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stabilise des transferts de richesses volontaires. Cette disposition du régime<br />

primaire peut en outre forcer des réequilibrages patrimoniaux à la<br />

dissolution du régime lorsque les contributions respectives ont été disproportionnées.<br />

L’épouse médecin qui a réduit ses prestations pour<br />

gérer une famille nombreuse et une organisation quotidienne perturbée<br />

par les contraintes de l’ascension professionnelle de son mari, avant de<br />

passer les premières années de l’âge mûr au chevet de sa belle-mère,<br />

doit pouvoir prétendre, via l’article 221 du Code civil, à une part du patrimoine<br />

constitué par son conjoint qui aimerait maintenant en faire profiter<br />

une nouvelle compagne (11).<br />

Ces remèdes aux iniquités de la séparation de biens pure et simple demeurent<br />

perfectibles en raison de l’imprévisibilité de la jurisprudence et<br />

de leur fondement issu du régime primaire. Comme le législateur ne<br />

peut contraindre des époux à corriger contractuellement leur régime, il<br />

devrait soit introduire un correctif judiciaire en équité suivant l’exemple<br />

de nombreux systèmes étrangers (infra), soit interdire la séparation de<br />

biens pure et simple (12).<br />

5. — Bien plus redoutables sur le plan de l’équité patrimoniale, les<br />

autres statuts de vie commune — le mirage de la cohabitation légale et<br />

le néant de l’union libre — n’assurent pas au partenaire (devenu) économiquement<br />

faible la protection attendue d’un droit moderne et juste.<br />

L’objection tenant au libre choix des partenaires indépendants n’est pas<br />

décisive : les aléas de la vie et leurs répercussions sur les carrières réduisent<br />

parfois l’indépendance, tandis que le choix n’est libre que si<br />

toutes ses conséquences ont été acceptées.<br />

La cohabitation légale est pourvue d’un embryon de régime légal séparatiste<br />

à défaut de convention contraire (art. 1478, C. civ.). L’obligation<br />

de contribuer aux charges du ménage (art. 1477, § 3, C. civ.), équivalent<br />

fonctionnel de l’article 221, n’a pas encore, à notre connaissance, donné<br />

lieu à une jurisprudence similaire à celle évoquée ci-dessus pour la séparation<br />

de biens. D’ailleurs, comme la plupart des effets juridiques de<br />

la cohabitation légale, cette obligation est précarisée par la faculté de la<br />

rompre ad nutum.<br />

En union libre, par contre, la jurisprudence conduit un projet équitable<br />

comme en séparation de biens pure et simple. A défaut d’obligation légale<br />

de contribution aux charges de la vie commune, elle emprunte au<br />

droit commun des obligations les techniques de l’enrichissement sans<br />

cause et de l’obligation naturelle pour stabiliser certains transferts volontaires<br />

de richesses (13). Pour forcer les réallocations patrimoniales à<br />

la rupture, la doctrine envisage un recours à la responsabilité délictuelle<br />

(14). Cette construction, critiquée pour des motifs techniques (15), nous<br />

paraît en phase avec la conception associative du couple. Elle permet de<br />

reconfigurer les patrimoines lorsque l’équité est malmenée par les circonstances<br />

de la rupture, au rang desquelles le juge ne doit pas seulement<br />

compter la faute, mais aussi le fait d’abandonner sans partage un<br />

partenaire (devenu) économiquement dépendant. Les sacrifices imposés<br />

par la vie commune à certains libre-unionistes ne sont ni différents<br />

ni moindres que ceux consentis par certains époux.<br />

(11) Dans le même sens, concernant l’épouse d’un commerçant pilote de rally :<br />

Liège, 25 novembre 2003, inédit, n o 2002/R.G./1262. A propos des prestations<br />

d’assurance vie : Y.-H. Leleu, « L’arrêt de la Cour d’arbitrage du 26 mai 1999<br />

et le régime de la séparation de biens », in La liquidation des régimes de séparation<br />

de biens, précité, pp. 139-140.<br />

(12) En ce sens : A. Verbeke, op. cit., p. 379.<br />

(13) Voy. notam., C. Goux, « Enrichissement sans cause, concubinage et cohabitation<br />

légale conséquences de la loi réglant la cohabitation légale sur l’application<br />

de l’action de in rem verso », R.G.D.C., 2001, p. 4.<br />

(14) N. Jeanmart, Les effets civils de la vie commune hors mariage, Bruxelles,<br />

