p17un88fmnup43iolnfachbsf1.pdf
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
le prêt à usage est essentiellement gratuit (7) alors que le prêt de consommation<br />
ne l’est que naturellement. Autrement dit, elle est une exigence<br />
dans le premier cas, mais pas dans le second. Le prêt de consommation<br />
peut être rémunéré, sans risque de confusion cette fois avec le<br />
bail qui ne peut porter que sur des choses non consomptibles.<br />
3. — Une hésitation toutefois persistante :<br />
le sort du prêt à usage intéressé<br />
A suivre les travaux préparatoires du Code civil, qui se réfèrent notamment<br />
à R.-J. Pothier, le prêt à usage est un contrat de bienfaisance (8).<br />
Le désintéressement du prêteur serait absolu (9). Conclu moyennant le<br />
paiement d’un prix, il est disqualifié en louage de chose. L’idée de gratuité,<br />
inhérente au prêt à usage, est si bien acquise, que la doctrine<br />
actuelle, essentiellement française, marque une hésitation lorsque la<br />
mise à disposition, apparemment gratuite, a lieu dans le cadre de relations<br />
d’affaires. Serait-il, en effet, raisonnable, dans l’esprit du Code civil,<br />
de qualifier de prêt la mise à disposition non rémunérée de cuves à<br />
des pompistes par des sociétés pétrolières, celle de chariots à des clients<br />
par des commerçants, ou encore celle de pompes à bière à des cafetiers<br />
par des brasseurs (10)? Faut-il accepter ou rejeter l’idée de prêt dans<br />
pareilles hypothèses? Et dans le premier cas, faut-il voir une évolution<br />
dans la conception du prêt? Des nuances au désintéressement n’étaientelles<br />
pas déjà admises par les anciens?<br />
Au cours du siècle dernier, deux courants ont vu le jour. Certains conçoivent<br />
la gratuité dans un sens large. Parce que le prêt serait un contrat<br />
de bienfaisance participant de l’idée de service d’ami, il serait incompatible<br />
avec une opération d’affaire, par nature intéressée. Dans cette<br />
optique, la mise à disposition d’un bien par un commerçant ne serait jamais<br />
que l’accessoire d’un contrat principal (la vente de carburant, de<br />
marchandises ou de bière par exemple) ou constituerait, éventuellement,<br />
un contrat innomé (11). Il ne serait en tout cas pas question de<br />
prêt. D’autres conçoivent la gratuité dans un sens plus étroit, le fait que<br />
la mise à disposition émane d’un professionnel n’étant alors pas exclusive<br />
de l’idée de prêt (12). On observe toutefois que, dans ce dernier<br />
courant, une frange retient la qualification de prêt tout en admettant une<br />
certaine souplesse dans l’application des règles (13). Faut-il donner la<br />
préférence à un courant sur l’autre? Si la qualification de prêt est retenue,<br />
faut-il y voir un prêt dénaturé?<br />
(7) Art. 1876, C. civ.<br />
(8) « Exposé de motifs fait par M. Galli », in Locré, La législation civile, commerciale<br />
et criminelle de la France, ou commentaire et complément des Codes<br />
français, t. XV, Paris, Treutell et Würtz, 1828, p. 35; « Rapport fait au Tribunat<br />
par M. Boutteville », in Locré, ibidem, p. 44. Voy. aussi, L. Guillouard, Traités<br />
du prêt, du dépôt et du séquestre, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel (éd.),<br />
1892, p. 14, n o 11.<br />
(9) « Rapport fait au Tribunat par M. Boutteville », in Locré, op. cit., p. 46.<br />
(10) Ces exemples sont empruntés à A. Bénabent, Droit civil - Les contrats<br />
spéciaux, Paris, Montchrestien, 1993, p. 231, n o 412. Les mêmes exemples<br />
sont donnés par Fr. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux,<br />
5 e éd., Paris, Dalloz, 2001, p. 481, n o 605.<br />
(11) N. Decoopman, « La notion de mise à disposition », Rev. trim. dr. civ.,<br />
1981, spéc. p. 320, n o 45 (à propos de la mise à disposition de caddies). Cet<br />
auteur parle parfois de simple concession d’usage (p. 320, n o 46). Voy. aussi,<br />
Ph. Malaurie et L. Aynès, Cours de droit civil - Les contrats spéciaux civils et<br />
commerciaux, 10 e éd., Paris, Cujas, 1997, p. 522, n o 911 in fine.<br />
(12) Fr. Collart Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., p. 481, n o 605. Voy. aussi,<br />
J.-A. Dupeyroux, Contribution à la théorie générale de l’acte à titre gratuit,<br />
préf. de J. Maury, Paris, L.G.D.J., 1955, p. 101.<br />
(13) J. Huet, « Les principaux contrats spéciaux », 2 e éd., in Traité de droit civil,<br />
sous la dir. de J. Ghestin, Paris, L.G.D.J., 1996, p. 919, n o 22109 : « Dans<br />
ces différents cas, on admet volontiers que l’opération constitue un véritable<br />
prêt, même si l’on infléchit parfois les règles de ce contrat pour tenir compte<br />
du contexte intéressé dans lequel il s’inscrit, notamment afin de rendre plus<br />
stricte la responsabilité de celui qui met ainsi une chose à la disposition<br />
d’autrui ». Voy. aussi, R. Fabre, « Le prêt à usage en matière commerciale »,<br />
Rev. trim. dr. civ., 1977, spéc. pp. 217 à 238.<br />
J.T. n° 6132 - 12/2004<br />
Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />
aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />
Confrontée à des situations dans lesquelles le prêt est le fait d’un professionnel,<br />
la jurisprudence belge est hésitante, pour ne pas dire divergente.<br />
Sans procéder à une analyse exhaustive, relevons un arrêt de la<br />
cour d’appel de Bruxelles qui exclut l’idée du prêt dans une relation<br />
nouée entre un artiste et un organisateur d’expositions. L’artiste avait<br />
mis à la disposition de l’organisateur ses toiles. La cour ne retint pas la<br />
qualification de prêt au motif que l’exposition des tableaux devait procurer<br />
à l’artiste une certaine renommée et donc, la possibilité de les vendre<br />
(14). Relevons, également, un arrêt de la cour d’appel de Mons qui,<br />
de la même manière, écarte la qualification de prêt dans une espèce où<br />
un garagiste avait essayé la voiture d’un particulier. Celui-ci lui aurait,<br />
en effet, confié son véhicule, non pas pour rendre service au garagiste,<br />
mais pour éprouver un plaisir personnel à faire apprécier par un connaisseur<br />
la bonne marche de sa voiture (15). Quelques années plus tard,<br />
cette même cour retient cette fois le prêt pour qualifier la relation contractuelle<br />
entre le propriétaire et le garagiste à qui fut confié un véhicule,<br />
pour essai, dans le but d’une vente éventuelle (16). Par le passé, la<br />
cour d’appel de Bruxelles avait, elle aussi, retenu l’idée du prêt à propos<br />
de la mise à disposition de matériel d’imprimerie en vue de l’exécution<br />
de commandes (17).<br />
L’hésitation dont témoigne la jurisprudence nous paraît provenir d’une<br />
confusion entre l’intérêt au contrat et la gratuité de celui-ci, entendue<br />
dans le sens étroit d’absence de contrepartie directe. Le droit romain,<br />
dont nous vient en droite ligne le commodat, admettait le prêt intéressé,<br />
c’est-à-dire le prêt conclu tant dans l’intérêt de l’emprunteur que dans<br />
celui du prêteur (18). Troplong, qui fait référence aux jurisconsultes<br />
romains, envisage même des hypothèses où le seul intérêt du prêteur est<br />
la cause déterminante du contrat (19). Que celui-ci tire un intérêt de<br />
l’opération ne devrait, dès lors, pas constituer un argument en défaveur<br />
systématique du prêt (20). Si, « en général, il est une libéralité dont le<br />
but est de rendre service à autrui, et non pas de faire quelque chose de<br />
profitable à soi-même » (21), le prêt « ne répugne cependant pas à son<br />
essence que cette libéralité ait pour mobile l’intérêt commun du prêteur<br />
et de l’emprunteur » (22). La jurisprudence, dit encore Troplong, « ne<br />
déclasse pas le contrat de prêt, alors que dans certains cas particuliers,<br />
la pensée qui porte un homme à prêter a été mêlée d’un retour sur soimême,<br />
ou d’une vue secondaire d’utilité; par cela seul que l’utilité n’est<br />
pas le but primitif, principal, le contrat reste dépendant de la catégorie<br />
des contrats de bienfaisance » (23). La libéralité que constitue, pour<br />
l’emprunteur, la remise de la chose, est donc une libéralité qui diffère<br />
fondamentalement de la donation. Outre, comme on vient de le voir,<br />
qu’elle peut profiter au prêteur lui-même, elle ne durera, en toutes<br />
hypothèses, qu’un temps.<br />
Dans ces conditions, il nous paraît que la qualification de prêt n’est pas<br />
incompatible avec le caractère commercial du contexte dans lequel il<br />
prend place. Comme l’écrivait P. Pont, « bienveillance et gratuité (...)<br />
peuvent n’être pas exemptes d’un certain calcul. Celui qui prête peut<br />
(14) Bruxelles, 6 e ch., 22 juin 1989, Pas., 1990, II, p. 54.<br />
(15) Mons, 1 re ch., 10 févr. 1976, Pas., 1977, II, p. 14.<br />
(16) Mons, 7 e ch., 23 avril 1993, Pas., 1992, II, p. 184.<br />
(17) Bruxelles, 3 e ch., 7 déc. 1977, J.T., 1978, p. 330. Dans le même sens, voy.<br />
Civ. Namur, 2 e ch., 23 avril 2002, J.L.M.B., 2003, p. 658 (somm.).<br />
(18) R. Fabre, op. cit., p. 199. Citant di Marino, il donne l’exemple du dîner<br />
« donné par deux personnes à un ami commun, dîner à l’occasion duquel l’une<br />
d’entre elles prêtait à l’autre son argenterie » (G. di Marino, J-Cl. civ., « Prêt à<br />
usage et prêt de consommation » (art. 1874 et s.), fasc. B, § 58, qui cite L. 18<br />
praem. I.I.).<br />
(19) Troplong, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du Code - Du<br />
prêt, du dépôt et du séquestre et des contrats aléatoires, Bruxelles, Société typographique<br />
belge, 1845, p. 2, n o 3. Il cite l’exemple du fiancé qui prête des bijoux<br />
à sa promise voulant que celle-ci paraisse plus parée. Cet exemple est l’un<br />
de ceux donnés par Ulpien (voy., L. Guillouard, op. cit., p. 15, n o 11).<br />
(20) Dans son traité, L. Guillouard se range finalement à cette idée (op. cit.,<br />
p. 14, n o 11, comp. les premiers et les derniers mots).<br />
(21) Troplong, op. cit., p. 1, n o 22.<br />
(22) Ibidem.<br />
(23) Ibidem, p. 2, n o 3.<br />
2004<br />
323