étaient séparés.<br />
Le principe d’égalité allait toutefois aussi finir par l’emporter sur la<br />
considération qui avait jusque-là prévalu que « l’unité de l’éducation »<br />
de l’enfant postulait que, lorsque ses père et mère se désunissaient,<br />
l’autorité fut concentrée entre les mains d’un seul des parents. Comme<br />
c’étaient les mères qui, parce qu’elles s’occupaient généralement ellesmêmes<br />
des soins quotidiens de l’enfant, s’en voyaient presque systématiquement<br />
confier la garde et, par voie de conséquence, l’exercice exclusif<br />
de l’autorité parentale, on ne put faire que le constat, avec la multiplication<br />
des situations de divorce, qu’un nombre de plus en plus important<br />
de pères se retrouvaient juridiquement exclus de<br />
l’« administration de la personne et des biens » de leurs enfants.<br />
Pour pallier cette situation d’inégalité, il parut indispensable d’en revenir<br />
à un principe d’autorité parentale conjointe entre le père et la mère<br />
qui subsisterait ou pourrait subsister, même s’ils se séparaient, de façon<br />
à préserver pour l’enfant, autant que possible, un « couple parental » audelà<br />
du « couple conjugal ».<br />
C’est la loi du 13 avril 1995 relative à l’autorité parentale conjointe qui<br />
opéra cette nouvelle réforme et qui, dans un souci pédagogique de transformer<br />
les mentalités, décida, de façon à vrai dire maladroite, de changer<br />
aussi la terminologie utilisée pour qualifier les prérogatives de<br />
l’autorité sur la personne de l’enfant en substituant à la notion de<br />
« garde » la notion d’ « hébergement » de l’enfant.<br />
Depuis lors, les cours et tribunaux ont généralisé la pratique de l’autorité<br />
parentale conjointe et, dans la foulée, acceptent de plus en plus fréquemment<br />
d’organiser, aussi, un régime de garde ou d’hébergement<br />
« alterné » des enfants de parents séparés, qui est présenté comme la solution<br />
la plus « équitable » tant pour chacun des parents que pour les enfants.<br />
C’est dire à quel point le principe d’égalité a pu devenir une des<br />
références fondamentales de l’organisation de l’autorité parentale.<br />
IV. — L’AVÈNEMENT DES DROITS DE L’ENFANT<br />
22. — Le triomphe au cours de la fin du XXe siècle de l’idéologie libérale<br />
et individualiste, jusque dans le champ de la vie privée, affective et<br />
familiale, n’a pas seulement conduit à faire prévaloir le principe d’égalité<br />
entre les êtres humains; il a, plus fondamentalement, fait s’écrouler<br />
l’« ordre des familles » qui avait longtemps structuré l’ensemble des relations<br />
familiales et il a dès lors profondément modifié nos représentations<br />
de l’enfance et de la parentalité.<br />
C’est que le sens de l’existence humaine est de plus en plus devenu,<br />
pour une majorité d’individus, de s’épanouir soi-même et, par voie de<br />
conséquence, de conquérir son « autodétermination » afin de pouvoir<br />
laisser « libre cours » à ses inclinations, ses choix, ses compétences, ses<br />
potentialités...<br />
Ce qui compte désormais, c’est ce qui « me permet d’être moi-même ».<br />
23. — C’est tout le rapport de l’adulte à l’enfant qui va alors se trouver<br />
bouleversé par cette nouvelle perception des choses, car, tout à la fois et<br />
paradoxalement, l’enfant est recherché et investi par ses parents comme<br />
une des manières pour eux de se réaliser et de s’épanouir, et l’enfant est<br />
lui-même regardé ou appréhendé comme une personne à part entière qui<br />
doit pouvoir aussi être laissé libre de se réaliser et de s’épanouir.<br />
Advinrent ainsi, sans qu’on n’ait encore eu le temps de mesurer la portée<br />
et les effets de la revendication de ces nouveaux « droits », tant le<br />
J.T. n° 6132 - 12/2004<br />
Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />
aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />
« droit à l’enfant » que « les droits de l’enfant » qui ont inauguré, pour<br />
d’aucuns, le règne de l’« enfant-roi » (17).<br />
24. — En termes juridiques, ces revendications individualistes se traduisent<br />
aujourd’hui dans des réformes ou des projets de réforme qui tendent<br />
d’une part à libéraliser l’accès à la parentalité et d’autre part à permettre<br />
l’exercice par les enfants de leur propre droit à l’« autodétermination<br />
».<br />
25. — Une conception représentative de la première tendance est celle<br />
qui consiste à considérer que la relation parentale ne viendrait en définitive<br />
que concrétiser un lien de proximité affective entre un adulte et<br />
un enfant, avec la conséquence que toute personne qui vivrait avec l’enfant<br />
et en prendrait effectivement soin devrait pouvoir accéder à l’exercice<br />
de l’autorité parentale.<br />
C’est en ce sens qu’on peut comprendre les récentes propositions de loi<br />
« complétant le Code civil par des dispositions relatives à la parenté<br />
sociale » (18) ou, mieux encore, « autorisant l’exercice d’une autorité<br />
parentale désirée par le partenaire ou le cohabitant du parent » (19).<br />
26. — Un mouvement de réforme significatif de la seconde tendance est<br />
évidemment celui qui confère progressivement aux enfants une autonomie<br />
plus ou moins étendue pour l’exercice d’un certain nombre de leurs<br />
droits, en les soustrayant, par là même, aux prérogatives de l’autorité<br />
parentale.<br />
On pense assurément aux lois des 2 février 1994 et 30 juin 1994 qui, sur<br />
la base de considérations qui paraissent légitimes et appropriées, ont<br />
conféré aux enfants le droit d’exprimer leur propre opinion dans les litiges<br />
relatifs à l’exercice de leur garde et de leur éducation lors de la séparation<br />
de leurs parents (art. 56bis nouv., loi 8 avril 1965 relative à la<br />
protection de la jeunesse et art. 931, C. jud.), avec la conséquence toutefois<br />
que ce sont les enfants qui en viennent à choisir eux-mêmes les<br />
modalités concrètes de leur existence quotidienne, et, parfois, dans des<br />
situations extrêmes, à décider d’exclure un de leurs parents de toute responsabilité<br />
effective dans leur éducation.<br />
La portée de ces législations pourrait être considérablement étendue par<br />
de nouvelles dispositions déjà adoptées au Sénat qui ouvrent l’accès à<br />
la justice aux mineurs (20).<br />
On pense, aussi, à la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient<br />
qui a institué pour les enfants le principe d’une majorité médicale soumise<br />
au pouvoir entièrement discrétionnaire du médecin, dès que celuici<br />
estime le mineur « apte à apprécier raisonnablement ses intérêts »<br />
(art. 12).<br />
27. — Ces évolutions, qui sont venues contredire la conception classique<br />
de l’« éducation » d’un enfant, posent aux sociétés occidentales la<br />
double question de la signification et de la légitimité de l’autorité et du<br />
pouvoir exercés sur les enfants et de la transmission aux enfants par les<br />
générations antérieures du savoir et de la culture, c’est-à-dire, en<br />
d’autres termes, du sens de la « différence des générations ».<br />
Jean-Louis RENCHON<br />
Professeur à la Faculté de droit de l’U.C.L.<br />
Centre de droit de la personne,<br />
de la famille et de son patrimoine<br />
(17) Voy. notam., D. Marcelli, L’enfant, chef de famille - L’autorité de l’infantile,<br />
Albin Michel, 2003.<br />
(18) Proposition de loi déposée le 23 janvier 2002 à la Chambre des représentants,<br />
Doc. parl., n o 1604/001-2001-2002.<br />
(19) Proposition de loi déposée le 7 août 2002 à la Chambre des représentants,<br />
Doc. parl., n o 2004/001-2001-2002.<br />
(20) Projets de loi adoptés le 10 juillet 2002 par le Sénat sous les numéros 2-<br />
256, 2-626 et 2-554 de la session 2001-2002.