Larcier, 1986, pp. 226 et s.<br />

(15) A.-Ch. Van Gysel et S. Brat, « La rupture du couple : les recours judiciaires<br />

et les effets alimentaires », in Le couple non marié à la lumière de la cohabitation<br />

légale, J.-L. Renchon et F. Tainmont (éd.), Louvain-la-Neuve/ Bruxelles,<br />

Academia/Bruylant, 1999, pp. 298-300.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

6. — Il faut bien sûr réfléchir à la forme que devrait prendre de lege ferenda<br />

une protection patrimoniale du couple quel que soit son statut. On<br />

peut se représenter un droit impératif de participation à l’accroissement<br />

du patrimoine durant la vie commune, l’existence de celle-ci étant établie<br />

de façon différenciée selon le statut juridique du couple (16).<br />

La nature du correctif semble pouvoir être trouvée dans le modèle de la<br />

participation aux acquêts, un compromis entre la séparation de biens<br />

(gestion indépendante) et la communauté (distribution équitable). Le<br />

droit comparé regorge d’exemples de modèles participatifs et de leurs<br />

contraintes, notamment en matière de gestion et de preuve de la consistance<br />

des patrimoines (17).<br />

Un tel correctif devrait nécessairement présenter un caractère impératif,<br />

mais tempéré par un pouvoir marginal d’appréciation judiciaire. Le<br />

juge devrait s’attacher moins aux causes de la rupture qu’au fondement<br />

de la participation : la contribution directe ou indirecte des deux partenaires<br />

à la constitution du patrimoine conjugal. Il évitera ainsi de récompenser<br />

une présence intéressée.<br />

Enfin, pour assurer la sécurité juridique, la charge de la preuve de la relation<br />

de couple devrait reposer sur celui qui se prévaut du droit de participation,<br />

cette preuve étant facilitée lorsque le couple a adhéré à un<br />

statut. En toute hypothèse, un tel régime doit demeurer interne aux rapports<br />

entre partenaires, sans affecter la situation des créanciers durant la<br />

relation.<br />

Un tel interventionnisme limite-t-il de manière disproportionnée la liberté<br />

individuelle? J’y vois au contraire moins d’entraves que dans la<br />

sévérité croissante de la correction jurisprudentielle de la séparation de<br />

biens pure et simple, celle-ci étant expressément stipulée par contrat. Ne<br />

perdons pas de vue qu’il ne s’agit pas d’enrichir un partenaire au détriment<br />

de l’autre, mais d’éviter le partage léonin des fruits de l’association.<br />

Quant à l’application du principe participatif en cas de relation<br />

éphémère, elle demeure cantonnée aux seuls acquêts.<br />

7. — Chez les plus sceptiques de celles et ceux qui lisent ces lignes, des<br />

doutes peuvent surgir quant à ce qui subsisterait du mariage dans un tel<br />

contexte législatif. Ni plus ni moins, selon nous, que ce qui en est resté<br />

après son ouverture aux personnes de même sexe : pour les nouveaux<br />

bénéficiaires un mariage ayant subi une mutation supplémentaire; pour<br />

ses anciens adeptes un mariage juridiquement intact. Un mariage qui<br />

diffuse le meilleur de ses effets juridiques sur tous les couples, à savoir<br />

l’équité et l’égalité patrimoniale, ne perd rien de sa substance. Abandonne-t-il<br />

une part de son potentiel de différenciation? Assurément,<br />

mais celui-ci vit ses derniers jours dans la cité des droits de l’homme.<br />

Et sur le plan symbolique, le mariage sortira grandi d’avoir inspiré une<br />

protection juridique équitable contre les aléas patrimoniaux de la vie de<br />

couple.<br />

Yves-Henri LELEU<br />

Chargé de cours à l’U.Lg et à l’U.L.B.<br />

(16) En ce sens : A. Verbeke, op. cit., pp. 380 et s.<br />

(17) Ex. patrimoine familial au Québec; equitable distribution en droit angloaméricain,<br />

... Pour une analyse approfondie, A. Verbeke, Goederenverdeling<br />

bij echtscheiding, Anvers, Maklu, 1991, pp. 192 et s.; adde : E. Caparros,<br />

« Evolutions et involutions : les réformes des régimes matrimoniaux au<br />

Québec », in Liber amicorum Roland De Valkeneer, Bruxelles, Bruylant, 2000,<br />

pp. 130 et s.<br />

2004<br />

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